Théorie du Bordel Ambiant, in extenso les 666 notes à la fin
Communiqué des Éditions
BELFOND
Il y a trop de notes !*
Ce
parallèle avec Mozart n'est que superficiel. (Voir « L'avenir
incertain? », plus bas.)
L'Auteur n'a
écrit, dès l'âge de trois ans, aucun chef-d'¦uvre.
Mode d'emploi :
1.
Lire le texte sans tenir compte des
notes.
2.
Quand on lit une note, ne pas tenir compte des
sous-notes.
3.
À
tête reposée, ou une autre fois (ou pour se faire une petite
récompense), on peut lire les notes. (Voir instruction n°2.) Les
notes appelées [entre crochets] sont vraiment sans intérêt
(pures références documentaires censées conférer à l'ouvrage
une sorte de vernis scientifique).
4.
L'index est très riche, c'est la raison pour
laquelle il occupe toute la fin du volume. Cela rappelle un peu le
Quid (livre de chevet de l'auteur).
5. Il y a énormément
d'italiques, de mots soulignés, ainsi que de mots soulignés en
italique.
Cela tient au fait que l'auteur, ayant une vocation rentrée de
speaker radiophonique, croit qu'on écrit comme on parle : en
appuyant sur les mots importants. Cela donne une sorte de « phrasé
» qui complique beaucoup la typographie et fatigue les yeux, mais
qui en d'autres circonstance pourrait rappeler (aime à souligner
l'auteur) certaines improvisations de Django Reinhardt ou de Charlie
Parker.
6.
Les
guillemets, également en surabondance, procèdent de la même
confusion, mais correspondent plus précisément au manque
d'assurance de l'auteur face à la langue française (qui reste
cependant sa langue maternelle), et d'une façon générale à sa
méfiance vis-à-vis des mots.
7.
Les innombrables incidentes sont également
à déplorer, mais l'auteur ne doute pas que ses lecteurs
deviendront rapidement incapables de fixer leur attention sur un sujet
et ne pourront dès lors s'empêcher de « laisser leur esprit
s'évader en digressions pour sauter - de parenthèses en
parenthèses - comme dans la jungle de liane en liane » (fin de
citation).
8.
La
carte à puce n'est que marginalement traitée**, en violation de l'article
2 du contrat d'édition, l'Éditeur se réservant de donner
éventuellement à cette carence toutes suites qu'il jugerait
opportunes.
_______________
* Ce qui, de l'avis de
nombreux cobayes exposés au manuscrit de TBA, rend sa lecture
pénible.
_______________
** L'auteur s'est racheté
en publiant « Carte à puce, l'histoire secrète »
(Archipel, 2001).
À
propos d'Amadeus
L'avenir
incertain des élèves surdoués
[Le
Figaro, 28 janvier 2006]
ÉDUCATION
Les jeunes au QI supérieur à 130 ne connaissent pas forcément
des vies d'adultes couronnées de succès.
MOZART, EINSTEIN,
BILL GATES, Roland Moreno, Lionel Bringuier (le plus jeune chef
d'orchestre de France)... Dans l'imagerie populaire, les surdoués
sont toujours promis à des destinées illustres. Or comme le
montrent nombre de réalités familiales, petit génie ne devient
pas forcément grand. Loin de tous avoir des existences
«surordinaires», comme on dit dans ce milieu, les enfants précoces
vivent même souvent le contraire : des parcours chaotiques faits
d'échec scolaire, d'exclusion, de mal-être, voire de
dépression.
Pour conseiller et
épauler les parents, l'Association française pour les enfants
précoces (Afep) organise aujourd'hui un congrès à La Sorbonne. 400
000 enfants sont concernés, de la maternelle à la terminale. Dans
une plus large perspective, 2,3% de Français bénéficient d'un QI
supérieur à 130.
Surdoué et... sacristain
Si l'on regarde souvent la précocité [?]
http://www.lefigaro.fr/societe/20060128.FIG0001.html?222547
ATTENTION !
ÉRUDITION CORROSIVE ET CONNECTIONS ILLÉGALES
SUSCITANT LA PENSÉE INDÉPENDANTE !
De ma lointaine
Californie je regrette de ne pas être de la fête, de ne pas voir
comment sera accueilli le livre de mon ami Roland. Il touchera juste,
réjouissant ceux qu'il a mission de faire rire, sourire et rêver,
irritant les cuistres, les anallistes, les peines-à-jouir et autres
bas-bleus d'une fin de siècle trop sérieuse pour ne pas en rire et
trop mystifiante pour ne pas essayer d'en apercevoir la Lettre Volée
dans le fouillis d'images qui se forment sur notre rétine collective
et un peu désabusée.
Qu'on n'attende pas de moi autre chose qu'un total manque
d'objectivité : Roland est un homme tendre, râleur, polymathe
rigolard, inventeur poète et irrévérencieux, contemplateur du
quotidien, vaticinateur de l'entropie sociologique, hydrographe du
pouvoir des signes et des médias et surtout un ami fidèle et
patient. Cela posé, j'ai trouvé son livre, qui complète
utilement la dévote et récente hagiographie que lui a consacrée
Claire de Narbonne-Fontanieu (De la puce à l'oreille, Éd.
First, 1989), un travail complètement fidèle à la promesse du
titre - y compris dans le style.
Ni racinien ni
lacanien, Moreno raconte sa vie, ses humeurs, ses étonnements, ses
découvertes, ses explications du monde au fil d'un discours naturel
et dont le joyeux désordre garantit en fait le lien étroit au
réel qu 'il entend démêler. Si vous voulez de
l'introduction-thèse-antithèse-synthèse-conclusion, allez vite
échanger ce livre contre les figures du Discours de Fontanier ou
l'Hyperher-méneutique de Paul Ricoeur.
Si au contraire,
vous escomptez une visite de l'asile, guidé par un pessimiste qui
aimerait bien espérer, par un clerc qui n'a pas d'idéologie à
vendre et par un homme d'action qui voudrait susciter votre propre et
indépendante méditation, vous apprécierez le fond et la forme de
la Théorie du Bordel Ambiant.
Bien souvent,
l'image créée par le livre et la réalité de l'auteur font
d'horribles couacs : le prosateur aux nobles périodes vit mal avec
le petit comptable aigre et pantouflard, obsédé des retours
d'invendus. Au contraire, la réussite du livre de Moreno est aussi
sa fidélité à l'auteur, la vérité de l'image évoquée au
fil des pages. Ceux qui le connaissent déjà le reconnaîtront et
les autres se feront une idée sans doute assez juste.
Au-delà des
réflexions sur le nivellement universel, les obstacles à
l'émergence de la création, le pouvoir des signes et le poids des
moyens de communication ou des étonnantes possibilités du
Radoteur, j'ai aimé la façon qu'a Roland de regarder le quotidien.
Il est vrai que je ne suis pas normal non plus, à ma façon, et
qu'il m'arrive de rêver en regardant un téléphone ou un
réfrigérateur (et pas seulement un ordinateur
personnel).
Grâce au
collectionneur d'anecdotes, de photocopies et coupures de presse, vous
goûterez à l'absurde, au désopilant sans vergogne - la fameuse
attaque de billetterie - au cruel et au poétique.
Tout cela alimentant
ses thèses, nourrissant ses diatribes ou simplement apparaissant au
fil d'une association d'idées qui elle-même, dix pages plus loin,
fera jaillir une autre étincelle.
Au moment où vous
allez aborder la lecture de la Théorie du Bordel Ambiant,
permettez-moi pour conclure, une recommandation, un pronostic et un
souhait, je vous suggère vivement et respectueusement de lire le
mode d'emploi du livre (gentiment - mais fermement - inséré par
les Éditions Belfond, en exergue), je crois que vous aurez le
sourire en le reposant, et surtout je souhaite que vous ayez envie de
le relire, de tracer de nouveaux chemins dans ce livre hors des
catégories battues.
Jean-Louis Gassée
Apple-symbol et ami de l'auteur
SOMMAIRE APPROXIMATIF
Chapitre 1 : université,
paquet-cadeau 3
- Études de
lettres 3
- La vie comme
inépuisable paquet-cadeau à ouvrir
8
-
Théorème 10
Chapitre 2 : communication, créativité,
briquet
13
- La Connaissance,
cette inconnue ?
13
- La prodigieuse
aventure du briquet jetable
15
- Besoin de
rails
22
- Thermodynamique,
Bordel ambiant
23
- L'acte
gratuit
27
- Chatouilles et
cigognes
28
- Sensibilité et
sélectivité 34
- Incompétence
recherchée
35
-
L'enracinement
40
- Idée de mots
42
- Idm pour la
circulation parisienne. 44
Chapitre 3 : du guichet à l'aventure
45
- Devenir adulte
? 45
- Travail (Le
ministère du) 48
-
Détective 50
- Grand saut
émancipateur 53
Chapitre 4 : Matapof, introduction à
l'Incertitude
57
- Initiation au
non-sens électronique 57
- L'Express à pile ou
face 58
- Intermède
artistique et admiratif
64
- Intermède
linguistique et réactionnaire
67
- Les Choses de la
vie 68
- Quatre jokers dans le
jeu du mourant 73
- La Vraie Vie,
révélée par l'Officiel 76
- L'Écho de la Presse
et de la Publicité
80
Chapitre 5 : stimulation créative
83
- La créativité
d'entreprise 83
- Différer le
jugement 84
- La
synectique.
84
- Un
stage 88
- Se rendre
indésirable
92
- Le mur du
n.i.h. 95
- L'inventeur
(portrait-robot) 99
- Comment vient une
invention [deuxième].
100
- Trompeuse analogie
entre les "mémoires"
104
Chapitre 6.1 : le radoteur
107
- Shannon et les
premiers essais.
107
- Sources
cohérentes 110
- Quick & Dirty :
première machine à mots
113
- Base : la
musique 118
- Base : le
dictionnaire
124
- Produire soi-même
son texte, chez soi
125
- Petites annonces,
proverbes 128
- Interview
concluante 131
Chapitre 7 : la Carte, l'Identité
133
- Soliloque
halluciné 138
- Facéties
existentielles
138
- L'anonymat.
141
- Liberté,
identité 142
- Démocratie,
identité 143
- Identité et
univers. 144
- Le Rayon
noir 152
Chapitre 8 : l'argent (supprimé)
153
Chapitre 9 : les mots, la vérité
155
- Chiffres &
Lettres 160
- Des noms
propres 164
- Le
LE
165
- Le nom des
gens
166
- Le nom
avantageux 169
- Une aubaine pour les
psy, ou La Ruée vers l'or du verbe
172
- Vouvoiement
174
- Dénomination du
milieu intérieur
175
- Uniforme et
drapeau 176
- Ignorance,
ubiquité, opacité.
179
-
Opacité
185
-
Politique-fiction
187
- Langage
piégé 189
Chapitre10 : entendu au poste, vu à la télé
193
- Le plaisir solitaire
de la radio
193
- La télévision,
comme tout le monde 195
- Dîner chez Jack
Lang 196
- Faust 86 : le pacte
du Paf 204
- Effet de
l'aplanissement des écarts
206
- Conclusion
méta-historique 213
Chapitre 12 : nivellement &
création
217
- Une
chaise 223
- Ça se peut
pas
225
- Règles impitoyables
méconnues par les
lapins.
226
-
Cohérence 227
- Signe
reçu 230
- La grande
boucle 232
- Pincement &
convergences
237
- Arrêt sur
coïncidence
239
- Mémoire,
imaginaire 242
- Belle époque
250
Chapitre 13 : à perte de vue
251
- Rires
électroniques 264
- Brûler ses
vaisseaux
265
- Système &
sottise 266
- Art
systématique
272
- Aliboron et la
douane
279
- Un infini bien de
chez nous 290
- Inépuisable
spectacle de la Réalité 292
Dernières recommandations
297
Notes Finales & Supplémentaires
300
CHAPITRE 1
Université,
paquet-cadeau
« Qui
veut la fin n'amasse pas mousse. »
Le
Radoteur.
ÉTUDES DE LETTRES
Mes (brèves) humanités ont commencé par un double malentendu
à trois personnages :
- moi
;
- le vrai moi
;
- l'enseignement
supérieur (ou du moins l'idée que je m'en faisais).
J'avais fait de la chimie pendant mon adolescence, parce que j'en
avais trouvé le goût auprès de mon père, qui dirigeait une
unité de production d'intermédiaires organiques. J'avais fait de
l'électronique depuis ma sortie de l'école primaire, parce que
j'aimais l'électronique. Après mon bac mathélem, la voie royale
des études scientifiques m'était toute tracée.
A la réprobation générale, j'ai abandonné subitement cette
destinée gravée au frontispice du lycée Condorcet, et me suis
inscrit en faculté de Lettres.
Goût de la provocation,
manifestation de non-conformisme, bête révolte d'adolescence ?
Toutes ces raisons se conjuguaient à plaisir, et la première
d'entre elles était sans doute celle qui pousse les
adolescents-à-problèmes vers la psychologie sous le prétexte que
celle-ci leur permettrait de mieux se comprendre
eux-mêmes.
Cette source de malentendus,
sans doute assez répandue, concourt à donner au paysage
"médical" son caractère si particulier : le marché des
psychologues , psychothérapeutes, psychanalystes se trouvant ainsi
encombré d'austères professionnels visiblement encore tout
hallucinés par cette spécialité parathérapeutique conquise de
haute lutte, et dont ils ne se rendaient pas encore compte qu'elle les
transformait en simples défroqués du serment d'Hippocrate. Je ne
pouvais, et ne peux encore, m'empêcher de les considérer comme
n'étant là que suite à une combinaison compliquée de malentendus
émotionnels et d'assiduité scolaire.
Dieu merci, j'étais
nul.
La première année (à
l'époque on disait "Propédeutique "), était une année de
littérature, d'histoire et de philosophie, qui ne servait qu'à
l'orientation. On réservait sans doute la psychologie pour plus
tard.
Une année ! Une année d'exégèses, de Germinal à
Swan, le must de la culture littéraire officielle se situant aux
environs de Flaubert tandis que mon tiercé personnel jouait
Verlaine, Prévert, Pagnol, Aymé ou Goscinny beaucoup mieux
placés.
Les gens que je trouvais
là, à la Sorbonne (Censier), pouvaient lire des textes avec un autre
regard que le mien, plus attentif, et commenter à l'infini. Je ne
peux parler, si on me demande de disserter, que des idées, des
sensations (des émotions, à la rigueur) qu'un livre m'apporte, non
pas de l'effet littéraire qui le
caractérise.
Cette activité implique un
point de vue (notamment comparatif) qui m'est étranger.
J'étais, je suis toujours incapable de prononcer les quelques
paroles - simplement conformes - susceptibles de faitre entendre sans
hésitation qu'un essai de Maupassant ne saurait être confondu avec
un feuilleton de Balzac. Les autres le pouvaient. Ils le peuvent.
Quant à moi, la noire cancritude dont je fis aussitôt et
spontanément la preuve me dispensa de tous regrets in-tempestifs
(genre : une bouleversante rencontre manquée avec la littérature,
Hemingway, Sar-tre, Dos Passos).
J'avais pourtant, durant toutes mes études secondaires, et sous une
influence maternelle pré-pondérante, considéré que les auteurs
classiques formaient un ensemble culturel que je devais connaître,
et même qu'ils étaient à eux seuls La Culture.
Consciencieusement donc, et parfois avec un certain plaisir, j'avais
avalé les petits classiques Larousse et Vaubourdolle (soit
l'ensemble des auteurs des autres siècles ), au point que je crus un
moment, vers quinze ans, et en accord avec mon prof de français,
pouvoir dire que j'avais tout lu. Surprise à l'arrivée à
l'Université, changement total de décor.
La culture, ce n'était pas cela. Ceux qu'il fallait connaître
c'étaient Eluard (un moderne, politisé comme une bête), Queneau
(avec ses gros mots), Genet (à la sexualité si pittoresque) et son
col-lègue Michaux et tant d'autres poètes du XXe siècle
dont j'ai (honte d'avoir) oublié jusqu'au nom.
Versatilité de la culture, mais brutale désillusion universitaire.
Et pourtant, la littérature doit assurément jouer un rôle
important - je n'ai pas encore découvert lequel à ce jour - ne
serait-ce qu'en vertu du théorème de la fumée et du feu.
Premier partiel. Un amphi, une feuille, un sujet :
NOBLES ET BOURGEOIS A LA VEILLE DE LA REVOLUTION [4
heures].
Ce ne fut qu'une totale et accablante Bérésina. Je ne savais
même pas faire ce qu'un étudiant normal apprend en premier lieu
(c'est-à-dire entrer dans le sujet) et, avant tout, je n'avais rien
à dire. Il faut bien comprendre : RIEN .
A quelques minutes de la fin de l'épreuve, je me mis à écrire
fébrilement, tout en m'efforçant de faire apparaître une vive
contrariété imputable - pourquoi pas - à un stylographe rebelle
: "1788 : Les bourgeois sont traumatisés car le dix-huitième
siècle a été très difficile (affaire Law et divers
scandales)".
"A ce stade, insisté-je pour préciser, il convient de souligner
que le mot de révolution est impro-pre, car "révolution"
au sens strict veut dire faire un tour sur soi-même."
Et j'ajoutai en marge un croquis représentant une sorte de
flèche circulaire supposée illustrer ma pensée : "Malgré
cet usage impropre du mot, nous l'emploierons dans la suite de ce
devoir."
Puis je cochonnai ce qu'il fallait bien pourtant appeler ma copie
d'examen, maculant d'un trait d'encre la moitié inférieure du
papier, très exactement à partir du R final du mot DEVOIR et
jus-qu'à l'extrémité inférieure droite de la feuille, afin de
faire croire qu'on m'avait arraché la copie en plein travail, occupé
que j'étais à recopier au propre mon devoir soigneusement
préparé et affiné au brouillon, à la fin de l'épreuve, mon
stylo ayant glissé, tandis qu'indifférent à mon dé-sespoir un
méprisable pion déployait tout son zèle à me dessaisir.
La note fut rien de moins qu'insultante, et le commentaire très
sévère : mon inadéquation totale à l'Université était
désormais établie sans appel. Ah ! la culpabilité. Ah ! la honte.
Ah ! la frustra-tion et la solitude : décidément cette misérable
question d'Histoire me faisait découvrir des formes de souffrance
encore inconnues, dont les conséquences (comment dire : intimes ?)
se révélaient finalement plus désagréables que ce à quoi
l'épanouissement du printemps sur les jar-dins de Port-Royal m'avait
préparé.
Sans se laisser effleurer par le doute, ma copine Catherine (bien
sûr connue dans la classe de Propé) réussissait, car elle
appartenait - et appartient sans doute encore - à cette classe de
gens qui peuvent mener de front une vie sociale conforme et une
vie universitaire normale : res-ter la nuit chez des copains
jusqu'à quatre heures du matin et se souvenir qu'elle a cours
le len-demain à neuf heures. Lui demandait-on le programme du lundi
suivant qu'elle sortait immédiate-ment de son sac à main un agenda
et prescrivait lieu, heure et travail à faire.
Pour moi au contraire, il y avait deux types de vie complètement
incompatibles : la vie sociale et la vie universitaire. Celle de
l'université est une vie d'examen, une vie d'adulte, qui consiste à
se fixer des caps (par exemple faire des études de lettres) et à
s'y tenir.
L'autre est une vie de plaisir fondée sur un principe de
gourmandise, de gloutonnerie sans limite.
Or, sans même que je puisse invoquer une injustice quelconque, et
tandis que Catherine terminait en beauté son année de Propé, la
Sorbonne me donnait à comprendre qu'un absentéisme pur et simple,
y compris aux examens, eût affecté de façon moins négative le
standing de mon dossier universitaire.
Je décidai aussitôt, en un geste d'une inexorable stupidité, de
procéder aux formalités de sépa-ration idyllique qu'imposait (à
mes yeux) la situation : les ronds de chapeau que j'eus l'occasion
d'en baver, d'un romantisme éphémère, m'amenèrent à
découvrir pour la première fois une des facultés les plus
étonnantes dont les hommes sont doués (autoflagellation,
régression) et dont la dramaturgie ne m'échappait pas.
Réinscrit l'année suivante (peut-être pour de simples raisons de
sursis militaire), je ne mets cette fois pas les pieds dans un seul
cours. Ainsi finirent, de manière inconditionnelle, cette rela-tion
et mes études littéraires .
CITYKANE A CENSIER
L'UNEF, sur les affiches et les tracts de laquelle je fantasmais
déjà comme ces enfants gâtés à qui il aurait fallu une bonne
guerre, m'accueillit. Le papier et les odeurs d'encre me mettaient
déjà en transe, et tout autant les petites offset de bureau, ou
même ces humbles duplicateurs (à défaut des rotatives du
Monde), bref, tout ce que je me faisais déjà plaisir à
appeler les Arts graphiques.
J'ai aussitôt eu la chance de m'y dénicher à la Mutuelle
étudiante (MNEF) un vrai travail, payé au mois, mais grâce auquel
c'est tous les jours que je pouvais déjà déguster l'inlassable
jubilation de travailler pour (ou avec) des copains, quelque
symbolique qu'ait été le salaire. Les plus avancés d'entre eux,
maîtres de toutes les situations, s'appelaient Kravetz, Bouguereau,
Péninou, Hoc-quenghem, Schreiner , Blanc , toute une génération
qui s'est ensuite illustrée dans une certaine vie publique, en
particulier dans ce qu'on appelle aujourd'hui la communication
.
En 1966, on parlait beaucoup à l'UNEF de mystérieux
«Italiens», «Cubains», «Chinois» (et même «Albanais»),
ce qui avait pour effet de me rendre presque hargneux, un peu comme à
entendre un vocabulaire codé, utilisé par affectation, ou pour ne
pas être compris des autres...
Je n'en étais pas moins au milieu du mouvement, puisque rédacteur
en chef du journal de Propé-UNEF, et en même temps complètement
extérieur à lui, à ses débats . J'y passai des années sans
avoir jamais empoché la moindre carte de groupuscule, sans avoir
jamais participé à une seule "discussion politique" de fond.
Surtout, j'ai mis un temps fou à comprendre que ces «Cubains» et
ces «Chinois» n'étaient que les tenants de diverses variétés
marxistes, presque toutes opposées aux «staliniens» (URSS, RDA,
PCF, etc.), caractérisées par leur préférence envers les
régimes au pouvoir à La Havane, à Pékin, etc.
L'esprit pré-soixante-huitard qui animait ce journal , écrit par
un groupe d'étudiants de Propé-deutique, n'appelait les
étudiants qu'à prendre conscience et à s'unir.
On demandait (c'était le mot d'ordre, _expression_ que j'ai
appris alors) une
allocation-d'études-pour-tous-les-étudiants-sur-critères-universitaires. Donner de l'argent aux étudiants les meil-leurs,
sans considération de critères sociaux : on ne pouvait pas être
plus modéré, ni moins boy-scout...
Mon plaisir n'était pas de militer, de discuter
"politique", mais d'être avec ces copains, et j'en
profitais, peut-être abusivement, pour me mêler à un groupe qui
ne me concernait pas tellement .
Mais n'existait pas encore ce que Coluche avec l'aide de Georges
Marchais a inventé par la suite : la catégorie de l'anticommunisme
primaire, dont par conséquent je ne pouvais faire encore partie.
Je ne réussis qu'à prendre des coups sur la figure (police
ou fascistes ), coller des affiches, écrire des éditoriaux, mais
sans jamais entrer dans le débat "politique", auquel je restais
résolu-ment étranger, à la différence, encore une fois, de
Catherine qui, partie du même point que moi, est arrivée une
quinzaine d'années plus tard au Comité central du Parti .
LA VIE COMME INEPUISABLE
PAQUET-CADEAU A OUVRIR
Au-delà des petits boulots qui se présentent à côté des
horizons déjà quotidiens, un principe de vie commence à
m'apparaître, qui ne me quittera plus, et qui consiste à avoir
toujours une pers-pective : SE DIRE A PRIORI QUE QUELQUE
CHOSE VA CHANGER. On se fixe un objectif, on lance des propositions,
on sème un peu partout diverses graines, et ON SAIT que le temps va
apporter une réponse.
Donc on acquiert une certaine prise sur les événements. Ce
principe est redoutable, car il accé-lère tout : on espère en
effet sans cesse, avec mon système, que le temps va passer plus
vite.
Mais dès lors je n'attends plus que des bonnes nouvelles. Ainsi,
quand je fabrique mon premier objet électronique, je le montre, et
j'attends :Vivement la semaine prochaine qu'ils me disent ce qu'ils
en pensent...
En informatique, un background job, une "tâche de
fond", fonctionne de cette manière comme je l'ai fait dès
lors, en menant deux activités de front, dont l'une est beaucoup
plus lente que l'au-tre, et consiste principalement à attendre que
quelque chose se passe.
Un background job c'est ce qui s'effectue sans cesse en arrière-plan
quand on mène d'autres opérations, un peu comme certains
répondeurs videotex fonctionnent sur un ordinateur individuel. La
tâche n'occupe en effet pas pleinement la machine... Pendant que
celle-ci travaille à autre chose, le micro-processeur prend
régulièrement le contrôle de l'ensemble pour aller voir si par
hasard il n'y aurait pas un message nouveau, le tout en un millième
de seconde.
A cette époque donc, de la même manière, j'ai lancé des
petites graines pour pouvoir trouver un travail qui me permette de
rembourser les dettes de 20 ou de 50 francs que j'avais accumulées à
droite et à gauche. Ce but atteint, j'ai semé d'autres graines
pour pouvoir devenir journaliste et je me suis ainsi trouvé sans
cesse en position d'attente : attente de nouvelles presque
nécessai-rement bonnes, et prenant plaisir à me laisser porter par
le temps qui précédait l'événement.
En 1967, je commençai à me passionner pour la politique
parlementaire, et ce fut l'occasion de découvrir le plaisir?
électoral : cette sorte de fébrilité qui accompagne le scrutin, la
campagne qui le précède, et - déjà très éphémère -
l'attente des résultats.
Tout cela ressemblait décidément beaucoup à ces veilles de
Noël où, enfant, on se couche dans une ambiance électrique parce
qu'on sait que le lendemain il y aura des cadeaux à ouvrir.
Lancer de telles graines permet en gros de vivre sur le principe
suivant : Le temps qui se déroule ne peut théoriquement
déboucher que sur des surprises excitantes.
Je me souviens d'un tract, une convocation à une réunion
publique, que j'avais réalisé pour le compte de l'UNEF avec mes
Letraset : une fois le travail composé sur une feuille de papier
blanc, on le donne à traiter (en l'occurrence : graver un stencil),
et il faut attendre le résultat .
Ce qui ressort, après l'attente devant la machine de gravure
(premier plaisir), c'est une plaque qu'il va falloir donner à
imprimer. D'où une nouvelle attente... et dans tous les cas la bonne
an-goisse qui accompagne le temps.
Sous cet angle, le travail est un peu comme doit être la drogue : on
se pique sans cesse en lan-çant, en amorçant des réalisations
dont on guette le développement, si bien qu'on ne peut jamais se
considérer comme dans un état statique ou figé. Il n'y a dans ce
système aucune composante carriériste ou quoi que ce soit du
genre.
Mais peut-être (en toute
mégalomanie philosophique) quelque chose de l'ordre du divertissement
pascalien : on se meuble l'esprit en attendant quelque chose qui va
arriver. Ce faisant, les ques-tions éternelles (que sommes-nous
?/d'où venons-nous ?/où allons-nous ? ) n'embarrassent pas
trop.
THEORÈME
Soit l'ensemble des problèmes. On distinguera deux
sous-ensembles, celui des petits problèmes qui concernent la vie de
tous les jours et chacun d'entre nous d'une part, celui des grands
pro-blèmes du temps d'autre part.
QUICONQUE TRAVAILLE DANS LA
COMMUNICATION
AURA
TENDANCE A CROIRE QU'IL VIT DANS LES GRANDS
PROBLEMES.
En effet, la distance entre
la vie quotidienne et les projets qu'il a en cours lui fera croire
qu'il s'occupe des vrais problèmes du monde.
Bien sûr, le fait de vivre au milieu des ronéos, des affiches et
des tracts, de participer à la ré-daction et à la fabrication
d'un journal vous place au c¦ur de la communication, vous fait donc
vivre au rythme des grands problèmes ...
LA
VIE DES COUPLES
- Chez moi c'est parfait. Tous les petits problèmes (comment
habiller les enfants, dans quelle classe ils doivent entrer ou vers
quelle terminale ils doivent s'orienter, faire de l'anglais ou de
l'allemand, où passer nos vacances, déménager ou pas, tout
ça), c'est ma femme qui s'en occupe. Moi je m'occupe des grands
problèmes.
- ... ?
- Oui. Je m'occupe de savoir si l'UDF doit s'allier avec le CDS, si la
Grande-Bretagne doit sortir du Marché commun et la France du Serpent
monétaire, s'il faut ou non ré-tablir la peine de mort, s'il faut
faire confiance à Gorbatchev pour réunifier l'Allemagne, si notre
programme électronucléaire n'est pas surdimensionné...
Attaquons maintenant -
plutôt que de commencer par le commencement ("Je suis né
le..." comme dans le Who's Who) - la première forme
qu'a revêtue, au début des années 70, cette sorte de théorie
qui n'était pas encore du Bordel ambiant.
Mon rôle était dans cette histoire celui d'un sous-traitant, à
qui Jacqueline Salvat, une amie ré-alisatrice télé, avait
commandé pour le compte d'Éliane Victor (alors responsable des
programmes sur l'une des deux chaînes françaises, mais j'en ai
oublié le numéro) un résumé sur les liens unis-sant
création et communication.
Six semaines et quarante-trois feuillets dactylographiés plus tard,
je m'aperçus que j'avais com-mencé à esquisser les prémisses
d'une éventuelle introduction au sujet.
J'ai conservé cette navrante tentative de projet TV, qui fournit
aujourd'hui une sorte de thème (naïf, et un peu cuistre pour tout
dire) aux conclusions des Chapitres 12-13.
En toute simplicité, j'ai nommé ici cette vieille prose :
« Chapitre 2 ».
[On peut sauter le Chapitre 2.]
CHAPITRE 2
Communication, créativité, briquet.
« Monsieur Escartefigue, je vous ai toujours
considéré comme
le plus
sympathique et le plus affectueux des polichinelles que j'ai
connus.
Mais quand
vous dites une chose comme celle que vous venez de
proférer,
je déclare
et j'affirme que vous battez de loin vos propres records de
stupidité.
C'est-à-dire que je vous vois très distinctement
serrant contre votre c¦ur
les bornes
du couillonnisme, et courant à toute vitesse pour
le
transporter
plus loin, afin d'agrandir votre
domaine. »
Marcel
Pagnol, César.
LA CONNAISSANCE, CETTE INCONNUE ?
La résultante des différentes façons dont nous avons
réussi à capter le monde qui nous entoure, appelons ça la
Connaissance.
C'est la perception de notre environnement, notre sensation d'y
comprendre finalement un peu quelque chose, de pouvoir en expliquer
des morceaux à nos enfants ; bref, ne pas s'y sentir com-plètement
perdus.
Tandis que je prends de la bouteille (c'est-à-dire à mesure que
mon expérience s'enrichit), ma connaissance devient évidemment
multiple, à défaut de vraiment se préciser. Quant au monde
lui-même, il évolue en intégrant les idées mises en
application, c'est-à-dire ayant fait l'objet d'une traduction
concrète.
La meilleure représentation
que l'on puisse donner de ce champ de perception est sans doute un
plan, c'est-à-dire un espace fini à deux dimensions. En effet, un
espace à une seule dimension (une ligne) impliquerait que l'esprit
soit obligé de passer en revue l'ensemble des connaissances
comprises entre deux points A et B de ce plan pour aller du point A au
point B, ce qui n'a évidem-ment pas de sens ; et d'autre part un
espace à trois dimensions ou plus impliquerait que certains points
de la Connaissance, ceux du centre, soient plus éloignés que
d'autres de l'extra-logique et du «non-connu», ce qui
n'apparaît pas très facile à maîtriser.
La Connaissance, dans un
système culturel donné, est cohérente avec elle-même. Ses
éléments constitutifs sont reliés les uns aux autres par des
donc. Il n'y a pas de concept en soi, c'est-à-dire libre de
toute attache par rapport au reste de la
Connaissance.

Les liaisons logiques que
nous établissons entre les différents concepts se comportent en
fait comme des sortes de forces, traduisant soit la relation
existentielle unissant deux concepts (ex : dentifrice/brosse à
dents), soit une probabilité d'association (ex : ciel/
bleu).
mesure que notre Connaissance s'enrichit, que davantage de
choses sont prises en compte par l'EXPÉRIENCE, le plan en question
s'agrandit, reculant sans cesse les frontières de l'irrationnel : le
monde devient de plus en plus structuré, cohérent.
On aboutit par exemple à ce Sage chenu qui, ayant beaucoup roulé
sa bosse, beaucoup réfléchi, beaucoup observé, a finalement
réponse à tout : d'ailleurs ce n'est pas tellement son intelligence,
ou son bon sens, ou sa sagesse que l'on vient consulter, mais plutôt
l'encyclopédie vécue qui lui sert à fonder ses jugements.
Les types intelligents ou "géniaux" courent les rues, les hommes
tels que ce sage sont terriblement plus rares et par conséquent
recherchés.
Le Sage est (presque par définition) aux antipodes de la passion,
car pour lui tout s'explique en sorte qu'il n'a pas besoin de recourir
aux emphases, ou aux emballements mystiques, ou aux convictions
profondes, pour adhérer ou pas à quelque chose : chaque
phénomène, chaque opinion peuvent être expliqués et justifiés,
souvent de plusieurs façons différentes. Au bout du compte,
d'ailleurs, les justifications logiques d'un truc sont parfois si
nombreuses qu'il (le truc) en de-vient indiscutable, tellement on sait
pourquoi il est comme ça et pourquoi il est là ! Ce facteur de
conservation, extrêmement puissant, est évidemment très
néfaste en matière d'innovation ou de créativité.
L'ensemble de cet échafaudage subtil, mais solide parce que
extraordinairement enchevêtré, finit donc par englober, pour un
individu donné, l'ensemble de ce qui est : objectivement (un
peu) et subjectivement (bien sûr).
Au-delà : tout ce qui N'EST PAS ou ce qui n'est PAS ENCORE, qui ne
peut évidemment pas être relié à la Connaissance par les
forces, logiques ou affectives que nous avons vues plus haut, et qui
constituent le ciment de la connaissance. Ce cosmos (ou éther)
mental entoure de toute évidence l'intégralité de la
Connaissance, c'est-à-dire que chaque point de la Connaissance se
situe à la frontière de l'irrationnel. Il suffit de franchir
un pas, de quelque concept (mot) que l'on parte, pour se
trouver dans l'imaginaire. Une interprétation vaguement topologique
de cette analyse pourrait aboutir à une représentation centrée
sur une sorte de pelote de fil multidimensionnelle : ligne non droite,
enroulée sur elle-même de telle façon que chacun de ses points
puisse être considéré comme voisin - et non pas équidistant -
de tous les autres tout en restant mitoyen de l'irrationnel.
LA PRODIGIEUSE AVENTURE DU BRIQUET (JETABLE)
Reprenons la représentation par plan, d'un standing
métaphysique moins prestigieux mais bien plus pratique comme support
de réflexion.
Exemples. Au temps de la préhistoire, si la notion de peau de
banane est déjà présente, elle ne voisine, dans le plan de
la connaissance, avec aucune notion de poubelle, puisque
celle-ci n'a pas encore été inventée (du moins en tant qu'objet
manufacturé).
Cette connaissance (peau
de banane) se transmet telle quelle de génération en
génération. Au XIXe siècle , la notion de poubelle
apparaît, et s'inscrit progressivement dans les esprits.

Il n'existe en effet aucune conscience universelle, à l'exception
d'un Dieu , qui puisse être considérée comme dépositaire de la
Connaissance absolue : la notion de poubelle apparaît donc,
progressivement, c'est-à-dire qu'elle commence par s'inscrire dans
les esprits les plus riches, ou les plus à la mode, rayonnant
ensuite par simple phénomène culturel et social sur l'ensemble des
esprits.
La case qu'elle occupe alors dans les univers mentaux des hommes est
évidemment voisine de celle de peau de banane - ou du moins
plus proche de peau de banane que de ficelle,
trigonomé-trie ou fantasme par exemple. Il y a une
relation fonctionnelle entre ces deux notions, et celle-ci s'établit
dès l'arrivée de la poubelle dans les esprits.
À la même époque existent déjà les briquets. Ils sont connus
de tout le monde, et en particulier de tous ceux qui connaissent les
poubelles.
Où se situe donc la place
de briquet par rapport à celle de poubelle ou de
trigonométrie ou de Scarlatti par exemple ?

On n'en sait rien : mais le
fait est que poubelle n'est relié par aucune logique, ni par
aucune af-fectivité simple à briquet, non plus qu'à
trigonométrie ou Scarlatti.
Or (disons vers la fin du XXe siècle), une «force» s'établit
entre poubelle et briquet : d'abord localisée dans le seul cerveau
de l'inventeur du briquet jetable, puis se répandant peu à peu
dans les esprits à mesure que se diffuse l'invention et que se
répand le nouveau produit.
On peut considérer que de nos jours une relation objective existe
désormais entre briquet et poubelle, d'abord évidemment sur le plan
fonctionnel (on trouve beaucoup plus souvent qu'au siè-cle dernier
des briquets dans les poubelles), mais aussi dans les esprits : dans
une série d'asso-ciations d'idées, par exemple, l'enchaînement
briquet/poubelle aura infiniment plus de chances d'apparaître en
1990 qu'il n'en aurait eu en 1890.
Et, lorsqu'il «sortira», cela ne constituera évidemment qu'un
phénomène beaucoup moins étrange pour le spectateur que ce
n'aurait été le cas un siècle avant...
Ainsi avons-nous assisté,
avec cet exemple, à l'apparition d'une force entre deux concepts
aupa-ravant lointains ; mais il ne faut pas perdre de vue qu'en plus
de ce phénomène relativement sta-tique un autre événement
s'est produit à cette occasion : l'apparition d'un
nouveau concept (BRIQUET JETABLE), sans doute plus ou moins
équidistant de briquet et de poubelle.

OÙ ÇA DEVIENT MAUSSADE
Un phénomène inverse aurait pu être analysé, en observant
l'évolution du concept de quenouille : l'association
quenouille/vêtement, très forte il y a quatre ou cinq
siècles, s'estompant de plus en plus, sans disparaître totalement
pour autant.
A la fin du XXe siècle, la liaison quenouille/vêtement
n'est pas vraiment loufoque, mais elle est très certainement moins
énergique que, par exemple, la liaison quenouille/antiquités.
On peut d'ailleurs saluer au passage la notion de «dimensions
relatives» à propos d'une paire de concepts : vêtement
est de toute évidence plus grand que quenouille, puisque la
liaison que-nouille/vêtement est «plus normale», coule
plus franchement que la liaison vêtement/quenouille .
[Analogie notable entre cette «facilité d'écoulement» et les
lignes de plus grande pente qu'em-prutent les cours d'eau (analogie
d'ailleurs faiblarde puisqu'en aucun cas un cours d'eau ne peut
remonter une pente, alors qu'un concept amont peut toujours être
atteint à partir d'un concept aval).]

Le cerveau se laisse
naturellement porter vers les associations les plus probables,
de même que les systèmes naturels se dirigent normalement -
lorsque aucune énergie extérieure n'intervient - vers l'état de
plus grand désordre : ce bibelot sur une étagère est
"moins probable" que ce même bibelot tombé de cette étagère,
en ce ce sens que spontanément, si le monde venait à se recréer
demain, nous trouverions beaucoup moins de bibelots posés sur des
étagères que de bi-belots "libres".
IDEES MUTAGENES
Et, de même que dans la nature, la création d'états
improbables exige la mise en ¦uvre d'une énergie, dans le cerveau,
le déplacement de la conscience d'un concept A vers un concept B,
non lié au concept A (Beethoven/poubelle par exemple), n'est pas un
événement probable. Une pre-mière nécessité apparaît dès
lors, qui aura pour effet de stimuler ce glissement contre nature de
la conscience, sans lequel aucune idée mutante ne peut apparaître,
ainsi que nous l'allons voir.
Qu'est-ce qu'une idée mutante ? C'est une idée qui modifie, avec
plus ou moins d'ampleur, l'archi-tecture de la connaissance
"antérieure" à cette idée. Exemple : au début du siècle,
Marconi an-nonce qu'il envisage d'expérimenter des communications
radio à grande distance (Angleterre-USA).
Il suffit pour cela, dit-il, de posséder un émetteur suffisamment
puissant et un récepteur suffi-samment sensible. Son projet fait
sourire les experts, car l'identité de nature entre les ondes
hertziennes (radio) et la lumière a déjà été établie ; on
sait donc déjà que les ondes radio se pro-pagent en ligne droite.
Or, comme la terre est ronde, les ondes de Marconi iront se perdre
dans l'espace.
Logique parfaite, irréfutable. Mais Marconi s'entête, met son
projet à exécution, et réussit. Pourquoi ? Parce que les ondes
qu'il a émises sont allées se réfléchir sur un machin dont on
igno-rait alors l'existence : les couches ionisées de l'atmosphère
supérieure ou ionosphère.

Plusieurs enseignements sont
à tirer de cette histoire.
Tout d'abord, on voit ici clairement illustré le cercle vicieux que
représente le système dialecti-que logique/connaissance : la
connaissance constitue l'armature de la pensée logique (suite de
donc), et en même temps son butoir.
Le fait même que je connaisse certains trucs (ondes radio =
lumière, lumière = ligne droite, par exemple) m'empêche d'en
connaître d'autres (ionosphère) et cela est évidemment très
lourd de conséquences.
INTUITION, DÉCOUVERTE
Deuxième observation : il y avait dans cette histoire un autre
élément, implicite, qui était : "Nous, depuis la terre, nous
VOYONS clairement la lune, le soleil et les étoiles, DONC il n'y a
rien entre nous et le cosmos."
Cette intuition, à l'époque où l'histoire se passe, est
pourtant déjà abusive, quand d'innombrables travaux avaient mis en
évidence l'existence de corps ou de phénomènes que nous ne
voyons pas, ou même ne percevons par aucun de nos sens (gaz,
microbes, gravitation, attraction magnétique, ondes hertziennes
même, etc.).
On note donc avec intérêt que, malgré son caractère très
discutable, l'observation n°1 (arma-ture = butoir) reste valable, ce
qui en dit long sur la valeur des objections qui peuvent être
soule-vées à tout instant pour rejeter une idée.
Ou plus précisément, sur les interdits dépassés que nous
sommes capables de raviver pour justi-fier nos timidités.
L'ÉVIDENCE CHEZ LES SCIENTIFIQUES
Troisième remarque : un élément apparemment indiscutable tel
que la transparence de l'éther - indépendamment du point n°2 que
nous venons de voir - fait donc la preuve d'une insuffisance d'autant
plus spectaculaire que le phénomène constaté est évident et
que les censeurs de Marco-ni sont ici des scientifiques.
Voilà le type même de contrainte artificielle que l'homme est
capable de s'imposer pour pouvoir rester sur les chemins de plus
grande facilité mentale. Nulle part n'a été écrite une loi
stipulant que la transparence est un critère de vacuité, ou
d'inertie.
La seule chose qu'on puisse dire est que cette corrélation
semblerait naturelle , notamment au titre de sa ressemblance avec de
nombreux phénomènes référencés. (Mais rien de plus
définitif que cela.)
INNOVATION = INSÉCURITÉ
Il découle de cette dernière remarque une observation très
importante concernant le sentiment d'insécurité que provoque, en
soi, toute innovation. Où allons-nous donc si on ne peut plus se
fier à ce qui paraît le plus évident ; si le fait que je vois
parfaitement la lune ne prouve plus qu'il n'y a rien entre moi et elle
!
Rien n'est certain, tout peut être remis en cause sans cesse
: voici, dans la montagne, au fond d'une immense crevasse totalement
inaccessible, une flaque d'eau noire. Si l'on jette un caillou dedans,
il ne remonte pas : pourquoi ne serait-il pas kidnappé, dès son
entrée dans l'eau, par de curieux petits êtres vivants (enzymes
par exemple) gloutons de caillou ? On jette un morceau de bois :
il flotte. Peut-être en réalité semble-t-il flotter, et
est-il soutenu par les enzymes , à la surface de l'eau, parce qu'il
s'agit là d'un rite religieux sacré chez ces êtres vivants
inconnus de nous (et par conséquent capables de tout).
A ce niveau de contestabilité universelle, on conçoit à quel
point est légitime ce rejet préalable des idées neuves par
l'homme : plus on s'ouvre aux innovations, plus on prend le risque de
n'être qu'une coquille de noix ballottée d'une théorie à une
autre, abandonnant sans cesse son explica-tion du monde, son système
de valeurs, de références.
Bref, tout peut arriver, tout peut être imaginé, et pourquoi pas
le pire, bien entendu, puisqu'en définitive la parano de l'homme
face au monde qui l'entoure est elle aussi parfaitement
légitime.
BESOIN DE RAILS
Le phénomène de conscience est absolument insaisissable : on
ne peut pas le saisir, l'attraper, le contrôler comme on peut encore
le faire avec un ordinateur même très
évolué.
C'est pourquoi l'homme a sans
cesse besoin de rails, de guides, pour donner une direction à sa
pensée car l'expérience lui a déjà prouvé que, de n'importe
quel point de la conscience qu'on se situe, il est toujours possible
d'aller n'importe où, de penser n'importe quoi, de faire circuler
dans sa tête les idées les plus invraisemblables, de construire
des assemblages de concepts aussi incohérents, aussi extravagants
que l'on désire. Rien n'est
trop dément, et on peut toujours concevoir un machin plus dingue que
le machin précédent :
- Vivaldi au
téléphone ;
- Vivaldi au téléphone debout dans une brouette ;
- (idem) la brouette escalade la face nord du Sacré-C¦ur
;
- (idem) et Michel
Droit sort de la narine gauche de Vivaldi .
- (idem) vingt-neuf
taille-crayons, virevoltant autour de la luge toute neuve qu'envisage
d'acheter un ami de Serge Lama, scandent à l'unisson "vivent
les adjectifs avec du ketchup", etc., etc.
CONSCIENCE, INFINITÉ
On voit qu'à ce stade nous ne sommes déjà plus loin d'avoir
à appréhender une sorte d'infini : Si l'on considère que
notre immobilisation mentale, à un moment donné, sur une certaine
concep-tion , constitue un ETAT possible de notre conscience (de
même qu'on dit que pile est un des deux états possibles du
système pièce de monnaie), c'est donc bel et bien un nombre
infini d'états que peut prendre notre conscience.
Et comme, précisément, la conscience est en pratique incapable de
rester fixée très longtemps sur UN état, il lui faut bien se
munir de règles susceptibles d'orienter ce mouvement .
L'EXPERIENCE ENGRANGÉE
La plus ancestrale de ces règles est celle qui consiste à se
référer à une expérience antérieure, soit identique, soit
analogue, en postulant par conséquent le caractère répétitif
des situations que nous sommes amenés à vivre. L'homme s'attend
toujours, a priori, à ce que les situations qu'il rencontre
ressemblent d'une façon ou d'une autre à celles qu'il a déjà
connues : soit lui-même, soit (s'il a suffisamment d'imagination et
le minimum d'humilité nécessaire) d'autres que lui-même.
Devant une situation nouvelle, l'homme spontanément (c'est-à-dire
si on le presse de répondre vite) choisit un modèle qui a déjà
subi l'épreuve de l'expérience vécue (ou de l'expérience
connue, ou à la rigueur de la simple réflexion), c'est-à-dire un
scénario (enchaînement de pen-sées) dont on se souvient qu'il
tient debout, qu'il ne débouche pas sur le grand trou béant tout
noir de l'incertitude.
THERMODYNAMIQUE, BORDEL AMBIANT
D'instinct, l'homme sait que, de toutes les issues possibles d'une
situation donnée, celles qui sont génératrices d'avantages pour
lui (plaisir, trucs bons?) sont l'exception. "Si tu ne SAIS PAS
ce qui va t'arriver, attends-toi donc plutôt à prendre des
coups."
Tentative de justification (plus ou moins) scientifique : vivre ne
va pas de soi, car la vie corres-pond à une entropie basse. La
tendance naturelle est donc à la mort (forte entropie) puisque la
vie est un phénomène peu probable (faible entropie) et a
fortiori la vie pensante (entropie encore plus faible).
Cette fameuse loi qui coiffe toutes les autres pose que "tout
changement spontané dans un sys-tème physique se produit dans la
direction d'une entropie croissante, et l'état final d'équilibre
correspond à la valeur maximum possible de l'entropie". Ce qui
implique :
- qu'il faut de l'énergie pour se maintenir en vie,
c'est-à-dire pour lutter contre l'augmentation naturelle de l'entropie
;
- que d'une situation donnée, prise au hasard, il est normal
que sortent plutôt des issues morbi-des, c'est-à-dire
correspondant à un accroissement du bordel ambiant, ou à la
rigueur à un main-tien du statu quo.

Pour diminuer le désordre
ambiant, il faudrait apporter de l'énergie noble, or celle-ci
n'existe pas spontanément ; il faut donc fournir un travail,
c'est-à-dire travailler.
L'un des plus simples composés vivants connu de nous mesure environ
50 atomes de large sur 1000 de long. Ce virus est composé de
carbone, oxygène, hydrogène, azote, soufre, etc., combinés dans
certaines proportions.
On met dans une boîte une dose unitaire de chaque composant. On
secoue (c'est-à-dire qu'on provoque des réactions à
l'intérieur par chaleur, pression, etc.) et on regarde ce qui sort :
n'im-porte quoi. On recommence, en programmant la boîte réactive
autrement (et n'importe com-ment) : il sort encore n'importe quoi. Et
ainsi de suite, pendant des milliers et des millions de
tentatives.
Une fois sur un trillion de
milliards, peut-être, un virus sortira, fruit d'une combinaison
extrê-mement improbable (parce que perdue au milieu d'un très
grand nombre d'autres) des dés que constituent les molécules
introduites dans la boîte.
Plus la situation est improbable, moins elle a de chances de se
maintenir, ou plutôt plus nombreu-ses sont les opportunités se
présentant à elle de ne pas durer longtemps : une boîte de
conserve, en équilibre sur le rebord d'une étagère, avec une
salière elle-même en équilibre sur le sommet de la boîte de
conserve, constitue un exemple de situation improbable. Les chances
que l'ensem-ble tienne le coup longtemps sont très minces.
Par contre, si la boîte de conserve est bien assise sur
l'étagère, et la salière nettement installée au milieu du sommet
de la boîte, on serait ridicule de s'ébahir, un mois plus tard, si
la situation n'a pas évolué .

Donc une situation improbable, c'est une situation dont les chances
d'occurrence sont perdues au milieu d'un très grand nombre de
chances de non-occurrence.
Quand une situation est improbable, on peut compter que, sur
l'ensemble des occasions qui se présenteront de la faire évoluer,
une majorité d'entre elles iront dans le sens d'une annulation de la
situation établie, c'est-à-dire rupture de l'équilibre. D'où
l'inquiétude qui accompagne infail-liblement ces situations aux
issues imprévisibles.
Exemple : je me promène dans mon jardin, je vois devant moi la terre
qui se soulève légèrement : manifestement, quelque chose va
sortir. Mon c¦ur bondit-il de joie à l'idée que c'est sans doute
le père Noël, ou Jésus, ou le Bon Dieu, ou une fée, ou, plus
commodément, un bonhomme tenant dans ses bras un sac plein de louis
d'or qu'il s'apprête à m'offrir ? Non. Une chose est même
certaine : si j'ai la chance de posséder chez moi un fusil, je m'en
vais aller le chercher tout de suite. Si je tiens par la main mon
petit enfant de quatre ans et demi, je vais me précipiter vers la
maison pour aller le mettre en sécurité.
Autre exemple : toujours dans mon jardin, je vois descendre du ciel
une très belle fleur blanche et rose, dont l'odeur de glace à la
framboise me met les sens en émoi. Lorsqu'elle atterrira, vais-je me
précipiter sur elle pour la dévorer gloutonnement, ou pour
l'offrir à ma fiancée ? Je parie que je m'arrangerai plutôt pour
l'enfermer avant toute chose dans une solide boîte métallique, à
moins que, pour plus de prudence, je ne la démolisse à coups de
pelle sans autre forme de procès.

ET LA RELIGION ?
Légitime terreur de l'inconnu, qui explique à elle seule la
plupart des attitudes conservatrices adoptées à tous les instants
de la vie : "On sait ce qu'on perd, on ne sait pas ce qu'on
trouve." Bien entendu, les différentes religions
successivement élaborées permettaient de fournir sans cesse
d'excellentes raisons de ne pas s'interroger sur le futur immédiat
(à travers une interro-gation sur le présent), en mettant au
compte d'une destinée finale, elle connue, tout ce qui peut se
produire à chaque instant et qu'on ne comprend pas. Devant
l'impossibilité d'établir une loi entre les trucs qu'on perçoit,
le futur reste indéterminé.
Heureusement, la science arriva, qui nous permit de deviner le futur à
partir des expériences passées : en quoi elle était plus
sécurisante que la religion, puisqu'elle établissait des relations
entre les éléments de la connaissance, rigidifiant ainsi
l'édifice, alors que, très grossièrement, les religions se
contentent de dire C'est la faute [c'est grâce] à
Dieu.
L'avantage de la religion, c'est évidemment qu'elle apporte une
réponse définitive et générale, par principe même, à TOUTES
les questions, éliminant ainsi toutes les incertitudes.
Son inconvénient, c'est que l'homme reste quand même
«intelligent», qu'il établit d'instinct des relations à
caractère scientifique entre les choses, et que, par conséquent, il
ne peut s'empêcher de trouver dans la démarche mystique un petit
quelque chose qui l'agace : il sent une supercherie, c'est trop
facile.
L'avantage de la science, c'est qu'elle rend l'homme actif par
rapport à la connaissance, en fai-sant appel à son intelligence,
alors que la religion ne lui demandait finalement qu'une passivité
béate.
En décentrant l'explication
du monde (qui passe de Dieu à Victor Bardamu, quidam) la science
s'est donnée une consistance quasi démocratique : c'est-à-dire
que l'explication du monde a ces-sé d'être localisée entre les
seules mains d'un petit cercle d'intermédiaires pour se distribuer
dans de très nombreuses cervelles et, en somme, prendre finalement
plus de force.
L'inconvénient de la science, c'est qu'elle contient en elle-même
son propre germe d'incertitude, puisque, par principe, elle ne peut
abdiquer sur quelque point que ce soit son universalité au nom d'une
explication supérieure.
Quand on ne sait pas un truc, c'est qu'on ne le sait pas
encore. Il faut donc s'attendre, sans cesse, à ce que des
nouveautés apparaissent, puisque évidemment on ne sait pas encore
tout.
C'est donc l'incertitude permanente : "Qu'apprendrons-nous demain
?" et aussi la contestation permanente puisque aucune
connaissance n'est jamais définitive.
Le compromis entre la religion et la science a été trouvé très
facilement : on a fait des scientifi-ques des sortes de nouveaux
prêtres, comme d'ailleurs leurs activités et leurs m¦urs les y
pré-destinaient (langage ésotérique, aptitude à faire des
miracles, etc.).
L'ACTE GRATUIT : UN RÉFRACTAIRE
Incertitude ? Parlons-en. Le type même de machin qui peut être
rejeté par les gens est l'acte gratuit c'est-à-dire l'acte qui,
n'entrant dans aucun cadre, échappe évidemment à toute
prévi-sion, quant à son occurrence et à sa nature.
La meilleure preuve d'ailleurs que l'acte gratuit est inacceptable en
tant que tel (c'est-à-dire désintéressé, ne correspondant pas
à un but, un bénéfice, une finalité), c'est que, au pire des
cas, on le fera rentrer dans le cadre farces et attrapes.
Supposons qu'au cours d'un dîner mondain, un invité se lève de
sa chaise, dise à haute voix :
- Gomme à encre !
et se rasseye.
Ou bien ce type est fou et tout est clair.
Ou bien il fait une farce, et la nouveauté est que nous ne savions
pas jusqu'à présent qu'il était possible de faire des farces à
ce dîner.
En ce cas :
- ou bien on peut réellement faire des farces et donc le type
a eu raison d'en faire une,
- ou bien il est malséant d'en faire et le type est simplement
mal informé,
- ou bien nous sommes en présence d'un authentique acte
gratuit, et, si personne ne réagit comme il se doit, Dieu sait ce
qui peut se passer.
C'est, n'est-ce pas, la porte ouverte à toutes les extravagances.
Pourquoi n'enlèverais-je pas ma chaussure pour la remplir de vin et
m'en servir comme d'un hanap ? Et pourquoi mon voisin de droite ne
verserait-il pas dans mon cou le contenu de la soupière ? Et
pourquoi mon voisin de gau-che ne comparerait-il pas la longueur de
son couteau à l'épaisseur de mon abdomen?
CHATOUILLES ET CIGOGNES
L'homme ne rit pas s'il se chatouille lui-même. Cela tient,
paraît-il, au fait que la chatouille est une sorte de jeu consistant
à faire semblant de tuer l'autre ; nous n'avons pas coutume d'avoir
des rapports physiques en dehors de l'amour et de la bagarre.
Ce jeu fonctionne donc exactement comme quand on joue à faire peur à
un enfant (on se cache derrière un meuble, et puis on sort la tête
en criant : Hou !), puisque le môme sait qu'on ne va
pas réellement l'agresser. Le jeu de chatouille consiste donc à
faire peur à la victime, qui, au moment où elle prend conscience
de l'inutilité de sa frayeur, se défend en éclatant de rire.
L'ensemble de ces opérations est évidemment simultané. Si l'on
court-circuite la première phase de la chatouille (peur), le
résultat final ne peut bien entendu pas être atteint puisque
le sys-tème de valeurs n'a pas été bouleversé.
Cette personne, qui m'aime m'agresse-t-elle ? NON, je me trompe
! [Rire de soulagement].
L'humour non mécanique (par exemple verbal) procède de la même
façon, et notamment l'humour absurde, qui remet généralement en
cause, de façon radicale, les connaissances les plus fonda-mentales
ou les moins discutables.
Par exemple : "Quelle différence y a-t-il entre une cigogne
?"
Ici, les connaissances remises en cause sont :
- il y a habituellement une différence entre une chose et une
autre sinon, les mots perdent leurs sens (différence cesse
d'être un mot relatif), et tout devient
possible...
- une histoire drôle
commençant par Quelle différence? se poursuit
généralement par l'énoncé de la différence. Si cette coutume est
mise en question, tout devient possible...
Il n'existe aucune autre histoire drôle présentant la même forme
que celle-ci : les histoires drô-les sont généralement drôles
par leur contenu, non par leur contenant. Or on peut parfaitement,
dans celle-ci, remplacer cigogne par pantoufle,
Lionel Jospin ou gomme à encre, ce qui établit bien que
son contenu propre ne présente aucune caractéristique
particulière .
L'auditeur qui a tout de suite compris l'histoire nage donc en pleine
incertitude :
- un mot très simple voit son sens contesté radicalement
;
- un principe fondamental (question entraîne réponse) est
battu en brèche ;
- une coutume très familière (faire rire ses amis en leur
racontant une fiction amusante) est abandonnée ;
Puis l'auditeur finit par éclater de rire quand il se souvient
que tout cela n'était qu'une «his-toire drôle».
LA SITUATION NOUVELLE
Après l'expérience de Marconi, la connaissance que l'on avait
d'un certain nombre de choses en a évidemment pris un vieux coup :
ondes hertziennes, atmosphère terrestre, lumière solaire, etc.,
voilà qu'il fallait se mettre à reconsidérer tout cela, et, dans
les environs immédiats, abattre cette construction patiemment et
péniblement bâtie pour adapter les relations entre les choses à la
situation nouvelle créée.
Alors que dans le cas du briquet jetable on n'avait créé tout au
plus que des prolongements de forces (ou seulement révélé des
forces virtuelles), on vient ici de rompre certaines relations que
l'on croyait solides, d'en détourner d'autres, d'en créer de
toutes nouvelles. Il a donc bien fallu prendre l'habitude, après
l'expérience de Marconi, de reconsidérer la plupart des choses que
nous savions dans les différents domaines concernés : radio,
lumière, cosmos?, pour éventuelle-ment apporter les correctifs qui
s'imposent, voire pour annuler purement et simplement certai-nes
théories dont on s'apercevait subitement qu'elles étaient fondées
sur des bases de départ erronées.
Cet examen rappelle par exemple celui que peut être amené à
faire le capitaine d'un navire lors-que le bateau vient d'essuyer un
grain, ou, d'une façon générale, lorsqu'il vient de se passer
quel-que chose d'un peu fort. Il fait inspecter l'ensemble du navire
pour voir s'il n'y a rien de cassé, si tout est bien à sa place,
si tout fonctionne encore normalement, si la vapeur circule, les
trin-gles coulissent, les engrenages tournent?
Bref, l'innovation, ça secoue. De même que lorsqu'on secoue
un arbre seuls les fruits les mieux accrochés restent en place,
lorsqu'on secoue la connaissance, seules résistent les théories
les plus solides.
Lorsqu'on invente le briquet jetable, cela ne remet pas en question la
loi de la gravitation univer-selle.
Par contre, cela modifie sensiblement les mécanismes (économiques,
psychologiques, sociologi-ques) auxquels on a l'habitude de se
référer lorsqu'on réfléchit aux phénomènes de
consomma-tion.
Au contraire, Einstein a remis en question les lois newtoniennes,
autrement plus pesantes que la loi économico-sociologique
selon laquelle un briquet, lorsqu'il est vide, doit être
rechargé.
En réalité, cette distinction entre idées mutantes (Marconi,
Einstein) et idées non mutantes (bri-quet jetable) n'apparaît que
par l'effet de cette notation par vecteurs, utilisée - malgré son
caractère nettement abusif - pour tenter une représentation des
relations entre concepts.
Celle-ci pourrait en effet laisser croire qu'il puisse ne pas y avoir
de relation entre deux concepts donnés (ce qui est certainement
idiot) et également que la relation entre un concept
(quenouille) et deux autres (vêtement,
antiquités) puisse pivoter comme un aiguillage de chemin de fer,
ce qui est de toute évidence trop simpliste .
Si l'on abandonne le plan mental pour passer au plan culturel, on peut
dire que l'invention du bri-quet jetable a essentiellement établi un
pont entre les concepts briquet et chose qu'on jette après
usage, ou, mieux dit : entre objet très élaboré
fonctionnant par consommation d'une ma-tière et conteneurs qu'on
jette quand ils ne contiennent plus ce qu'ils sont censés contenir
.
Cette dernière perception
est évidemment plus «émouvante» que la précédente, en ce
sens qu'elle ouvre la voie à des idées telles que :
- voiture jetable (livrée avec sa dose d'essence),
- poste à transistors jetable (livré avec ses
piles),
- poisson rouge jetable (livré avec sa dose de
daphnies),
- maison jetable (livrée avec son eau, son gaz, son
électricité, son charbon, pour une saison), etc.

Et, surtout, elle établit
une sorte d'identité entre un objet aussi peu élaboré qu'un pot
en plasti-que (yaourt) et une machine aussi complexe qu'un briquet à
gaz (pierre, molette, ressort, réser-voir, robinet, buse, réglage,
étanchéité...). Tout ce mécanisme ne vaut pas plus
qu'un pot en plas-tique, et d'ailleurs cela vaut même moins
qu'une bouteille de Coca vide ! Voilà une sacrée valeur (le
travail, l'élaboration, la complexité, la technique) brutalement
remise en cause.
NE PAS AVOIR DE VALEURS ?
À ce compte-là, pourquoi donc, demain, l'or et le platine ne
vaudraient-ils pas moins que le Ca-rambar en lingot ? Et pourquoi,
dans la vie, ne se mettrait-on pas à apprécier les gens
méchants, bêtes et moches en crachant sur les amis de la veille,
gentils, intelligents et beaux ? Or, pour qu'il y ait remise en cause
d'une valeur, encore faut-il qu'il y ait valeur. Et, puisque cette
remise en cause est un obstacle à l'acceptation de l'idée, il faut
en déduire que moins il y a de valeurs (sous-entendu : susceptibles
de faire l'objet d'une remise en cause) plus on se retrouve en
défi-nitive « créatif », c'est-à-dire ouvert aux idées
nouvelles, qu'elles viennent de soi ou de l'exté-rieur.
CONCLUSION SUR LE BRIQUET
Revenons à notre briquet. On voit à quel point ce
phénomène mental doit être culpabilisant. Le briquet jetable
n'aurait certainement eu d'ailleurs aucune chance de s'imposer avant
le XXe siècle, c'est-à-dire avant que les esprits ne s'accoutument
à ce type de consommation (bouteilles non consignées, piles
électriques, etc.).
Plan mental/plan culturel : quelles que soient les nuances entre gens
«simples» et «intellos», le briquet jetable n'est finalement
qu'un concept installé sur le pont qui a été établi entre
briquet et choses qu'on jette après
usage.
Peu importe comment le
cerveau manipule ces différentes notions, le fait est que, dans
l'organi-gramme de la connaissance , briquet jetable est
simplement le joint qui existe entre briquet et chose qu'on
jette, et c'est là la seule nouveauté qui est apparue ici-bas
avec l'invention du briquet jetable.

Au contraire, avec Marconi, et toujours sur le plan culturel, des tas
de ponts ont sauté, d'autres se sont construits, et, surtout, un
grand nombre d'aiguillages ont changé de position. La géogra-phie
du paysage a changé, non seulement dans ce petit coin particulier de
la connaissance, mais en définitive un peu partout. Nous sommes ici
dans une région (de l'arbre de la connaissance) plus proche du sol
que des feuilles.
CREATIVITE, COMMUNICATION, SENSIBILITE
Abraham Moles propose le plus simple des « tests » de
créativité : À quoi sert une brique ?
Le candidat doit, pour être bien noté, sentir le plus grand nombre
possible d'expressions du concept de brique. Ainsi, comme on dit de
quelqu'un : C'est un personnage à multiples facettes, la
facette solide sort-elle tout de suite, et le sujet écrit
aussitôt : Construire une maison. La fa-cette lourd
sort aussi, et le sujet note : Briser une vitrine, Servir de
contrepoids, lester, etc.
On obtient ainsi rectangulaire (servir d'équerre),
réfractaire (fabriquer un four, ?
Des réponses moins évidentes peuvent également sortir :
rouge, pulvérisable, féminin, minéral?, pouvant conduire
ainsi à :
- court de tennis ;
- matière première pour la fabrication chimique d'un truc
qu'on ne connaît pas encore ;
- excipient pour produits alimentaires ;
- mot féminin de six lettres dans une grille de mots
croisés, etc.
Toute la difficulté consiste donc, pour l'individu, à voir
certaines facettes indiscutablement pré-sentes, malgré la
présence écrasante des facettes habituelles (lourd, solide...) qui
sont tellement voyantes qu'elles rejettent dans l'ombre leurs voisines
moins tapageuses.
Il faut donc voir autrement.
La brique énonce sa check-list :
- Connaissez-vous tous les aspects de ma personnalité ?
- Savez-vous combien de choses je suis capable de faire, ou de combien
d'éléments je suis com-posée ?
- Connaissez-vous toutes les choses, tous les gens qui ont affaire à
moi, qui sont en contact avec moi, qui sont proches de moi d'une
façon ou d'une autre ?
- Avez-vous remarqué que je suis creuse à l'intérieur (formant
une sorte de plumier ) ?
- Il ne vous serait sûrement pas venu à l'idée de dire que je
suis transparente (puisqu'on peut voir à travers moi) : qualité
utilisable pour construire des murs perméables à la lumière (on
pour-ra voir l'extérieur de l'intérieur, mais pas l'inverse : de
toute façon, la lumière passera).
Bref, il faut se mettre à l'écoute de la brique, la
capter, la voir de tous ses yeux, l'entendre de toutes ses
oreilles, sentir son grain au bout de ses doigts, apprécier
sa matière ; il faut s'instal-ler dans un fauteuil, comme au
théâtre, et la voir faire son numéro (qui consiste à montrer
tout ce qu'elle sait faire, tout ce qu'elle pourrait faire).
La brique est une station de radio qui émet simultanément 50 ou
100 programmes. J'ai devant moi un récepteur, que je man¦uvre pour
capter successivement toutes ses émissions : je passe des grandes
ondes aux ondes moyennes, des ondes moyennes aux ondes courtes, des
ondes cour-tes à la FM, etc.
SENSIBILITÉ / SÉLECTIVITÉ
J'ai donc besoin d'un récepteur à bande très large,
mais qui soit également très sensible (pour capter les émissions
faibles), et très sélectif (pour pouvoir écouter une station
faible sans que celle-ci soit brouillée par un programme voisin,
beaucoup plus puissant).
Dans un véritable poste de radio, ces trois qualités sont
parfaitement incompatibles.
Une bande large implique une faible sensibilité (tandis que la
sélectivité est liée à une reproduc-tion peu fidèle), et cela
pour des raisons qui sont valables pour tous les systèmes de
traitement ou de stockage de l'information (ordinateur, téléphone,
clavier, feuille de papier, poste de radio, télescope, etc.) : plus
le système peut traiter d'informations de nature différente, moins
il peut les traiter ?énergiquement .
En réalité, lorsqu'on se met à l'écoute de la brique, la
fidélité de reproduction importe beaucoup moins que la sélectivité
et surtout que la sensibilité : si l'on arrive à détecter que la
brique est pulvérisable (ce qui n'est pas facile étant donné la
proximité écrasante de Radio-Solide, Radio-Lourd, Radio-Creux, -
pour ne citer que les plus voyants), peu importe de quelle façon
exacte-ment elle est pulvérisable (finesse de la mouture?).
Il faut [et il suffit de] trouver ce signal (comme un baigneur peut
avoir la curiosité de ramasser sur la plage une bouteille
s'avérant contenir un message) puis d'en comprendre le contenu (comme
le baigneur arrive à déchiffrer les coordonnées du naufragé
).
Le problème sera donc de trouver un compromis entre sensibilité et
sélectivité, de façon à ce que les concepts forts ne gênent
pas la compréhension des concepts faibles qu'on a réussi à
capter.
INCOMPÉTENCE RECHERCHÉE
On comprend dès lors l'intérêt que présente
l'«incompétence » pour la recherche d'idées nou-velles. Supposons
que ce soit un maçon, ou un architecte, ou un ouvrier briquetier qui
doive ré-pondre à la question : A quoi sert une brique ?
Pour eux, Radio-Solide ou Radio-Lourd seront captées avec une
telle netteté que, proportionnel-lement, Radio-Transparence et
Radio-Féminin seront vraiment anéanties.

Au contraire, à sensibilité
égale, une personne non experte en matière de briques sera moins
obnubilée par Solide ou Lourd, et, proportionnellement, captera plus
facilement les rayonnements cachés.
C'est exactement la
destination de ce qu'on pourrait appeler la position de recherche
d'émissions. Émissions faibles, rayonnement francs-tireurs,
tout doit être mis en ¦uvre pour traquer les pe-tits émetteurs
en réunissant, sur chaque notion, une batterie de plusieurs
récepteurs spécialisés chacun dans une zone de fréquences et par
conséquent pouvant, chacun dans sa zone, capter le signal de façon
beaucoup plus attentive : les connaissances professionnelles n'étant
évidemment qu'un des nombreux aspects de notre vie cérébrale où
sont mises en ¦uvre des habitudes de pensée.
Excellent exemple de
sensibilité fouineuse : cette idée du Professeur Choron : une
râpe à dos, actionnée latéralement par les mains et soutenue
verticalement par une corde fixée au trou d'accrochage de la
poignée d'une casserole. Pour que l'idée germe d'exploiter aux fins
de grat-tage dorsal ce culinaire ustensile, il a fallu capter le
rayonnement particulier qu'émet la casserole avec le trou de son
anse , et, ce rayonnement capté, le faire coïncider avec les
besoins du problème.

L'univers casserole
devrait être, a priori, assez éloigné de l'univers
grattage : pourtant, le pro-blème du grattage émet une sorte
d'anti-rayonnement qui, guidé jusqu'au rayonnement de la cas-serole,
entre en résonance et donne naissance à une idée.
Or, dans la perception d'une casserole, la notion de
récipient, la notion de grande cavité, la notion de
métal, la notion de manche sont vraisemblablement plus
voyantes, plus tapageuses, que la no-tion de trou au bout du
manche.
Suivant ce qu'enseigne A. Moles, on pourrait ainsi recenser les
différentes fonctions d'une cas-serole :
- être capable de contenir quelque chose, ou d'assommer
quelqu'un ;
- conduire le courant électrique ;
- prolonger le bras de l'homme, grâce à son manche ;
- servir à accrocher quelque chose, grâce à son trou,
etc.
CRÉER, DANS TOUT CELA...
On devine quelles pourront être, schématiquement, les grandes
lignes du processus créatif :
1°) capter le plus grand nombre possible d'anti-rayonnements en
provenance du problème ;
2°) produire les casseroles les plus efficaces qu'il sera possible
de trouver ;
3°) capter le plus grand nombre possible de rayonnements en
provenance de chaque casserole ;
4°) capter tous les rayonnements et anti-rayonnements en même
temps, et sentir, à l'intérieur de ce magma, les rayonnements
complémentaires (c'est-à-dire les rayonnements capables de se
compléter pour établir un pont). Si la conscience parvient à se
fixer sur une liaison, c'est que nous nous situons alors dans un
domaine cohérent avec notre champ de connaissance. Il s'agit soit de
quelque chose qui existait déjà avant, soit d'une chose qui
pourrait exister (c'est-à-dire d'une idée, quelle que soit la
valeur de celle-ci).
On remarque la signification du point n°4, c'est-à-dire que le
caractère PREDETERMINE des idées est évidemment extrêmement
important. Ce ne sont pas véritablement les idées qui sont
prédé-terminées, mais plutôt les accouplements de concepts. Ainsi,
une idée venant tout juste d'être intégrée au champ de notre
connaissance : si celle-ci a été acceptée, c'est (tout
bonnement) qu'elle pouvait l'être. Sa présence n'est pas un défi
à la raison.
La notion de briquet jetable est acceptée, cela signifie
qu'un briquet jetable est fait avec des matériaux que nous
connaissons (plastique, gaz,
mode-de-consommation-qui-consiste-à-jeter-plutôt-qu'à-recharger,
métal, etc.), et que son existence n'interdit pas que puissent
exister d'autres éléments de notre champ de perception.
Au contraire, une maison en tube serait faite avec des
matériaux que nous ne connaissons pas. De même un hamster qui se
nourrirait exclusivement de copeaux d'acier interdirait que puisse
être conservée plus longtemps notre perception du métabolisme des
êtres vivants.
Prenons une image . Les blocs de pierre projetés par un volcan en
éruption. Si, après une érup-tion, on trouve deux blocs de pierre
posés l'un sur l'autre, cela ne signifie pas qu'ils étaient
voués de toute éternité, et par un déterminisme aveugle, à se
réunir ainsi, mais que, si l'occasion s'en présentait, cela leur
serait possible. Autrement dit, leur présence simultanée sur un
même carré de gazon (la pierre A au niveau du sol, la pierre B
au-dessus du niveau du sol, à la hauteur du sommet de A, juste à
la verticale de A ) constitue un objet nouveau, et, en même temps,
une situation stable. C'est-à-dire, revenant au plan mental, une
idée acceptée .
La pile électrique n'est pas un machin très élaboré (cuivre,
zinc, eau, acide sulfurique). Elle aurait parfaitement pu apparaître
sur terre il y a des milliers d'années, au même titre que le
diamant ou les sources d'eau chaude. Dès cette époque, le cuivre,
le zinc, l'eau, l'acide sulfurique avaient déjà entre eux des
points communs tels que, si on les réunissait ensemble d'une
certaine façon, cela produisait du courant électrique. Les
rayonnements, les forces mutuelles existaient donc déjà, le
terrain était prêt. Cela ne s'est pas produit car, de même que
le volcan ne reconstruit pas la cathédrale, la création du monde
ne met pas obligatoirement face à face, dans les bonnes proportions,
du cuivre (il faut le fabriquer à partir de minerai), du zinc
(idem), de l'acide sulfuri-que (encore plus difficile à fabriquer),
de l'eau (OK) tous quatre présentés de façon convenable et
juxtaposés dans le bon ordre.
On peut donc dire que la création d'une pile est analogue à la
juxtaposition d'un grand nombre de cailloux en une cathédrale (par
opposition à juxtaposition en rien du tout). Or ces phénomènes
vont dans le sens d'une diminution du désordre, et, par
conséquent, s'accompagnent nécessaire-ment d'une augmentation
simultanée de l'entropie (d'ailleurs supérieure en valeur à
la simple diminution utile), c'est-à-dire d'une dépense
d'énergie. Ainsi que nous l'avons déjà vu, donc, L'INVENTION NE VA
PAS DE SOI. Malgré l'existence de points communs, malgré même
parfois la proximité des deux concepts, l'invention ne se crée pas
spontanément : il faut exercer un effort pour positionner
correctement les deux concepts l'un par rapport à l'autre (dans
l'exemple du volcan, toutes les façons de mettre face à face les
deux pierres n'étaient pas également effica-ces).
Supposons maintenant l'invention terminée, et connus les deux
concepts qu'il a fallu rapprocher pour y aboutir. Ces deux concepts
étaient donc de bonne qualité par rapport au problème qui nous
était posé : il suffit de sentir leurs points de complémentation,
puis de trouver la façon d'établir le contact (en mettant les bons
reliefs dans les bons creux) pour obtenir une idée. Le processus
aura donc exigé (au moins) de sentir les trucs (communication) puis
d'établir le contact (énergie).
J'entends une objection maligne : On n'arrête pas de parler comme
si une idée était toujours le mélange de deux ou plusieurs
trucs. C'est peut-être vrai dans le cas du briquet jetable, mais
est-ce vrai dans tous les cas ? Et n'y a-t-il pas des fois où il
suffit de réfléchir très fort au pro-blème pour trouver une
solution, sans nécessairement avoir fait intervenir autre chose
?
Réponse : NON, JAMAIS. Ne serait-ce que pour des raisons d'ordre
linguistique. Il faut bien qua-lifier le concept nouveau que
représente l'invention ou l'idée.
Donc il faut faire intervenir, pour sa définition, des mots
supplémentaires (soit créer un nouveau mot, soit composer une
nouvelle combinaison de mots). Il est évident que si, pour qualifier
la nou-velle idée, je peux soit utiliser un mot déjà existant,
soit utiliser une combinaison de mots déjà utilisée, c'est que
l'idée que je viens d'avoir existe déjà .
Il est important que ce point (nécessité de faire réagir
ensemble deux ou plusieurs concepts) soit bien admis, car c'est lui
qui conditionne la naissance d'une sensibilité nouvelle .
UNE PILE D'IDÉES
Précisons le sens du mot idée. Il renvoie à de
nombreuses représentations trop figées (le raison-nement, l'idée
juste, la bonne idée?) et exclut les objets. Parlons plutôt
de chose nouvelle, ex-pression qui peut englober, dans une
imprécision cette fois choisie, aussi bien le briquet jetable qu'une
création de type artistique, un rapprochement inattendu ou un
thème de vaudeville.
Par exemple, ma pile d'idées. Ce sont des feuilles de papier
sur lesquelles peuvent se trouver des coupures de journaux, des
documents aux origines les plus diverses, des phrases notées au
vent, certaines de moi d'autres non , des croquis, des pages de livres
photocopiées, tout un matériel hétéroclite qui présente
quelques points communs, dont celui d'être un stimulant à la
créativité.
Si on se plonge dans un de ces bains d'idées, dans une de ces piles
de papier, pendant quelques heures, on rend son cerveau plus sensible,
on provoque en lui des frémissements, grâce au contact avec ces
rêves de situation : ces potentialités font commencer un
raisonnement (Et si c'était possible ?), font faire un saut à
notre raison, la rendent plus plastique, et provoquent (parfois)
l'apparition d'une nouvelle idée.
Si bien que, d'une certaine manière, inventer, avoir une idée
même, implique de transgresser. Pour avoir une idée nouvelle, il
faut échauffer son cerveau et penser des choses qui ne sont
pas habituelles, pas réelles, pas permises, pour pouvoir sortir des
rails mentaux qui nous enferment. Il s'agit de montrer qu'en
n'obéissant pas à la convention, en ne faisant pas comme il
faut, cela marche quand même. Et cela marche peut-être
mieux.
L'ENRACINEMENT
Les idées sont volatiles.
Il suffit d'un courant d'air pour qu'elles disparaissent, car elles ne
font pas encore partie des choses qui ont du poids, qui tiennent à
la terre ou au réel par des racines...
Comment un arbre se fixe-t-il au sol ?
Grâce à un phénomène de ramification. Le petit radicule qui
s'est divisé en deux, puis en quatre, en huit, en seize, en une
infinité de racines a progressivement augmenté la surface de
contact entre le petit arbre et le sol tout en lui permettant, grâce
à ses divisions successives, de devenir de plus en plus stable,
jusqu'à ne plus pouvoir être arraché. En soi, les racines ne
sont pas quelque chose de solide, c'est leur multiplicité et leur
entrelacement qui assurent l'efficacité de leur dispositif.
Les idées, elles aussi, n'acquièrent leur force qu'en
développant leurs ramifications, de telle ma-nière qu'on puisse
arriver à elles par des chemins très différents. C'est ainsi
qu'elles peuvent obtenir une force d'évidence et s'imposer, alors
qu'au départ elles ne tenaient pas de l'élément solide mais
beaucoup plus de l'aérien (éthéré, etc.).
Le rêve peut permettre une autre comparaison. Il est lui aussi
volatil, et il ne demande qu'à dis-paraître au réveil, à moins
qu'on ne parvienne à noter - si peu que ce soit - afin de pouvoir
plus tard le relire, l'annoter, le questionner et en faire
l'exégèse de mille manières différentes. Alors, peu à peu, il
prend de l'épaisseur, dévoile sa véritable nature et permet
qu'on l'utilise.
UNE IDÉE DOIT ETRE DÉCLINABLE
Une idée qu'on ne peut pas travailler dans tous les sens ne
passe pas au stade ultérieur de l'in-vention, elle reste au stade de
simple trouvaille.
Par exemple, j'ai certainement été le seul au monde à traiter
chimiquement la phrase suivante qui me plaisait : "Tout à coup,
on entendit du balcon la voix tonitruante de Florent Schmidt crier
qu'on voulût bien rejouer la fugue une seconde fois pour ceux d'en
bas qui n'avaient pas enten-du" .
J'ai utilisé de manière nouvelle deux outils qui étaient à ma
disposition, à savoir les lettres-transfert (genre Letraset)
de mes maquettes d'imprimerie et les plaques pour circuits imprimés
ainsi que les bains d'acide (perchlorure de fer) de mes montages
électroniques.
Cette citation, écrite à l'aide des caractères Letraset sur la
plaque de cuivre, a été ensuite plon-gée dans l'acide, de
manière à laisser le message transparaître sur le métal après
dissolution du cuivre dans le perchlo et des caractères transfert
dans le white spirit.
S'il y a là une forme d'idée au degré le plus primitif, encore
celle-ci ne peut-elle pas passer au stade supérieur, celui de la
fonction.
Elle ne peut pas être réutilisée, n'est pas déclinable, et
certainement pas féconde.
UNE IDÉE DOIT CHOQUER
Combien y a-t-il de nombres entiers ? Une infinité. Et combien y
a-t-il, par rapport à cette infini-té, de nombres pairs ? Deux
fois moins ? Et les multiples de 23, combien y en a-t-il par rapport à
l'ensemble des nombres ? Vingt-trois fois moins ?
Cela semble l'évidence. Si je donne un livre de ma bibliothèque
sur vingt-trois, un franc de ma fortune sur vingt-trois, cela
représente une quantité vingt-trois fois plus petite que le total de
livres de ma bibliothèque ou que le montant de mon compte en
banque...
Il faut admettre que, rapporté à des quantités extrêmement
grandes, et à l'infini mathématique difficile à affronter, tout
cela est faux :
Il y a autant de nombres pairs que de nombres entiers ; pire, il y
aurait selon les mathématiciens autant de multiples de 23 que de
nombres entiers...
La preuve en est très facile à donner : il suffit d'écrire sur
une ligne horizontale tous les nom-bres entiers.
Sous chaque nombre, je peux écrire son double : il y a donc autant
de doubles (c'est à dire de nombres pairs) que de nombres.
Mais je peux, sur une autre ligne, encore plus bas, écrire sous
chaque nombre son produit par 23. Tout nombre pouvant être
multiplié, il y a autant de nombres que de multiples de 23.
Voilà une idée qui peut choquer le sens commun, frapper comme
un coup de poing l'estomac d'un autodidacte non familiarisé avec la
culture mathématique.
C'est de ce genre d'idées que le cerveau peut partir pour sortir des
rails sur lesquels il a cou-tume de rouler, après avoir été
contraint d'admettre des équations du type :
1 = 2 = 23
comme relevant de la même évidence et d'une même force logique
que :
1 = 1
Il faut que le cerveau admette qu'il existe une différence de
fonctionnement entre le petit et le grand, l'un impliquant un type de
résultats tout à fait différents de ceux de l'autre.
Voici, pêle-mêle, des idées destinées à provoquer cette mise
en train cérébrale. C'est dans leur diversité, les sauts
qu'elles obligent à faire, les pistes inattendues qu'elles peuvent
offrir à l'es-prit que réside leur intérêt.
IDÉE DE MOTS
"Je n'ai pas assez de larmes..." (phrase notée
en avion, exprimée par la voisine de devant qui parle à son
compagnon).
Quelle jolie _expression_., superbe construction... à condition de ne
pas entendre la suite :
"pour porter des lentilles de contact".
En électronique, on note les duty cycle des signaux. Un
signal peut-être allumé la moitié du temps et éteint l'autre
moitié. On sait alors qu'à un moment pris au hasard le signal a 50
% de chances d'être allumé et 50% d'être éteint. Le duty cycle
porte en abscisse le temps, les périodes allu-mées et les
périodes éteintes.
Les proportions peuvent varier et les périodes être très
inégales. C'est un peu ce qui se passe ici, où le mot larmes
doit avoir une période de 99 % relié au chagrin et une période
de 1 % lié à la lubrification. C'est de la surprise provoquée
par la chute que vient l'idée. Peut-on définir les cy-cles des
mots, leurs contextes d'apparition ?
IDM : LE STIMULATEUR PSYCHANALYTIQUE
Pour forcer quelqu'un à associer des idées, lui demander de
refaire le PLAN de tous les apparte-ments où il a vécu, de tous
les bureaux où il a travaillé, en précisant les objets
personnels pré-sents au mur ou sur les meubles, la disposition du
moindre détail... La force émotionnelle libérée par cette
activité est surprenante.
On peut aussi s'attaquer à l'appartement que l'on habite
actuellement en cherchant à le recons-tituer tel qu'il était avant
une transformation importante, le départ ou l'arrivée d'un être
cher...
Une variante consiste à demander de réaliser une maquette en trois
dimensions, qui représente ces lieux (chaises, tables, papiers sur
les tables...) : le balsa se prête bien à la mise en scène des
détails, et se colle facilement..
L'activité s'apparente au « travelling mental » des
méthodes de créativité (Chapitre 5), et per-met de
reconsidérer la réalité sous un autre angle, à une autre
échelle, ce qui facilite les rappro-chements inattendus.
Il ne s'agit que d'un stimulateur d'associations, d'un générateur
d'émotions, un peu comme peut l'être une cassette enregistrée
des années auparavant et que l'on découvre subitement. Le fait de
la passer et de se voir mis en face de voix, de lieux, d'apparences
physiques, de sentiments à jamais révolus peut provoquer des chocs
émotionnels d'autant plus importants que cette ren-contre avec le
passé est imprévue .
RÉDUIRE LES ACCIDENTS DU TRAVAIL
Il y a un accident du travail toutes les six minutes et ces
accidents causent une mort toutes les quarante minutes. Pourquoi ne
pas obliger les responsables politiques à accepter l'installation de
dispositifs sonores dans leurs lieux de travail réglés sur cette
fréquence, et ce pour les amener à réfléchir sérieusement
aux accidents du travail, et à instaurer une politique qui les
limite vrai-ment ? On pourrait installer un sifflet qui fonctionne
toutes les six minutes dans tous les locaux concernés
(Palais-Bourbon, Sénat, etc.).
Une variante consisterait à installer dans les locaux des centrales
syndicales le même dispositif pour rappeler aux permanents syndicaux
l'existence de ce problème...
Une autre variante pourrait faire émettre des émissions pirates,
au même rythme, qui parasite-raient les émissions de
télévision chaque six minutes, pour rappeler au pays que rien n'est
réglé...
N'est-ce pas finalement ce qu'Antenne 2 avait fait (de 1986 à 1988)
lors de la captivité des ota-ges français au Liban, en
commençant le journal télévisé chaque soir par la photographie
des ota-ges et le rappel de leur détention, ce qui n'était qu'un
moyen de rappeler en permanence à chacun que le problème
n'était pas encore réglé... ?
IDM POUR LA CIRCULATION PARISIENNE
Pour régler la situation de la circulation à Paris ,
empêcher réglementairement toute possibilité de cortège officiel
(motards, gyrophares, etc.) tant que des mesures efficaces ne sont pas
pri-ses.
C'est ce que j'appelle une idée inattaquable . Le rendement et la
productivité des hommes politi-ques en seraient à coup sûr
diminués, mais ils s'attaqueraient enfin sérieusement aux
problèmes de circulation. Les cortèges officiels masquent en effet
la situation réelle de certaines capitales aux responsables qui
devraient en être les premiers informés.
[Dans le même ordre d'idées, qui consiste à sensibiliser à un
problème les gens chargés de le ré-soudre, il a souvent été
proposé d'obliger les architectes à vivre dans les immeubles
qu'ils dessi-nent, et de compléter la formation des magistrats par
un court séjour en prison avant leur prise de fonctions .]
Ce serait peut-être le moment d'éclairer le cher lecteur sur les
parcours que l'auteur de ces li-gnes a suivis pour être amené à
proférer de telles théories.
o
CHAPITRE 3
Du guichet à l'aventure.
« Celui qui dans la vie est parti de zéro
pour n'arriver à rien dans l'existence
n'a de merci
à dire à personne. »
Pierre
Dac.
DEVENIR ADULTE ÇA SE MÉRITE
Ma vie d'étudiant avait fait long feu. Vraiment. J'avais
successivement abandonné les sciences, échoué lamentablement
en faculté de lettres, et j'étais couvert de dettes , qu'il me
fallait avant tout réussir à rembourser. Il me fallait être à
la hauteur, c'est-à-dire être adulte.
Nous autres humains consacrons beaucoup de notre énergie , et de la
plus noble, à lutter contre une sorte de tendance immanente à la
clochardisation. Depuis notre enfance, nous sommes dres-sés à ne
pas nous laisser aller à cette pente fatale.
Les reportages qui, l'hiver, nous montrent les SDF (sans domicile
fixe) évoquent - parfois injus-tement - ces processus de chute, de
dégradation qui guettent chacun de nous, tout stabilisés que nous
croyons être.
Pour lutter constamment contre cette tendance, l'homme a besoin d'une
espèce de compas, de gyroscope mental qui lui permette de se fixer
un cap. Prenons l'image d'un terrain en pente, qui amènerait
l'individu à glisser vers le bas ; ce compas lui permet d'être
maître du terrain. Non pas de bouger lui-même, mais de rendre le
terrain horizontal.
Ceux de nous autres qui sont capables de mobiliser une forte énergie
peuvent se permettre de la dépenser sans cesse pour remonter la
pente de ce terrain. Pour les moins bien dotés, il vaut mieux
contrôler la pente du terrain : c'est moins fatigant.
CEUX QUI S'IMAGINENT SOUS LE REGARD DES AUTRES
Décision, grand saut.
J'ai passé un concours d'employé de bureau au ministère du
Travail.
Si le mot honneur est quelque peu excessif pour désigner ce qui me
poussait à rembourser mes dettes, une autre de mes hantises m'a, au
moins autant, incité à passer ce concours : c'est la peur du
ridicule, notion qui cohabite de très près avec la paranoïa.
Le ridicule, c'est l'incrédibilité. Le personnage ridicule, c'est
celui qui n'a pas de crédit (quel que soit le sens qu'on donne
à ce mot) : celui que l'on ne peut prendre au sérieux (et qu'il
n'est donc pas raisonnable de croire). Pendant cette époque, qui a
duré environ deux ans, la fréquenta-tion que j'ai eue d'une
psychanalyste, douce, freudienne et idéaliste , m'a fait
comprendre, que, chez moi, les deux notions de réussite sociale
et de ridicule entraient en collision. Ce que je dé-testais parce
que c'était ridicule, je le détestais en réalité parce que
c'était lié à un établisse-ment dans la vie. S'habiller, porter
une cravate, un costume me paraissaient des choses inconce-vables ,
tout au moins propres à ridiculiser ceux de mes congénères se
livrant à de telles prati-ques.
Cette notion de ridicule se retrouvait aussi dans un autre domaine,
celui de la drague. Se trou-vaient là rassemblés : l'approche de
la femme (gestes et attitudes devant être mis en ¦uvre à cet
effet), la nécessité d'avoir à lui parler, de lui dire des
conneries, de l'inviter à danser, etc. Chacune de ces étapes me
semblait l'occasion de se donner en ridicule. Du moins vis-à-vis de
ceux qui assistent à cet amusant spectacle, détail qui nous
ramène bel et bien à la paranoïa (du moins celle caractérisant
les gens qui imaginent le regard des autres braqué sur eux). Je
n'osais pas m'imaginer, sous les yeux de mes copains, en train de
pratiquer cette sorte de danse rituelle propre aux régions
tempérées de l'Ouest européen.
La découverte du rôle que tenait cette notion de ridicule fut un
véritable choc mais ne fut bien évidemment suivie d'aucun effet.
Pourquoi y a-t-il le mot thérapeute dans psychothérapeutique ? Ne
gardons que psycho et enlevons ces prétentions à soigner
quoi que ce soit...
Tout le goût que je pouvais avoir à l'époque pour cette sorte de
science psychologique disparut d'un coup : elle me permettait de
découvrir quelque chose sur moi, et ce quelque chose n'était pas
utilisable.
Toutes mes lectures, le fourbi conceptuel où j'avais entassé les
notions d'inconscient, de trans-fert, de retour du refoulé, de
traumatisme, m'avaient donné à croire qu'on pouvait remonter , et
défaire quelque part les effets d'une collision qui avait eu lieu
auparavant.
En réalité c'était faux. Rien ne changeait.
Là où je me croyais intéressant , là où je croyais avoir
retrouvé quelque chose de fondamental, d'essentiel, qui m'expliquait
l'obsession dont je souffrais et dont j'avais conscience de souffrir,
j'avais trouvé un outil d'exploration, la psychanalyse ; mais cet
outil ne marchait pas, au sens où il se limitait visiblement à
révéler une relation cachée entre deux traits de personnalité,
sans re-mettre en cause l'effet supposé de cette connexion.
Il existait donc des outils qui ne servaient à rien. Celui-ci
était un outil cinématographique, dra-maturgique, un outil de
spectacle : il servait à découvrir, à voir des choses, et
c'était tout.
Plutôt dur à imaginer, en définitive, le cas des gens qui ont de
vrais problèmes, et qui, arrivés à ce genre de révélations,
attendent un changement de leur état. Ils attendent quelques jours,
quelques semaines, et... rien. Il ne se passe rien.
La découverte primordiale n'a amené aucune transformation. Ils
restent bègues, incontinents, angoissés, obèses, asociaux...
TRAVAIL (LE MINISTÈRE DU)
Après avoir donc consacré une année à mener la vie
avec mes copains, la simple accumulation de mes dettes avait fini par
déclencher ce réflexe salvateur : je m'étais présenté au
ministère du Travail en vue de m'y faire expliquer comment en
trouver (du travail). Mais ils étaient malins, et m'avaient plutôt
convaincu de passer ce concours «au cas où». Le niveau
des épreuves (correspon-dant d'ailleurs à celui des autres
candidats) étant celui du CM2, j'avais - quand même - été
re-çu.
Jamais bien sûr je ne pourrai oublier mon modeste succès à cet
humble examen, grâce à quoi me fut révélée la face cachée
de notre organisation sociale : en gros, ce qu'on pourrait appeler le
mode de vie protégé.
Je me suis retrouvé un lundi matin, dans une inspection du Travail,
petite cellule qui avait en charge les régions d'Ivry, de Vitry et
de Choisy-le-Roi. Il y avait là d'une part un inspecteur, d'autre
part, et sous ses ordres, deux contrôleurs du travail et une
secrétaire. Enfin, l'employé aux écritures, c'est-à-dire
moi.
Le tout formait l'équivalent d'une PME installée dans un grand
bureau, à l'intérieur d'un vieux bâtiment près de la porte de
Versailles, où résidaient évidemment plusieurs dizaines d'autres
cellules du même genre, chargées d'autres territoires.
Me voici dans un monde de biscuits dans les tiroirs, de supérieurs,
de bordereaux, un monde de fonctionnaires.
Je suis chargé d'ouvrir le courrier, de donner un certain nombre de
coups de tampons et, ce fai-sant, de procéder ni plus ni moins qu'à
l'Évaluation primaire des Accidents du travail.
Je dois donc, moi, recruté dans cet état d'incompétence
totale qui me caractérise déjà, trans-mettre à l'inspecteur
les dossiers (parmi deux cents reçus chaque matin) que je
considère comme méritant une enquête.
Les cas pouvaient être graves :
Ainsi une usine de détergents qui n'avait pas mis de rambarde de
sécurité voyait ses ouvriers tomber dans des cuves d'hypochlorite.
Après réprimande, on ordonnait la pose d'une rambarde.
La rambarde non posée, un nouvel accident, trois mois (ou deux ans)
après, amenait une visite de l'inspecteur du travail, qui
répétait qu'il faudrait mettre une rambarde... au risque d'une amende
de 600 francs... Et si le scénario se reproduisait, nouvelle amende
.
STABILITÉ DE L'EMPLOI
Mais ce monde était fascinant par bien d'autres aspects encore.
L'indication la plus précise m'en a été fournie lors de ma
(laborieuse) tentative de départ.
Pourquoi départ ?
On dit démission. Simplement parce qu'une démission
supposait un enchaînement de demandes (qui doivent suivre la voie
hiérarchique, pour remonter jusqu'à la "Direction
départementale"), cascade de délais (jamais moins de six
semaines chacun), etc., et qu'à vingt et un ans ce qu'on veut on le
veut tout de suite.
Je tente alors de me faire jeter.
Première méthode : utiliser la machine à écrire (de haute
époque) dont notre inspection est équi-pée, pour dactylographier à
longueur de journée mes commentaires sur la politique intérieure
française. L'ambiance du bureau s'en ressent très vite puisqu'une
des quatre autres personnes se trouve ipso facto contrainte
d'assurer la tâche dont je ne m'acquitte plus.
Ensuite parce que LE bureau en est un : on y joue Huis clos
tous les jours, et tout le monde (sauf l'inspecteur) cohabite sur une
trentaine de mètres carrés. C'est dire si l'intempestif
crépitement de la Remington constitue un geste pour le moins
inamical. Mais très insuffisant, et de loin, pour qu'un rapport,
fût-ce une simple note, soit rédigé et transmis (voir ci-dessus) à
ce sujet.
Je poursuis donc cette opération d'auto-élimination en ne venant
tout simplement plus au bureau, pendant un long mois, sans le moindre
certificat médical, ni pendant ni après, pour documenter cette
absence.
Rien n'y fait encore, mais je suis obligé de constater qu'une fois
de plus les autres se sont dé-brouillés pour accomplir ce que
j'avais à faire.
Après plusieurs semaines, l'inspecteur du Travail finit par
m'expliquer les règles du jeu : malgré tous mes efforts, je ne
pourrai pas me faire chasser du ministère. "Je le sais
d'expérience, a-t-il ajouté, ça fait assez d'années que je suis
ici, et un licenciement doit être avalisé par le minis-tre"
.
DÉTECTIVE
Une demi-année s'écoulera finalement jusqu'à ce qu'une
véritable occasion de vouloir changer d'air s'impose à moi pour de
bon : touché par la grâce électorale à l'occasion des
législatives de 1967, je décide de devenir journaliste. Journaliste
politique s'entend, suite à un nouveau malentendu consistant à
croire vraie l'équation :
POLITIQUE = JOURNALISME = _expression_ DE SES
OPINIONS.
Je commence par téléphoner à une autre inspection du Travail,
spécialisée dans la presse, de-mandant tout simplement comment
l'on entre dans ce métier.
La réponse est franche : "Sans relations, on n'entre
pas dans la presse."
Puis, devant mon incrédulité : "Ou alors à
Détective."
Métro, changement à Montparnasse, et trois quarts d'heure plus
tard, dans le cours même de l'entretien d'embauche, le rédacteur
en chef de Détective me confiait un reportage, non sans
m'avoir fait transiter par une caisse pour retirer quinze billets de
100 francs nécessaires à la mission. "Frais
d'enquête", murmura-t-il d'un air mystérieux.
C'est ainsi que j'ai consommé ce départ du ministère du
Travail.
Le reportage portait évidemment sur une affaire criminelle. Je suis
allé à Nantes en voiture de location, j'ai pris cent vingt photos,
et je téléphonais tous les jours au journal. Au bout de quatre
jours, j'ai ramené à Paris trente pages finement rédigées
pendant les trois nuits.
Je n'avais pas compris. Pas même subodoré, imaginé, que toute
la matière rédactionnelle engran-gée par le reportage
(informations, témoignages, photos, documents, pièces de toute
nature) serait en réalité remise toute brute à une rédactrice
spécialisée chargée, elle, de faire
l'article.
Celle-ci venait une fois par
semaine, s'asseyait devant un bureau sur lequel trônait une machine
à écrire électrique, avec un tiroir rempli de fiches contenant
les expressions propres à rendre croustillant l'article qu'elle
commençait alors à taper :
BERNARD M. A RENCONTRE
JOSIANE F. DANS UN BAL. TOUT DE SUITE SES LEVRES L'ONT
ENFLAMMÉ.
Puis elle prenait une fiche dans son tiroir et complétait
:
- LÈVRES DE FEU.
La fiche une fois utilisée passait dans un second tiroir, celui des
expressions contenues dans l'ar-ticle . Pour éviter les
redites.
Par exemple
:
ELLE SUCCOMBA RAPIDEMENT AU
CHARME DE RAYMOND.
Attribut croustillant :
- CHARME UN PEU ANIMAL.
Il n'aurait pas été convenable qu'un peu plus loin dans l'article
un autre personnage (la plupart du temps, un parent de Josiane, de
Raymond ou de Bernard) se révèle lui aussi doté d'un charme
animal, ou, encore, soit équipé de lèvres enflammées.
Le principe de Détective était (déjà à l'époque) de
partir de faits divers, si possible dépourvus de tout clinquant ou
même de tout intérêt (cela afin d'assurer au lecteur une forme
d'exclusivité). Sur ces pauvres péripéties généralement
provinciales, on s'efforçait de greffer un aspect sentimental
de manière à obtenir un crime passionnel mettant en scène des
personnages tels que ceux qu'on peut côtoyer dans les romans :
profonds, entiers, inflexibles, animés de sen-timents violents, et
surtout d'une sensualité exacerbée , constamment en éveil, comme
il sied chez tous les authentiques créateurs de littérature
populaire.
Les titres évoquaient tous la famille. Ils mettaient tous en
scène, en France exclusivement, un homme et une femme ; ils
étaient tous rédigés à l'imparfait , selon une trame intangible
:
LA BELLE-S?UR
DIABOLIQUE
[hystérique, insatiable...] EMBRASSAIT [caressait, découpait, sodomisait...] son neveu
[grand-père, filleul, petit-fils...].
D'une régularité
parfaite, les titres n'avaient qu'exceptionnellement de rapport avec
les événe-ments réels, et venaient chaque jeudi encombrer les
trottoirs de Paris (devanture des mar-chands de journaux) sur de
grands panneaux en bois, avec la photo d'une cover-girl (louée pour
pas cher en agence), obligatoirement vêtue d'un bikini.
J'avais, moi, ramené de Nantes des vraies photos des gens
impliqués dans l'affaire, mais tout à fait réels et
désespérément quotidiens ; ils ne pouvaient ni correspondre au
play-boy ravageur ni à la femme fatale (et pulpeuse) de l'article
puisque le jeu consistait précisément à persuader le lecteur
qu'il pouvait arriver à n'importe qui de devenir un
personnage de roman.
Mes trente pages passent donc à la trappe, et je n'en suis pas
finalement trop mécontent. Socia-liste, anarchiste, ou extrême et
divers gauche, je n'étais et ne suis toujours pas très fier de la
sauce Détective.
Le rédacteur en chef me convoque et l'entretien est rapide :
- Vous aimez la politique ?
- Mais c'est ma spécialité !
- Eh bien, je vous confie trois pleines pages : la politique
intérieure, la politique extérieure, et une troisième page qui
comporte l'éditorial, le billet, la chronique.
Ces trois pages, aussi institutionnelles que les titres du journal,
constituaient en réalité la cau-tion que le directeur se donnait
pour que Détective ressemble à un véritable hebdomadaire
au-près de ses confrères sérieux.
André Beyler, le patron, n'est en effet pas n'importe qui. Il est
alors, en tant que propriétaire-éditeur de Détective (son
unique journal), LE responsable du Syndicat National de la Presse
Heb-domadaire, élu et régulièrement réélu par les
directeurs de L'Express, de Témoignage chré-tien,
du Nouvel Observateur ? pour les représenter dans les
discussions avec le gouvernement ou les salariés.
Je m'engageai donc pleinement dans ce travail. Je devais écrire tout
ce qui dans notre "journal" ne ressortait ni du crime ni de la
salacerie (donc ce que personne ne lisait).
J'ai rempli les trois pages d'une demi-douzaine de numéros, puis
l'on m'a mis à la porte, sans pré-ambule ni préavis (ni
indemnité) d'aucune sorte.
C'est alors que je me suis aperçu (je n'y avais pas prêté
attention auparavant) qu'on m'avait tou-jours payé en liquide, à
la semaine, et sans aucune trace écrite d'un versementou même d'un
en-gagement.
Je pouvais maintenant comprendre pourquoi on embauchait tant à
Détective : après deux mois, les jeunes collaborateurs qui
avaient fait don de tout leur enthousiasme étaient
systématique-ment (et très facilement) virés, sans même le
simulacre d'un prétexte, ce qui leur évitait (et évi-tait
surtout à leur patron) une chute inexorable dans cette routine que
nous devons fuir absolu-ment car génératrice de sclérose,
demandes d'augmentation et autres créations de section
syn-dicale.
Il m'était d'ailleurs
impossible (si seulement j'avais osé) de retourner à l'inspection
du Travail pour exposer mon malheur, puisque je n'avais aucune preuve
écrite de quoi que ce soit. Formelle-ment, Détective et moi
ne nous étions jamais rencontrés. Une sorte de travail au noir
unilatéral.
LE GRAND SAUTÉMANCIPATEUR
J'avais ainsi fait en peu de temps la connaissance du monde
protégé et du monde privé, de l'uni-vers des fonctionnaires et du
système ultra-libéral. Je découvrais l'incroyable risque qu'il y
avait à travailler dans le privé, au lieu d'avoir un boulot
"sans histoire et garanti dix ans" .
Mais pendant ces six semaines de mon passage à Détective
s'étaient produits deux événements.
Le premier était la sortie de L'Expansion, lancé par les
frères Servan-Schreiber sur la base d'un hymne à la société
industrielle, aux gagnants, à la réussite, thèmes qui en ont
assuré le succès et dont les fondateurs n'ont jamais en vingt ans
changé une nuance.
Le second était la parution du Défi américain grâce
auquel Jean-Jacques Servan-Schreiber conquit définitivement ses
initiales : cet hymne à l'Amérique qui, de façon tout à fait
visionnaire, annonçait le rôle à venir de l'informatique. Tous
deux se faisaient les hérauts d'une vision spéci-fiquement US de
la société «libérale» dans laquelle je me projetai
complètement, décidant illico de m'immerger dans ce qui, à
ma porte, y ressemblait le plus : l'entreprise privée.
Mon passage dans un Ministère m'éloignera à tout jamais des
tentations du secteur public et de l'emploi garanti. Et cela malgré
l'immunité dont bénéficie le fonctionnaire contre le risque de
chute : cette pente que je sens toujours prête à être
dévalée, sans doute pour avoir trop souvent parlé, enfant, avec les
cloches qui campaient aux Gobelins, autour du lycée Montaigne
.
Comme un héros qui quitterait le havre de la fonction publique pour
entrer dans la jungle de la vraie vie (où, chacun pour soi, il faut
lutter au nom du marché), j'ai alors l'impression de me lan-cer dans
un milieu véritablement inconnu, plein de risques, exactement comme
à la fin de l'en-fance lorsqu'on se jette dans l'âge adulte. Les
pieds traînent, et une ostensible mauvaise volonté générale
atteste les résistances qui se déchaînent devant l'imminence du
Grand Saut émancipa-teur.
Vu de l'extérieur, le spectacle n'est malheureusement perçu que
pour ce qu'il est, vague combat d'arrière-garde plutôt ridicule et
souvent franchement suspect.
Alors évidemment on se récite en solo le célèbre théorème
de Nizan : "J'avais vingt ans, et ja-mais on ne me convaincra que
cet âge puisse être le plus beau gngngn." Et puis on assiste
quand même (complaisamment ?) à son propre spectacle : Ah dis donc
! la fameuse Solitude, on n'aurait jamais deviné que c'était
douloureux à ce point-là de faire (pour de bon) sa
connaissance.
Tout bien pesé, il faut constater que les différentes formes
d'insoumission aux règles sociales qu'on commence à intuiter
caractérisent les moments où c'est précisément le Désespoir
qui lance le défi, dans un instant de si vive tension que
s'interposent automatiquement les tampons de toute nature,
préalablement imbibés de pudeur toute fraîche, et dont la mise en
¦uvre est indis-pensable pour que ne puissent JAMAIS être
redoutés les symptômes d'une quelconque perte de contrôle.
Désespoir peut-être, mais les connotations incorrigiblement
romantiques de ce vocable (victime de permanents abus) suggèrent de
plutôt diagnostiquer une "saturation émotionnelle" : sorte
d'inconvénient interne, parfois très vif, accompagnant certaines
situations de transition, répu-tées ou présumées non
réversibles, telles que : divorce ou rupture, décès (les
naissances sont également très valables), licenciement ou autres
formes d'élimination.
Il est fréquent qu'un choix soit impliqué dans de telles
affaires : décision, volonté, abandon, etc. Or l'immaturité a
ceci de commun avec le déshonneur conjugal qu'on est toujours
le dernier à être mis au courant.
C'est en l'espèce par une sorte d'abus de libre arbitre que
reste donc inavouée la véritable préférence, qui est de ne pas
renoncer (et, plus précisément, de continuer) à bénéficier
le plus longtemps possible de l'air indulgent, des sourires
bienveillants et des émerveillements attendris ayant ponctué et
même (de plus en plus rarement) ponctuant encore chaque geste, cri et
autres paroles, depuis le tout premier jour, - heure et minute
comprises.
Ma vision de la société est dès lors beaucoup plus proche de la
conception américaine : la vie est une espèce de jungle dans
laquelle chacun doit trouver sa place, faire son trou, et aller en
creu-ser un autre ailleurs quand son emploi disparaît. Pour le
même genre de raisons sans doute, j'ai pu appartenir à ce milieu
UNEF, sans jamais me sentir réellement impliqué dans les
"analyses" qu'on y développait.
Le secteur public devient donc à mes yeux le lieu de la
surprotection, l'entreprise celui de la lutte et de l'indispensable
compétence.
Je suis bien sûr revenu de cette vision angélique et simpliste du
secteur privé. Ne serait-ce qu'en observant de plus près, et avec
un recul de quinze années, le développement de la carte à puce,
j'ai côtoyé de nombreux incapables qui occupaient des postes à
responsabilité dans des grandes entreprises privées. Et je n'en
connais pas un, aucun, qui se soit fait chasser. Ou bien ils ont été
promus et on leur a confié la responsabilité de secteurs plus
importants, ou bien ils ont été "pla-cardisés". Le
plus souvent, ils sont tout simplement restés en place.
Pour ma part, jeté de Détective (alors que je n'avais pas
encore donné la preuve de mon incompé-tence ou de ma sclérose,
puisque je travaillais tous les soirs jusqu'à des 11 heures-minuit à
mes pages "politiques", et que j'aurais pu être exploité
encore quelques trimestres), je me mets donc à chercher du
travail.
L'entrée dans la jungle est là.
Pour le moment, j'habite chez une copine dont on disait (parlant de
son appartement et surtout d'elle-même), d'un air entendu : "C'est
chouette chez Martine ."
Début de 1968. Epoque du LSD, de Sergeant Peppers (et surtout
du "double blanc") des Beatles. Dans ce haut lieu social, si
"chouette", où je croise régulièrement Michel Polac (habitué
déjà en vue de ces milieux à convivialité maximale), je
commence à faire régulièrement de l'électronique.
Mais, sans emploi, sans domicile réel, sans travail, sans
perspectives finalement, j'écris à Danièle Heymann, une
journaliste de L'Express, journal que je lisais chaque semaine
quoi qu'il m'en coûtât (financièrement).
L'Express, symbole pour moi d'une intelligence journalistique
(sans doute en souvenir du rôle joué par Giroud et
Servan-Schreiber depuis l'époque Mendès-France jusqu'à la
véritable clandes-tinité correspondant à la fin de la guerre
d'Algérie). Tombé avec le début des 80's, le souffle précieux
de Charlie-Hebdo n'oxygénera plus jamais nos cellules grises.
Tant mieux pour mon confort, puisque, du coup, le journal idéal
reste à mes yeux, en France et de très loin, Le Canard
enchaîné.
Danielle Heymann écrivait alors sur la chanson, j'aimais ce qu'elle
écrivait. Je le lui dis en toute simplicité, et lui demande de
m'enseigner une sorte de recette pour entrer dans son journal.
Cette sorte de vénération pour L'Express, journal qui
importait en France les m¦urs américai-nes, première
incarnation d'un Time français, me donnait l'impression
que ma démarche était insensée. Pourtant elle me reçoit,
confirme (une fois de plus, mais avec tout le tact indispensable à
la situation) qu'on ne peut pas entrer dans la presse, mais
promet finalement de faire tout ce qui est en son (symbolique) pouvoir
pour me faire signer une feuille d'embauche quelconque. De fait, elle
m'obtient un job de coursier (six heures par jour pour 450F/mois).
J'étais ravi, mes raisons de l'être (ravi) étaient
excellentes.
Je n'allais pas, en effet, être n'importe quel coursier :
cette heureuse conclusion à ma démarche garantissait mon arrivée
maintenant imminente auprès du saint des saints : le secrétariat
de Ré-daction.
CHAPITRE 4
MATAPOF, introduction à l'Incertitude.
Un homme qui
meurt par noyade revit en un éclair toute sa vie
passée,
alors qu'il
ferait mieux de nager.
Cavanna.
INITIATION AU NON-SENS ELECTRONIQUE
J'avais commencé, usant de mes moments libres , à inventer un
certain nombre d'objets dont une certaine machine à tirer à pile
ou face, qui a été ma première réalisation originale à
propre-ment parler. Elle trône toujours dans mon bureau avec ses
deux voyants (un rouge et un vert) et ses deux
boutons.
"C'est une solution idéale pour celui qui veut jouer à pile
ou face", m'entendait-on expliquer à qui voulait
l'entendre.
Premier avantage, plus besoin de pièces de monnaie . Quand on
appuie sur le bouton noir, elle réfléchit (les lampes clignotent à
toute vitesse), et quand on relâche le bouton, elle répond : soit
vert, soit rouge. Deuxième avantage : il n'y a pas de tranche.
Troisième perfectionnement : on peut tricher (en tournant le bouton
blanc vers la gauche, - de la même façon qu'on baisse le volume de
sa radio), le clignotement ralentit à un point tel que l'on peut
ajuster l'instant où le bouton noir doit être relâché. Avec un
peu d'entraînement (et suffi-samment de piles), on peut faire sortir
le rouge quand on veut. Après quoi, on peut encore (qua-trième
avantage) jouer tout seul, en accélérant peu à peu le rythme du
clignotement (bouton noir vers la droite), jusqu'à ne plus être
capable de prédire la couleur gagnante.
Cinquièmement, on peut aussi jouer en groupe, le gagnant étant
celui qui aura réussi à tricher jusqu'au repère le plus rapide
du bouton noir, démontrant ainsi la supériorité de ses
réflexes. Voilà.
L'EXPRESS A PILE OU FACE
J'ai apporté un jour cet amusant bricolage au journal, dans le
but de faire l'intéressant auprès des nombreux habitués
(permanents et visiteurs) du secrétariat de Rédaction.
Ici se trouvait - comme se trouve encore dans tous les journaux du
monde - le véritable centre nodal de la Rédaction puisqu'y
circulent et s'y traitent tous les articles, toutes les photos, et
aussi toutes leurs légendes, tous les titres, les brèves de
dernière heure (qui obligent à couper douze lignes dans la
cover-story ), les emplacements spéciaux réservés par les
annonceurs, les projets successifs de couverture, bref, la dernière
ligne droite avant la fabrication, autre-ment dit : le plus près
possible (hors l'imprimerie) du journal tel que le découvriront ses
lecteurs.
Comme la télévision était encore loin d'avoir l'importance qui
est la sienne aujourd'hui, la rédac-tion de L'Express était
alors quelque chose de très en vue, et son secrétariat lui-même,
un en-droit des plus parisiens.
Ma machine suscita aussitôt les réactions les plus variées
(personne n'y restait indifférent), de la curiosité technique
à la stupeur incrédule, sous forme d'exclamations enthousiastes
(chez la plupart des amateurs masculins), et de petits cris très
encourageants de la part du nombreux personnel féminin . Ces dames
et demoiselles vivaient au rythme des dîners en ville (on disait
alors les «soirées») et plusieurs d'entre elles demandèrent
aussitôt à m'emprunter la "Mata-pof " pour la montrer
dans ces... soirées, à leurs amis qui adoreraient eux
aussi.
Il est peut-être temps, ici, de rappeler qu'en 1968 l'électronique
était un domaine encore com-plètement mystérieux pour le grand
public ; de telles "applications" de cette technique relevaient
donc, au titre de ce mystère, de la provocation pure... ou de la
perversion scientifique.
Il n'y avait - entre autres absents - ni minitel, ni walkman, ni
télécarte, ni boîtier de télécom-mande (pour TV ou
magnétoscope ). Pas non plus de micro-ordinateur, de fax, de
répondeur, ni même la plus rudimentaire des calculettes
quatre-opérations-sans-racine-carrée-ni-mémoire.
Il n'existait en fin de compte que fort peu d'objets quotidiens
comportant de l'électronique.
Certes, la télévision et les appareils reproduisant le son
étaient largement diffusés, mais les or-dinateurs (qui occupaient
déjà tout le devant de la scène) ne relevaient encore que d'un
ésoté-risme coûteux.
En réalité, à cette date, personne ou presque, dans le public,
ne se faisait une quelconque idée des phénomènes désincarnés
(puisque silencieux, obscurs, et inertes à nos sens) que
dissimulaient très bien ces coffrets en bois vernis.
Pour permettre une comparaison facile, rappelons qu'en France, alors,
deux revues mensuelles (Le Haut-Parleur et Radio-Plans),
pas une de plus, trouvaient alors un public justifiant leur diffusion
en kiosque.
C'est dans ce contexte, décidément fort daté, qu'il convient de
se placer pour comprendre l'incroyable charme (disaient-ils)
qui semblait caractériser ma petite
trouvaille.
Il faut aussi admettre que
nous sommes tous, peu ou prou, fascinés par les phénomènes
liés au hasard, et que la fonction de tirage au sort qui
caractérisait la Matapof interpellait vivement ces esprits
qui, déjà, avaient confusément assimilé tout ce que
l'électronique supposait de connexité avec l'ordre, l'esprit de
système, l'organisation au carré, etc.
L'informatique, a fortiori, avait déjà pris la détestable
habitude d'apparaître comme arbitre de toutes les incertitudes. On
disait par exemple déjà des choses comme : "Ça a été
démontré sur ordinateur." Ou bien : "La capsule spatiale
a été entièrement calculée par ordinateur." Ou en-core
: "Tous les cas de figure possibles ont été simulés pendant
cinq mois sur un super-ordinateur. Aucune inquiétude à
avoir."
Au total, chaque personne ayant eu la machine à tirer à pile
ou face en main avait donc bel et bien subi les effets d'une certaine
révolution culturelle : l'électronique, déjà si mystérieuse,
si étran-gère à toute forme d'humanité (ou même
d'animalité), avait au moins jusque-là de solides points d'ancrages
dans notre culture élémentaire.
Voici qu'un objet imprévu bouscule cette perception bien
structurée : électronique égale imprévi-sibilité, surprise,
incertitude. C'est donc une forte relation (câblée très bas dans
notre culture) qui se met à disjoncter, alors même que celle-ci
reliait deux éléments majeurs de notre système référentiel
quotidien :
- d'une part, les considérations sur l'ordre et le désordre,
sur la certitude aussi (et donc sur l'information), et même
la problématique du hasard, avec ses principaux piliers (le
déterminisme par exemple) ;
- d'autre part nos présupposés sur la science de
l'information, sur les systèmes artificiels (dont la fonction est de
fournir à l'information un espace spécifique d'exécution),
systèmes dont nous avons conservé la compréhension et surtout le
contrôle - enfin et par-dessus tout - de leur mode opératoire
rigoureusement reproductible.
Ce dernier trait offrait à lui seul pour corollaire l'ambition,
désormais sans objet, de parvenir à réduire encore
l'écart qui séparerait, hypothétiquement, l'absolue perfection des
mécanismes matériels que nous avons créés d'un quelconque
modèle théorique idéal.
Ce qu'enseignait donc, peut-être, la Matapof à ceux qui lui
étaient exposés, c'était que des bar-rières pouvaient aussi
sauter entre électronique et hasard, en même temps que celles qui
s'effaçaient à la même époque entre briquet et poubelle.
Circulant ainsi de main en main, la machine à tirer à pile ou face
finit par se retrouver sur le bu-reau d'un des collaborateurs les plus
éminents du journal, Jean-Noël Gurgand .
Rewriter favori de la Rédaction en chef (qui lui exprimait son
attachement en l'obligeant à ré-écrire chaque semaine les
articles de tous ses collègues), Gurgand était, à ce titre
notamment, un personnage considérable (aussi important peut-être
que le rédacteur en chef lui-même), que ren-dait donc quasiment
inaccessible - à mes yeux tout au moins - le rôle majeur qui
était le sien dans l'organisation du journal.
Précision : L'Express avait adopté le principe, élaboré
à l'origine par Time, de donner à tout le contenu
rédactionnel une unité de style. Celle-ci était indispensable -
selon la formule définie par Time - pour que les lecteurs
ressentent en permanence une information provenant de source pure, non
sujette à humeurs ou à variations, donc désincarnée. A cette
fin, il était apparu plus réaliste de faire réécrire tous les
articles du journal par un même rédacteur, plutôt que de for-mer
chaque journaliste (reporters, correspondants, spécialistes divers,
etc.) au style maison. Cette opération, classique chez de nombreux
"news" (autrement dit : hebdos), est désignée par l'_expression_
anglaise rewriting . Dans une organisation tout entière consacrée
à la narration écrite des événements, Gurgand était celui
qui choisissait les mots. Il était donc (à mes yeux tout au moins)
nettement plus égal que la moyenne des autres rédacteurs.
Sans commentaires superflus, mais passant à l'acte, celui-ci me
commanda fermement dès le len-demain "un objet comme
celui-là".
Je travaillais alors de 9 h 30 à 14 h 30, soit cinq heures par jour.
De retour dans ma chambre sur le coup de 3 heures, je me livrais
aussitôt, et avec une totale gloutonnerie, à cette passion de
l'électronique, dans laquelle j'avais moi-même précipité le
mouvement d'immersion (tous les jours sans exception, jusqu'à 2
heures du matin au plus tôt, défrichant par expérimentation
systémati-que ces phénomènes logiques, tous plus excitants les
uns que les autres, et trop impatient, bien sûr, pour me plonger
dans un quelconque bouquin, a fortiori pour aller suivre des
cours).
Je me plaçai donc en position de recherche d'idées, ce qui eut
pour résultat de me faire accou-cher d'un second projet de
"générateur automatique de phénomènes aléatoires".
Électronique, bien sûr, je le voyais cependant doté de certaines
formes d'animation mécanique, et m'attaquai après quelques jours
d'incubation à la réalisation ce dispositif (appareil ?), encore
anonyme et pour cause : le fonctionnement spécifique que j'avais
fini par identifier pour cet appareil (ma-chine ?) consistait à
lancer en l'air (sans raison apparente ni prévisible) une bille
blanche, grosse comme un petit pois.
[En l'absence, donc, de toute forme de similitude avec quoi que ce
soit, les ressources du vocabu-laire s'avéraient évidemment
impuissantes à trouver ne serait-ce qu'une piste de
dénomination.]
Une fois le câblage terminé, je procédai à la première mise
à feu. Le principal composant amor-ça aussitôt un très
fastidieux processus d'essais/erreurs, dont je finis par triompher
après plu-sieurs traversées de Paris à Solex en vue de
dénicher pour cette pièce rare (et plutôt chère) les valeurs que
j'expérimentai successivement dans le cadre de ma méthode de
progression favorite, dite «100% empirique».
L'ensemble fonctionnait conformément à mon projet, c'est-à-dire
de façon parfaitement errati-que. Le caractère audio-visuel du
spectacle qu'offrait l'appareil en fonctionnement était assuré par
la combinaison des sauts de la bille blanche, et du
bruit (TOC), provoqué par la membrane du haut-parleur chargé
de propulser (puis de recueillir) la bille.
D'une monotonie parfaite, le TOC était, en toute rigueur, aussi
aléatoire dans ses manifestations que les mouvements de la bille
elle-même, puisque la corrélation entre les deux phénomènes
était exactement de 100 %.
La gratuité de l'ensemble était cette fois totale. Ne faisant
même pas semblant, comme la Mata-pof, de servir à remplacer
une prétendue pièce de monnaie pour jouer à pile ou
face : le nouvel objet ne servait à RIEN !
Désormais prêt à remettre le résultat de mes efforts à mon
commanditaire, je découvris in ex-tremis une forme
d'anxiété d'un genre nouveau pour moi :
- la situation n'était plus celle d'un processus autonome
d'inspiration-création-réalisation, mais bel et bien d'une
commande, dont le caractère clairement artistique était
d'ailleurs établi par le libellé même : «un objet comme
celui-là» ;
- un nouveau pas avait été franchi en direction d'une
gratuité désormais sans nuances. Peut-être ne fallait-il pas
lancer le cochonnet plus loin, mais par exemple à côté
(pistes possibles : ersatz électronique d'un dé, d'un tir à la
courte paille, que sais-je ?)?
Bref, j'étais saisi par le trac.
Un matin je me décidai quand même, et, après avoir déposé
sur le bureau de Gurgand, en son ab-sence, l'inqualifiable objet,
j'entamai ma journée de travail ordinaire.
L'essentiel de mes fonctions consistait à porter un article tout
juste rédigé à l'atelier de compo-sition typo qui se trouvait au
bout de la rue de Berri, à revenir au journal non pas les mains
vides, mais plutôt (après avoir attendu le temps nécessaire)
avec les épreuves fraîchement composées d'un autre article, et
donc destinées à la correction typographique.
Les corrections typo ne visent qu'à éliminer les erreurs commises
par le claviste au moment de la frappe du texte, et accessoirement à
corriger les imperfections orthographiques de toute na-ture. Elles
s'opposent aux corrections d'auteur, qui, elles, fournissent (une
seule fois) l'occasion au rédacteur de revenir sur son propre texte
: modifier une tournure, changer un chiffre ou un nom, supprimer une
phrase ou un paragraphe, y compris même, dans le pire des cas, une
mouture entièrement nouvelle de l'article. Inutile de dire que les
corrections d'auteur sont très mal vues par de nombreux collègues
du rédacteur, plus précisément tous ceux qui, en aval de la
Rédaction proprement dite, voient le journal de plus en plus comme un
contenant et de moins en moins comme un contenu : secrétariat de
Rédaction, tout d'abord, puis réviseurs, chefs de fabrication, et
évidemment, tout en bout de chaîne, imprimeurs.
Enfin, je repartais vers la
compo avec un lot d'épreuves corrigées, tous trajets que je
faisais en lisant (et en débusquant bien sûr, chaque fois que
l'occasion s'en présentait, des fautes que les correcteurs avaient
oubliées.).
A mon retour de l'imprimerie, ce jour-là, je trouvai sur mon
tabouret une enveloppe. Dans l'enve-loppe, il y avait un chèque à
mon nom, et ce chèque était en blanc. Je veux dire que le
montant de la somme n'était pas libellé .
Gurgand et moi - il convient de le préciser - nous étions alors
parlé deux fois , et il nous arri-vait parfois de nous croiser dans
l'ascenseur.
C'est le seul chèque en blanc que j'aie jamais reçu... Je me
souviens de l'avoir finalement encaissé (et donc rempli), après
l'avoir conservé quelque temps comme une sorte de trophée mais,
finale-ment, il n'est pas interdit de considérer qu'une issue aussi?
chevaleresque restait en parfaite harmonie avec le protocole si
particulier de la commande.
INTERMEDE JURIDIQUE
Comment donc les hommes de loi s'y prennent-ils pour considérer,
ou non, qu'un contrat commer-cial peut être réputé
parfait ? Réponse : deux conditions, et deux seulement, sont
exigées (ac-cord sur la chose, accord sur le prix).
Si l'on se souvient de la précision avec laquelle avait été
définie la chose, ce chèque muet apparaît en définitive
comme un équivalent particulièrement pertinent de la définition
du prix.
Entre-temps, le petit lanceur de billes s'était immédiatement mis
à remplir sa fonction , qui était de susciter l'intérêt dans
les dîners en ville. Alimenté par des piles, il était aussi
gracieu-sement portatif qu'une boîte à cigares, et produisait un
petit bruit vraiment discret.
Encore et surtout, son incommensurable inutilité pouvait parfois
donner le vertige.
Le jour même de la livraison, Gurgand me parla de plusieurs de ses
amis, à qui il voulait absolu-ment montrer l'objet sans objet
. Quelques jours plus tard, il me présentait à cette bande qui
portait (et porte toujours) le nom collectif d'Éditions
Saravah. Il y avait là Jacques Higelin, Pierre Barouh, Claude
Lelouch (les plus visibles), et d'autres, plus ou moins assidus :
Gérard Sire, Areski, Brigitte Fontaine, et surtout (par rapport à
mon échelle idolâtrique personnelle) Jean Yanne.
INTERMEDE ARTISTIQUE ET ADMIRATIF
Pour mon usage exclusif : j'ai confectionné une sorte de
(petite) théorie (dont l'occasion m'est pourtant donnée très
régulièrement de constater la pertinence) sur le type de
distances que doit s'efforcer de garder le public vis-à-vis des
créateurs dont il apprécie l'¦uvre (et que jusqu'à pré-sent
Jean Yanne est seul à prendre en défaut) : nécessité abolue,
selon moi, de procéder à un permanent distinguo entre la
production (qu'on aime beaucoup, un peu, ou parfois pas du tout) et la
personne (qu'il faut ignorer).
Sous peine de polluer, et pour un minuscule bénéfice,
l'admiration, pas si fréquente, qu'on a pour l'¦uvre.
Ainsi, les films que réalise Jean Yanne, cinéaste, sont-ils
systématiquement caractérisés par la grossièreté, la
facilité, la démagogie, le racolage .
Pour autant, on ne devrait jamais manquer une occasion (interviews,
débats et talk-shows, mono-logues personnels, etc.) d'entendre Jean
Yanne parler. Un mot, un seul mot prononcé par lui, et me voilà
déjà plongé dans cette extase quasi incontinente annonciatrice du
rire formidable. Un exemple ? Répondant à l'examinateur
d'auto-école qui l'invite à supposer se trouver sur une route
départementale : "Non !" répond Jean Yanne. (Avant de se mettre
à expliquer qu'il ne prend ja-mais les routes départementales, et
même que, d'une façon générale, il a horreur des routes
dé-partementales, etc.).
Et ce "Non" suffit.
Pierre Barouh fut instantanément séduit, et me commanda sans
hésiter une autre de ces créa-tions. Gérard Sire, lui, réalisait
chaque semaine à la télévision, avec Jean Yanne, une émission
provocatrice qui s'appelait 1=3, qui (incidemment) était pour
moi le modèle, avant Charlie-Hebdo, Coluche et Desproges,
d'un comique dominé par l'intelligence. Il décida immédiatement
de faire quelque chose sur ça, avec ça. Il travaillait alors à
de la réalisation télé, à de la production (dis-que et
télévision), il faisait du cinéma avec Lelouch, et il lui arrivait
même de "participer" à tel ou tel film monté par un de ses
copains (ainsi Yves Robert, pour Salut
l'artiste).
Après avoir pensé
l'utiliser pour une couverture de disque, il décida plutôt de
"faire une télé".
VU A LA TELE
Effectivement, peu de temps après, il venait tourner chez moi,
avec une équipe entière, très exactement le 22 juin 1968, en
pleine période de désenchantement. Les débuts même du
post-soixante-huitisme.
Le tournage dura environ deux jours et le sujet fut diffusé trois
mois plus tard.
J'avais déjà plusieurs fois fait de la radio (Garetto et Codou,
de France-Inter, venaient juste de lancer ce qui resterait
pendant plus de vingt ans : L'oreille en coin) mais la
télévision m'était en-core inconnue.
Le sujet durait sept minutes, et avait été intitulé : Le
liftier.
Les préposés au casting m'avaient par la suite expliqué
comment, s'étant trompés une première fois sur mon boulot, ils
avaient appelé L'Express pour se renseigner, déclenchant
sans le vouloir un nouveau torrent de contestation parmi le personnel
chaque fois que le mot liftier était pro-noncé.
L'Associated Press voisine, bien qu'employant cinq fois moins de monde
que L'Express, maintenait en effet avec fermeté le cap
défini en 1905 depuis sa création à Paris (rue de Berri), à
Londres, et dans toutes les grandes capitales : un ascenseur est une
machine complexe et dangereuse, dont la responsabilité et plus
précisément chaque détail de la man¦uvre doivent être
confiés à un employé hautement qualifié et tournant sur 3 x
8.
Une fois par an donc, "un de L'Express" s'avisait que la
doctrine d'AP était sage, et que JJSS ferait bien, par prudence, de
doter de servants en chair, en os et en uniforme la batterie
d'ascenseurs qui desservaient le journal. Une telle perspective
déchaînait évidemment les impré-cations des délégués du
personnel, qui voyaient là une façon particulièrement sévère
de ponction-ner la masse salariale, tandis que la plupart des autres
commentaires soulignaient avec suffisam-ment de dérision le
parallèle peu flatteur qui ne manquerait pas alors de s'établir
entre un grand "news" et la Samar ou le BHV.
Le casteur (?), qui avait donc pu tirer de ces divers échanges la
certitude parfaite que je n'étais pas liftier, estima
néanmoins que ces métiers étaient interchangeables, donc
équivalents, et il n'envisagea pas un seul instant de modifier les
«cartons» de l'émission.
Sur un ton pince-sans-rire, Gérard Sire me demandait à quoi
servait tel oiseau électronique ("Mais... à rien"). Puis il
affectait de s'interroger sur mon compte, cherchant en particulier à
sa-voir si je me considérais "plutôt comme un arriviste" ou
"plutôt comme un opportuniste". Je m'efforçais d'entrer dans son
jeu, en improvisant mes réponses et affectant un cynisme très
"premier degré".
Malgré une diffusion très prime-time (vendredi soir, 20 h
30, sur la principale chaîne), aucune femme ne m'arrêta dans la
rue pour (au minimum) me demander des autographes, aucune haute
personnalité n'insista pour m'avoir à sa table, mon
téléphone ne sonna désormais pas plus sou-vent que d'habitude, et
Anne Sinclair négligea de m'inviter à Sept/Sept.
La presse me fit un accueil distant. Je reçus de Catherine
(entre-temps devenue militante au Pc) un article de
France-Nouvelle (la revue "théorique" du Pc) tandis
que Guillaume Hanoteau vou-lait bien me comparer dans Télé 7
Jours à un "continuateur de Marcel Duchamp",
évoquant ce "chômeur qui fabrique des machines qui ne servent
strictement à rien", ce "champion de l'Inutile",
qui "a eu au moins le mérite, grâce à sa veine poétique
et farfelue, de nous faire sourire".
Aucun raz de marée, ni même une simple petite vaguelette, ne salua
donc ce baptême de télé, mais celui-ci me valut cependant, un an
plus tard, une drôle de visite.
INTERMEDE LINGUISTIQUE ET REACTIONNAIRE
En y réfléchissant aujourd'hui, et comme tout ce qui concerne
le Parti communiste m'intrigue toujours et encore, je me
retrouve, devant cette sorte d'enseigne ("Revue Théorique
du PCF"), dans le même état de colère froide qui m'envahit
souvent, par exemple en face de certains men-songes ou
contre-vérités particulièrement odieux, impunément déployés
par les publicitaires.
Et il y a en effet une certaine ressemblance.
Dans cette formule, le PC se livre à une figure décidément
très classique, dont le "milieu" psy, entre autres, abuse
inlassablement : l'auto-valorisation par appropriation d'un
vocabulaire typi-quement extérieur.
"Théorique" en effet ( ici parfaitement vide de sens)
renforce tout d'abord par sa simple pré-sence l'autorité
véhiculée par le journal, sur son seul nom : "Revue du PCF"
ou bien "Revue Hebdo-madaire du PCF", par exemple, intimideraient
bien moins que "Revue Théorique du PCF".
De plus, une idée est déjà suggérée : celle qu'il puisse
exister une théorie soutenant les actions et les luttes, les
réflexions et les options, les orientations et les choix, les
préférences et les exclusives, du Parti communiste. (Il y a
longtemps que cela n'est plus évident pour tout le
monde?)
Mais surtout, par le contexte auquel il est habituellement associé,
et par son usage nécessaire-ment répété, "théorique"
suggère que soient superposables, à un certain degré, le
domaine com-muniste (activité, propositions, valeurs, mais
aussi lexique) et celui de La Science .
Pourquoi la Science ? Et pourquoi pas la littérature ? Le sport ? La
coiffure ?
Démonstration : Toute démarche scientifique peut en gros se
ramener à la nécessité d'avoir, in fine, à comparer des
choses comparables. D'où l'absolue et permanente nécessité de
maîtrise du dispositif verbal, par conservation systématique
des significations les plus restrictives, et donc élimination de
tous abus, détournements, licences ou perversions, y compris dans le
cas des élé-ments de vocabulaire empruntés à la langue commune
.
Cette rigueur aboutit à investir tous les mots (et autres modules
linguistiques) assujettis à un tel traitement, d'une véritable
autorité : celle de la science en général, et plus
précisément celle des "sciences exactes" (les mieux identifiées,
et de très loin, comme "scientifiques"). L'emprunt (à la
langue) se trouve alors automatiquement remboursé : gros utilisateur
de ces mots à valeur ajou-tée (et bénéficiant ainsi, pour pas
un rond, de leurs multiples connotations favorables), le préda-teur
partage désormais un petit quelque chose avec La Science ; et les
voilà donc devenus (sur-tout lui) un peu superposables.
Résumé : Surmontant leur handicap par intégration lexicale de
termes prélevés dans le champ scientifique pur et dur, et donc par
pur effet de maquillage, se retrouvent donc discrètement dorés ces
blasons ingrats dont il n'est pas toujours si facile de porter les
couleurs : publicitai-res ; sociologues d'entreprise ; homéopathes ;
inlassables prosélytes de la psychanalyse (et acti-vités connexes)
; phytothérapeutes ; distillateurs de lotions capillaires ;
raffineurs de sham-poing ; écumeurs de crèmes amincissantes ;
bobineurs de cassettes ; entubeurs de dentifrice ; stratèges
communistes du monde entier ; vendeurs de toutes les lessives ;
marchands de tous les cosmétiques, produits de beauté et
d'hygiène, sans oublier les lubrifiants ; propagateurs (enfin) de
toutes doctrines ou théories non démontrables, non prédictibles,
non reproductibles.
LES CHOSES DE LA VIE
"Pouvez-vous venir dimanche à Montfort-l'Amaury, Claude
Sautet voudrait vous confier un rôle dans le film qu'il tourne.
SAUTET, oui, Claude SAUTET, vous savez bien : le metteur en scène ?
!"
En ces termes, un visiteur se présenta presque un an plus tard
comme étant le régisseur de Claude Sautet, metteur en scène dont
effectivement j'ignorais jusqu'au nom.
Et c'est en effet en pleine campagne armoricaine (entre Versailles et
Trappes) que je l'ai ren-contré, assistant par la même occasion,
et pour la première fois de ma vie, à une cascade automo-bile : il
s'agissait du tournage de l'accident, future scène centrale des
Choses de la vie.
Sautet m'explique qu'il doit filmer, dans la transposition du livre de
Paul Guimard, un dialogue entre le personnage principal du film
(Michel Piccoli) et son fils.
Or, ce "liftier" sur lequel s'était attardé longuement
Gérard Sire pour la télévision l'année précé-dente
constituait un modèle réel, vis-à-vis duquel se repérer
: ce qui selon Sautet était bien pré-férable (plus honnête et
moins dangereux, entre autres) à la formule habituelle consistant
à in-venter un personnage de toutes pièces.
Pour les mêmes raisons, il
souhaitait pouvoir incorporer aux dialogues entre Piccoli et son fils
certains des échanges que j'avais eus avec Gérard Sire.
J'allais donc servir à habiller, à concrétiser un personnage de
roman qui n'existait pas dans la réalité, en lui donnant ma propre
cohérence : mes vêtements, mon visage, ma voix, mon cadre de vie
et ma passion iconoclaste pour l'électronique.
Bref, il s'agissait d'animer un individu
fictif.
Pour ce qui est du cachet, je me tirai assez bien d'affaire (du moins
c'est ce que je crus alors).
Les 5 000 francs que je demandai au producteur du film, Ralph Baum (en
évitant cependant de lui préciser qu'une telle somme
représentait un an de mon salaire à L'Express ), me furent
accor-dés sans problème .
Dès après cette rencontre, une équipe de déménageurs
débarqua chez moi, et emporta sur les extérieurs du tournage, rue de
Marignan, absolument tout ce qui pouvait être
déplacé.
L'intégralité de mon laboratoire d'électronique, bien sûr,
mais aussi chaise, lampe, cendriers, des-sus de lit, meccano, ¦uvre
complète de Gotlib, intégrale d'Achille Talon, posters (et
autres indé-nombrables coupures de presse habituellement punaisées
sur mes murs, où que j'habite), filet à provisions, paire de
chaussures traînant sous le lit, bref, la totalité du décor
caractérisant le personnage vu à la télé.
Tournage de la scène :
Piccoli entre dans ce décor transplanté ; il y découvre avec
étonnement/amusement cet éparpil-lement de montages électroniques.
[J'avais évidemment amené pour l'occasion toutes mes
réalisa-tions , mais j'en avais même conçu et réalisé, avec
tout un tas d'enthousiasme, d'autres encore.]
Après quoi, il se met à genoux devant le lanceur aléatoire
(alias "Objet sans objet"), et fait sau-ter la petite bille
blanche dans son appareil ; j'entre (ou plutôt le comédien jouant
ce rôle), et il me demande aussitôt à quoi sert cette espèce
d'appareil.
Le comédien répond :
- ... A rien.
Et Sautet se met à hurler :
- Coupez ! Il n'a rien compris ! C'est épouvantable !
Mes débuts dans la direction d'acteur se révèlent difficiles
; finalement, à force d'explications et à la onzième prise, je
parviens à convaincre le comédien de prendre cet espèce de ton
d'hu-mour à froid, très "anglais" (comme on dit, faute de
trouver une référence plus éloquente), que visiblement Sautet
attendait.
Puis le comédien parvient à réciter in extenso une longue
tirade (extraite du "Liftier" et repro-duite verbatim), sur
les avantages nombreux qui caractérisent un cui-cui d'oiseau
électronique par rapport au bruit d'un vrai serin.
C'est finalement la tolérance généreuse du père Piccoli qui
l'emporte, mais on le devine se sentant un peu largué.
LE FAUX COMME SYSTEME
Ces séances de tournage m'ont fourni la révélation que
d'autres mondes existaient, autres que celui de ma chère vraie
vie (la nôtre), où les valeurs existent pour de bon, où les
événements sont de vrais événements. Dans le monde
éphémère de la comédie (théâtre, cinéma, TV), le
faux est la seule caractéristique commune à toutes choses, et
toutes les choses rivalisent d'artifice : même si une voiture a
l'air neuve, elle est peut-être morte ; même si une femme est
tarte, elle est peut-être jolie.
Cela est tellement vrai que bien souvent, alors que le plan de
tournage ne consiste qu'à procéder à la simple reconstitution
d'une scène authentique (par exemple : un automobiliste
reconnaît dans la rue un de ses voisins, marchant seul sous une
petite pluie fine, et l'invite à monter dans sa voi-ture), le
metteur en scène exige fatalement la mise en ¦uvre d'une violente
et abondante averse, en dépit non seulement du respect des faits à
reproduire, mais aussi des nombreux inconvénients techniques et
pratiques occasionnés par cette humidité pléthorique .
Autre illustration : une équipe d'Antenne 2, venue à mon bureau il
y a quelques années pour enre-gistrer mes commentaires "à chaud"
sur un événement d'une actualité encore toute fraîche,
insis-ta, par la bouche de son réalisateur, pour me filmer assis
derrière mon bureau. Or, 27 ou 28 jours par mois, au moins, mon
bureau n'est constitué que d'un ignoble amoncellement : journaux,
prospectus, dossiers ouverts, livres en tous genres, corbeilles de
classement (empilées en quin-conce et bourrées de magazines ou de
catalogues), bouteilles, verres, compact-disques, vestes et
écharpes, claviers en tous genres, cendriers, tournevis et autres
ciseaux à ongles.
Ma dernière campagne de
rangement remontait à plus de trois semaines, c'est-à-dire que le
fou-toir était au zénith. Dès les premiers essais, le cameraman
fit observer au réalisateur que, mon visage étant cadré au
centre supérieur de l'écra, tandis que le plateau de mon bureau
occupait toute la partie inférieure, le vague effet de désordre
qui se dégageait de l'image rendait celle-ci confuse. Le
réalisateur estima que la solution consistait soit à éliminer tout
ce qui se trouvait sur le bureau (annulant ainsi le désordre), soit
à ajouter suffisamment d'objets (eux-mêmes suffi-samment
hétéroclites et incongrus) pour au contraire renforcer l'effet de
désordre. Cette se-conde solution (bien plus facile à mettre en
¦uvre) fut évidemment retenue, et je récoltai sans difficulté,
dans les bureaux voisins du mien : une chaussure, un blouson, une
poupée japonaise, une clémentine, ainsi qu'un vieux coucou suisse
en panne. Une fois ces trouvailles harmonieusement disposées
par-dessus le fourbi antérieur, les artistes envoyés par Antenne 2
se déclarèrent sa-tisfaits, et l'interview fut tournée sans
autre difficulté.
La morale de l'histoire (et de celle qui la précède) est que le
public récepteur du spectacle n'a pas l'esprit assez disponible, en
tout cas pas assez longtemps, pour parvenir à capter les
éléments annexes d'une scène (ou d'un plan), si ceux-ci ne lui sont
pas lourdement présentés. L'attention du public ne se
fixerait donc pas sur ces détails, qui seraient en
définitive ignorés. Pourquoi donc s'embêter avec un
hydro-générateur de pluie fine, si l'attribut de décor ainsi
obtenu est destiné à ne pas être perçu ? Et pourquoi se priver
du charme folklo produit par un bureau directorial (moi)
particulièrement bordélique ?
Alors, forçons le trait (seule méthode garantie), quitte à
tricher expressément avec la réalité.
DE QUI EST VRAIMENT CETTE
HISTOIRE INVENTÉE ?
Rien n'a finalement
d'existence, dans la comédie, sinon par référence à la
représentation qu'en propose le créateur-démiurge. Et encore, dans
le cas des Choses de la vie, ne peut-on pas (puis-qu'il s'agit
d'un film adapté d'un roman) déterminer facilement dans quelle
mesure cette fonction revient à Sautet, ou si ce n'est pas plutôt
à Guimard qu'il faut remonter .
Ainsi la description de cet état ultime mêlant, avant la mort, les
souvenirs de Piccoli et le présent de l'accident : de qui est-elle
?
Rappel sur cet admirable sujet (indispensable pour ceux qui, n'ayant
lu ou vu ni Guimard, ni Sau-tet, ignorent selon moi plusieurs trucs
importants sur la Mort) :
Éjecté de sa voiture après plusieurs tonneaux, Piccoli gît
dans l'herbe, un peu sonné. Il se réjouit de s'être bien tiré
de son accident, constate néanmoins une grande fatigue, et conclut à
la néces-sité de ne surtout pas s'endormir. Son monologue
intérieur, ainsi que les visions de ce qui lui reste de conscience, se
prolongent, tandis que les badauds l'entourent, que l'ambulance
l'emporte, que le chirurgien opère.
C'est depuis l'intérieur même de sa tête que l'on s'initie à
cette inconcevable solitude : celle du mourant au souvenir final de
tous ceux qui lui survivront.
Halluciné un moment (images de ses amis, conservées du jour de
son mariage : on distingue net-tement le visage des invités, et des
témoins), Piccoli leur découvre subitement de nouveaux visa-ges :
ceux, dramatiques, des policiers arrivés après l'accident.
Mais de qui est donc cette idée épouvantable ?
Mêlant sans cesse présent et passé, il se répète avec
réconfort : Je m'en suis bien tiré, cela aurait pu être
pire, alors que tous, dans l'ambulance, cherchent en vain à
communiquer avec lui qui est déjà seul, ailleurs, mais où ?
Guimard ou Sautet ?
Le problème de la paternité, dans le cas d'¦uvres collectives,
serait-il finalement plus difficile à approcher, dans la
réalité, que dans les petits classiques Larousse ?
QUATRE JOKERS DANS LE JEU DU MOURANT
Je me suis par la suite efforcé de voir et revoir ce film, pas
seulement pour la scène, mais sur-tout pour ce confondant
reportage que Sautet - à partir de Guimard - nous montre : le
méca-nisme de l'agonie, puis ce dernier instant
.
Ses copains, sa femme, qui l'ont poussé hors du petit voilier en
riant, Piccoli dans l'eau qui leur fait des signes d'amitié, puis
qui, par jeu, commence à s'immerger (remontant vite à la
surface).
Et ceux du bateau, qui maintenant ne rient plus.
Le voilier donne l'impression de s'éloigner, - mais peut-être
est-ce Piccoli qui dérive, entraîné par quelque courant. L'image
devient de plus en plus surexposée, et Piccoli, la tête sous
l'eau, qui ne remonte plus.
Je retrouve à chacune de ces séances la niche de mes vingt-trois
ans, avec tous ces objets déjà insolites, mais encore familiers,
et surtout cette inquiétante association que le film établit
ma-gistralement entre mort et folie.
La démonstration que construit Sautet suppose en réalité
plusieurs transitions :
[...agonie] Æ perte de contrôle Æ cauchemar Æ hallucinations Æ
folie Æ extinction de la cons-cience
et souligne, avec des images d'un autre monde (ou d'une autre vie), le
rôle central du cauchemar.
Seul état finalement, dans cette dégringolade en six étapes, qui
ne nous soit pas étranger, le cauchemar est en effet à la portée
de chacun de nous, chaque jour, même si nous avons entendu parler
de tout le reste.
Celui de Piccoli nous interpelle sans ménagements, car, intervenant
après la phase de perte de contrôle (élimination de toutes les
passerelles susceptibles de permettre une communication quelconque),
il pourrait nous laisser espérer le pincement récupérateur, la
sonnerie d'un réveil, ou n'importe quelle autre de ces issues
salvatrices. Mais, complice diabolique de l'incertitude, le
cau-chemar ne connaît que deux fins de partie :
- c'en ETAIT un ;
- ça n'en EST pas un.
Supposons donc que soient tirées à pile ou face les deux
conclusions possibles pour votre specta-cle intérieur. Pile,
gagnant, "tout cela n'était donc qu'un cauchemar" : le
cauchemar lui-même, bien sûr, mais aussi (et surtout) cette
catastrophique perte de contrôle, l'agonie, et tout ce qui avait
déclenché le processus.
Face, perdu. Il ne s'agit pas d'un spectacle intérieur. C'est
L'EXISTENCE. Mon existence.
Ça me fait une belle jambe (je préférerais le cauchemar d'un
d'autre).
Mieux vaut s'attendre au pire, donc. Au point où j'en suis, et si
j'ai bien tout compris le film de Sautet, il n'y en a plus pour
très longtemps à partir de maintenant.
[Nom de nom ! Je viens de me rendre compte qu'avec tous ces trucs à
moi qui se déglinguent un par un, mon espèce d'horloge interne est
arrêtée. Je n'ai plus l'impression du temps qui passe, le temps
n'existe plus pour moi, J'AI PERDU LA NOTION DU TEMPS.]
Alors il n'y en a plus pour très longtemps, peut-être, mais
qu'est-ce que j'en saurai ? Ou qu'est-ce que j'en aurai su ?
S'ils doivent passer encore quatre minutes à scruter mon
encéphalogramme, jusqu'à ce qu'il soit devenu tout plat, ça me
fera peut-être, à moi, l'effet de quatre siècles, ou de 25 000
ans : mon horloge interne ne battant plus, sa période (résultat
d'une sorte de division par zéro) est infinie.
CHACUNE des micro-étapes élémentaires - et elles seront
nombreuses ! - qui devront s'enchaîner jusqu'à obtention d'un
encéphalogramme bien plat prendra donc pour moi donc un temps infini.
Ça y est, j'y suis, je le tiens : J'AI RENCONTRE L'INFINI !
Et l'ensemble du processus prendra donc au total, toujours pour moi,
un immense gigantesque nombre de périodes infinies. L'ETERNITE ça
y est aussi ! J'ai compris ! J'ai compris le principe, j'ai compris ma
douleur, J'AI TOUT COMPRIS !
Et d'ailleurs, je me demande en réfléchissant tout haut si la
séance ne serait pas déjà commen-cée depuis un moment ? [C'est
pour déconner que je dis ça, parce que pour moi, maintenant, les
mots comme «depuis un moment», «commencer», «déjà», je
suis incapable de me faire une seule vague idée de ce qu'ils peuvent
bien représenter. Aussi bien, je pourrais les supprimer de mon
vocabulaire. Mais alors, il faudrait en supprimer une sacrée
quantité !]
Au fond donc, ce qui m'attend, c'est quoi ? Souffrir la mort, il
paraît que c'est ce qui se fait de mieux dans le genre
désagréable, et continuer sans cesse ma décrépitude (je ne vois
aucune rai-son pour que quelque chose se mette à s'arranger
maintenant) : morceau par morceau, souvenir par souvenir, et jusqu'au
moment de l'encéphalogramme plat. La souffrance ultime, en somme, et
cela pendant l'éternité. Eh bien voilà, après l'infini
et l'éternité, j'ai rencontré L'ENFER.
[Quel dommage de rencontrer tous ces jokers au même
moment (et quel moment !), sans même pouvoir le raconter aux copains
!]
Ne manque plus que le Diable. J'ai pourtant été gâté
(l'agonie, la mort, la souffrance éternelle de l'enfer). Il aurait
quand même pu faire un geste.
Bon sang ! Mais c'est bien sûr ! Le Diable, c'est celui qui avait
tiré mon cauchemar à pile ou face.
Et avec Lui, sûr qu'il n'y a pas de deuxième tirage.
°
°
°
DONNEZ-MOI ?
?un instant, tout cela me fait beaucoup d'effet.
[Pas vous ?]
LA VRAIE VIE, REVELEE PAR L'OFFICIEL
Les petites graines lancées en direction de mon ambition
professionnelle commencent à germer ; au bout de quelques mois, j'ai
réussi à faire mes premières piges à L'Express.
Intégré à la Rédaction de par les courses mêmes dont je suis
chargé , je ne tarde plus à m'en sentir partie intégrante, et
cela d'autant que j'ai maintenant des occasions relativement
fréquen-tes de m'entretenir avec Claude Imbert, le Rédacteur en
chef.
J'ai trouvé le rythme tout naturellement, en laissant libre cours à
celui de mes penchants qui je crois me caractérise en exclusivité
: cette stupeur inlassable, cette incrédulité devant tout ce qui
arrive, tout ce qui se fait, même parfois tout simplement ce qui est
; bref, ma manie de dé-couper sans cesse le papier et de rassembler
des liasses de petites bandelettes dont moi seul connais les trésors
cachés m'a permis de gagner ces galons.
Je me suis abonné, tout seul et à mes frais, au Journal
officiel (édition des Débats).
Passionné par ces comptes rendus de sessions (la même fascination,
exactement, pour la politique en action qui avait commencé à
me tenailler dans mon ministère, puis à Détective), je
les dévore comme pâtisserie avec, dans la foulée, les questions
écrites et orales posées par les parlementai-res aux
ministres.
S'y dissimulent des univers inconnus, aux caractéristiques
incroyables et qui me poussent, mal-gré ma timidité devant
les gens célèbres, à aller frapper à la porte de cette
espèce d'être su-prême qu'est à mes yeux le Rédacteur en
chef.
C'est depuis quelques années, seulement, que, fouillant dans telle
ou telle pile dans l'espoir (tou-jours déçu) d'y retrouver la
pièce à conviction dont je vais régaler amis ou visiteurs, je sais
que ces reliefs de notre monde sont des perles rares, et je me vois
sans grand orgueil, sale et pois-seux comme le clebs fouillant dans
ces ordures qui se présentent à lui - où qu'il aille et d'où
qu'il vienne -, y dénichant de ses pattes et de son museau englués
les purs joyaux que représentent à mes yeux ces faits : ils
prouvent, par leur existence même (leur réalité), que
l'organisation appa-remment si routinière et en tous cas tellement
sous contrôle de notre milieu leur permet d'être.
Et ma curiosité est d'autant plus assoiffée de ces poussières
d'humanité que, j'en suis certain , l'on pourrait y discerner
quelque chose comme le vrai substrat qui fait que tout cela finit par
tenir, en d'imperceptibles vibrations qui trahiraient la Vraie
vie.
Persuadé que bien sûr il connaît déjà tout cela, lui, le
plus pro qui est à la tête du plus presti-gieux des
journaux, je lui montre quand même une intervention du député
des Alpes-Maritimes ayant attiré mes coups de ciseaux.
J'y réfléchis depuis plusieurs jours ; n'était la haute qualité
de l'interpellateur (élu du Suffrage Universel direct), de
l'interpellé (ministre du général de Gaulle, une sorte
d'équivalent de Dieu pour l'époque, mais avec les faits d'armes en
plus), et surtout de l'instance (l'Assemblée, celle-là même où
l'on vote la censure, la confiance, le 49-3, le budget, l'amnistie,
etc.) où le dialogue s'engage officiellement, le problème soulevé
relèverait en effet de l'anecdotique avec tendance Clochemerle
très marquée.
Seulement voilà : je ne m'en doute certes pas encore, mais le monde
que nous habitons est très compliqué dans ses règles, et d'aussi
éminents représentants de l'État ne se livrent décidément
pas à des gestes? provocateurs. Ces animaux-là n'ont ni le
goût ni l'esprit à se livrer à des choses non directement
efficientes, bref : blague, canular, acte gratuit, n'interfèrent
jamais avec leur conduite, leur action, ni même leur conception de
la vie !
Coup de projecteur sur un micro drame économique : l'Honorable
Parlementaire "alerte l'atten-tion du ministre de l'Information
sur le scandale qui peut être constaté chaque jour, à treize
heures, à la télévision. L'émission Paris-Club reçoit en
effet des invités (chanteurs, vedettes, artistes, etc.) devant un
décor floral composé de roses, ce qui porte un préjudice
considérable à la profession des horticulteurs d'¦illets."
Voilà donc tous les indices réunis pour un de ces sottisiers
dont Le Canard enchaîné détient la recette nationale.
Le Canard, oui. Mais pas L'Express .
Une génération, cinq chaînes, et quatre-vingts satellites plus
tard, on saura assurément comment il fallait décoder la réaction
de ce lobby provençal (choqué par le plateau vu chaque midi "à
la télé", les choix du décorateur de la rue Cognacq-Jay, le
préjudice porté à la Côte d'Azur).
Pour l'instant, l'¦il levé vers moi, sans hésitation mais sans
non plus l'esquisse d'un amusement dans son regard, Claude
Imbert se déclare intéressé.
L'autre ¦il n'a même pas quitté la pile de dépêches des
Agences laissant attendre une imminente et importante offensive
de la part du Nord-Vietnam. Et, visiblement, il déplore cette sorte
d'infirmité qui lui interdit - tandis qu'il m'encourage - de
continuer à évaluer la situation en Tchécoslovaquie (comme le
lui permettrait sans doute l'examen des notes de son envoyé
spécial Marc Ullmann, retour de Prague).
A la fin du mois, je découvre sous les 450 francs de salaire
de base, un extra de 50 francs libel-lé : piges.
A vrai dire, mes recherches n'ont rien pour rappeler celle d'une
aiguille dans la botte de foin : les parlementaires (principalement
les députés) font preuve d'une imagination, d'une écoute, d'une
prévenance, d'un zèle, qui ont toujours beaucoup ôté au
mérite de mes trouvailles.
Quelques jours plus tard, le député du XIe arrondissement se
signale à mon attention en attirant celle "du ministre de
l'Intérieur sur le problème des nuisances causées aux riverains
du parcours République-Bastille par les manifestations et les
cortèges incessants qui obstruent la circulation et causent de la
gêne exclusivement aux habitants de ce quartier. A titre de solution,
il propose que soit créé dans le bois de Vincennes un parcours
réservé aux manifestations de manière à permettre l'_expression_
des libres opinions sans gêner les riverains...". Ma nouvelle
découverte aura elle aussi l'honneur d'être publiée .
Il ne s'agit décidément que de perles, certes de belle
prise, mais dont la portée est quand même un peu marginale.
Enfin, à deux doigts d'être définitivement étiqueté comme
pittoresque maniaque, je découvre, toujours au hasard du Journal
officiel, que la situation de l'industrie papetière est plus
floris-sante dans certains pays d'Europe que dans d'autres.
Claude Imbert me charge cette fois-ci d'en faire MOI-MEME un article
complet.
Titré "Les riches lisent plus..." l'article sera publié
dans L'Express (sous une signature connue des lecteurs du
journal, bien sûr) : on y découvre sous une apparence finale
vraiment anodine le fruit de dizaines d'heures que j'avais
évidemment trouvé passionnant de consacrer à de monstrueuses
séries numériques (analyse des corrélations entre le nombre de
quotidiens lus dans un pays et le niveau de vie de ce pays).
C'était, enfin, mon premier véritable article de journaliste.
Mais les circonstances ont alors voulu que cet article d'une colonne
un quart marque, outre ce succès, mes adieux à L'Express en
particulier, et à la presse de grande information en
général.
L'ÉCHO DE LA PRESSE ET DE LA PUBLICITE
Peu de temps après, tombant par hasard sur une sorte d'hebdo
dont j'ignorais l'existence, L'Écho de la Presse et de la
Publicité, je découvre avec stupéfaction qu'il existe un
journal trai-tant exclusivement de deux sujets qui me passionnaient
entre tous : la presse, la publicité.
Sa double page centrale, rubriquée "Publirama", reproduisait des
annonces publicitaires (presse ou affichage) qu'un article signé
"Diogène" critiquait de la manière la plus sévère
.
C'était là, je m'en rendais compte en face de cette double page,
le but ultime que je pouvais me fixer : hurler ma haine de la
publicité. Lettre immédiate au directeur de ce journal, lui
proposant mes services pour tenir cette rubrique-là, très
précisément, dès le numéro suivant si
possible.
Il me reçoit le surlendemain.
Le journal occupait un minuscule hôtel particulier, avec
l'imprimerie au rez-de-chaussée et la rédaction au-dessus, dans la
minuscule rue des Prêtres-Saint-Germain-l'Auxerrois, en face du
Louvre. On passait visiblement son temps à tenter de se croiser dans
l'escalier en colimaçon qui lui servait de colonne vertébrale. Mon
futur patron va droit au but, et me demande immédiate-ment si je
sais taper à la machine.
Puis il me donne un formulaire à remplir sur lequel je découvre
une case plutôt brutale : Salaire demandé.
Avec mes difficultés habituelles à me situer face à
l'argent, donc après longue hésitation, j'opte pour une somme de 1
600 francs, qui me semble propre à améliorer encore mon sort de
coursier à mi-temps et qui ne doit pas être excessive pour une
sorte d'éditorial.
Mais la case suivante me force à préciser le Salaire minimum
demandé . (Cette fois-ci, la bruta-lité est vivement
indiscrète.) Après longue réflexion, je me résigne à
répondre : 1 050 francs .
Puis ce personnage, qui visiblement sait ce qu'il veut, me demande de
rédiger un article d'essai.
Mon rêve de journaliste se réalise donc à cet instant précis,
où l'occasion m'est donnée de pren-dre mon style le plus
polémique, le plus pamphlétaire, le plus vitriolé, pour attaquer
quelques-unes des publicités qui occupaient cette semaine-là les
rues et les magazines.
La réponse revint une semaine plus tard, sous la forme d'une
embauche à 1 050 francs .
Ce qui intéressait mon patron devait être le salaire demandé,
allié à l'énergique motivation dont je faisais preuve, ainsi que
cette aptitude à "taper à la machine" qui chez lui
caractérisait spéci-fiquement l'homme de presse (et accessoirement,
comme je le compris vite, le dispensait d'avoir à embaucher une
dactylo). Quant à mes qualités littéraires et
journalistiques...
Je me révélais ainsi, et une fois de plus, un exécrable
salarié, incapable de défendre ses intérêts financiers les plus
élémentaires.
Je devais découvrir par la suite que ce patron de choc entretenait
avec l'extrême droite, dans une certaine mesure, le même genre de
relations que celles qui sont les miennes avec la gauche ou
l'extrême gauche. Il n'avait en effet aucune carte de parti en poche
mais fréquentait de près ce milieu , en épousait les principaux
contours, en avait les mêmes réflexes, les mêmes frustra-tions,
les mêmes nostalgies ; et, pour ce qui le concernait, il en
présentait les caractéristiques les plus enkystées dans ses
rapports avec ses employés.
Ce qui, on le verra, ne m'épargnera pas...
CHAPITRE 5
Stimulation créative.
« Quand Eve voulut un deuxième enfant, Adam
fut très embarrassé car il ne savait pas quel était le geste,
parmi tous ceux qu'il avait faits, qui avait eu pour conséquence
d'engendrer le premier bébé. »
Cavanna.
LA CREATIVITE D'ENTREPRISE
Des techniques, des qualifications, une mise en conditions
spéciales sont-elles nécessaires à une stimulation de la
créativité personnelle ? Et que faut-il entendre par créativité,
"méthodes de créativité" ? Comment tout cela relève-t-il à
la fois de la psychologie individuelle et de l'innovation industrielle
?
Ce mot de créativité, qui semble maintenant sorti de notre
lexique parce que vieilli, était en 1971-1972 bien placé dans le
vocabulaire de l'entreprise, et occupait une (toute petite) place de
ce que l'on appelle aujourd'hui la gestion des ressources
humaines.
Depuis le milieu des années 80, des cabinets spécialisés
proposent aux entreprises, pour la for-mation de leurs cadres
supérieurs, des stages de domination, de sur-domination,
d'énergisation... La mise en situation de survie dans la jungle, un
saut (dans le vide des gorges du Verdon) suspen-du à un élastique,
la marche pieds nus sur des braises ou le rafting sont les
procédés qui paraît-il, en jouant sur l'angoisse que le cadre
développe et doit surmonter, permettent (selon leurs pro-moteurs) de
développer cette fois-ci non pas la créativité, mais
l'"esprit d'équipe". [Perfection-nement individuel, donc, mais
clairement orienté - conformément à la doctrine ambiante depuis
la fin des années Peace and Love - vers le bénéfice de
l'Employeur.]
Notons en premier lieu que, si la capacité d'innovation et de
façon générale la démarche "créa-tive" correspondent à
des mécanismes personnels, relevant du registre intime de
l'individu, elles présentent aussi une certaine importance pour
l'entreprise. Pourquoi ? Parce que - selon un théorème infaillible
propre à l'économie de marché - les produits ne rapportent
vraiment d'argent que dans la première partie de leur vie. Dès la
fin de cette première phase, la concur-rence se développe et le
profit associé à ces produits diminue automatiquement.
Une entreprise doit donc sans cesse créer de nouveaux produits, et
pour cela s'entourer de col-laborateurs à l'imagination
audacieuse.
LE JUGEMENT
DIFFÉRÉ
Osborn avait, entre les deux
guerres, posé dans ce domaine une première règle, dite du
jugement différé, dont la technique du BRAIN-STORMING est
issue. Le brain-storming consiste à proposer une suite de stimulus
à un groupe d'experts qui fournit toutes les idées pouvant lui
venir à l'es-prit, sans aucune censure. On diffère donc toute
notion de jugement liée à l'intérêt, à la rationa-lité, au
réalisme économique ou aux possibilités de mise en pratique de
l'idée qui naît.
L'innovation était alors pratiquée à partir de méthodes
rationnelles. Pour créer, par exemple, de nouveaux produits
concernant la cuisine, on utilisait un tableau à double entrée,
pour porter en abscisse et en ordonnée les différents objets
déjà présents dans la cuisine. Chaque point du plan obtenu
correspond à la combinaison de deux objets, de deux concepts qui se
trouvent associés mécaniquement de manière parfaitement
logique.
Le brain-storming est alors mis en ¦uvre, et un groupe doit se
demander, face à un couple casse-role/réfrigérateur,
donné par un point de la figure, ce que pourrait être une
casserole-frigo, sans porter aucun jugement sur l'idée émise
par tel ou tel, relativement à son intérêt, sa nou-veauté, son
degré de réalisme économique, sa facilité de mise en ¦uvre,
etc. Le brain-storming peut ainsi conduire à l'idée que cette
casserole hybride garderait, après avoir fait cuire les ali-ments,
les restes du repas au frais ; combinaison forcée, donc, de deux
fonctions, adjonction d'une prise de courant... et peut-être de
telles spéculations finiront-elles par déboucher sur une idée
véritable ?
LA SYNECTIQUE
La règle d'Osborn fut améliorée dans les années 1950 par
un autre Américain, Gordon, qui démon-tra l'efficacité d'une
approche plus élaborée, qu'il baptisa SYNECTIQUE, après avoir
réussi à re-censer certains des principaux processus préalables à
la phase de création.
[Osborn, au contraire, ne s'occupait pas de ces processus, mais se
contentait de travailler sur les techniques propres à donner une
chance aux idées naissantes, sans considérer spécialement ce qui
les avait fait naître.]
Gordon proposa des pratiques d'innovation fondées sur l'irrationnel
en introduisant un nouveau concept, celui de L'ELOIGNEMENT. Il faut
aller chercher ailleurs de nouvelles inductions.
Mais comment définir cet ailleurs ?
En creusant les notions de détour, d'indirection par rapport à
l'objet visé.
Soit une poule, un plat de maïs, et un grillage. Un grillage non pas
droit, mais demi-circulaire, non fermé, qui sépare la poule du
plat de maïs. Il ne viendra pas au gallinacé, qui a les yeux
rivés sur le but à atteindre, l'idée de faire le tour du grillage.
Ce parcours obligerait dans un premier temps la poule à
s'éloigner de son plat, et surtout à le perdre de vue, pour
pouvoir l'atteindre dans le second temps. Un chien, au contraire, sans
doute plus intelligent (?), aura certainement l'idée de s'éloigner
pour contourner ce grillage .
Et c'est une vingtaine d'années plus tard, cette
fois-ci en France, que
Guy Aznar, créa-teur du
cabinet SYNAPSE, met en pratique et améliore les
principes de Gordon en faisant travail-ler des groupes.
Pourquoi des groupes ? A mon avis, pour des raisons surtout liées à
l'époque des années 1970, qui attribuait volontiers une plus
grande puissance au groupe qu'à la somme des indi-vidus.
Aznar introduit d'abord une première dose d'un
élément qui pourrait sembler paradoxal (mais ne l'est pas tant que
cela), en posant le principe d'incompétence. Systématiquement,
seront incorporés, dans le groupe de création, des individus qui
ne connaissent rien au domaine dans le-quel doit se situer
l'innovation. (On suppose qu'ils ne sont pas conditionnés par les
habitudes de pensée des spécialistes de la question, donc qu'ils
iront plus facilement batifoler sur des voies annexes, en ne
trimbalant surtout dans ces instants qu'une moindre dose de
culpabilité.)
D'autre part, l'association demandée ne le sera plus par le
croisement mécanique de deux concepts notés sur un tableau à
double entrée : un animateur jouera le rôle central, chargé de
provoquer le plus possible l'_expression_ du groupe, son éloignement
du concept de départ, puis le croisement avec la
réalité.
Exemple de processus aznarien, dans le cas d'une recherche d'idées concernant
l'automobile . Dans un premier temps, on dressera des listes de mots
concernant d'abord de très près, puis de plus loin, la voiture.
Ainsi seront retenus par exemple : essuie-glace,
accéléra-teur, frein à main, boîte de vitesse, boîte à gants,
etc., puis station-service, parking, policier, préfecture,
accident? .
A partir de ces mots, l'animateur, sur un rythme très rapide destiné
à empêcher toute réflexion rationnelle, va proposer ce qu'on
peut se représenter comme une forme de travelling mental,
c'est-à-dire qu'il va suggérer de considérer l'objet d'un autre
point de vue (de beaucoup plus près, ou de beaucoup plus loin),
quitte à tomber dans l'absurde le plus patent. Le meneur de jeu va
donc donner une consigne :
- Examinons la boîte à gants et agrandissons-la.
(Travelling sur la taille de l'objet.)
Et le groupe d'imaginer :
- Elle est comme le coffre arrière de la voiture...
- Elle peut contenir la voiture elle-même...
- C'est un container...
- Et si la boîte à gants était le parking de la voiture,
on pourrait la transporter ainsi...
Après cet éloignement maximum, en recroisant ce champ de
conscience avec le réel, on peut in-venter (ou réinventer) le
concept de trains auto couchettes...
Diminuant la boîte de vitesse, on l'imaginera de la taille d'un
bouton ; on supprimera le levier, et l'on (ré)inventera sans doute
rapidement la boîte automatique .
On produit ainsi des erreurs, des aberrations systématiques, qui
s'avèrent constituer la voie obli-gée pour arriver à des idées
fécondes.
Une autre méthode consiste à projeter des diapositives abstraites.
Une tache jaune sur un fond vert va être combinée avec le mot
essuie-glace et, de nouveau, l'animateur questionne le groupe sur ce
qu'il imagine :
- Et si l'essuie-glace déposait une fine pellicule sur le
pare-brise à chaque passage pour proté-ger du soleil...
- Et si , dit un autre, les fauteuils de voiture
étaient comme les fauteuils d'avion et compor-taient des tables pour
prendre des repas avant de regarder un film...
La difficulté de la méthode résidera dans le retour de
l'irrationnel au champ du réel et c'est là que se situe le rôle
principal de l'animateur.
FILIERE DE LA STIMULATION CREATIVE
En 1971, mon ami d'enfance Botton m'annonce soudain qu'il quitte
la Caisse des dépôts et consi-gnations pour un travail où il va
gagner 500 francs par jour. Le fantasme absolu, si propre à ces
années pacifiques (pouvoir ne travailler que deux jours par mois),
jaillit immédiatement. On n'en-visage pas souvent alors de
travailler plus pour gagner beaucoup d'argent, mais bien plutôt de
travailler moins en continuant à gagner la même somme ?
Engagé dans cette «Caisse», avec une licence de sciences
économiques, comme informaticien (alors qu'il n'avait jamais [JAMAIS]
touché un ordinateur), il avait vite compris qu'il n'avait
rien à faire, et que personne ne le connaissait, ne le
surveillait, ni même ne soupçonnait ses "activi-tés" .
Pourtant, il décidait de changer d'employeur...
Il m'expliqua donc ce nouveau job, tellement plus lucratif... On
réunissait les clients (cadres sup) dans un château. On les faisait
se regarder, se toucher, se caresser la joue, se renifler et on
baptisait l'ensemble "stages de créativité".
Malgré mes doutes, je fus bientôt obligé de convenir que
c'était possible et, qui plus est, que cette pratique se développait
avec les patrons eux-mêmes.
Pour ma part, j'avais été chassé de L'Écho de la Presse et
de la Publicité, inconditionnellement (comme on dit en parlant
de la reddition allemande en 1945). Une conversation, au cours de
la-quelle je mettais la dernière main à la fondation d'une section
syndicale, avait été captée grâce au système d'écoutes,
très évolué pour l'époque, que le directeur aux
nostalgies politiquement suspectes avait mis en place dans tout le
bâtiment.
Il m'avait immédiatement licencié.
Je travaillais comme secrétaire de Rédaction à
Chimie-Actualités, hebdo dont j'assurais la confection et la
fabrication.
Botton me téléphona un jour et me proposa une place (inopinément
vacante) dans un stage de trois jours... Je sautai sur l'occasion,
malgré mes appréhensions à l'idée de bientôt avoir à
cares-ser et renifler d'odieux patrons gras à lard.
UN STAGE
Assis en rond, il nous faut préalablement nous présenter en
choisissant un pseudonyme. Puis on nous demande de nous regarder.
Nous le faisons durant dix minutes, à la suite desquelles la
consigne est précisée. Il s'agit de bien regarder le visage de
l'autre, dans toutes ses imperfections, avec les poils qui
dépassent, les petits boutons, la couperose, bref tout ce qu'il est
plutôt indiscret - donc gênant - d'observer dans la vraie vie.
De fait, le malaise s'installe avec une parfaite efficacité chez les
participants. Se succèdent alors des activités de dynamique de
groupe qui font monter progressivement une angoisse géné-rale, une
tension de plus en plus épaisse ; l'ambiance est cassée de temps
en temps par d'autres genres d'exercices comme celui qui consiste à
monter sur une table pour se laisser tomber dans le vide, les yeux au
plafond, en ne comptant que sur les huit autres participants (ceux-ci
ne levant leurs bras qu'au tout dernier moment) pour vous recevoir
comme sur un matelas...
L'après-midi du deuxième jour, une fois le sommet de la tension
atteint, le meneur de jeu pro-pose de trouver des idées.
On va maintenant considérer l'essuie-glace sous l'angle de sa
matière, de sa dynamique, de sa couleur, et les membres du groupe sont
enfin priés de phosphorer à partir des éloignements
pré-conisés par Gordon. Enfin soulagé de n'avoir plus à observer,
sentir, toucher, et à être observé, senti et touché, chaque
membre du groupe déchaîne son imaginaire sous la forme d'une
intense activité verbale.
Pour ma part, je me révélai immédiatement intarissable .
UNE POSTÉRITE
DOUTEUSE...
De ces groupes sont issus
deux types de phénomènes, l'un éphémère et inoffensif,
l'autre d'un intérêt économique permanent, et très
antipathique.
D'une part, des stages de bio énergie, de dynamique de groupe, de
gestalt, etc., menés par les psychologues, ont attiré à
cette époque une clientèle importante mal à l'aise dans sa peau,
et ce en raison des aspects particulièrement gratifiants sur le plan
relationnel des activités proposées.
Ajoutons que la composante affective entre les participants du groupe
pouvait se développer à un point tel que la créativité, elle,
en était oubliée... Danger du travail en groupe dans de pareilles
conditions : on se gratifie comme des fous , mais on ne "crée"
plus.
L'autre phénomène, plus douteux, né de ces techniques de groupe
consiste en l'émergence d'études (opinion, comportement, etc.)
dites «qualitatives».
Par opposition aux approches classiques, dites «quantitatives»,
fondées sur l'étude d'un échantil-lon important de population,
celles-ci n'ont besoin que d'un nombre très restreint de sujets, car
elles postulent que les processus observés, se situant dans des
couches très profondes de notre système référentiel, seront
les mêmes sur dix personnes que sur mille (et donc que sur
cin-quante-cinq millions).
Leur organisation générale est la même que celle des techniques
de créativité. A des membres réunis dans une salle, on demande
de trouver des idées sur un produit au cours de séances de même
nature.
Mais, ici, il ne s'agit que d'enregistrer (à l'aide de caméras et
magnétophones cachés) les réac-tions des sujets et de soumettre
celles-ci à des «psychologues» . Ceux-ci, à partir des bandes
ainsi obtenues, au cours de la phase (pompeusement) dite
d'"analyse de contenu" dégageront les pulsions les plus
profondes associées au produit évoqué lors de la séance dans
un but de produc-tion de publicité, voire de marketing (donc plus en
amont, encore, dans le cycle de communica-tion/création).
La publicité, qui, à l'école américaine, c'est-à-dire depuis
une vingtaine d'années, ne considère plus comme nécessaire de
transmettre un message et ne cherche donc, dans sa phase
d'élabora-tion, que des mots (parfois représentés
eux-mêmes par des images) susceptibles d'être trans-mis avec
profit à son public, a trouvé là un outil
performant.
Ces techniques, si elles ne permettent pas de résoudre des
problèmes donnés, si elles ne relèvent donc pas à proprement
parler de ce qu'en anglais on appelle PROBLEM-SOLVING, peuvent tout à
fait servir à fournir, outre des idées de produits nouveaux, des
mots (ou des images) à associer à ces produits en vue de futures
campagnes.
Éventuellement donc, ces techniques de création peuvent être
utilisées pour favoriser la diversi-fication d'une entreprise (si
celle-ci se demande explicitement ce qu'elle pourrait bien fabriquer
de nouveau).
Mais, dans la majorité des cas, on ne cherchera bel et bien qu'à
trouver les mots les plus at-tendus par le public.
Quant aux membres du groupe, si d'aventure ils avaient cherché
réellement à créer, ils auraient découvert peut-être (avec
dans ce cas le sentiment d'avoir été les dindons de quelque farce)
que seule la somme de leurs attitudes corporelles, de leurs gênes,
de leurs émotions, ainsi que le vo-cabulaire spécifique avec
lequel ils s'étaient exprimés avaient été exploités. Et
c'est finalement ce matériau que des «psychologues», dans leur
analyse, utiliseront pour proposer des éléments de futurs messages
publicitaires , ou bien, encore et surtout, pour faciliter la
commercialisation de nouveaux produits.
Sans vouloir à tout prix couper les cheveux en quatre, il faut bien
constater une double trompe-rie :
- trompés, les membres du groupe qui s'imaginent être
invités pour leurs qualités créatives, et donnent le meilleur
d'eux-mêmes alors que l'enjeu est ailleurs... ;
- trompées, les cibles de cette publicité qui n'inocule, en
fait de message, que d'obscurs affects (souvent peu ragoûtants)
résidant de longue date au fond de leur inconscient.
Détestable contraste, donc, entre l'ingéniosité du dispositif
mis en place pour développer notre créativité (activité noble
s'il en est) et l'application mensongère, clairement régressive,
qu'en récupérait cyniquement la pub, et surtout le marketing. J'en
ai conservé une profonde aversion pour le mensonge sous toutes ses
formes ainsi qu'une méfiance systématique envers tous les
dis-cours qui se trouvent être réversibles (ou inversibles), dans
lesquels on peut remplacer un mot par un autre, voire par son
contraire sans bouleverser quoi que ce soit de la cohérence ou
même du sens.
L'application de la psychologie aux techniques de créativité me
gênait moins. On était souvent dans le charlatanisme parfait, mais
certains des animateurs faisaient montre de qualités humai-nes
remarquables, et d'aptitudes (pas du tout évidentes) à tenir un
groupe.
Le résultat de ce stage fut immédiat : je décidai le soir du
troisième jour de quitter mon job pour m'adonner sans retenue
aux délices de la création illimitée.
Mais, déjà pourvu d'un emploi et désormais habité par le
projet de fonder une "société de créa-tion d'idées", ce
choix supposait d'une part de quitter ce travail, et d'autre part de
rassembler les fonds nécessaires à la constitution d'une
entreprise...
SE RENDRE
INDÉSIRABLE
Autant je m'étais fait
licencier contre mon gré de Détective, sans avoir réussi
à me faire licen-cier du ministère du Travail, autant cette
fois-là mon inspiration eut l'occasion de s'épanouir en un
procédé efficace, et, ce qui ne gâte rien, d'une moralité
inattaquable.
Je travaillais depuis trois ans, donc, comme secrétaire de
rédaction.
A ce poste, on rassemble la copie , on se procure les photos, puis on
les recadre, on réalise la maquette du journal ; mais on corrige
aussi les articles, avant de leur donner un titre... le tout, au
rythme imperturbable des semaines
Le travail dans un hebdomadaire présente une caractéristique
particulière, qu'on ne rencontre dans aucune autre rédaction : à
chaque jour de la semaine correspond une tâche particulière, qu'on
retrouvera la semaine suivante, au même jour et à la même
heure.
Quant au Rédacteur en chef adjoint, Daniel Vernet, il passait sa
journée à feuilleter Le Canard enchaîné,
Charlie-Hebdo, le Financial Times, etc., le tout avec l'air
de s'ennuyer profondément à ces lectures. Vers 17 h 30, le portier
de l'immeuble lui signalait par téléphone la présence de sa
femme dans le hall (et par conséquent le moment de rentrer dans ses
foyers). "Dites-lui qu'elle m'attende cinq minutes",
bougonnait Vernet.
Il enfonçait alors une page
blanche dans sa machine à écrire, et se mettait à taper une
article de sept à huit feuillets. Après quoi, il le relisait, le
corrigeait, et me le donnait, après y avoir inséré lui-même
les intertitres, les notes, sans oublier les tableaux de chiffres et
références documen-taires.
A 18 h 30, pas plus tard, il rejoignait Marie-Thérèse, tandis que
je n'avais qu'à expédier tel quel son article vers l'imprimerie.
Rien à jeter, rien à corriger, tout bon. Et même, c'était
écrit.
C'est au contact de cet incroyable professionnel que j'ai pigé ce
qui me séparerait pour toujours d'une grande carrière de
journaliste.
[La suite m'a amplement donné raison : c'est - tout simplement -
du Monde que Vernet est allé dans les années 80 diriger la
Rédaction.]
La compagnie d'éditions dans laquelle nous travaillions venait
d'inaugurer une imprimerie au lan-cement de laquelle j'avais pris
toute ma part (c'est-à-dire que j'en avais essuyé avec
enthou-siasme les plus gros plâtres, y séjournant parfois des
nuits entières, jusqu'à ce que mon journal sorte, en raison de
l'organisation résolument catastrophique de cette lourde
machine).
C'est de cette expérience que je tirai l'idée d'envoyer à la
direction générale une lettre exposant mon analyse des problèmes
auxquels était confrontée la société ainsi que mes
propositions de restructuration pour l'ensemble du groupe de
presse.
Le groupe comprenait une trentaine de journaux, chacun d'eux employant
une dizaine de person-nes, et la direction était bien sûr
profondément indifférente à mon opinion quand elle reçut cette
proposition de nouvel organigramme qui déplaçait les individus,
changeait les structures, embau-chait, fusionnait les titres,
licenciait, diversifiait ses activités par croissance externe,
etc.
L'efficacité fut totale. Après deux ou trois lettres je fus
convoqué à la direction du personnel.
En substance, on avait bien
reçu mes courriers. Mais le pilotage d'une grosse entreprise était
une chose fort délicate ; je pouvais bien sûr quitter la
société, et d'ailleurs je n'avais qu'à signer cette lettre de
démission par laquelle j'acceptais 15 000 francs d'indemnités
de licenciement.
Affectant la plus vive
surprise, je fis néanmoins observer que les calculs auxquels,
incidemment, j'avais pu me livrer au cas où, m'avaient amené à
un résultat de 27 000 francs.
La lettre fut retapée dans
l'instant, le chèque rédigé et je fus immédiatement
licencié. Dehors, sur le trottoir.
Il suffisait donc d'atteindre la direction générale de
l'entreprise dans ses prérogatives fonda-mentales, en feignant de
prendre sa place.
J'étais, me plaçant au niveau de la direction, devenu l'homme à
supprimer toutes affaires ces-santes, ce qu'exactement je cherchais à
être.
°
°
°
INNOVATRON
20 000 des 27 000 francs formèrent donc le capital initial d'une
S.a.r.l. dédiée à la formation d'idées, INNOVATRON (INNOVA
de Innovation et TRON au sens de "machine à...",
sens auquel s'ajoutait incidemment une certaine connotation
électronique ).
Nombreux sont ceux qui, vivant déjà de ces techniques, soit dans
une optique publicitaire, soit dans une optique psychologisante, ont
dû rire de ma naïveté à imaginer que des idées pouvaient se
vendre...
Mais on n'y peut rien : une dose de naïveté accompagne
immanquablement la création de toute chose, y compris d'une
société (et surtout celle de sociétés de créativité).
ILLUSION DU PREMIER CLIENT
(PREMIÈRE)
Je disposais d'ores et déjà
d'un portefeuille-clientèle, gros d'un prospect. Celui-ci cherchait
des idées directement applicables dans la publicité (la petite) :
il s'agissait d'imaginer des moyens de présenter des meubles.
La principale difficulté était néanmoins que, mis en situation,
je me montrais un animateur lamen-table. Être au milieu d'un groupe
de huit ou dix personnes qui attendent tout de vous, et animer ce
groupe des heures durant, cela ne correspondait ni à mon
caractère, ni surtout à mes ta-lents .
Pas de problème cependant, le client fut royalement servi. La liste
d'idées, de thèmes, d'accroches et de formules que je lui fournis
était impressionnante. C'était quelqu'un qui avait l'avantage
immense de m'employer pour la première fois qui se trouvait en face
de moi, tout comme le Rédacteur en chef que j'avais fréquenté
à Détective : je donnais tout ce que je pouvais
donner.
Et mon client fut bien sûr
enthousiasmé par mon travail...
Un phénomène tout à fait déroutant qui se manifeste dans le
lancement d'activités nouvelles, à mon avis quelle que soit leur
nature, est celui de l'enthousiasme du premier client. Ce
phénomène pervers tend en effet à donner l'illusion qu'existe
derrière lui une quantité d'autres clients, tous prêts à passer
commande dès qu'on les contactera.
Or, le premier client est souvent déjà intéressé (par
le produit ou la prestation) et prêt à ache-ter un peu n'importe
quoi (généralement à n'importe quel prix) : Il faut donc se
représenter ce-lui-ci comme un client déjà gagné. C'est
après lui que les difficultés commencent réellement, et que
l'on entrevoit (parfois trop tard) le contexte REEL dans lequel
l'activité s'exercera.
Solliciter des capitaux, extrapoler des résultats futurs à partir
de ce premier client tient de mécanismes hallucinatoires... On ne
touche en premier lieu que des clients qui existaient déjà en tant
que tels avant la création de l'entreprise ou du produit
(donc totalement atypiques, et ne représentant en aucune façon le
"marché").
De plus, dans ce type d'activité, ce que demande le client à
venir, ce sont des références, tou-jours plus de références,
et le fait d'avoir déjà pu vendre des idées à un marchand de
meubles ne prouve pas une prédisposition particulière à être
utile à un fabricant d'aciers spéciaux.
On doit s'épuiser en propositions, comme le fait un consultant, mais
tout aussi simplement un voyageur représentant de commerce qui doit
sans cesse prouver que son produit est bon, puis tenter de convaincre
un nouveau client avec les mêmes arguments et la même
stratégie...
Le traitement de texte n'ayant pas encore été inventé, ce
métier de consultant qui consiste à rédiger proposition sur
proposition, projet sur projet, en changeant un mot ou une phrase à
cha-que fois, était alors d'une lourdeur impressionnante , le tout
réclamant les qualités d'endurance et de persévérance d'un
véritable Sisyphe.
Faut-il ajouter que les principes d'incompétence, d'inexpérience
que je défendais n'étaient en rien recevables par mes clients
éventuels, car bien trop paradoxaux...
LE MUR DU N.I.H.
Le fait est que les solutions offertes par Innovatron, riches en
idées, en nouveauté, en créativi-té, ne rencontraient pas de
problème à résoudre.
Les entreprises regorgeaient déjà d'idées nouvelles, et je me
heurtais surtout à la loi fondamen-tale du NIH, qui conditionne dans
ses couches les plus profondes toute la problématique de
l'in-novation dans l'entreprise ou tout autre milieu clos.
Ce principe, qui marque du sceau Not Invented Here toute
idée d'origine extérieure à l'entre-prise pour la freiner, la
faire disparaître si possible, est un des freins certainement les
plus puis-sants à l'innovation.
L'exemple le plus frappant de ce principe de fonctionnement me fut
fourni par Radio-France. Je reçus commande d'une recherche
d'idées sur le thème nouvelles émissions de radio,
nouvelles façons de faire de la radio.
Personnellement passionné - et depuis toujours - par ce média, mon
rapport final avait fini par comporter trois cents fiches d'idées
nouvelles (émissions, thèmes, styles, journal, axes de dé-bats,
interviews, principes de jeux, enchaînements, jingles, etc.) en
grande majorité abordables et applicables, résultant elles-mêmes
d'un tri effectué sur environ huit cents idées.
Aucune à ce jour n'a jamais été appliquée.
Même dans le cas où un chef d'entreprise décide la mise en
¦uvre d'une innovation d'origine ex-terne, et s'y engage sous sa
signature, les exécutants internes, eux, ont le plus souvent
tendance à ne s'y mettre qu'à contrec¦ur. Je faisais la vexante
expérience de cette loi cruelle aux inven-teurs.
Je n'ai réussi en fin de compte à travailler que pour cinq ou six
clients, finissant l'exploration de cette voie avec quelques
créanciers .
°
° °
Innovatron s'établit en janvier 1973 et les brevets de la carte à
mémoire seront déposés en 1974-1975.
Entre son invention et sa première réalisation s'écouleront
encore une demi-douzaine d'années.
COMMENT VIENT UNE INVENTION [PREMIERE]
Ma première invention du
temps d'Innovatron est antérieure de quelques mois à la naissance
de la carte à mémoire : c'est d'un procédé de télécopie
qu'il s'agissait.
Au moment où les premiers appareils fax apparaissaient en
Europe (1973), je m'attaquai avec toute la fraîcheur indispensable à
la conception d'un système plus rapide que les autres.
Comment aborder le domaine ? La première tâche avait consisté à
me représenter ce que devait être la transmission d'une image.
Une image est composée, sur une feuille, de points noirs et de
points blancs.
A chaque fois qu'il y a un point noir sur la feuille que je veux
télécopier, une micro-gouttelette d'encre est projetée sur le
papier blanc chez le destinataire. Pour fixer les idées, supposons
qu'il y ait sur une feuille standard environ 1 500 points sur 2 000 :
c'est donc un total de trois millions de points qu'il faut définir
sur la télécopie, et par conséquent transmettre les uns
après les au-tres.
Le second temps relève de la prise de conscience. On réalise avoir
raisonné jusque-là en termes quasi manichéens, organisés
autour de la notion de symétrie, symétrie de l'ordre blanc
et de l'ordre noir. Bref, on a toujours vu ces points comme relevant
de la même logique, mais de deux manières opposées.
Amusons-nous alors à calculer la surface totale occupée par
l'encre noire sur une lettre commer-ciale.
A notre grande surprise, celle-ci représente moins du centième de
la surface du papier (et par conséquent, du blanc). Cela indique
déjà que la représentation en termes de symétrie est
trom-peuse.
Par analogie, supposons maintenant que l'exploration de la page à
télécopier soit faite par une voiture, qui parcourt tous les points
blancs et noirs et envoie à l'autre bout de la chaîne, à la
ma-chine du destinataire, les consignes pour injecter l'encre... Que
fait cette voiture ? Elle parcourt des points blancs, encore et encore
des points blancs puis une courte zone noire. Suivent des points
blancs, surtout d'immenses zones blanches, puisque le blanc est
majoritaire sur la feuille, comme sur toute page imprimée.
Alors, l'idée jaillit : au lieu de donner des successions d'ordres,
un pour chaque point, en indi-quant s'il est noir ou blanc, remplacer
les ordres qui commandent individuellement d'imprimer des points
blancs par la mesure du temps pendant lequel l'instruction
"blanc" doit être maintenue.
L'économie du nombre d'ordres devrait être impressionnante, et on
passerait certainement de 20 minutes (temps nécessaire à
l'époque pour une télécopie) à moins de 40 secondes. (Je fis
bre-veter cette idée, mais elle n'eut pas de suite, d'autres
événements se bousculant bientôt.)
L'ILLUSION DU PREMIER CLIENT [DEUXIEME]
Un riche héritier, qui se cherchait des domaines actifs où
investir ses fonds, me fut alors pré-senté par Robert Boublil
.
Ne sachant où investir, et peu soucieux d'affronter une concurrence
économique sur un secteur déjà établi, il me demanda quels
secteurs neufs pouvaient se révéler féconds.
J'étais pour ma part arrivé à la conclusion, après avoir fait
fonctionner mes "méthodes" sur son cas spécifique, que la
location d'outils dans une boutique spécialisée, qui devrait
permettre en-suite d'ouvrir une chaîne de magasins, correspondait à
la définition qu'il avait formulée de son problème, et je lui
suggérai cette voie.
Je ne le revis que trois mois après, pour apprendre qu'il avait
légèrement amendé mon idée, et choisi en définitive d'ouvrir
non pas une boutique de location d'outils, mais plutôt un restaurant
.
Mille mètres carrés porte Champerret : il n'avait en tout cas pas
mégoté. En fait, la (courte) suite des événements ajouta
encore quelque charme à cette mésaventure : le jour de
l'ouverture, après donc que l'établissement eut été
convenablement agencé (plusieurs millions de francs), l'affluence
(plusieurs centaines de personnes) fut telle que, pour faire face à
l'abondante de-mande, il fallut acheter précipitamment auprès des
bouchers, épiciers, et traiteurs du quartier beefsteaks,
légumes et ¦ufs-mayo, avant de pouvoir les refacturer (évidemment
à perte) aux convives du restaurant tout neuf.
Le lendemain, contre toute
espérance et en dépit d'achats massifs cette fois-ci, la
clientèle se stabilisa aux alentours d'une dizaine de personnes, ainsi
que les jours suivants.
Après enquête, une explication toute simplette put être donnée
de cette grandeur (éphémère) et de cette décadence (finale) :
le jour de l'ouverture avait aussi été jour de grève de la part
du personnel de cantine dans une très grande compagnie d'assurances
qui faisait face au restau-rant ; cette grève n'avait duré qu'une
journée, zénith du restaurant?
Là aussi, le vertige du premier client avait frappé.
L'INVENTEUR (PORTRAIT-ROBOT)
Je tirais peu à peu les enseignements de ces diverses
expériences et, en particulier, je me mis à entrevoir ce qui devait
pouvoir caractériser un inventeur, c'est-à-dire en principe, moi
:
1°/ Ce n'est pas un spécialiste. Il peut avantageusement venir
de l'extérieur du sujet. (Pour moi, à l'époque,
venant de nulle part, ce n'était pas difficile ; je n'étais pas un
scientifique au sens ha-bituel , pas même un ingénieur qui
connaîtrait tout un domaine de l'électronique.)
Que fait-il ? Il réunit deux machins qui existent, c'est-à-dire
entre lesquels il CAPTE ou IDENTIFIE une liaison cachée (et ce en
dehors des habitudes mentales auxquelles tout le monde - et a
fortiori le spécialiste - est dressé).
Avoir une idée nouvelle c'est, nous l'avons vu, rassembler deux
choses qui n'avaient pas été ré-unies avant (du moins dans la
tête de l'inventeur).
2°/ L'inventeur en activité est en proie à une excitation si
toutefois la confrontation avec un spé-cialiste n'a pas pour effet
de modérer son excitation (et donc ne diminue pas les capacités
inven-tives ).
Fébrilité totale à aligner les caractéristiques de l'idée et
à en repousser les inconvénients ou les impossibilités.
Cette excitation est génératrice de foi à soulever les
montagnes, phénomène de la plus haute importance dans la
problématique (méconnue) de la mortalité péri-natale des
idées.
3°/ L'inventeur sera plutôt électron libre que modèle de
stabilité sociale. Contremaître chez Renault, huissier à
Roubaix, viticulteur en Languedoc ou chef du personnel à la Sécu,
il lui serait sans doute plus difficile qu'à un autre d'abandonner
son travail, de fonder une entreprise à ris-ques (etc.), et il
pourrait aussi tout simplement être un peu trop fatigué le soir
pour agiter ses neurones après huit heures de travail.
4°/ Il doit être prêt à s'investir et à investir pour
protéger son invention. Déposer une demande de brevet, la
défendre, cela coûte de l'argent qu'il faut avoir, ou être capable
de trouver. (Il doit normalement passer à l'expérimentation ; mais
l'invention n'implique pas nécessairement, dans certains domaines,
d'aller plus loin que l'exposé du principe.)
[Ainsi mon invention sur la télécopie s'est-elle arrêtée
au stade de la description sur papier officiel : le fait est que se
cantonner à une description théorique, sans oser même déposer
une demande de brevet, révèle à tout le moins qu'on ne se
mouille pas, ce qui va évidemment à re-bours de ce que l'inventeur
doit à tout prix s'efforcer de démontrer.)
5°/ Il doit trouver des partenaires financiers, qui se
révéleront vite indispensables à l'avancement du projet.
S'il a une idée, il n'a pas forcément les moyens (financiers ou
logistiques) de son idée ; donc il doit trouver, puis convaincre,
d'éventuels bailleurs de fonds que son idée vaut le risque d'un
investis-sement, permettant dans une première phase sa
MATERIALISATION (modèle, puis maquette, puis prototype) et plus tard
son éventuel développement.
C'est dans cet ensemble de problèmes que je me trouve soudainement
plongé quand vient au monde l'idée de la carte à mémoire,
processus qui, vu avec le recul de quinze années, apparaît comme
une illustration exemplaire de ces quelques règles, dont on aura
compris que je les consi-dère comme plate-forme minimale de
lancement.
COMMENT VIENT UNE INVENTION [DEUXIEME]
Étape n°0 : imprégnation véritablement fébrile, liée à
une exploration systématique de ce ter-rain encore tout
nouveau, et encore à peine défriché, de la logique
électronique.
Contexte : c'était à la fin de 1970 que j'étais parvenu à
faire fonctionner une machine capable d'additionner , à laquelle
j'avais progressivement ajouté les deux autres opérations, avant
le point d'orgue majestueux de la division, soit au total une
véritable "calculatrice quatre opéra-tions" entièrement
câblée, pour environ 1 000 francs de composants et cent heures de
fer à sou-der.
Malgré une fierté à faire péter tous les clignotants de
la bienséance, je me sentais évidem-ment incapable de rationaliser
la chose jusqu'au point de la rendre industrialisable. Mais je lui
supposai néanmoins un intérêt minimum comme kit pour
monteurs & bricoleurs.
C'est auprès de Texas Instruments que je pris le risque d'explorer
cette piste, tentant à mi-mots d'avoir une conversation avec
un homme de marketing sur ce genre de possibilités, les perspectives
offertes, l'état d'avancement des travaux chez "les grands" sur
le sujet, etc.
Mon interlocuteur parvint sans difficultés à me faire lui exposer
complètement mon idée? après quoi il me révéla avec une
ironie discrète le douloureux scoop propre à me faire redescendre
de l'Olympe : présentation mondiale par Texas, la semaine suivante,
au prix de 1 300 francs, de la première calculatrice individuelle
quatre opérations.
Très frustrante, cette brève aventure m'avait cependant apporté,
au moins, deux enseignements de première importance que la suite
n'allait pas tarder à démontrer et que je n'aurais certes pas pu
aller chercher ailleurs :
- un inventeur isolé pouvait mener un projet concurrençant
une organisation telle que celle de T.I. ;
- dans une affaire de ce genre, deux années au moins
séparaient l'idée de sa commercialisation.
Deuxième temps : découverte (dans un magazine), des mémoires
intégrées «à haute capacité» (1024 bits ), ou plutôt de
leur existence jusqu'alors inconnue (de moi).
Les mémoires électroniques sont facilement représentables sous
la forme d'un damier dont cha-que case contient une information
élémentaire ou "bit".
Dans le cas d'un damier, ou tout simplement de la bataille navale, on
peut définir chacune des cases en nommant la colonne et la ligne à
l'intersection desquelles elle se trouve.
Un système de tableau à double entrée de ce genre peut rendre
compte de la manière dont une mémoire électronique fonctionne
:
Pour 1024 bits, 64 fils de commande sont indispensables au repérage
de toutes les cases de la mémoire (32 lignes fois 32 colonnes = 1
024 cases).
En activant donc deux fils, l'un (en abscisse) désignant une colonne
parmi 32, et l'autre (en ordon-née) désignant une ligne parmi 32,
on pointe donc une case (opération d'adressage), dont on peut alors
:
- consulter le contenu (cycle de lecture),
- forcer le contenu (cycle d'écriture), c'est-à-dire
inscrire un bit (de valeur Ø ou 1), indépen-damment du contenu
antérieur de la case.
Des mémoires effectivement équipées de ces 64 fils seraient en
pratique difficilement manipula-bles, et ne pourraient finalement
être mises en ¦uvre que dans des appareils extrêmement
en-combrants. C'est pourquoi on a de longue date incorporé à ces
mémoires une logique dite de déco-dage d'accès permettant de
réduire le nombre de fils de commande à DIX .
Réfléchissant dans un troisième temps à la possibilité
d'utiliser de telles mémoires comme sup-port de
référence, je suis obligé de constater que, sur un mot
donné (lui-même formé de plu-sieurs bits, par exemple 4), une
information enregistrée, telle que 0101 (soit CINQ en langage
décimal), pouvait à tout instant être modifiée, par exemple en
transformant le troisième bit (à partir de la gauche) de 0 en 1
(soit 0111, ce qui transforme l'information CINQ en SEPT), ou en-core
en transformant le quatrième bit de 1 en 0 (soit 0100, ce qui
transforme l'information CINQ en QUATRE).
Dans un quatrième temps donc, je me concentre sur la recherche de
moyens capables d'empêcher la modification ou la lecture d'un ou
de plusieurs mots déterminés (par conséquent des mots à
statut particulier, plus ou moins intouchables) contenus dans
la matrice.
Je lance le grand jeu, c'est-à-dire que je procède à la mise en
¦uvre (parce que c'était décidé-ment une de mes
préférées) de la méthode d'éloignement par travelling mental
:
Dissection de la
mémoire.
Celle-ci est constituée :
- d'une matrice de stockage des informations ;
- d'une minuscule intelligence permettant le décodage
d'accès .
Grossir ou réduire la matrice ?
?Je ne vois pas ce que cela change.
Réduire l'intelligence ?
?Difficile, car celle-ci n'est déjà qu'embryonnaire.
Renforcer l'intelligence ?
?Lui dédier presque tout l'espace de la puce, et donc le
rôle principal ?
Quel rôle spécifiquement, immensément intelligent ?
L'intelligence, c'est paraît-il l'adaptation : nous y voilà. Un
composant servile (lisant quand et où on lui demande de lire,
écrivant quand, où et ce qu'on lui demande d'écrire), incapable de
s'adapter à la situation qu'implique mon problème : une
situation plus complexe il est vrai que celles caractéri-sant
le train-train quotidien des mémoires ordinaires, puisqu'il s'agit
en l'occurrence de respecter non seulement les ordres reçus, mais
aussi de CAPTER le statut particulier (jusque-là ignoré) des
"mots intouchables".
Ignoré, ce statut l'est effectivement, en l'absence de tous
organes spécifiquement chargés de sa détection. Il convient donc
de combler ce vide, en concevant des moyens logiques propres à
dé-terminer si (de par leur localisation, leur contenu, ou autres
caractéristiques) tels mots ou sec-tions de la mémoire sont ou
non accessibles (c'est-à-dire inscriptibles ou même
lisibles). L'évaluation de la situation obtenue à l'issue de ce
traitement correspondra bel et bien au sta-tut
recherché, et sera aussitôt exploitée par un organe préposé
à la supervision des commandes :
- empêchant la lecture du mot si celui-ci est réputé non
lisible ;
- empêchant toute écriture du mot si son statut est non
inscriptible.
Véritable chien de garde de la mémoire, l'ensemble du
dispositif sera donc finalement caractéri-sé, selon les
différents cas de figure, par une action d'inhibition :
- sur un mot à lecture interdite, les ordres de lecture
provenant de l'extérieur seront inhibés, et par conséquent ne
produiront pas d'effet ;
- de même, sur un mot à écriture interdite, tous ordres de
lecture (lecture d'un 0 ou d'un 1) se-ront inhibés, donc de la
même façon non suivis d'effet ;
- enfin (mais cela va sans dire), sur les mots dépourvus de
statut particulier, les ordres d'écriture/lecture seront acheminés
sans obstacle ni embûche.
En résumé, et à la hache : une mémoire ainsi agencée ne se
laisse pas faire, au contraire de ses cons¦urs dépourvues de
moyens inhibiteurs, qui obéissent à tous ordres reçus sans
se poser de question ni faire leur mauvaise tête.
Cinquième temps : essayant alors une dizaine de schémas possibles,
j'en identifiai quatre remplis-sant exactement les différentes
fonctions souhaitées, tout en ne recourant qu'à un minimum
d'organes logiques.
Recroisant enfin ce principe avec la réalité, je pouvais
désormais prendre le pari que mes "moyens inhibiteurs" seraient
facilement hébergés sur la puce, à l'intérieur de la zone
logique chargée du décodage d'accès.
Épilogue : cette première séquence de l'aventure de la carte à
mémoire ne s'acheva (à mes yeux) qu'avec la réalisation en
composants «discrets» d'une maquette concrète, fonctionnelle ,
maté-rialisant bel et bien l'idée .
MEMOIRE ELECTRONIQUE, MEMOIRE HUMAINE :
UNE SIMPLE HOMONYMIE
Ces références permanentes aux mémoires, exigées par le
propos même, rendent indispensable de souligner, ici par exemple, à
quel point, et par deux aspects au moins, les mémoires dites
"d'ordinateur" ne peuvent en rien être rapprochées de la
Mémoire (la nôtre) : leurs principales caractéristiques sont
(et resteront sans doute) strictement inconciliables.
1) Dimensions du contenant
Autant on doit se contenter de la capacité (exprimée en
kilo-octets ou méga-octets) caractéri-sant l'espace de stockage
d'une mémoire électronique, cette capacité étant
parfaitement définie au bit près, autant le processus
cérébral nous permettant d'emmagasiner et de conserver des
informations, au sens qui convient ici (souvenirs, connaissances,
etc.), semble résolument étran-ger à ce type d'unité de
mesure.
Il n'est pour s'en convaincre que d'imaginer un solide vieillard
(genre vieux professeur), plein de sagesse et de santé, que l'on
emmènerait successivement au cinéma voir Le parrain et , en
Égypte, remonter le Nil jusqu'à Assouan.
Aucun doute qu'il reviendrait
de ces expériences avec la tête bien plus pleine qu'avant,
et qu'il pourrait assurément décrire (lui-même) très
longuement le caractère des personnages du film, les détails fins
du scénario, leurs visages, de nombreuses répliques et répondre
avec exactitude aux questions qui lui seraient posées, pendant des
heures, sur Le parrain et sur le Nil, non seule-ment en ce qui
concerne les informations qui lui seraient restées présentes à
l'esprit, mais encore en termes d'émotions ressenties,
celles-ci devant représenter encore un bon paquet de
méga-octets.
Il est absolument capital de bien se rendre compte que l'acquisition
de ces informations nouvelles n'a entraîné aucun préjudice pour
les informations anciennement stockées.
Les données acquises en dernier lieu ont donc bel et bien été
ajoutées. D'où l'idée venant immé-diatement à l'esprit (mais
qu'il convient sans doute de chasser) tournant autour de
l'infini et de ces sortes de choses .
Il est peut-être concevable d'inventer pour pouvoir réfléchir à
ce genre de choses une sorte d'infini humain, ou infini biologique
(nouveaux jokers donc) afin de permettre la manipulation
de certains nombres particulièrement énormes accompagnant
l'animal-en-général [mais tellement plus intéressants quand
même chez l'animal-homme (mémoire)], et par ailleurs l'ordre du
vivant (A.DN, chaînes chromosomiques, etc.).
2) Dynamique du contenu
Les mémoires électroniques sont foncièrement effaçables,
réversibles, modifiables, rectifiables, etc..
Mais les EPROM, EEPROM (et même PROM) sont modifiables par
construction, c'est-à-dire que l'on peut en changer le contenu
informationnel non seulement par élimination des données, mais
aussi par altération de celles-ci :
- inversion de bit dans une EEPROM ;
- effacement global puis réécriture d'une information
légèrement ou très différente dans le cas d'une EPROM ;
- forçage d'un bit à 1 (de façon à transformer par
exemple le chiffre CINQ en SEPT), avec une simple PROM.
Bref, la perspective d'un changement d'état de la mémoire est
certaine. Mais il s'agit d'un chan-gement d'état
informationnel, et de rien de plus, c'est-à-dire que la quantité
totale d'informations élémentaires (bits) contenue par la
mémoire est rigoureusement la même avant et après le
changement d'état.
Ordinateur --> mémoires
--> mémoires --> souvenirs
--> souvenirs
-->
certitude
--> certitude --> preuve --> justice
La mémoire humaine est, elle, farouchement rebelle, totalement
inaccessible, à l'hypothèse même d'une modification de son
état ne procédant pas de l'ajout pur et simple.
Ajout, ajouter, adjoindre, ad-jonc-tion, aucun moyen de faire
autrement.
Si l'on se souvient que le boulanger de notre enfance portait un
chapeau bleu,
Et que l'on se fasse administrer la preuve que ce chapeau était bel
et bien jaune,
Nous ne disposons d'aucun moyen opérationnel pour corriger ce
souvenir.
A fortiori, si le boulanger ne portait en définitive
pas de chapeau, même impossibilité : la sup-pression du
souvenir chapeau ne se peut pas .
Cette différenciation entre Mémoire (humaine) et mémoires
(électroniques) ouvre des perspecti-ves sans doute intéressantes (et
pour l'instant encore vierges) dans les champs de réflexion liés
à l'amnistie judiciaire, alors même que le problème de
l'irréversibilité de notre mémoire est déjà relié par de
nombreuses ficelles à la problématique de la justice en
général : souvenirs, témoins se remémorant une situation,
preuves d'un fait basées sur un témoignage, etc.
Il est en tout cas satisfaisant d'observer que, par une très courte
transitivité, irréversibilité et culpabilité se
trouvent ainsi reliées, ce qui confirmerait [s'il en était encore
besoin] le rôle écla-tant joué par cette dernière notion dans
toutes choses ici-bas .
CHAPITRE 6.1
Le radoteur.
« Quand les hirondelles volent
bas,
les souris
dansent,
parce
qu'elles se sont trompées de
proverbe. »
Cavanna.
SHANNON ET LES PREMIERS ESSAIS
En 1975, un an avant le tout premier "lancement" de la carte ,
un de mes associés, professionnel de l'innovation et de la P.I. ,
commença d'exprimer ses préoccupations à mon égard,
pressentant (et en l'occurrence : redoutant) l'arrivée de quelque
nouveau démon (idée, projet, envie, etc.) au rang de favori parmi
mes sujets d'excitation (eux-mêmes ayant traditionnellement le
statut de générateurs de bonne énergie
).
Je ne devais pas, à son avis, propulser un deuxième projet
(surtout s'il s'agissait d'une nouvelle invention), ni même
me hasarder sur quelque autre piste sous peine de susciter un doute
immédiat chez nos principaux partenaires (ou pressentis tels), et
donc in fine déconsidérer le plan carte à mémoire
encore dans les limbes.
Après, selon lui, une invention jugée aussi unanimement
prometteuse, je donnerais assurément l'impression de n'avoir pas
encore tout donné, que d'autres idées éventuellement plus
attractives encore arriveraient certainement (à condition de
savoir attendre) ; bref, que cette carte avec son circuit intégré
n'était peut-être pas nécessairement la trouvaille
finale, c'est-à-dire celle après laquelle on ne cherche plus
où creuser, parce qu'on creuse là.
Je suivis ce conseil prudent, affectant de me considérer désormais
comme interdit d'invention publique sacrifié sur l'autel de
toutes les espérances, celles du très-sacré, très-fragile,
très-prioritaire plan carte à puce.
Mais la pomme était déjà à moitié croquée.
Tentant pendant quelques semaines de comprendre ne serait-ce que
certains des mots employés dans l'ouvrage réputé
"abordable" du célèbre théoricien de l'information Claude
Shannon, j'avais fini par me replier sur le modeste espoir de
récupérer au passage une idée, un concept, l'esquisse d'une
notion, ou même seulement une bribe de connaissance en
provenance DU Shannon (comme on dit dans le grand Ouest).
Mendeleev s'amusait lui, dans le grand Est, à prédire la place
qu'occuperont , dans sa célèbre Classification périodique des
éléments, tels ou tels corps simples encore extérieurs à
notre connaissance, dont l'apparition, ni plus ni moins qu'immanente,
relève d'une probabilité unitaire, et dont par ailleurs la
molécule ou l'atome nous sont d'ores et déjà connus avec une
probabilité "fa-vorable" de valeur P (sachant P évidemment
inférieur à 1).
Sorte de Mendeleev qui aurait travaillé sur des 1, sur des 0, sur
des vibrations et sur des ryth-mes (en général rapides), en lieu
et place de corps simples et d'électrons lourds, Shannon,
per-sonnage hors du commun - et certainement l'un des scientifiques
ayant marqué de sa plus formi-dable empreinte la civilisation qui
est la nôtre -, a connu la consécration qu'il méritait, dans les
mêmes conditions en quelque sorte que Mendeleev ; ayant réussi à
formuler une théorie autonome et complète des systèmes de
transmission et de traitement du signal, il a unifié cette théorie
en définissant dès cette époque les lois, règles et
principes qui caractériseraient nécessairement, le jour
venu, de futurs modes de transmission de l'information analogique
"numérisée", parmi les-quels compact-disque, téléphonie
contemporaine (radiotéléphone, satellite de communication, etc.),
télécopie, sans compter les réseaux de toute nature, dont il a
su prévoir et quantifier, vingt ans avant leur apparition dans la
vraie vie, débit et limites.
Se demandant, au cours de cet itinéraire, combien il fallait
prélever d'échantillons dans un signal périodique, quel qu'il
soit, pour garantir le respect d'une certaine bande passante ,
il établit par la théorie (puis, longtemps après, par la
pratique) que les échantillons de signal devaient être
prélevés à un rythme multiple de la fréquence du signal le
plus aigu à transmettre. Dans la foulée, il nous a fourni un
second renseignement précieux : la valeur du coefficient
multiplicateur.
Ainsi, avant Shannon, on ne sait simplement pas pourquoi ni
dans quelles limites fonctionnent ces canaux que les PTT et les
militaires du monde entier exploitent depuis bientôt un
siècle.
Après Shannon [et Nyquist], on sait que pour transmettre par
échantillonnage les modulations suraiguës de la prodigieuse
Oum-Kalsoum il faut s'arranger pour prélever 2,5 x 14 000,
soit 35 000 échantillons par seconde, pas moins.
On aura deviné que 2,5 est précisément le coefficient universel
établi par Shannon.
Finalement, la loi de Shannon a prouvé son infaillible applicabilité
à tous les systèmes d'information (par exemple tous
les dispositifs capables de transmettre, émettre, recevoir, traiter
des signaux.)
Or, ce n'est pas si souvent
que sont mises en évidence des lois opérationnelles
dont la portée est si générale qu'un domaine majeur de la
Connaissance s'en trouve littéralement coiffé, en même temps
d'ailleurs que de nombreuses autres disciplines .
Seule, à peu d'exceptions près, en effet, jusqu'à présent, la
Relativité nous a habitués à un degré aussi élevé dans la
généralité du discours : cela parce que, précisément, son
domaine d'interférence et les conclusions qui sont déjà les
siennes concernent effectivement toutes cho-ses dans cette vallée de
larmes, et même plus loin.
Dans une mesure différente, la thermodynamique est elle aussi
amenée à procéder par super et hyper-notions, dès lors qu'Ordre
et Énergie (pour ne citer que les deux principales vedettes) sont au
programme.
Et voilà Shannon qui nous propose une tentative de programme commun
entre Thermodynamique et Information.
INFORMATION ne serait à l'en croire qu'une forme particulière
d'ORDRE, et à ce titre obéirait aux mêmes lois ;
INCERTITUDE supplanterait in extremis INFORMATION ; ce qui ne
laisserait comme forces en présence qu'ÉNERGIE et
INCERTITUDE, avec cependant la vague perspective de voir INCERTITUDE
finir par rafler la mise, dans le cadre d'une vision du monde donnant
la préférence au Diable (Hasard grossièrement déguisé)
plutôt qu'au Bon Dieu (notre représentation préférée de
l'Énergie [créatrice] et donc symbole d'une Happy End pour
notre Univers à nous).
Tout cela brutalement résumé.
DECOUVERTE DES SOURCES D'INFORMATION COHERENTES
Et ma persévérance n'avait pas été vaine.
Shannon avait en effet exercé son audace sur de très ambitieux
autres projets, notamment celui de fournir une théorie des
sources d'information, et avait parcouru à cet occasion un petit
bout de chemin en compagnie de nos héros désormais familiers :
- hasard
- entropie
- information.
Sans aller, cette fois-ci du moins, jusqu'au bout de sa démarche, il
trouva néanmoins de quoi jeter sur le papier quelques règles
établissant un degré minimal de cohérence entre sources
d'information et données.
_______________________________________________________________
SOIENT CINQUANTE MOTS D'ANGLAIS PRIS AU HASARD. SHANNON POSTULE
L'EXISTENCE D'UNE LOI DE COMPOSITION DE CE SOUS-ENSEMBLE DE LA LANGUE,
NON NEUTRE, ENTIEREMENT DETERMINEE, ET VA S'ATTACHER A DEMONTRER LA
RIGUEUR DE CETTE LOI.
_______________________________________________________________
Commençons par prendre l'espace précédant un mot (PRIS par
exemple) appartenant lui-même à la source d'information
"Soient........loi".
Puis :
0/ Avançons alors d'une position, et examinons le caractère (P de
PRIS) désormais pointé.
1/ Notons cette lettre temporairement, au dos d'une vieille
enveloppe.
2/ Parcourons maintenant la phrase dans sa longueur, lettre par
lettre, "en anneau" .
3/ L'objectif est de trouver une autre lettre identique à celle
notée sur le dos de la vieille enve-loppe.
4/ Nous repérons le P de POSTULE, qui est ainsi le premier
caractère émis par la source.
5/ Inscrivons ce caractère à l'encre, directement sur le
livre.
P
Réitération de la phase 0 : avance d'un pas, et examen du
caractère (O de POSTULE) désormais pointé.
Réitération de la phase 1 : notons cette lettre temporairement, au
dos d'une vieille enveloppe.
Répétons maintenant les opérations 2-3, 2-3, 2-3, etc., jusqu'à
ce qu'un nouvel O soit trouvé.
Réitération de la phase 4 : nous repérons le O de LOI, qui est
ainsi le deuxième caractère émis par la source
d'information.
Réitération de la phase 5 : inscrivons ce caractère à l'encre,
directement sur le livre. O
Réitération de la phase 0 : avance d'un pas, et examen du
caractère (I de LOI) désormais pointé.
Réitération de la phase 1 : notons cette lettre temporairement, au
dos d'une vieille enveloppe.
Répétons maintenant les opérations 2-3, 2-3, 2-3, etc., jusqu'à
ce qu'un nouvel I soit trouvé.
Réitération de la phase 4 : nous repérons le I de COMPOSITION,
qui est ainsi le troisième carac-tère émis par la source.
Réitération de la phase 5 : inscrivons ce caractère à l'encre,
directement sur le livre. I
(Sautons cinq cycles correspondant à la production de T, R, E,
N)
Réitération de la phase 0 : avance d'un pas, et examen du
caractère (E avant-final de DETERMINEE) désormais pointé.
Réitération de la phase 1 : notons cette lettre temporairement, au
dos d'une vieille enveloppe.
Répétons maintenant les opérations 2-3, 2-3, 2-3, etc., jusqu'à
ce qu'un nouvel E soit trouvé.
Réitération de la phase 4 : nous repérons le E final de
DETERMINEE, qui est ainsi le septième ca-ractère émis par la
source.
Réitération de la phase 5 : Inscrivons ce caractère à l'encre,
directement sur le livre. E
Réitération de la phase 0 : avance d'un pas, et examen du
caractère (E avant-final de DETERMINEE) désormais pointé.
Réitération de la phase 1 : notons cette lettre temporairement, au
dos d'une vieille enveloppe.
Avec la sortie de ce marqueur de fin de mot (espace, ou tout
signe de ponctuation) le processus est terminé.
Les caractères successivement émis par notre source ont été
:
P O I T R E N E
Cette suite de lettres ressemble d'une certaine façon au
«style» général de la chaîne de départ (bien que POITRENE
n'existe sans doute pas ).
A quoi tient donc cet indiscutable phénomène de ressemblance, si
étranger d'habitude à tous les processus mécaniques ?
L'explication tient au caractère probable, ou improbable, de la
présence de tel ou tel doublet :
- PO, par exemple, apparaît deux fois (POstule, comPOsition)
;
- OI, de son côté, apparaît trois fois dans la source
;
- Quant à IT, on ne le compte qu'une fois, mais une fois quand
même ;
- Au contraire, PA n'apparaît pas une seule fois, et la
probabilité est donc nulle de le voir produit par la source.
Au total, chaque lettre émise par la source apparaît
nécessairement dans une position conforme à la distribution
caractérisant la source : le O vient après un P, mais avant un I
.
Soit finalement :
PO(2)?OI(2)?IT(1)?TR(2)?RE(3)?EN(5)?NE(2).
Les couples émis par la source sont donc en toute certitude
présents dans la chaîne initiale, dans cet ordre exact, et ce au
moins une fois.
Ce trait caractérise également les débuts et fins de mots :
aucune série ne pourra comprendre un M comme finale, puisque la
source ne comprend aucun mot se terminant par M. Pour la même raison
exactement, aucune série ne pourra avoir J comme initiale.
Littéralement fasciné par les propriétés incroyables aussi
bien que par la confondante simplici-té de cet algorithme,
j'ai jeté sur le papier quelques noms de fleurs et, "à la
main", exactement comme nous venons de faire, déniché en quelques
quarts d'heures plusieurs compositions littéra-les
entièrement nouvelles et indiscutablement florales .
QUICK & DIRTY : PREMIERE MACHINE A MOTS
De plus en plus intéressé, et désormais impatient, je
déclenche sur-le-champ l'enfer électronique (fer à souder,
compteurs, comparateur et mémoire). En moins de quinze jours,
le miracle se re-produit : un petit assemblage gros comme une boîte
à chaussures, muni d'une toute petite impri-mante (genre tickets),
produit dès qu'on la branche les plus infinies variations sur le
thème déci-dément inépuisable des fleurs, au rythme d'une
composition par seconde à peu près.
Quand des copains viennent me rendre visite , ils doivent subir
d'interminables démonstrations, consistant invariablement en liasses
de tickets de caisse, scotchés puis réunis en paquets de vingt ,
et dont l'ordre méthodique devait impérativement être
conservé, afin de permettre les comparaisons subjectives, de visiteur
à visiteur , qu'exigeait prioritairement le caractère en-core
expérimental, n'est-ce pas, de ces investigations
lexico-linguistiques.
Ce n'était désormais que listes, listes, et listes encore :
indénombrables alignements de composi-tions
méta-para-péri-florales, que mes indulgents copains, copines et
visiteurs avaient bien de l'amitié à accepter d'évaluer, cocher,
annoter, compter, en une épreuve d'endurance d'autant plus
méritoire qu'eux-mêmes ne parvenaient visiblement pas à
déterminer, pour de bon, si le spectacle que je leurs donnais
correspondait plutôt à une percée technique, ou plutôt à un
jeu de société .
L'ensemble était très
lourd, et force m'était bien de constater que tout cela n'avait
aucun rap-port avec la carte à mémoire.
L'apparentement le plus proche qu'on pouvait trouver à ce
"domaine" était sans doute la poésie, et de plus aucune
raison particulière n'existait pour qu'Innovatron se dote d'un
département res-ponsable de la fabrication de mots
nouveaux.
LE RADOTEUR
Je continuai finalement de façon plus ou moins hobbyiste ,
jusqu'à l'amélioration du système, que je commençai alors à
désigner sous le nom de Radoteur (en raison de son infernale
propension à se répéter lui-même). De câblé , le système
devint programmé grâce à Jean-Pierre Leroy et
se transforma donc en une séquence d'instructions, ponctuellement
exécutées - l'une derrière l'autre, et sans jamais de surprise -
par un microcalculateur (c'est-à-dire un petit ordinateur à
fonction unique avec lequel on peut dialoguer par le truchement d'un
clavier et d'un écran ).
Puis, tardivement mais finalement touché moi aussi par la
véritable grâce semée autour d'eux par les
fondateurs-animateurs-dirigeants d'Apple, la première chose
que j'appris à mon ordinateur Apple2 fut le Radotage. Enfin, à son
heure, le Macintosh fut dressé, et radote désormais sur simple
demande.
Le Radoteur tel qu'il se présente aujourd'hui va beaucoup plus loin
que la rotation toute simplette de l'anneau originel.
Un des équipements les moins créatifs dont je l'ai depuis
maintenant rehaussé est un filtre anti-radotage, lui
interdisant de faire semblant d'avoir trouvé quelque chose, lorsque
en réalité le mot produit a déjà été créé au
cours de la même session (ou bien même existe depuis le tout-tout
début, tel quel, dans la liste-source). Dès que le système
produit un mot, il le conserve en mé-moire et vérifie, avant toute
nouvelle proclamation, qu'il n'y a identité avec aucun mot déjà
enre-gistré. (Sa mémoire est donc composée de deux sections :
liste-source, fichier des mots fabri-qués.)
Cette fonction apparemment toute simple de filtrage a mis en
évidence un phénomène absolument saisissant : le ralentissement
inexorable de la vitesse de production. Comme un humain qui se met au
travail, le Radoteur commence par produire des mots assez rapidement,
puis il a de plus en plus de mal à en trouver, et son rythme
ralentit (progressivement certes, mais de plus en plus rapidement),
jusqu'à atteindre un niveau risible. Une liste-source d'une centaine
de mots com-mence par produire environ cinq mots par seconde, puis
deux par minute au bout d'un quart d'heure, et un par jour au bout
d'une semaine.
Il va sans dire que cette analogie supplémentaire entre création
humaine et création électronique m'étonne [comme on disait sous
Molière] et me comble depuis le tout premier jour. Aujourd'hui
encore, je ne me lasse pas de la constater.
Le Fidélisateur, de son côté, institue la notion de
cadrage variable : là où n'étaient considérés à l'origine
que des doublets, sont désormais prises en compte une infinité de
combinaisons possi-bles. Non seulement, donc, une lettre en avant, une
lettre en arrière ("1.1"), mais aussi deux en avant, une
en arrière ("2.1"), et ainsi de suite : 3.1, 4.1, 2.2,
3.2, etc.
La fonction 1.1 est donc remplacée par x.y, c'est-à-dire que
des constantes deviennent des varia-bles.
Souvent risqué , ce mécanisme est ici, tout de suite, très
séduisant : les mots deviennent beaux ! Et encore plus ressemblants
qu'avant ! Le phénomène déclenché dans le silicium par le
Fidélisateur est en effet le suivant : plus le cadrage est "large"
(somme X+Y), plus le Radoteur a du mal à produire des mots nouveaux,
puisque ceux-ci comprendront des suites de lettres de plus en plus
longues (3 + 2 = 5 lettres, par exemple) obligatoirement déjà
présentes, par principe, dans la Liste-source.
Mais, en revanche, la petite capacité de production subsistant
fournit des mots de plus en plus fidèles à la Liste-source
(véritable langue d'origine) et donc bien plus facilement
prononçables (entre autres qualités).
Le Pondérateur n'exerce son effort que sur les
Listes-sources, et assemble des listes de diffé-rentes origines en
une Liste uniforme.
Dans le cas d'un... travail
(?) sur mon fichier de cinquante insultes, une production typique
res-semble à :
orveux bordebile chat glante hiatique mepriereux saloperi orrible
foire ignomi rachat pourritu merdiot veux crache pourrible ignobese
sanglaviot morverole mondel inie horrie ideux agonie enfoireux immon
saloparde oble orverosse sale agondel poufiatique meprisseux
bordurritu pour-ris imbese ideulis putainjure merdure glanglaviot
enfoutain rache hiat poure vomini orrie immo-che chatiqueulis
vachiasse horri monde salante craclurevure ? ? ?
En incorporant à ces «insultes», grâce au
Pondérateur, des listes de noms de fleurs et des pré-noms
féminins, je fais cohabiter dans un mot plusieurs
évocations.
Le Radoteur a créé par exemple anémonde, enfoirette, où
l'on reconnaît comme à livre ouvert les combinaisons de
pâquerette, anémone, immonde (entre autres).
Certaines de mes fonctions inaliénables demeurent, bien sûr
:
- le dosage de
chacun des fichiers (par exemple : cinq parts de prénoms , dix parts
de fleurs, une part d'États américains), un peu comme l'obtenteur
de roses ou le parfumeur doit se débrouiller, je suppose, pour
déterminer la proportion des diverses composantes participant à ses
tentatives ;
- la
surpondération d'un mot. Travail sur une Liste-source de 100
fleurs, à laquelle s'ajoute 200 fois le prénom Sabrina (ou
bien 500 fois California) ;
- l'élimination a priori de certaines sonorités, de
certains mots, ou de certains genres de mots, connus
comme trop dangereux car de nature à gâter la production finale
;
- le repérage, sur la liste enfin produite, des mots
intéressants mais aussi l'amélioration à la main des mots
apparemment mauvais, c'est-à-dire finalement l'introduction d'une
impureté (dose d'er-reur) dans la liste, l'adjonction ou la
suppression, ici ou là, d'une ou deux lettres (cette manipula-tion
permettant à elle seule de porter à 2 ou 3% un rendement
initialement très inférieur à 1%) ;
- la re-génération, ou second degré de Radotage,
consistant à faire Radoter le système sur sa propre production
(elle-même brute de machine ou améliorée artisanalement), ou
encore sur sa Liste-source enrichie du meilleur de la
production Radotée (quelques dizaines de mots, jamais plus).
Travail «créatif» toujours au premier plan donc, puisqu'il faut
constituer des Listes, les corriger, les affiner, les doser entre
elles, décider du cadrage, intervenir sur la production
intermédiaire (réinjecter avec ou sans pondération), etc.
Par exemple, il faut pouvoir raffiner une production comme :
vanessee coqueline fabiennesota katiane camilla ordurielle amaryse
perveine oeille michel colora-lie cole huguet annine nicolette
natachat florado yolange babeth gentiana vermontana vervenche
fabiolaine vacheline sylvania ghislande josetts valérianne gentine
josiana clémentiane romaria violetta paquerite amaryland jacquelicot
madeline agonia ignoming viridiane racha ludmillet san-glantine
adeleine maryllis belle mariane coquerine bette méla estherine
agather églante muguette louisiane bégoni salaudine caline viola
pamélanie sandra oliviane tatia romarine mepriscilla gabrina diana
pennsylviane corinnessa isabelladone sabriel élizabetty islaine
florali salabamara oeillette glycinthème colorielle romarguet
justiane hampshine carolette islanther glanthe louisia coqueli-non
wyomi salentine adelweisse amaranium jacine estelladone flore indiane
angélie jeannice jose bérénie ghislaire violete amaranie
romarylin laetitiane mélanthe paulie vandrine amarjola mugue-rette
églaine florrina lavand coquerite azalériana pristine colombia
azalériane glantianne jasminia beth émilladone aurenge marizona
patrice chrysante yolainesévelyne debilie gérantine simonia
sabette amarania lolivia imbecille texande marjolaieul laudrey bellado
volumbine véronie idiane neviève adège myosota hortensin
glavande nathilde edelweisse tulie gérantiane oeilla chrysande
coralicot amarjolaieul régina florada rhodetty élis nick nicot
virgine meprimevère violet agalie stéphine aude mariam narciss
ludmille nadelweisse bordure horraine danium colubilis michidée
groseline muguerite rossette narcisseuse anémonde rosette vachussee
félia clarin thée éliza-bette muguere putah mariel rachania
marysante verolita lucine verite mexicot genevadasse juline
laviolanièle bella judine fridahlia chat georginie roma chryse claieul
lavanium magatherine josia églanthe rite bénédith églain
connessachel maryllina carmentine fabine capucie gérancois
anglan-tanie claranium connarciss maudith amarjolaine babelladone
bernadèle angermone emmanueline delweisse hortensiane sidone
sabiolet perveux loralie julipe aurélicot frantiane arlène
morvenche huguerette irmaine craclure gérante dorothérèse
pissipi béatricie pascalie hortenne éverveine mathy lesliette
saline oeillis tulis glandra pervence chriss merdelawai poufiassa
orduri camiliane azalérielle paolaine joséphar foire coqueriture
ginie missorchideux édictoireux michemarylande dahomarina jacque
edelicot coridiot sylvande bérence dahliana merdiquelly madette
eugénicolet oeilletts penne cathalie violaieul volubile pourrite
volubilise jesse arine anny clémen annina caro-letta amarjorin
gabrie liane poure horcine laie veilaine odelissane julisse conne
santul gite pathi-sèlette aliania lubilliquet lisseux glasmillette
gensia prinecine meprine ignomaryse bégladon myose capucin
béglasmintis violubie laime éliania némoche vane flopaquet
gensianthe glyne murene cotia belweilie gélicoque maïtépharia
myolie amarjole warylvireineedwis judice pivolette
gélicutathée-mordellette génémone paquet missot jolexicole jacis
antenchris angérite bére calériscoque bor-nar idée bectonsida
ricola mine olette horcia imengérite jorrite élémone égondie
amarjolette maure elie chryllavalis bruyèret égone lucin
bégladèle marithy nédahlillet romarysalori hariane ange clée
myoret pivolavalie chel florte jache camarjolette vadone lita chine
dette gélicte bégla-do carosot marie rosot glabine élie pauditte
jeane ohin voire colianie capute résédasse sylène minar laudrane
émenthe fabrine illiquer idegone cothèvre clarguere yose coline
dahlillet barmone matith paulicky orrise béralette annicoque huste
sédahlillete bénia résédiantis maskana agontis nessia marosola
vomiconiummylise brane magana orane laine pivola merdurris frie
mugélicoque josabinne anglasmintis égine jurible kenne gridée
marandelisse marandrine liperverimon géliconna mona amarcherma
ronicoin azaniquet némon clarite claudmicine gensette chidiquet
yomana rhor-cine romarysa eulisse nardeux ghidée béglada
salansacis lole rénuphariat floriolette catrignoin corianthe
maridoral kath paolgabetty auline félizonnebia milliquet jachane
merose bruyèrentia capuck jencine poufia oblette léonium rolaise
nicarictine jermaryline lucielvane violubile misline jeanny marte
oraclaie oklanthe marandelan gélène chèmevure marotia mexanthe
isca hérose ro-minonine iness flolanne bégladonium salas foisisse
flord fabriss sale margue marandeliss marjo-lette violure alind dane
catrine annasse fanupharia marine odine aure marging radakotia
angéritu-cin vivièlette azalérène louta coren ? ?
?
A partir de prénoms féminins, d'insultes et de noms d'États
américains savamment ajustés par l'homme, le Radoteur produit en
effet ces 519 noms qu'il est évidemment indispensable de trier,
enrichir (et éventuellement bricoler un peu, à la main, sans
fausse honte) afin de finir par ex-traire de l'ensemble
viridiane, romarine, flolane, nathilde,
laetitiane, vivia, misline ou
floriolette.
Une chance, donc, que j'aie poursuivi cette sorte d'achèvement du
Radoteur, car, dans les années très difficiles qui ont suivi le
lancement solennel (premier du nom) de la carte à mémoire, soit
trois longues années sans revenus d'aucune forme, il m'a permis de
tenir le coup en vendant aux industriels, cabinets de marketing,
agences de pub, des listes riches de dizaines et de dizaines de noms
possibles pour une nouvelle laque censés évoquer à la fois (et y
parvenant en effet) la douceur et l'éclat du cheveu, la femme, le
mouvement, le sport, etc.
LE RADOTEUR ET LA MUSIQUE
Partant du principe de Shannon, j'ai aussi, avant même le
passage à l'informatique, essayé de coder certains des Petits
Préludes de Bach. Affectant un signe à chaque note, j'ai pu
traiter trois octaves de douze notes chacun (do, do
dièse, ré, ré dièse etc.) avec les lettres de
l'alpha-bet et les chiffres pour les transcrire sous la forme de
suites de signes.
A partir du prélude en
ré majeur (BWV 925) l'algorithme a dérivé la série
suivante: 0TTSTVM MLTLJS JEQES0 ESHHSHJHSH, ?

Sur ces suites de signes, le Radoteur peut ensuite travailler et
offrir ses propres productions (sous forme bien évidemment de suites
de lettres), qu'il faut alors transcrire sur une portée . Et voilà
comment je me suis retrouvé, avec l'éblouissement que l'on devine,
devant une partition ressemblant effectivement à Bach. On y trouve
le thème, dans la généralité de ses directions mélodiques
(mais aucune indication rythmique, puisque par principe seules des
notes noires peu-vent être produites, sans attributs d'accent ou de
valeur).
De la même manière, j'ai traité Amsterdam de Brel,
L'Auvergnat de Brassens, Les feuilles mor-tes de Kosma ,
Les yeux noirs... avant de travailler, comme pour les mots, sur
des fusions de fichiers et de produire un mixage de Kosma/Brel,
Brassens/Bach, etc. .
Cette production ne rapporte pas un centime.
LA COPIE
Maintenant que le Radoteur existe sur Macintosh, il rencontre à
son tour - comme tout logiciel - le problème de la copie.
De par sa nature même très accessible, et capable de travailler
tel quel sur toutes les langues à alphabet, il est tout à fait
propre à amuser et même épater les amis, un bon dimanche
après-midi, sans aucun effort. Et comme tout programme, même si sa
création a représenté des milliers d'heures de
réflexion/analyse puis de programmation/mise au point, quelques
secondes suffisent, sans avoir à dépenser un seul centime , pour
en effectuer une copie conforme.
Le LOGICIEL a en effet cette particularité - inconcevable avant
l'informatique - qu'il peut faire donner naissance à une situation
d'un genre absolument nouveau (et d'ailleurs quasi para-doxale), qu'un
législateur pourrait ainsi qualifier :
REPRODUCTION
ILLICITE D'UNE CREATION INTELLECTUELLE
SANS AUCUNE
INTENTION DE L'UTILISER.
Appelons donc "situation du
dimanche après-midi" celle de deux copains qui, se montrant leurs
micro-ordinateurs , en viennent à se copier tout à fait
gratuitement l'un pour l'autre un pro-gramme, un autre puis encore un
autre, sans effort aucun bien sûr, pour la simple raison qu'il reste
de la place sur la disquette qu'ils ont chargée... Le logiciel,
aussi élaboré et précieux soit-il, en vient alors à être
considéré comme un tas, un paquet que l'on reproduit et que l'on
diffuse en le niant donc complètement : il occupe en effet
maintenant la place occupée précédemment par du vide...
[Voir Chapitre 9 : Ubiquité.]
Il perd toute valeur. Valeur économique, vis-à-vis de son
créateur, et valeur d'usage puisque ses fonctionnalités propres ont
été purement et simplement ignorées lors de l'opération de
copie globale (amas de logiciels). Comme si un ami, à qui je donne
une cassette vidéo type 240 (quatre heures) pour qu'il me copie un
Tex Avery que j'ai manqué l'autre soir chez Eddy Mitchell, me rend
la cassette avec non seulement le dessin animé, mais aussi le
dernier Aldo Maccione qu'il a enre-gistré sur la même
cassette.
La comparaison avec la copie
de la musique ou de la vidéo n'est d'ailleurs pas véritablement du
même ordre de facilité. Copier un disque vinyle ou compact ou une
cassette (audio, vidéo) réclame un réel travail (trouver les
câbles ad hoc, les prises leur correspondant sur les appareils,
bran-cher le tout, etc.), et surtout absorbe un véritable temps, qui
est tout bêtement celui de la durée du film (Autant en emporte
le vent) ou de la musique (le Ring).
Or, la copie d'un logiciel ne réclame que quelques secondes.
La comparaison avec la copie du livre n'est pas non plus
sérieusement opposable : combien de di-zaines d'heures à photocopier
le Marcel Aymé sorti en Pléiade, le tout pour n'arriver
qu'à une improbable exploitation du résultat (feuilleter le soir
au lit, ou dans le métro, ce pavé de papier grossièrement
agrafé...) ?
Chaque jour, sous nos yeux, l'importance relative des biens
matériels par rapport à celle des biens immatériels
s'inverse graduellement. On compte d'ores et déjà moins en termes
de produc-tion de fer ou de céréales qu'en circulation
d'informations.
Un certain degré de domination, non pas économique, ni culturel,
mais à mi-chemin , peut se mesurer par le compte de biens
immatériels de toute nature, qui offrent ces traits communs d'avoir un
fonctionnement pyramidal (une seule source offre les mêmes services
à tous), et d'être... copiables.
QU'EST-CE QU'UN BIEN COPIABLE ?
C'est une suite d'informations, presque toujours à caractère
séquentiel (il y a un début et une fin), dont une reproduction
à l'identique ne coûte que le prix du support. La différence
entre l'objet fabriqué, de l'ère industrielle, et le
produit marqué (support d'information, déjà post
industriel) réside dans le fait que la copie d'un objet matériel
coûte au minimum le prix de l'objet de départ alors que la copie
de l'information ne coûte rien, et confère même à
chacune des répli-ques une valeur égale à celle de l'original
.
Le DAT (enregistrement digital), qui menaçait à l'origine toute
l'industrie mondiale de la repro-duction de musique, a pendant un
certain temps cristallisé sur lui les inquiétudes : un dispositif
anti-copie doit-il ou non être systématiquement installé sur les
magnétophones digitaux ?
Si le dispositif anti-copiage n'est pas installé, les
magnétophones pourront créer des copies d'un compact-disque de
qualité strictement identique à l'original (puisqu'il ne s'agira,
dans la copie comme dans la source, que d'une information strictement
binaire).
Affrontement, aux dimensions planétaires, donc, face au problème
clairement posé : que va deve-nir l'industrie du compact-disque
?
Mais les opérateurs industriels en jeu sont aussi de grands
producteurs de musique, et ils peu-vent choisir une autre solution
pour se protéger. Pour instaurer un système anti-copiage, il
suffit d'obliger le processus de copiage à passer à un certain
moment par l'analogique, donc à perdre au moins une fois au
cours des étapes successives le caractère totalement numérisé
(binaire) du son. Les copies n'auront plus la perfection de
l'original. Les grands industriels (Sony, Philips, Toshi-ba...), à
supposer qu'ils se mettent d'accord sur un tel système, se
trouveraient dans une situa-tion curieuse.
Une telle entente serait bien sûr totalement contraire aux
principes de libre concurrence qui - très consensuellement -
gouvernent le milieu économique ; et de plus, chacun des industriels
y participant serait à la merci complète de celui du groupe qui
déciderait subitement, rompant uni-latéralement l'accord, de
commercialiser un appareil sans dispositif anti-copie pour empocher
seul toutes les parts du marché mondial.
LA PROTECTION FUTURE DES LOGICIELS
Aujourd'hui, déjà, la création assistée par ordinateur est
en train de faire disparaître les mé-tiers qui se situent, dans le
cycle industriel, entre l'idée de l'objet et sa fabrication en usine
(dessinateur, maquettiste...). C'est en effet le concepteur qui
crée, assis devant son ordina-teur, un rasoir, une bouteille, un
circuit imprimé ou [presque] n'importe quel objet industriel. Il lui
attribue ses caractéristiques, et ces données, saisies sur son
clavier, sortent de l'ordinateur sous la forme d'une cartouche
magnétique, pour être introduites, à l'usine, dans une sorte de
machine-outil et finalement piloter le robot qui assurera la
fabrication complète de l'objet (ou au minimum la forme de son
moule). Le circuit va d'une machine à une autre machine, DIRECTEMENT
.
Projetons-nous maintenant un
siècle en avant pour imaginer le paysage industriel. La production
des biens matériels a été presque entièrement automatisée,
les emplois correspondants sont en particulier perdus, et seul le
domaine des biens informationnels emploie encore un peu de monde . Les
créateurs seront donc avant tout des créateurs de logiciels, qu'il
s'agisse de télé-commande de robots ou de création d'images de
synthèse?
Ces biens sont tous vulnérables à la falsification et à la
copie. Il sera donc capital d'assurer leur sécurité pour permettre
au système économique de fonctionner.
La carte à puce pourra alors entrer en jeu, comme outil de
protection du logiciel. En effet, elle seule pourra garantir leur
incopiabilité. Pour prendre un exemple concret, on sait
qu'aujourd'hui toutes les machines à laver le linge fonctionnent
sous le contrôle d'un microprocesseur, c'est-à-dire d'un logiciel.
Comment l'inventeur d'un système qui commande de manière tout à
fait nou-velle les machines à laver peut-il envisager de protéger
son nouveau logiciel et empêcher une co-pie à l'infini, qui
correspondrait à sa propre ruine ?
On peut dès maintenant avancer que, même dans un siècle, la
carte à puce ne relèvera pas de la copie comme le logiciel ou la
page de livre qu'on photocopie. Pour risquer une forme d'analogie,
disons que la copie d'une carte à puce correspondra peut-être à
ce qu'est actuellement, pour un particulier, la photocopie d'un volume
de l'Encyclopædia Universalis?
En effet, au c¦ur de son fonctionnement, à la différence de
celui d'un circuit imprimé, se trou-vent des processus chimiques. La
photo d'un circuit imprimé, sa représentation imagée permet-tent
de dévoiler son fonctionnement : tel segment du circuit conduit ou
ne conduit pas le courant.
La carte au contraire, qui est un circuit intégré, et non
plus un circuit imprimé, est composée de parties en silicium,
aluminium, phosphore, antimoine, etc. plus ou moins oxydées, plus ou
moins impures. Pour être plus précis, il s'agit de parties
chimiquement très pures, mais auxquelles on a ajouté des
impuretés - une molécule de bore, d'arsenic... pour un million ou un
milliard de molé-cules par exemple - qui en changent totalement le
fonctionnement. Ces processus échappent entièrement à l'image,
ce qui les rend impossibles à analyser, et dépendent entièrement
de la "recette" utilisée lors de la fabrication (à quel moment
faut-il ajouter telle impureté et à quel moment telle autre ?) un
peu comme le résultat donné par le Radoteur dépend de la recette
exacte (préparation, mélange des fichiers, falsification des
résultats...).
Bien sûr, la carte peut donner l'impression d'être alors un outil
de contrôle, d'interdiction, mais, en empêchant la prolifération
des logiciels-parasites, elle remplira un rôle globalement positif
.
Supposons un logiciel (très futuriste) qui permette, à partir des
téléscripteurs d'agences de presse, la production directe, en
image de synthèse, d'un journal télévisé sous la forme d'un
speaker de synthèse qui annonce les nouvelles. Une fois
fabriqué, ce logiciel pourra être repro-duit à l'infini, comme
tous les logiciels ; mais, sans la carte à mémoire qui lui sera
adjointe, il ne fonctionnera pas (ou, pire, il fonctionnera mal). La
chaîne de télévision qui voudra utiliser ce logi-ciel devra donc
régulièrement acheter une nouvelle carte à puce, un peu comme
l'usager actuel du téléphone, afin d'assurer le bon fonctionnement
du logiciel.
Par quelque bout qu'on prenne le problème, la prolifération et la
duplication des logiciels sont nuisibles, tuant la poule aux ¦ufs
d'or, et empêchant en définitive le créateur de passer de
l'idée à sa réalisation. Pourquoi un inventeur se donnerait-il la
peine de faire passer une idée à son stade de réalisation
concrète, ce qui réclame de lui un effort gigantesque, si la vente
de piz-zas ou la gestion d'un hôtel permettent de vivre beaucoup
plus à l'aise ? La seule solution actuelle consiste à vendre
très cher sur le moment une production, et à l'abandonner ensuite à
la copie sauvage....
RADOTEUR ET DICTIONNAIRE
Un dernier projet qui me tient à c¦ur, dans le domaine de la
production de mots, combine le dic-tionnaire et le Radoteur. A partir
d'un dictionnaire "saisi" - il en existe désormais (à la
diffé-rence de l'année 1984, où j'avais eu cette idée) - on va
se demander quels produits (ou notions) pourraient être imaginés,
apportant une innovation appréciable dans un secteur donné :
automo-bile, ou encore - pas de risques inutiles -
cuisine.
Dans un premier temps,
l'ordinateur va extraire l'ensemble des mots qui comportent le
terme cuisine dans leur définition, et mettre dans un même
sous-fichier toutes ces définitions..
On trouvera ainsi :
o COUTEAU : accessoire de cuisine servant à émincer la
viande...
o RECHAUD : instrument (électrique ou à gaz) permettant la
cuisson des aliments..., etc.
Cet ensemble de définitions va être soumis au Radoteur qui va
produire des définitions, c'est-à-dire des phrases. Les
premières phrases produites seront des définitions, au participe
présent, de forme très pure ; les suivantes devront être
remaniées par l'homme, et sans doute révéle-ront-elles des objets
sans existence mais riches (peut-être) de quelque potentialité,
bref inté-ressants. De plus, le travail sur les équivalences
syntaxiques et lexicales réalisé depuis plusieurs années
facilitera grandement le travail sur les définitions, le Radoteur
pouvant travailler non plus seulement sur un mot (émincer) mais sur
tous ses équivalents (couper, tailler, hacher, etc.) .
Si le premier fichier n'est pas suffisant, on pourra procéder à
une sorte d'exponentiation, en élargissant la Liste-source à
l'ensemble des mots qui comportent dans leur définition un terme
DONT LA DEFINITION CONTIENT le mot cuisine.
Le radotage va se faire sur des phrases qui ont toutes à voir
directement ou indirectement avec la cuisine, et, comme dans d'autres
cas, le processus d'invention peut alors démarrer parce qu'on sort,
ici à l'aide de l'ordinateur, des rails mentaux, des habitudes de
réflexion acquises, pour relier des éléments qui vraisemblablement
ne l'ont jamais été.
Dans la création de mots, de définitions, comme dans toute
invention, il ne s'agit en fin de compte que d'arriver une fois de
plus à maîtriser le désordre . Le désordre mène à cette
in-sondable notion d'entropie "positive", qui contient en
elle-même le germe de son propre manque d'intérêt.
PRODUIRE SOI-MEME SON TEXTE, CHEZ SOI
En 1975-1976, avant l'utilisation de l'ordinateur mais déjà
dans une perspective de type informa-tique, je demandai à des amis
de jouer avec moi. Le jeu proposé consistait à faire honnêtement
ce que pourrait faire à notre place un ordinateur sur la base de
tout ce qui peut se dire ou avoir été dit dans la langue
française.
Le principe était déjà celui du cadrage du Radoteur, mais
étendu à la taille du mot, c'est-à-dire avec l'idée de
fabriquer des phrases. On n'associait plus des suites de lettres mais
des chaînes de mots.
Prenons l'exemple d'un cadrage 3.1 : le joueur doit disposer de trois
mots de départ pour en don-ner un pertinent c'est-à-dire
possible, qu'il ajoute à la suite, un peu comme dans les papiers
pliés surréalistes du jeu du Cadavre exquis.
Soit le début :
Les glaçons finissaient...
Le joueur doit ajouter un mot plausible qui est :
de
Le pliage fonctionne alors et le joueur suivant disposant de
glaçons finissaient de? ajoute le mot vraisemblable :
fondre.
La situation devient plus intéressante quand on ne dispose plus
que de :
finissaient de fondre....
puisque l'orientation sémantique donnée au départ à la
phrase par le mot glaçons a disparu et que le processus de type
automatique fonctionne désormais seul.
Le tout repose sur une conception markovienne, c'est-à-dire - si
j'ai bien compris le sens de ce mot - entièrement SEQUENTIELLE de la
chaîne de langage. Après un élément donné doit apparaî-tre
tel autre type d'élément dans la chaîne. Sont exclus d'une telle
conception du langage les phénomènes de rétroaction sur des
éléments précédents comme l'intervention d'éléments d'au-tre
nature que ceux de la chaîne elle-même.
Les chaînes de Markov et l'étude de suites dans leur
séquentialité peuvent avoir d'autres applications. On pourrait
peut-être par exemple, à partir d'interprétations marko-viennes
de l'évolution des cours en Bourse d'un titre donné , et, si
l'échantillon étudié est as-sez large, arriver à certaines
conditions de prédictibilité.
[En revanche, ce type de procédé est exclu pour l'arrivée des
courses du tiercé.]
Un complément de la consigne consiste à imposer aux joueurs de
fonctionner dans un certain type de "texte mental", donc avec un
référentiel donné : on ne construira par exemple que du texte
narratif, ou du texte policier, ou gastronomique, ou sportif,
etc.
Toutefois, comme dans le
mélange de fichiers du Radoteur, on peut combiner deux
référen-tiels et demander une production qui couvre deux
domaines, tout l'intérêt résidant alors dans la variation des
consignes : politique et sport, science-fiction et diplomatie, amour
et mécanique, etc.
Bien sûr, le domaine de production privilégié est le texte
poétique qui s'accorde bien avec les rapprochements surprenants de
mots que cette technique peut opérer. Dès la mise en place du
principe de cadrage, les résultats furent probants.
On y trouvait :
La mer était calme, ce printemps était tendre.
J'aime la couleur de tes lèvres, la fraîcheur du miel de Provence
ou d'ailleurs.
Madame la marquise est encore morte, car elle jouissait très
joliment avec le teint blafard. (ca-drage 2.2)
Certaines phrases étaient correctes du point de vue de la syntaxe et
du sens :
La musique adoucit l'âme du poète mort.
L'indépendance n'est pas seulement la marche en arrière sur
l'Amérique. (politique, cadrage 3.2)
La majorité silencieuse s'est prononcée hier soir : un
important message de réconciliation et de promesses
fallacieuses. (politique, cadrage 3.2)
D'autres nécessitaient des retouches, une falsification semblable à
celle opérée sur les produc-tions du Radoteur :
Le Roi de France, grand pays des géants, ombrageait (à
corriger en : ombrageaient) le beau gar-çon fou.
Enfin, la création opérée sur des types de textes très
prédictibles, comme les horoscopes, offrit des surprises :
En ce qui concerne votre mariage, avec un important risque de voir
bientôt votre mari, vous serez amoureuse. (cadrage
3.2)
Votre vie sentimentale est
marquée par une légère inquiétude qui sera passagère. Mais
ne vous inquiétez pas pour l'homme. (cadrage 3.2)
Malgré la présence d'abondants déchets, comme avec le Radoteur,
et à condition de rester dans les limites absolues de la phrase, le
processus est utilisable par tous et sans autre matériel qu'un
papier et un crayon. Il produit automatiquement des textes surprenants
(et en général nouveaux) à partir d'un cadrage et d'un ou deux
référentiels donnés aux joueurs qui émulent le
fonction-nement d'un ordinateur.
LES PETITES ANNONCES
De par le caractère répétitif de leur structure , les
petites annonces ne pouvaient pas échap-per à ma volonté de
fabrication. Voici un programme élémentaire qui permet d'en
créer à loisir à partir de fichiers créés préalablement, et
de deux instructions informatiques élémentaires :
- le tirage au sort, qui décide de manière aléatoire
laquelle de deux possibilités va devoir être exécutée,
- et le Go to, qui envoie l'opérateur, humain ou
électronique à une instruction donnée.
Ce programme est donc utilisable, lui aussi comme jeu de société,
manuellement, avec des sacs qui contiennent des petits papiers
classés selon les catégories demandées et un simple dé
(détermi-nant l'une des alternatives tirées au sort, l'autre les
nombres pairs se voyant attribuer une des valeurs du tirage au sort,
un nombre impair l'autre), ou sur une machine.
On créera dans un premier temps les fichiers suivants :
JUSTIFICATION : c'est la raison de l'annonce (exemples : Cause
départ, Double emploi, Décès?).
DEMANDEUR : la manière dont il se présente (Monsieur, Veuf, Pilote
de ligne, Radical de gauche, Zoophile?).
QUALIFICATIF : la qualité (au sens large) dont le Demandeur se
prévaut ou qu'il demande à l'Ob-jectif (39 ans?).
PROBLEME : ce qui provoque l'annonce (Cherche, Cède,
Rencontrerait?).
OBJECTIF : ce qui est demandé (Villa bord de mer?).
PROBLEME AUXILIAIRE : ce qu'on pourrait ajouter de tel en fin
d'annonce (Intermédiaire, Pro-fessionnelle s'abstenir?).
Les résultats pourront ressembler à ce que la machine m'a donné
:
o EXPL AGRIC CH FRAGILE GAZELLE 50 A POUR SORTIES
o ECOLOGISTE 30 A CH VEUF
o CAUSE DEPART EMBAUCHE IMM EXPL AGRIC PASSIONN
PSYCHAN
o ETUDIANT CHE DAME SENSIBLE
AVEC REMORQUE
o SOCIETE CH CADRE DOCILE
o JEUNE LOUP BIEN CH AVOCAT DESINTERESSE POUR AMITIE DURABLE
o FRAGILE GAZELLE SENSIBLE CH RETRAITE DES POSTES HYPER-SENSIBLE POUR
AMITIE DURABLE.
Ou même, tout simplement,
cette production entièrement automatique :
o MONSIEUR CH DAME.
On aura deviné que le corpus de départ, autrement dit le vivier
d'annonces réelles préalablement engrangé, était pondéré
autour de plusieurs sources, finement dosées entre Le
Particulier (auto-mobiles : achat/vente), France-Soir
(offres d'emploi, divers), et bien sûr Le Nouvel
Observa-teur.
LES PROVERBES
J'ai aussi réalisé le même genre de travail (et on peut le
réaliser, seul, à une toute petite échelle) avec les proverbes,
dictons ou maximes qui suivent. Il suffit de photocopier les deux
colonnes ci dessous, et de les faire coulisser de haut en bas pour
créer de nouvelles expressions d'une [fu-ture ?] sagesse populaire
:
Les chiens aboient la
caravane passe
Messieurs les Anglais tirez les premiers
Pierre qui roule n'amasse
pas mousse
Qui veut noyer son chien
l'accuse de la rage
Un bon tiens vaut mieux que deux tu l'auras
A bon chat
bon rat
A c¦ur vaillant rien d'impossible
Abondance de biens ne nuit
pas
A l'impossible nul
n'est tenu
Après la pluie le beau temps
L'appétit vient en mangeant
Il n'y a pas de fumée sans feu
Qui vole un ¦uf vole un b¦uf
Ventre affamé n'a
pas d'oreille
Tel est pris qui croyait prendre
Qui sème le vent récolte la
tempête
Plus on est de fous plus on rit
J'y suis j'y reste
Un bienfait n'est jamais perdu
Qui a bu boira
Qui aime bien châtie
bien
Tant va la cruche à l'eau qu'à la
fin elle se casse
?il pour ¦il dent pour dent
Qui se ressemble s'assemble
Veni vidi vici
Nul n'est prophète en son pays
Qui va à la chasse perd sa place
Rira bien qui rira le dernier
Qui veut la fin veut les
moyens
Tout est bien qui finit bien
Un de perdu dix de
retrouvés
En avril ne
te découvre pas d'un fil
Exemples : Après la pluie, rien
d'impossible
En avril, tirez
les premier
Tout est perdu en son pays
Qui sème le vent perd
sa place
Tout est bien, la caravane passe
Qui veut la
fin n'amasse pas mousse
L'union vient en mangeant
Qui veut noyer son
chien ne nuit pas
A c¦ur vaillant, dix de
retrouvés
L'appétit n'a
pas d'oreilles.
Ou encore mon préféré : Veni, vidi, j'y
reste.
INTERVIEW EN GUISE DE CONCLUSION
BRUNO - Mais enfin, monsieur Moreno, comment caractériser
toutes ces recherches ?
?Il n'y a là que de la marginalité dans la marginalité, même
plus d'informatique, encore moins d'électronique !
Personne n'est intéressé par ce type de création poétique. Ne
serait-il pas plus intéressant de dégager vos motivations
personnelles ?
?N'y a-t-il pas en premier lieu l'angoisse du créateur qui attend
avec impatience qu'une machine prenne sa place ?
?Et puis la mégalomanie de l'inventeur, possédé par
l'impatience de se trouver dans la position de Dieu lui-même,
c'est-à-dire d'avoir inventé quelque chose qui sache
inventer ?
?Enfin, franchement, la recherche sur la production de langage
n'est-elle pas liée à un problème personnel de communication
?
L'AUTEUR - Mon cher nègre, pas de questions personnelles
ici.
CHAPITRE 7
Problématique des papiers, mystère de l'Identité.
« Quand Staline déclarait la chasse à
l'ours ouverte,
les
lapins prenaient le chemin de l'exil.
Car, s'ils
n'étaient pas des ours, ils n'avaient aucun
papier
pour le
prouver ».
Cavanna
MONOLOGUE INTERIEUR
Tututtt ! Tchoutchou ! Rémi donne un bonbon à Jean-Paul La
ma-man de Ré-mi est très bonne et très gen-tille avec son pe-tit
gar-çon qu'elle ai-me bo-coup Ré-mi ai-me sa ma-man Pourquoi
di-sent-ils donc que je suis mort, que je suis fou ? (Ça me rappelle
Guimard et Sautet)
Moi seul, seul, sais si je pense correctement, et je sais que je ne
suis pas mort En tous cas, je sais que je pense J'ai conscience Je
suis conscient Ça fait ffrrrrr dans ma ptite tête. C'est à ça
qu'on doit reconnaître si on est vivant ou décédé Mort ou vif,
comme ils disent sur les affiches de luckyluque : WANTED ! ! !
Papiers s'il vous plaît : vé-ri-fi-ca-tion d'identité Didentité
Véé, rii, fii, caa, tion Vérification Vérificatsion !
Vrifcationdidentité ! J'ai conscience qu'un flic me demande mes
papiers "Papiers" ! pour une vrif-cation Une
vrfcationdidentité Y veut vrifier Vrifier que jsuis.... Même pas
vrfier que jsuis moi Y veut vrfier Y dit qu'y veut vrifier Vrfier mon
i-dentité Mon identité = moi
Moi, c'est ce qu'il y a
d'écrit sur le papier plastifé que je porte sur le poumon droit Sur
mon poumon droit Mon poumon à moi, dans ma poche à moi de ma veste
à MOI
Moi, qui suis le type à qui on demande de montrer ses papiers au
pluriel, afin de prouver, lui, qu'il en a bien, des papiers au pluriel
Parce que s'il en a pas, le type, des papiers, ça barde
On l'emmène au co-mmissariat afin de vrfier son identité Afin de
l'identifier Car il faut absolu-ment savoir qui quelqu'un est Sinon,
on peut tout supposer, et on n'a aucune raison de le croire quand il
déclare : "Je m'appelle Edgar Morneplaine, j'ai 29 ans, et je suis
né à Saumur (Loire-Atlantique)" Alors, pendant tout le temps où
on le mettra en prison et où on lui fera son procès pour
vagabondage (va-ga-bondage), on ne saura même pas comment l'appeler,
ni qui on condamne-ra, ni même qui on libérera C'est pour ça
qu'il faut absolument vrfier lidentité de ceux qui, comme moi, ont
l'air louche
Si j'ai pas de papiers, on me considère comme un va ga bond, et on
me punit comme tel Non pas parce que je n'ai pas de papiers, ça
serait trop dégueulasse, mais parce que je ne coopère pas avec
eux. C'est pas vrai, disent-ils, tu t'appelles pas Edgar Morneplaine,
le seul que nous ayons en fiche est mort quinquagénaire en
Algérie, et il était né à Bourron-Marlotte (Seine-et-Marne)
Comment que tu t'appelles de ton vrai nom, et où k't'es né ?
"Je m'appelle Edgar Morneplaine, j'ai 29 ans, et je suis né dans
le XVIIIe, clinique Beausoleil"
C'est pas vrai !
Et comme on peut pas encore comparer la photo du gars avec les trois
milliards de photos d'iden-tités mises en fiches dans cette putain
de vallée de larmes, pas moyen de lui attribuer un nom, des
prénoms, date et lieu de naissance, signes particuliers, numéro
matricule, et le toutim
Alors s'il s'obstine, le type, ça fait "outrage à agents et à
magistrats dans l'exercice de leurs fonctions" Sur la Costa
Brava, ou dans un urinoir public, ou au claque sur une dame qui vit de
sa tendresse, ça coûte moins cher Mais dans l'exercice de leurs
fonctions, alors là c'est différent Et si y s'obstine encore, ça
fait qu'on l'emmène dans un endroit spécialisé, après qu'un
expert l'ait déclaré "schizophrène latent, apparemment
irresponsable mais sans danger d'accès violents"
Et si, quand je vis, je rêvais ? Ça en serait un drôle de
rêve
Et comme les rêves, il paraît que c'est court, ça serait un
rêve qui se passe entre le quarante-sixième et le
quarante-septième ding de mon réveil qui sonne en faisant
ddrrrrinnng, pour que je me lève et que j'aille à l'école, ou
passer mon bac, ou passer mon deuxième bac, ou partir en va-cances,
ou aller au boulot, ou partir aux îles Fidji ?
Alors comme ça dure, se dit le vagabond qu'on frappe pour qu'il
avoue comment il s'appelle, où il est né, son numéro national
d'identité Je suis fou je suis fou
Ce qui est difficile, c'est de pouvoir déverser sur les autres, sous
une forme abordable, ce qu'on se dit tous les jours dans sa ptite
tête Car il est bien évident que c'est ça, qu'on a à dire On
peut le dire à sa femme (qui ne rêve que de ça), à son
psychothérapeute (qui n'en peut mais), à son directeur de
conscience (qui comprend de travers), à son confesseur (qui jouera à
vous punir), à son bout de papier mais pour la Communication c'est
pas ça
Ou alors il faut improviser, mais depuis qu'ils ont inventé la
psychanalyse, on ne sait jamais s'ils ne vont pas profiter d'une
virgule mal placée pour vous transformer en un cas clinique,
passion-nant peut-être mais autre Nous sommes tous des cas cliniques
allemands
Et, de toute façon, comment les mots, misérables chaînes de
caractères, pourraient-ils servir à véhiculer les soliloques de
la conscience ! C'est comme si on voulait faire une déclaration
d'amour en morse( Ou en gwBasic)
Sans vouloir jouer les puristes, on peut demander - et je demande :
mais les nuances (!), où sont les nuances, qu'est-ce qu'on en fait
des nuances ? Les "nuances" de la sensation, de la perception, les
subtilités de la conscience, - si-j'ose-dire ?
J'ai décidé que tant qu'on n'aurait pas inventé la
télépathie il faudrait renoncer à communiquer En attendant, on est
très seuls
Il faudra décortiquer un
mec, brancher sur tous les points de sa ptite tête où il passe du
cou-rant, des fils électriques, et les faire rentrer dans une
machine placée au centre de la terre - par exemple à Saumur - de
façon à ce que tout le monde puisse se brancher dessus si il
veut
Mais le problème, c'est que la conscience ce n'est pas, ce n'est pas
un haut-parleur : donc il n'y a pas dans notre tête UN FIL qui va à
un haut-parleur/conscience, mais plein de fils qui vont dans tous les
sens et, pour une raison que je ne m'explique pas, nous sommes
conscients Ya pas de centre
Un centre, un truc, un endroit où tout converge et qui fait qu'on
entend la musique, qu'on voit la ligne jaune, la 2 CV qu'on veut
doubler, le motard dans le rétro, le cendrier trop plein, le
pare-brise qu'est sale, l'essuie-glace qui tressaute, le soleil qui se
couche, la pluie qui s'annonce, et on a un peu trop chaud, et envie de
fumer, et des fourmis dans les jambes, et on a trop mangé, et on a
une crotte de nez qu'on voudrait bien extraire, et on regrette nos
quinze ans, et on a peur parce que les pneus sont lisses, et on se
demande comment on va finir le mois, et on espère voir une station
d'essence à l'horizon, et on a sommeil, et on a le cafard !
Et tout ça constitue l'enchevêtrement le plus serré qu'on puisse
imaginer : non pas un fil rouge, et un fil bleu, et un fil vert, et un
fil vert clair, et un fil noir, et un fil bleu marine, et un fil jaune
citron, mais trois millivolts de 2 CV, 5 millivolts de trop chaud, 1/2
millivolt de fourmis, 0,52 milli-volts d'envie de doubler, 10
millivolts de pneus lisses, trois mégahertz de cafard
Alors vous pensez si ils me font marrer, les minables fieffés
connards qui essaient d'intéresser le monde à leur vidéophone en
couleurs, permettant de parler à un gars tout en voyant sa tête -
en couleurs - pendant qu'il vous répond ! hi-fi + télévision
SECAM, le degré 0,01 de la communica-tion, l'imposture magistrale,
le comble du modernisme, la honte de la pensée Drrrrinnng
Un coup de crosse sur la tempe, un coup de poing dans le dos, en route
pour le bloc, on va t'ap-prendre, mon lascar, à vagabonder dans
notre beau pays sans papiers et avec les cheveux longs
Et sale avec ça ! Fainéant ! Parasite ! Un coup de balai, et
débarrassez-nous de cette vermine
Savez-vous que les tubes en polychlorure de vinyle stratifié
représentent un marché en pleine expansion... Nous en importons
l'équivalent de 26 millions de dollars, pour une consommation
na-tionale qu'on a pu évaluer à plus de septante millions (HT),
alors même qu'on s'attend à une aug-mentation encore très
sensible de la demande intérieure dans ce secteur Si vous voulez mon
conseil, investissez, mon cher, investissez dans le tube PVC, vous ne
le regretterez pas Les tubes sont en période de profonde mutation,
et c'est le moment de saisir la balle au bond D'autant que la
matière première ne coûte pratiquement rien !
Moi, si j'avais vos capitaux?
Monsieur le Ministre, Monsieur le Préfet, Mesdames, Messieurs
La lutte contre les trafiquants de devises est à l'ordre du jour :
faut ce qu'il faut Et surtout ne jamais dire fontaine je ne boirai pas
de ton eau L'assassinat de cet ambassadeur allemand au Guatemala,
quelle chose ignoble D'autant qu'il n'y était absolument pour
rien
J'ai entendu dire qu'il avait une femme et plusieurs enfants Et il n'a
jamais fait de le nazisme ! Il paraît qu'il était très doux et
que c'était un homme d'honneur, très discret Mon mari a entendu
ça au poste Et à la télé, ils ont dit exactement pareil Vous
pensez !
A chaque fois, à chaque fois que j'arrive à ce carrefour, le feu
est rouge Et pourtant je ne pars jamais au même instant par rapport
à l'horloge que constitue ce feu, et il n'y en a aucun autre entre
mon point de départ et lui C'est tout de même incroyable
Il y en a que ça laisse froids, moi ça me rend peu à peu
paranoïaque, parce-ce que avec tout c'est pareil : la queue à la
poste ("the other line goes faster", selon François), la panne
d'essence quand je suis à trois kilomètres d'une pompe, les
factures quand je n'ai plus un sou, les boutons de man-chettes
disparus quand je suis pressé, les gens qui ne viennent pas quand je
me sens seul et qui viennent quand j'arrive à foutre une nana dans
mon pieu, et puis les feux rouges, tous les autres feux rouges,
l'ensemble des feux rouges terrestres, et leurs complices sens
interdits
Et pourtant, pourtant, je ne pourrais pas citer une personne parmi
toutes mes connaissances qui ait seulement remarqué ce phénomène
- ce qui tendrait à prouver que j'en suis seul victime - alors que
moi je deviens peu à peu fou, fou à lier, et que j'ai envie de
conduire un tank pour pas-ser quand même, pour brûler ce feu à
toute vitesse, écrasant tout sur mon passage, à contre-sens. Et un
jour, je le ferai, quand je serai grand
Alors on voudrait que je vote, que je fasse la queue pendant trois
quarts d'heure à la mairie pour sentir au-dessus de moi l'inventeur
du suffrage universel rigoler, rigoler follement tandis que je glisse
mon enveloppe dans la caisse sous le regard grave du premier assesseur
qui pense : "Celui-là, il aurait pu se raser pour venir faire
son devoir électoral" J'ai beau avoir un sens aigu de la
démocratie, je ne voterai que lorsque nous serons trois à pouvoir le
faire : moi, et deux autres
La cellule où l'on m'a enfermé roule vite à travers les rues de
la ville C'est comme un ventre, où je suis protégé des autres
tant que quelque chose ne change pas J'ai peur des bruits insolites Si
une situation change, tout peut arriver Anything can happen Happen
contre moi, toujours contre moi, toujours me défendre, toujours
subir parce qu'il est difficile de résister Tout est violent, quand
ça change, il vaudrait mieux que rien ne change jamais, qu'on sache
une fois pour toutes que rien ne changera, que la vie c'est ça
L'existence fixe, pour ne plus être attaqué ; même si on
s'ennuie Pour pas s'ennuyer, il faut mon-ter et descendre Or, dans
monter-et-descendre, il y a descendre, avoir mal, se faire menacer
Subir le chant des mecs dans Le crépuscule des dieux, et
Sacha Distel sur France-Inter
Après le Top-50, il y les résultats complets des courses, et puis
après le journal (accablant) de Patrice Bertin, et puis après du
sport, et puis après Guy Lux, et puis après on passe sur Europe et
Elkabbach, et Eve Ruggieri, et Blanc-Francard, et Micheline de
Bozieu-Tucé
Alors autant mettre des disques, mais alors là on s'enfonce un peu
plus, on entre encore plus dedans soi-même Et pour la santé
mentale, c'est pas bon du tout
Ce qui serait formidable, ça serait de vivre l'instant précis où
l'on s'endort quand on est fatigué à en mourir Dans Les choses
de la vie, le type est tellement fatigué de son accident de
bagnole qu'il en meurt, mais c'est de la fatigue et rien d'autre Ca
doit être inouï de mourir dans ces conditions là, plutôt que
de mourir d'une balle dans la nuque
Je suis SUR que la douleur est absente de la mort, que la mort n'est
qu'une explosion - boum - de la conscience, conscience d'être, que
la mort c'est le nirvâna. Mais la mort par fatigue seule-ment, pas
la mort subite, cela va de soi
Et puis la mort, c'est précisément l'instant où l'on sait que
plus rien ne changera jamais plus C'est la sécurité totale, un
utérus ultime, le recroquevillement dans les quatre dimensions à la
fois
Ne plus craindre, ne plus être tripoté, ne plus subir la
conscience, se reposer de la vie après toute une existence
ÊEtre lâche, comme ils disent, pour ne plus jamais l'être, mais
ce n'est pas par lâcheté qu'on se suicide c'est par folie, et
c'est par fatigue qu'on se laisse mourir
SOLILOQUE HALLUCINE?
?Face à ma confidente machine à écrire : rumination
vengeresse après interpellation policière, un soir de 1971
(mobylette mal garée).
FACETIES
EXISTENTIELLES
Ma mère m'a raconté comme une anecdote plaisante, quand
j'avais neuf ans, comment à ma nais-sance j'étais un bébé fort
laid. Typique manifestation, selon elle, d'une certaine injustice
imma-nente, puisque certains nouveau-nés trouvent la beauté en
partage dès le premier jour ; ainsi le bébé de sa voisine de
chambre à la maternité, une Turque restée dans le coma après
son accou-chement.
Ma mère trouvait ce petit splendide, et en tout cas plus beau que
moi.
Un matin, elle s'aperçut que l'infirmière avait inversé,
au retour du bain, les petits bracelets de tissu qui permettent de
repérer les enfants... L'espace d'un instant, ma mère eut -
dit-elle - la tentation de ne pas signaler
l'incident.
Récit qui me plongea dans un paradoxe de style métaphysique, tel
qu'on peut en vivre à l'âge de dix ans, et m'amena tout
naturellement à me demander qui j'aurais été si j'avais
été un autre... Vivrais-je au fin fond de la Turquie ou bien
entre Aboukir et Bonne-Nouvelle, à quelques mè-tres d'ici comme
ouvrier turc de la fringue ?
Plutôt onirique, presque imaginaire, la situation rapportée par le
récit maternel m'a tellement frappé que j'en ai toujours un
souvenir parfaitement net. Me voilà en train de forcer certains
rapprochements, de comprendre certaines manies.
Travestir son identité dans les jeux et les canulars (déguisement
social), se demander sans cesse qui est sincère et qui ne l'est pas,
ou bien qui est exactement qui, tout cela au travers des mas-ques que
la vie sociale impose et de l'opacité hermétique de notre boîte
crânienne, etc. De l'usurpation d'identité à l'invention pure et
simple de raisons sociales, d'activités, ou de noms ou de statuts,
cela tourne décidément toujours autour de la notion
d'identité.
Bien sûr comme dans toute situation de ce genre, et comme dans tous
les rapprochements que, par exemple, la psychanalyse peut provoquer,
l'effet d'une telle découverte sur la réalité est totalement
nul. On met peut-être à jour un ressort profond de son
fonctionnement, mais cela ne change rien ni à la vie, ni à la
façon de s'y tenir ou même de la ressentir. Rien.
Encore ici l'incertitude sur l'identité ne se fonde-t-elle que sur
une chaîne d'hypothèses : nurse hors du commun, distraite ou
malveillante, circonstances particulières (malchance ou mauvaise
humeur), mère indigne. Et, même dans l'hypothèse où toutes ces
conditions se seraient conju-guées pour faire d'un Le Quesnoy un
petit Groseille, au moins l'enfant existe-t-il : Malakoff plu-tôt
que Chatou, la belle histoire !
Tandis qu'un autre cas de figure bien plus dévastateur et surtout
mille fois mieux distribué donne vraiment de quoi gamberger.
Qu'arrive-t-il en effet aux petits dont les parents divorcent
prématurément, moins de quatre ou cinq ans par exemple, après la
naissance de l'enfant ?
Je parierais pour ma part que la pire forme de doute s'insinue bien
vite dans leur paysage mental.
Puisque les parents se séparent, c'est sans doute qu'une erreur les
avait fait se rencontrer. L'erreur, ça n'arrive pas forcément.
J'aurais donc pu ne pas naître. J'aurais pu ne pas exister ! Ma
présence dans ce monde n'était pas obligatoire !
Et en principe, les adultes n'en font pas, des erreurs. Sérieux
comme des papes, on devine que tous leurs efforts sont consacrés à
n'en pas commettre. Ils n'auraient donc pas dû faire l'erreur de se
croire faits l'un pour l'autre . Cuisante nuance : j'aurais dû ne
pas exister, ou, ce qui re-vient au même, je n'aurais pas dû venir
au monde.
Ils vivent dans une hantise de l'Erreur, qui - les obligeant à
douter d'eux-mêmes - leur fait sentir ce que peut être le
désespoir. Surtout, elle les rappelle lourdement aux impitoyables
réali-tés du Temps. L'erreur ne serait pas autre chose qu'un
stimulant intellectuel si l'Irréversibilité n'était pas absolue.
C'est pourquoi, les seules erreurs fréquentables sont celles qui
voudront bien - tôt ou tard - se laisser oublier. Justement ! Un
enfant c'est inoubliable. Grâce à moi, moi tout seul, ceux qui
m'ont engendré n'oublieront jamais leur erreur.
Nombre d'enfants, dans cette situation, en profitent certainement pour
s'habituer à l'incroyable idée que leur présence ici-bas est
véritablement accidentelle puisque normalement ils n'auraient même
pas été conçus.
Ils sont en quelque sorte des rescapés de l'inexistence.
Sans doute, réchauffent-ils le petit ulcère existentiel qui chaque
jour s'avance un peu mieux à chaque méandre de leur existence :
être soi, être un autre, et même - n'ayons pas peur des mots - ne
pas être .
Peut-être leur reconnaîtra-t-on plus tard un certain goût pour
les blagues et les canulars et tou-tes les autres façons - certaines
moins innocentes - de la mettre à l'épreuve, cette identité :
usurpation, camouflage, abus (connexions faciles avec l'alcool, les
drogues : se changer le dedans de la tête = se changer tout court =
être un autre).
Situation intéressante, aussi, que celle de l'enfant d'une fille
mère (ou mère célibataire). Dès le début de son éducation
externe (école maternelle), lui seront décrits - sans encore
aucune nuance - les principes premiers de l'organisation sociale :
Homme + femme = mariage
procréation après mariage = enfants
homme + femme + enfants = famille.
Ceux-ci apparaissent d'ailleurs, ainsi que d'autres Règles tout
aussi supérieures (ne pas traverser quand le feu est vert pour les
voitures, ne pas se pencher par-dessus le balcon, etc.) alors même
que tous les jours, dans sa maison à lui, sa propre maman ignore
apparemment - et impunément - l'autorité de ces
«règles».
Cet irrespect ne passera
certes pas inaperçu de l'enfant. Peut-être, dans sa table de
références, une petite graine profitera-t-elle de ce climat
permissif pour établir le principe d'une transgres-sion possible de
toutes lois ou règles de jugement, y compris les plus apparemment
basiques.
INTRODUCTION A LA PRENONYMIE
Le début des années minitel a été marqué par les
premières et puissantes crises de rire déclen-chées par la
découverte (sur l'Annuaire électronique) du nom des gens.
Tout simplement.
L'idée de chercher dans cette direction s'était trouvée
fortement encouragée par une première perle (un abonné du nom
de Hittler), puis par l'apparition quasi fortuite, sur
l'écran, d'un abonné au téléphone nommé Joyeux, dont le
prénom était tout simplement Noël. Voilà : une famille
Joyeux (patronyme plutôt sympathique) qui accouche d'un garçon, et
qui choisit de le prénommer (parmi 200 prénoms masculins
disponibles en France) NOËL.
Je connais ainsi un malheureux enfant, Courtecuisse de son nom de
famille, et Nicéphore de son prénom.
J'ai eu droit à un traitement différent, attirant sur moi, toute
mon enfance, l'unique référence disponible, Roland "de
Roncevaux" (variantes : Roland le Preux, le cor de Roland), dont
on n'a ja-mais su vraiment, en définitive, s'il a vraiment existé.
Et qui d'ailleurs n'avait même pas de saint, alors que mes
amis dotés de vrais prénoms (Robert, Marc, Philippe, Alain,
Marcel...) pouvaient trouver des kyrielles de personnages qui
s'appelaient comme eux. D'ailleurs on leur souhaitait leur fête .
Prénom sans racine, prénom à l'étymologie obscure, cela
n'arrangeait rien...
L'ANONYMAT
Toutes les manifestations ou phénomènes caractérisés par
un faible degré d'identification, voire par l'anonymat, m'attirent
donc l'¦il ; et je ne suis que rarement déçu par les pistes
qu'ils m'indiquent.
Cas originel : ces publicités, comme on en voit tant, pour tel ou
tel produit ou méthode plus ou moins miracle, alignant des colonnes
entières de lettres enthousiastes signées H.V. (Roubaix), ou
P.R. (La Ferté-Alais), ou encore Raymonde F. (Paris). Les
découvrant en même temps que le magazine Science et
Vie vers les dix ou onze ans, je me perdais en
interrogations sur la possi-bilité qu'existent et que s'expriment
des organisations aussi malhonnêtes.
La grossièreté du procédé était telle que je finissais par
douter que ces annonces ressortissent à la malhonnêteté, jugeant
sans doute une telle conclusion incompatible avec la vision que
je pouvais me faire du monde qui m'entourait.
Même fascination, plus tard, avec la découverte du Chasseur
français et autres publications branchées, et de cet
incroyable univers de petites annonces, tout particulièrement dans
la caté-gorie matrimoniale. Un individu peut exprimer, à travers
ce média, tout haut, sans censure au-cune, le plus profond de ses
désirs, protégé qu'il est par l'anonymat, même s'il sait
pertinemment que ce désir ne rencontrera personne tant il est proche
du simple fantasme. Et ceci ne repré-sente qu'une des
variantes possibles du genre, évidemment apparue avec
l'épanouissement porno-graphique de la fin des années 70.
L'absence d'identité, ou, pour être plus précis, de possibilité
d'identification, que permettent les petites annonces ouvre des
situations nouvelles et inconnues dans la vie quotidienne. La
posi-tion offerte par l'anonymat offre des champs gigantesques
d'action, interdits tant que l'identité de l'émetteur est connue.
(Mystifications et blagues en tout genre témoignent de cette
foison-nante réalité.)
Si l'anonymat permet tant de défoulement, tant de libération,
c'est que la pression exercée sur l'individu par la possibilité
permanente qu'on a de l'identifier est très forte et qu'on touche
évi-demment là un des principes de l'organisation sociale.
LA CARTE, L'IDENTITE
Il ne s'agit là que de l'identité des personnes.
Si on considère les objets, on réalise que la situation est la
même, et que les fonctions d'identifi-cation et d'authentification
restent absolument fondamentales là aussi.
On ne sera pas surpris donc si la fonction la mieux connue de ma Carte
se trouve précisément être celle qui fait application de ce
principe premier d'identification : avant de donner une suite
quelconque aux signaux qu'elle reçoit de l'extérieur (par exemple
l'ordre de lire une case-mémoire ou d'y enregistrer une donnée),
la carte commence par engager avec son interlocuteur électroni-que
un dialogue rituel, dont l'impitoyable protocole garantit en toute
rigueur, en cas d'issue posi-tive, la relation d'identité unissant
l'émetteur des signaux avec l'utilisateur habilité de la
carte.
LIBERTE, IDENTITE
L'omniprésence de cette notion d'identité a ceci de frappant
qu'elle est profondément liée au degré de liberté dont nous
disposons.
Notre liberté rencontre en effet deux limites dès que nous sortons
de l'anonymat. La première est la punition sous toutes ses formes :
répression, sanction, amende... La seconde est le ridicule qui
correspond à une sorte de sanction par dérision sociale : sortir
de l'ombre pour émettre un message, entreprendre une action qui
risque de n'être pas comprise (donc pas acceptable) par les autres,
c'est s'exposer au ridicule.
L'auteur de l'annonce
:
fait preuve d'une franchise
qui d'une certaine façon l'honore. Il a fort peu de chances de
trouver une réponse. Il le sait sans doute. Qu'importe : l'anonymat
lui laisse la liberté de payer pour voir son fantasme (se dire
qu'une femme répondra "présente !") publié, sans périr
sous le ridicule au moment de devoir croiser le regard d'amis qui
l'auraient identifié comme auteur de cette an-nonce...
Il n'y a pas que des pervers pour éprouver ce besoin
d'_expression_.
Ainsi, ce laboratoire pharmaceutique :

On comprend volontiers que,
s'il est parfois nécessaire de mettre les points sur les i, mieux
vaut assurément adopter au préalable pour pseudonyme le n°
746.
DEMOCRATIE, IDENTITE
Ce rapprochement identité/choix, on en retrouve les
traces dans l'organisation de notre système politique. L'identité
pèse d'un tel poids sur les comportements que la démocratie n'ose
pas af-fronter la liberté que permettrait la non-identification de
ses représentants. Un objectif inté-ressant serait d'imposer au
pays une expérience de six mois durant lesquels les parlementaires
voteraient à bulletin secret (c'est-à-dire sans le contrôle de
leur parti ou de leur groupe parle-mentaire, sans avoir à subir
l'identification que représente leur nom dans la liste des votants
pour ou contre tel projet).
L'expérience permettrait, entre autres, de vérifier le caractère
de totale discontinuité entre le vote public, où le contrôle est
assuré par l'identité des votants, et le vote à bulletin secret,
sous le seul contrôle de la conscience individuelle.
A coup sûr, les dirigeants politiques refuseraient ce système et
les conséquences dont il est por-teur. Cela tendrait alors à
prouver que la sincérité est dangereuse, et que seule la
permanence de l'identité personnelle permet aux organisations dont
ils dépendent de contrôler ce que font les représentants du
peuple.
Léotard, chef d'un des partis constituant la droite française, est
remplacé à la tête de son groupe parlementaire par un rival
(septembre 1989). Commentaire (à chaud) de l'un de ses co-pains :
"A main levée, le vote aurait été exactement inverse."
D'un autre : "Majorité de circons-tance."
Ces gens devraient pourtant avoir conscience que cela ne fait pas
joli de protester contre le mode le plus achevé d'exécution de la
démocratie, celui où l'action (voter) est en harmonie avec la
pensée (choisir), et non pas bridée ou pervertie par une forme
quelconque de peur : crainte d'être réprimandé,
rétrogradé, exclu, peur de vengeance. Autrement dit, une
circonstance précise de la vie publique où un rôle majeur
pourrait être joué par la sincérité .
LE PARI DE PASQUA
Combien de fois ne m'a-t-on pas suggéré, comme application
royale de mon invention, une carte par citoyen et même par
individu. Avec évidemment en perspective - ultime apothéose -
le vote par carte à puce.
Naïveté du circuit intellectuel ! [En gros : identification
absolue (grâce au silicium imbricola-ble) = rigueur absolue du
scrutin.]
Mais sans voir, malheureusement, qu'en contrepartie le circuit
intégré (ou plus exactement l'environnement électronique dans sa
généralité) trimbale avec lui une redoutable infirmité : on
n'y voit rien.
L'électronique est aveugle : échappant entièrement aux
dispositifs sensibles de l'homme (sauf à brancher des
oscilloscopes aux endroits intéressants), de par la nature même
des phéno-mènes physiques qu'elle met en jeu, et c'est
précisément là ce qui en fait le danger (ou au moins la limite).
Une illustration en sautait encore aux yeux, début 1990, avec cette
empoignade entre les fac-tions rivales du RPR, préparant leur
prochain congrès national : l'une réclamait un vote
«ma-nuel», l'autre insistait frénétiquement pour un scrutin
informatisé.
On veut croire qu'il ne s'agissait pas, en balance, du risque de
bourrage des urnes. Alors quoi ? Tout simplement de ces facilités
sans limites qu'offre l'électronique aux hommes qui veulent pou-voir
observer le chemin d'une information. (On dit vulgairement :
tracer.)
Rien en effet, absolument rien ne pouvait justifier que, pour 4500
votants, un système automati-sé - pas plus vieux que Steph de
Monac - prenne la place d'une procédure qualifiée depuis
plu-sieurs millénaires.
Cette insistance ne pouvait évidemment pas avoir pour objet un souci
de productivité, d'efficacité, et pour tout dire d'optimisation
des ressources du Rpr. Il ne restait donc, évidem-ment, que
l'indéfendable intention de récupérer telle ou telle fraction du
circuit information-nel , dans le but (sans doute) de bénéficier
du bon vieil avantage des scrutins à main levée : au moins, on
sait qui a voté quoi?
MODERNITE, LIBRE-PENSEE
Comme bien d'autres mômes, initiés à l'atome par la lecture
intensive de Science et Vie ou par le spectacle quotidien du
Journal télévisé, peu importe, j'étais déjà friand, dans
mon enfance, de lectures qui évoquent l'infini et les limites du
sensible dans le monde tel qu'il venait tout juste de nous être
révélé (nous sommes à la fin des années 50) après les
premières confirmations expéri-mentales des enseignements de la
Relativité. On parlait de la courbure de l'espace, des
possibili-tés de traverser le temps en s'appuyant sur des équations
mathématiques.
Grâce aux rythmes journalistiques contemporains qui ont donné au
Big Bang et à la création de l'univers (mais oui), le statut de
sujets médiatiques utilisables régulièrement dans les magazines,
nous pouvons plusieurs fois l'an nous poser activement le problème
de l'identité de l'individu, cette fois-ci face au temps.
En effet, à considérer les transformations accomplies ou
supposées accomplies depuis les pre-mières secondes de l'univers,
comment ne pas se lamenter, se tordre les mains de rage devant cette
certitude : nous n'assisterons pas à ce qui sera, non pas
dans cent, deux cents ou mille ans, mais dans cent millions
d'années ?
J'aimerais vraiment savoir à quoi ressemblera alors la mairie du Xe
arrondissement, à cette épo-que qui est aussi loin de nous que
celle de la formation des atomes légers...
Autant de n'avoir pas vécu les époques passées m'indiffère (si
je fais l'effort de ne pas y pen-ser), autant la certitude que je ne
serai pas là me laisse inconsolable?
L'Histoire universelle est un tel spectacle qu'il est véritablement
accablant de se savoir d'emblée privé des
99,999999999999999999999999999999999999999999
99999999999999999999999999999999999999999999999999999999999999999%
de ce qui aura eu lieu .
Il est vraiment très difficile de proposer une échelle - entre
autres moyens de comparaison - qui permettrait à l'esprit de se
faire une idée, ou ne serait-ce qu'une vague représentation, de
l'invraisemblable brièveté de notre Histoire. L'histoire, non pas
des protons, des amibes ou des brontosaures, mais celle qui compte,
disons celle qui commencerait à Adam.
Effort méritoire : celui
qui consiste à contracter, par homothétie, 45 millions de
siècles (histoire de la Terre) sur une de nos années civiles (depuis
les étrennes jusqu'au Réveillon). Voici ce que cela donne :
1er janvier formation de la Terre
28 mars premières bactéries
du 12 au 26 décembre apparition, règne, disparition
des dinosaures
31 décembre (17 h 30)
Lucy et les australopithèques
31 décembre (18 h 16)
premiers Homo (erectus, habilis, sapiens, etc.)
31 décembre (23 h 54)
Neandertal
31 décembre (23 h 59 min 46
s) début de
l'ère chrétienne
31 décembre (23 h 59 min 59 s 99/100) premiers
pas sur la Lune.
A cette échelle, la vie moyenne d'un Français dure une
demi-seconde .
N'apparaissant que le temps d'une étincelle, nous ne saurons rien de
l'époque où les pommiers particulaires étaient en fleurs, de
celle où l'énergie s'est solidifiée en matière, ayant passé
les quelques instants dont nous disposions sur Terre entre des
problèmes de découpage électoral, d'OPA sur l'UAP, de tarification
des chèques, colonnes de Buren, et autres grands débats de
so-ciété.
Et pourtant nous vivons bien cette époque formidable que
désignait hardiment Reiser dès le dé-but des années 70, au
regard d'autres périodes connues de l'Histoire. Mon père me
faisait ob-server, quand j'étais adolescent, combien sa
génération aurait été unique, par le nombre de moyens de transport
différents qu'elle aurait connus : charrette à bras ou à
cheval, automo-bile/train, avion/hélicoptère,
fusée/satellite/navette.
Au fait, en voilà une vraie question : notre époque est-elle
plus passionnante que les autres ?
DU PAPE AU ROCK
Ce qui ne colle évidemment plus - et il faut pourtant bien que
tout colle - c'est alors ce retour désolant et brutal des religions,
des mysticismes en tous genres, et de leurs inséparables varian-tes
intégristes.
Or ce qu'ont en commun toutes ces religions, tous ces mysticismes,
c'est la dissolution totale de l'identité de l'individu , que ce
soit en face d'un dieu tout-puissant ou dans une unité qui les
confond tous?
Même pour un laïque tolérant , intelligent, patient et ouvert,
la nécessité s'impose peu à peu d'avoir sans cesse, prêt à
dégainer, un témoignage de profond respect pour le moindre
archevê-que ou imam, sous peine de paraître soi-même
intolérant et fanatique...
Il est convenu d'accepter non seulement la présence, mais aussi la
nécessité de religions, de rites dans ces religions, ainsi que la
notion de blasphème ou de sacrilège.
Chacun a aujourd'hui droit à sa religion, et implicitement à tous
les excès de sa religion (procès et condamnations - jamais moins
qu'à mort ou à mutilation -, excommunication) : drôles de mots,
drôles de m¦urs, sacrés come-backs.
Les déplacements du pape font toujours un tabac, c'est un
fait. Mais seul Delfeil de Ton sait s'arrêter sur les aspects utiles
à former notre jugement. Ainsi, sur ces nombreux Africains (une
demi-douzaine) morts piétinés et/ou écrasés lors des
gigantesques mouvements de foule accom-pagnant traditionnellement les
voyages pontificaux dans les pays - évidemment - les plus
défa-vorisés.
Et avec cette pédagogie toute simple qu'il jouit visiblement de
mettre à l'épreuve en s'efforçant (comme ici) de ne jamais
quitter les cimes du bon sens, D.D.T. rappelait que, pour bien moins,
un groupe de rock verrait aussitôt ses représentations, voire son
simple séjour, interdits sur le ter-ritoire de n'importe quel pays.
Quatre ou cinq cadavres, ou même un seul, ne serait-ce pas des fois
un peu lourd à porter, parmi les souvenirs de ses différents
voyages professionnels, quand c'est vraiment pour rien qu'ils
ont été arrachés - dans les épouvantables souffrances qu'on
de-vine - à l'affection de leurs enfants*, et quand on en est le seul responsable
?
[*] Et attention ! Aucune de ces pudeurs anti
misérabilistes ne sont recevables, dans un contexte afro-pontifical
aussi endeuillé, et surtout pas non plus ces réticences tellement
banales face à une certaine "sensiblerie" : l'Église ne procède elle-même que
d'une immense construction sensi-ble, s'appuyant depuis ses origines
mêmes sur la sollicitation systématique de nos sentiments,
sensations, émotions de toute nature (jusqu'aux plus glandulaires
d'entre elles), et non pas sur la culture d'un certain fatalisme ou,
encore moins, sur le mépris des valeurs
temporelles.
C'est d'ailleurs à cette
finesse, très précisément, que le christianisme doit le
principal de ses mérites. Au contraire des bouddhistes, des
brahmanistes et des musulmans, toujours prêts à sauter sur les
bonnes occasions d'offrir leur viande en sacrifice (et parvenant en
effet souvent à faire leurs intéressants, parfois même à
très bon compte : une simple grenade, ou bien quelques litres
d'essence), les chrétiens, eux, se sont rapidement mijotés une
raison d'être assez rou-blarde, tendant globalement à passer
sur terre - et pas ailleurs - les meilleurs de leurs mo-ments. Ils
ont à cette fin établi sur de solides bases une puissante et bien
confortable civilisa-tion :
o faisant d'eux les maîtres incontestés de la planète (ce
qui les autorise incidemment à s'y servir de tout, et à
discrétion) ;
o les nourrissant à satiété (et bien plus encore), mais
sans les empêcher pour autant de prêter quelque argent aux
fanatiques, chaque fois que l'exige une certaine décence
internationale ;
o leur permettant enfin de savourer - quand les ventres
ballonnés insistent pour revenir s'exposer au Journal de vingt heures
- le luxe d'une ultime bonne action : offrir aux dirigeants de ces
pays déshérités une chaleureuse remise de dette.
En définitive, sans l'ombre d'une arrière-pensée et par tous
leurs orifices, les chrétiens de toute la planète jouissent à
présent de tous ces plaisirs et toutes ces satisfactions qui sont en
effet à la portée du plus grand nombre, certes, mais dont
abondance et la diversité sont désormais telles qu'une vie tout
entière ne suffit plus à les goûter tous.
Sont donc déplorés, avec une convaincante unanimité, chacun des
décès (incendies, noyades, sui-cides et autres agonies sous les
pieds d'une foule en délire) intervenant avant l'âge.
Ce chiffre, garanti à quelques unités près par les
professionnels de la médecine et des assuran-ces, se situe
heureusement de nos jours à un niveau très élevé. Grâces en
soient cent et mille fois rendues aux innombrables progrès,
connaissances, et aux victoires de toutes natures qu'ont remportées
en vingt siècles nos hommes de Science et d'industrie, fermement
guidés par ces mêmes préceptes, qui ont assuré
l'épanouissement de notre civilisation vers de temporels mais bien
palpables bénéfices, plutôt que vers l'improbable éternité
des conquêtes spirituelles.
SIGNES EXTERIEURS DE TRADITION RELIGIEUSE
La seule règle (car il en faut une) qui permettrait d'envisager
une certaine viabilité à la cohabita-tion entre les religieux et
la société des laïcs serait de tirer les conséquences d'un
constat simple et assez universellement acceptable : ces?
sensibilités sont d'ordre intérieur (à la boîte crâ-nienne)
et pourraient y rester.
C'est fin 1989 que l'opinion française avait commencé de se
tourmenter à propos du conflit oppo-sant l'enseignement public et
les autorités religieuses musulmanes relativement au port du
fou-lard islamique.
Affrontement entre les lycées (laïques), et les parents (ou
prêtres, ou maîtres-à-croire), entre lesquels dérouillaient les
adolescentes concernées par ce débat.
Le "Grand Rabbin de Paris", volant péniblement au secours du
voile, reprochait à ceux qui refu-sent aux enfants musulmans le
droit de porter le tchador ou aux enfants juifs la kippa leur
"into-lérance".
Ses arguments - extrêmement contemporains (voir ci-dessus) -
étaient d'ailleurs précis : "Au-jourd'hui, ce ne sont plus les
religieux qui font preuve d'intolérance, comme on le leur reproche
si souvent, mais les laïcs. L'école laïque doit donner l'exemple
de la tolérance. La confrontation pour les petits Français avec la
«différence» est une excellente technique pédagogique. Ils
appren-nent à connaître et à respecter l'autre."
Alors prenons-les au mot.
Quel détail vestimentaire partagent les musulmans, et les juifs, et
les autres ?
En gros, un certain goût pour se couvrir la tête (à l'église,
surtout chez les femelles catholi-ques).
Voyons donc ce geste pour ce qu'il est : un signe.
Et supposons que ce signe corresponde à une certaine volonté de
poser un couvercle sur sa boîte crânienne, afin d'en parfaire
l'opacité, et par conséquent de mieux garder pour soi l'intimité
de ses sentiments.
[Hypothèse d'apparence
gratuite, mais, si l'on y réfléchit, finalement pas plus idiote
qu'une au-tre.]
Ainsi, exactement comme la vie nous apprend la pudeur, la
discrétion, et toutes les façons de dissimuler ceux de nos
sentiments, remugles et excrétions susceptibles d'incommoder les
au-tres , on admettrait que la proclamation extérieure des rites,
gestes ou signes rituels, propres à une religion (et qui sont
précisément de nature - sinon à incommoder - du moins à troubler
gratuitement les autres enfants), entrent dans cette
catégorie sur laquelle une unanimité existe d'ores et déjà.
Il faut déplorer que ne se manifestent pas plus souvent des farceurs
aussi bien inspirés que cet Anglais :

Quelques mots sur un testament, et voilà une formidable construction
intello-spirituelle, vieille de 2000 ans, qui branle sur ses bases.
Tout au moins, la partie la plus puérile du dogme.
En un même geste, et donc avec une telle économie de moyens,
aplatir ainsi ce summum du spiri-tuel (le retour du Sauveur), le
comble du temporel (30 000 £ plus les intérêts), et la
mort : voilà bien le chef-d'¦uvre absolu du canular intelligent,
le comble de la civilisation.
Ernest Digweed, écologiste de première classe dans la
catégorie hygyène mentale, toi qui nous a montré le chemin,
nous saurons nous inspirer de ta fulgurante idée quand à notre
tour nous le rédigerons, ce petit papier.
On entend dire partout, citant Malraux, que le XXIe siècle
"sera spirituel ou ne sera pas". Spiri-tuel ou religieux,
nous voilà à peine sortis des interdits de l'Église catholique
(prohibant encore, il y a quelques siècles, de faire remonter
l'histoire de la Terre à plus de 6 000 ans ) qu'il faut affronter de
nouveaux obscurantismes ... A la question "Peut-on à votre avis
concilier la conception scientifique des origines que vous exposez
avec celle des religions ?" le sage Yves Coppens, anthropologue
et paléontologue que le reste de la planète nous envie, répond
prudem-ment : "Je pense que oui. Les chrétiens pratiquants
savent suffisamment interpréter les Écritu-res pour y trouver une
harmonie avec les données de la science. Sauf, bien sûr, si l'on
prend les textes au pied de la lettre."
C'est cela, très exactement, qu'il conviendrait de faire
potasser aux religieux quels qu'ils soient : l'_expression_ "au pied
de la lettre". Jusqu'à ce qu'ils en aient bien perçu toute la
portée. [Et cela, bien avant qu'ils ne reprennent l'habitude de se
confesser .]
LE RAYON NOIR
Mais LE FAIT EST. Le fait est que ceux qui ont créé toutes
choses, de ce côté-là de l'univers, se sont imparablement
assurés que nous resterions bel et bien comme des ballots en face des
no-tions ultimes et insaisissables que seuls quelques poètes ont osé
nommer.
Comme des poules devant un cure-dents, certes, mais surtout pour
toujours.
2001 raconte l'histoire du monde à travers la trajectoire
d'une sorte de mouchard. Celui-ci, ins-tallé dans notre voisinage à
l'origine des temps, lancera une vibration convenue le jour où
l'homme aura approché Dieu jusqu'au point de parvenir à exhumer ce
monolithe de fin du monde. Le sif-flement insupportable de l'immense
pierre noire, émis depuis la Lune dans toutes les directions de
l'univers, porte le pet pour le compte de ceux qui avaient
laissé évoluer les singes du stade animal au stade humain.
Cette fin du deuxième millénaire marque notre parfaite certitude
d'être désormais largués, l'infini étant ce qu'il
est. Les Anciens ont établi, il y a peut-être 3000 ans, que les
nombres en-tiers n'étaient in fine pas vraiment plus
nombreux que les nombres impairs ou que les multiples de 23 : la
pierre noire a-t-elle sifflé ?
Il n'est pas facile de REPRESENTER cette impossibilité de
représentation. Gébé a inventé un Rayon noir, qu'il définit
comme un "flux tendu" d'intelligence. Après nous avoir
démontré la puis-sance, mais aussi la fatale limite de son
allégorie, une simple petite bouille d'Einstein perdue au milieu du
cosmos parvient à nous faire goûter le morceau de connaissance à
laquelle Einstein au-rait accédé si, in extremis, une
relation inattendue entre masse et énergie ne s'était organisée
dans son esprit, - unification tout à fait imprévue dont Gébé
a le chic de nous préciser qu'une telle trouvaille "ne se refuse
pas"
Os à ronger, donc, sorte
d'indemnité allouée à celui qui allait trouver. Au fait, qui
allait trouver quoi ?
CHAPITRE 8 :
L'argent.
( S U P P R I M É )
CHAPITRE 9 :
Les mots, la
vérité
« Si
l'on examine un cochon d'Inde, on s'aperçoit avec
stupeur
que ce
n'est pas un cochon et qu'il n'est pas d'Inde. Seul le «D'»
est authentique. »
Cavanna.
L'APPRENTISSAGE DES MOTS
Il y a dans l'enrichissement du langage deux phases distinctes...
Une est liée à des pratiques sco-laires, l'autre lui est
postérieure.
Pour la première phase, je me souviens que, arrivé en classe de
quatrième, les petits me parais-saient ridicules, avec leur
voca, compo-de-voca...(comprendre vocabulaire).
L'apprentissage des mots se faisait pour eux
systématiquement, comme dans une autre discipline scolaire , et on
le contrôlait par des interrogations écrites portant sur la liste
à apprendre .
Puis, on passe à la seconde phase d'enrichissement (commençant aux
alentours de l'adolescence), où l'apprentissage de nouveaux mots se
fait de manière beaucoup plus personnelle, par émulation.
Quelqu'un emploie un mot qu'on ne connaît pas, on voit à peu
près de quoi il peut s'agir, et on fait des hypothèses sur sa
signification avant de le réutiliser soi-même devant d'autres. On
ne va qu'exceptionnellement vérifier son sens exact (ou plutôt
officiel) dans un dictionnaire. C'est de ce jour que date, je crois,
ma conviction : littérature et moi n'avons rien à faire
ensemble.
Une des conséquences intéressantes de ce mode d'apprentissage est
que, si nous saisissons mal le sens d'un mot nouveau pour nous, si
nous le réutilisons de manière incorrecte, nous allons ré-pandre
un faux sens, qui pourra, selon le même procédé, s'enraciner
chez nos interlocuteurs, et de préférence chez nos interlocuteurs
privilégiés : enfants, collègues ou collaborateurs, etc.
L'utilisation incorrecte d'un terme, avec le sens qui n'est pas le
sien, est un phénomène typique-ment contagieux.
Alan Kay , ancien chercheur du P.A.R.C. , et dont les travaux sont
sans doute parmi les plus précurseurs du concept Macintosh,
définissait un jour dans une conférence la communication comme
"la mise en commun de l'intersection d'un ensemble d'analogies".
Cela vaut pour l'utilisation commune de la langue. On ne peut
communiquer que sur la base des analogies qu'on possède en
commun avec son interlocuteur. Mais c'est aussi vrai pour
l'utilisation de mots nouveaux mal compris, qui se mettent à créer
des analogies possédées en commun (injus-tifiées celles-là),
comme pour le reste...
Un certain nombre de mots me paraissent exemplaires de ce
phénomène, et, pour certains, je n'ai jamais pu avoir l'impression de
bien les comprendre. Ainsi dialectique, terme dont je me suis
trouvé les oreilles saturées lors de mes années dans les milieux
étudiants de gauche... Quel sens lui donner maintenant ?
Et métaphysique, donc ?
Puis ce fut mon tour de nommer les choses : avec mes enfants, bien
sûr. L'une et l'autre ont adop-té la même attitude méfiante face
au vocabulaire; ce qui donnait (et donne encore parfois) le dialogue
suivant :
- Comment ça s'appelle, ça ? [montrant un outil qui
traîne]
- Un tournevis.
- "Tournevis" ? Drôle de nom. [concluait Marianne]
Je ne me suis jamais lassé de cette espèce d'incrédulité
soupçonneuse (qui me laissait évidem-ment émerveillé, et
toujours dans un même état de pâmoison extatique) face à cet
arbitraire du langage, et donc à chacune de ces manifestations du
doute dans sa forme la plus pure : c'est vrai qu'ils sont
drôles, ces noms, tous ceux qui ne sont ni papa, ni maman, ni biberon,
ni poupée, ni caca, aucun de ces mots du début. Ils sont
tous drôles.
Dans cette interrogation, on trouve une assimilation évidente entre
nom commun et nom propre : l'effet de surprise aurait été
identique en apprenant que le voisin, ou l'ami, ou le présentateur
du Disney Channel s'appelait Jean-Gaston von Courtecuisse. [Drôle de
nom.]
Mais voilà : on a décidé il y a longtemps d'utiliser le même
instrument verbal pour désigner les choses et pour
nommer les gens. En anglais c'est pareil .
Ensuite, je me souviens de mon propre éblouissement, vers l'âge de
huit ou neuf ans, lorsque j'entendis Montand chanter la superbe
adaptation (Kosma bien sûr) du poème de Prévert Dans ma
maison :
[?] Il faut être bête comme l'homme l'est si
souvent
Pour dire des choses aussi bêtes que
Bête comme ses pieds, gai comme un pinson.
Mais le pinson n'est pas gai!
Il est seulement gai quand il est gai,
et triste quand il est triste.
Ou ni gai ni triste.
Est-ce qu'on sait ce que c'est un pinson ?
D'ailleurs, il ne s'appelle pas réellement comme ça,
C'est l'homme qui a appelé cet oiseau comme ça.
Pin-son.
Pinson pinson pinson [?]
Bien avant Gébé, il y avait donc des gens capables de penser
plus loin, d'oser se poser certaines questions plus culottées que
d'autres, autrement dit capables de remettre en question des no-tions
tellement fondamentales qu'on ne les évoque d'ailleurs jamais .
"Ça ne s'appelle pas REELLEMENT un pinson."
Réellement!
Mais où donc, grâce à quelle inspiration et dans quels champs
sémantiques infinis, Prévert a-t-il osé puiser ce foudroyant
adverbe ? Seule interprétation vaguement à la hauteur du texte :
celle d'une inconcevable forme de REALITE, dont il aurait par
exemple ressenti certains vertiges, et dont à son tour il tenterait
de nous suggérer - par rapprochement avec cette formidable
combi-naison de lettres et de syllabes - une certaine
sonorité : nous qui sommes (un tout petit peu) sensibles à ce
genre de sensations, alors que notre esprit n'est en aucune façon
dimensionné pour affronter d'aussi redoutables conceptions, et ne
serait-ce que leur simple hypothèse.
Hypothèse qui ne pourrait donc être que celle de La
Réalité (la vraie). Une réalité indépendante de l'homme, au
point d'être dépourvue de toute connexion avec l'humanité
céleste et tout d'abord avec la vie.
Indépendante de l'homme, cette réalité lui serait par
conséquent bien antérieure.
Exactement comme quand on se pose la stupide question : combien (de
kilomètres ou d'années-lumière) mesure l'Univers ? (Le fait
même de croire une telle question possible suppose une borne, au-delà
de laquelle on n'est plus dans l'Univers. On est où alors ?
Il n'y a finalement là qu'une manifestation (parmi tellement
d'autres) du simple phénomène de décalage d'échelle : le
paysage qui nous entoure est englobé dans la planète,
sur laquelle nous vivons, elle-même élément (très minoritaire)
du système solaire, celui-ci partie intégrante de notre
galaxie, etc., jusqu'à ce qu'on arrive à dire
Univers.
Là, c'est la fin du jeu.
Si l'on peut répondre à la question (par exemple : quinze
milliards d'années-lumière), c'est que le jeu n'était pas
vraiment fini, et qu'on avait employé, à tort (c'est-à-dire TROP
TOT) le mot Uni-vers.
Idem pour Prévert :"Ça ne s'appelle pas (?)"
En effet, de deux choses l'une :
1) Ou bien ça ne s'appelle pas. Un truc orange, qui
vole et qui fait cui-cui ne s'appelle pas . C'est simplement orange,
ça vole, etc. Et pour diverses raisons de commodité, une autre
catégorie de trucs (nous autres) ont décidé d'employer un signal
verbal assez court (deux syllabes, six lettres) pour s'y référer
le cas échéant.
2) Ou bien dans la véritable existence (celle que
fréquentent précisément les habitants de l'Univers-du-dessus) ça
s'appelle autrement.
Dans tous les cas, l'homme est perdant : lui qui croyait être le
maître du monde (le seul sans doute capable de l'expliquer, et
notamment de l'expliquer aux enfants), eh bien le voilà pris en
flagrant délit d'amateurisme. Il n'applique pas les vraies
règles.
Et il nous faut encore recevoir cette bouleversante révélation
: c'est l'homme.
LE NOM DES CHOSES
Puis, tout cela (le nom des choses, les mots pour les désigner)
s'est aggravé.
J'ai commencé par me sentir gratouillé, puis chatouillé, par le
nom des gens (y compris leur pré-nom), le nom des objets (y compris
leur marque), le nom de tout ce qui se nomme.
Pour commencer, un exemple bien excentré, propre à situer la
température du phénomène :
Une loi
Vers la fin des années Giscard, un des barons du régime,
sur lequel se concentraient avec la plus belle unanimité les
sensations oppositionnelles de nous autres gens-de-gauche, était
Alain Peyre-fitte, genre de bad guy caricatural, alors ministre
de la Justice. Sous couvert de réformer la procédure, celui-ci fit
élaborer au vu et au su de chacun une sale loi, votée par les deux
chambres malgré les hurlements conjoints de l'opposition, des
syndicats, et même de l'intelligentsia fran-çaise en général
.
Ce type était un malin,
plutôt moderne. Il avait dès le début de cette opération pris
le parti de présenter son projet sous un nom. Alors que la
loi sur l'IVG s'appelle la Loi Veil, celle sur les loyers est la loi
Quilliot, sans oublier la loi Neuwirth, etc., Peyrefitte présenta
son projet sous le nom tout à fait inhabituel : loi Sécurité
et Liberté.
Et son calcul a très bien marché : ravis de pouvoir lancer un
nouveau mot, les médias se précipitè-rent, et le nom de cette
loi fut promptement entériné. Dix ans plus tard, il y est toujours
fait référence sous cette dénomination (y compris dans la bouche
des dirigeants actuels) : il n'y a jamais eu de loi Peyrefitte,
heureusement pour son créateur qui y avait sans doute pensé.
Bien sûr, le nom de cette loi ne dit rien : "Loi
n°113-79" transporterait autant de sens.
Mais, surtout, le procédé ne s'apparente à rien d'autre qu'au
déguisement (ou maquillage), exac-tement de la même façon qu'on
nomme ultra-bright un dentifrice ou un Longueurs et
Pointes un shampoing, c'est-à-dire en affublant le produit d'une
dénomination strictement conforme aux effets que le public en attend
tout benoîtement :
- pour un dentifrice, procurer un sourire éclatant ;
- pour un shampoing, soigner particulièrement la longueur (?)
et la pointe (?) des cheveux ;
- pour une réforme de la Justice, apporter de la sécurité
et de la liberté.
Ainsi, malgré le caractère grossièrement tautologique de cette
dénomination, les professionnels de la communication (y compris à
gauche) n'y ont rien vu. Auraient-ils vu "Bonheur et Tranquillité"
ou "Joie et Sérénité" ?
Des chiffres
Pas bien loin de cet exemple, je suis toujours frappé de
constater comment la France, pour ten-ter de combler un retard (ou ce
qu'elle juge tel) avec les USA, met bien souvent les bouchées
doubles et arrive à des usages insupportables ou ridicules.
Ainsi, le zèle naïf avec lequel nous nous sommes efforcés de
nommer nos autoroutes : A6, A86, A4, A8, tandis que nos voisins, plus
primitifs, en sont encore à parler d'autoroute du Soleil, de la
Montagne, etc. .
Ou bien, nos universités : Paris VI, Paris VII, Paris XIII, voilà
qui fait autrement "pro" que Ber-keley ou Princeton.
L'introduction du code postal, aussi, a bien marqué cette maladresse
avec laquelle nous tentons de singer nos grands voisins : là où
les Américains, par exemple, maintiennent contre vents et marées
deux (ou trois) petites lettres en prolongement systématique de leur
"ZIPcode" (Fla, Ca, Co, Va, Il, Wa), nous éliminons aussi
sec le nom de nos départements, ce qui aboutit à des situa-tions
aussi absurdes que dommageables , s'agissant par exemple d'adresses
particulièrement régionalisées : gastronomie française en tous
genres ("Clos-Valonnières Grand Cru, 18705 Coti-gnan"), offres
d'emploi, et autres situations caractérisées par une très forte
valeur (ou contre-valeur) induite par la localisation . Qui sait
seulement encore - à part quelques enragés des numéros
minéralogiques - dans quel coin de la France se situe le département
18xxx ? Et les étrangers, acheteurs de ces vins et de ces
confits d'oie, apprennent-ils à l'école, en CM1-CM2, le numéro
de nos départements ? Mieux vaut sans doute penser que, dans un tel
doute (acheter une spécialité du terroir français originaire
peut-être du Val-de-Marne, ou même de la Seine-Saint-Denis), ils
ne se rabattent prudemment sur un bon vieux foie gras landais
tchécoslovaque, et baste !
Mais nous avons également réussi à supprimer tous nos indicatifs
téléphoniques à base de mots (les VOLtaire, les MEDicis, etc.),
pour les remplacer par des 48.05 ou des 42.72, nous montrant par là
même incapables d'inventer de nouveaux noms lors de
l'extension du réseau et multi-pliant ainsi à plaisir les
indicatifs chiffrés, bien qu'ils n'aient aucun sens et soient
évidemment plus difficiles à retenir.
Ayant fait éliminer des cadrans le rappel pseudo-alphabétique
(ABC, DEF, GHI, etc.), les PTT françaises ont rendu impossibles les
références, même décoratives, à une numérotation
littérale. Or, aucune électronique ne se dissimulait derrière ces
pseudo-lettres : ce n'était bel et bien que du marquage, et
leur suppression n'a donc entraîné, je le jure, aucune
économie.
[Aux États-Unis, ce simple
marquage des cadrans étant tout bêtement conservé, des
entreprises peuvent pratiquer une forme supplémentaire de
différenciation, par un aspect plus pratique, plus complice, plus
amical, plutôt mieux en un mot .]
Et quant aux voitures, les Américains (toujours eux) leur donnent
des noms. Nous, pays moderne, ne nous laissons plus embêter
par ce genre de contrainte. Nous appelons nos autos des 205, des 605,
des R25 , et même, pour celui de nos constructeurs dont l'audace est
proprement légen-daire : CX.
Des lettres
Et, à côté de cette volonté de faire sérieux en
supprimant les vrais mots, nous nous distinguons par une
remarquable incapacité à utiliser la langue pour décrire les
innovations, créations, ou sim-ples évolutions : le Train à
Grande Vitesse, par quoi sera-t-il suivi ? Par un TTGV, qui
précédera lui-même un Train à Super-Grande vitesse ?
Et la TGB, Très Grande Bibliothèque ?
Pas gênés apparemment, ces responsables de projets, ces dirigeants
(plutôt prestigieux), de re-courir à ces superlatifs puérils -
un enfant trouverait-il plus insignifiant ? - que leurs
prédé-cesseurs avaient su éviter .
Des néo-gallicismes (anti-anglicismes)
Nous sommes encore tout fiers, en France, d'avoir réussi à
ce que s'impose, finalement, logiciel en place de
«software».
Il est vrai que l'emploi de logiciel est maintenant (mi-1990)
bien répandu, et avec un degré satis-faisant de ce naturel
indispensable à l'acceptation sociale des nouveaux mots. (Alors
qu'on a l'air tout endimanché, le cou serré par la cravate de son
pépé, quand on s'essaie à employer MEM, MEV, SED, bogue ou
baladeur.)
Sauf que ce n'est pas le même mot.
Le software anglais est un concept extrêmement riche,
dépassant de très loin les minuscules limites de l'industrie
informatique. Et désignant à peu près toutes les formes de
contenu capa-bles d'animer, ou de justifier l'animation, d'un
contenant (le plus souvent) mécanique.
On se souvient peut-être de l'origine du "guide Michelin" : le
fabricant de pneus, qui détenait déjà -comme il détient
encore- une confortable majorité du marché français, voyait son
expan-sion industrielle strictement accrochée à la locomotive des
constructeurs automobiles. Une fois les voitures acquises, il fallait
attendre l'usure des pneus dont elles était équipées d'origine
pour en vendre de nouvelles paires (ou de nouveaux jeux ?) aux
automobilistes. Or l'usure ne se provo-que pas . D'où l'idée de
recenser tous les points de vue, coups d'¦il, restaurants, et autres
rai-sons justifiant pour un automobiliste d'avoir à faire de la
route, ou au moins de faire un détour, bref d'user ses
pneus.
Ainsi, le Guide Michelin était-il une des premières formes du
software : si l'on ne sait pas où al-ler, que faire de sa
voiture (et par conséquent de ses pneus) ?
Près d'un siècle plus tard, on trouve dans les pages culturelles
d'un de nos magazines, ce genre de question : "Philips
n'aurait pas préféré vous voir faire du Brahms plutôt que du
Chostako-vitch ?"
C'est vrai, ça : qu'est-ce que Brahms, Bach ou Chostakovitch
pour Philips, CBS, ou Sony , sinon du soft ?
De même qu'un ordinateur, aussi brillamment conçu soit-il, ne
saurait se vendre s'il n'est accom-pagné d'un logiciel attractif, de
même un nouveau standard d'enregistrement musical (ou autre) ne peut
apparaître sur le marché qu'accompagné d'un nombre très
important de programmes [où l'on retrouve ce mot],
faute de quoi le public ne trouvera aucune raison de s'équiper des
appa-reils propres à lire - ou animer - le nouveau
média.
Et c'est là que le maladroit Français trébuche et s'étale en
pleine gadoue, couvert de son inopé-rante bonne volonté : ni par
l'étymologie, ni par une tentative d'usage, logiciel ne
pourrait apparaî-tre, si peu que ce soit, comme désignant
raisonnablement :
- les destinations d'un tour-operator,
- les films (Spielberg, Coppola, Oury, Berri?) d'un support
vidéo,
- les livres d'une bibliothèque,
etc.
Aux limites de l'anglais, ne sont-ils pas attendrissants ces noms que
de modestes entrepreneurs français, pratiquant un maladroit
radotage, donnent aux sociétés qu'ils créent à tour de bras
depuis le début des 80's, dans tous ces nouveaux champs
d'activités offerts par l'informatique (généralement individuelle)
et ce qui peut l'accompagner : "Computel", par exemple,
ou "Compubit" (confrère vraisemblable de
"Compubyte"), aux sonorités multiples, mais si fraîches, si
parfumées, si élégantes, et finalement si flatteuses en langue
française que leur exégèse ne s'impose nulle-ment
.
Ou encore (dans un genre connexe), ce logiciel nommé
"Gestaporc" : si l'on fait abstraction de fortuites sonorités
susceptibles de rappeler - de très loin - certaines ambiances
nazies, n'évoque-t-il pas avec bonheur sa destination fonctionnelle
qui, est précisément, de permettre la gestion (automatisée)
d'une porcherie industrielle ?
Des noms propres
Mais les commis de l'État ne sont pas seuls à souffrir de
cette regrettable carence d'imagination lorsqu'il s'agit de
nommer une création : voyons les romanciers, les cinéastes,
qui donnent à leur ¦uvre le nom du personnage principal, lequel ne
signifie rien (rien), puisque précisément dépourvu d'existence
en dehors du livre ou du film....
Le sens du titre atteint alors une valeur vraiment très proche du
zéro absolu.
Qu'on compare la puissance de sens atteinte par Hugo quand il crée
le titre Les Misérables, déjà tout empreint de cette
sorte de pudeur - encore inédite - qui va précisément
caractériser l'¦uvre , ou le concentré que représente Autant
en emporte le vent, Le salaire de la peur, Apo-calypse now, Les
raisins de la colère, Shock corridor, Cercle des poètes disparus,
Une mort très douce, Bonjour tristesse, Hiroshima mon amour, Les
tontons flingueurs, A bout de souffle, Les quatre cents coups,
etc., etc.
Au contraire, le manque total de signification qu'offrent les
titres Fanny, Manon, Nana, Carmen, Eugénie Grandet, Annie Hall,
Colomba, Clérambard, Eugène Onéguine, Lorenzaccio, Dracula,
Ma-dame Bovary ou La chartreuse de Parme dénote une
limite précise (et regrettable) à la fécondité de leurs
auteurs, au moment pourtant si critique de la finalisation,
c'est-à-dire du baptême, de l'¦uvre qu'ils ont en général
portée pendant de longues années et dont ils admettent ainsi
implici-tement l'absence de titre. Dans un autre contexte, celui de la
musique, par exemple, il suffirait alors de numéroter l'¦uvre (à
la manière des compositions de Bach et de Mozart : BWV 546, K215),
ce qui donnerait : J'ai pas trouvé de titre ADM2 , etc.
Le «Le»
A lui seul, le
titrage offre un champ d'indignation assez vaste pour les maniaques de
la dénomina-tion.
Entre autres, parce qu'à la littérature, au théâtre, au
cinéma viennent se joindre tous les moyens d'information (journaux,
TV, etc.), gros consommateurs de titres.
L'emphase inhérente au genre se déploie alors tous azimuts, et
voilà les unes de notre paysage journalistique.
"La bataille de Beyrouth" (alors qu'il y a trois batailles par
semaine à Beyrouth depuis quinze ans), ce La étant censé
illustré le caractère ultime des affrontements rapportés
;
"Giscard : LE retour" (il a fait une conférence de presse) ;
"Rocard : LE bilan" (après sept mois de gouvernement),
etc.
Mais, pour bien comprendre ce mécanisme pervers, prenez un auteur
sympa [j'ai choisi au hasard : Marcel Aymé], choisissez une de ses
¦uvres, particulièrement originale et au titre pourtant bien modeste
: Traversée de Paris.
Adaptez-la maintenant au cinéma (avec la complicité même de
l'auteur). Et le titre devient aussi-tôt racoleur, en même temps
que mensonger et prétentieux : La traversée de Paris.
Mensonger : l'auteur s'était contenté de raconter une
marche forcée à travers Paris. Le nouveau titre fait implicitement
référence à une odyssée mémorable, balayant par sa seule
densité le souvenir de toutes autres traversées.
Prétentieux : aucune autre histoire relatant une traversée de
Paris ne mérite désormais plus un tel titre. Il n'y en a qu'une
(les autres ne sont que des usurpatrices, à la réputation
largement surfaite).
LE NOM DES GENS
Ça commence par le prénom : Daniel-Blaise, Georges-Marc,
Franz-Olivier, et ça continue avec le reste (double nom, particule,
titre nobiliaire, etc.).
Imagine-t-on qu'on appelle encore aujourd'hui, en France, quelqu'un
Monseigneur ? Pour de vrai, je veux dire sans rire ou se ficher de
lui. Écoutez pourtant un journaliste radio ou TV interviewer un
"prélat", vous entendrez combien ils en ont plein la bouche, du
Monseigneur, ou Mgr pour la presse écrite. [De fait, ça
s'articule un peu comme on déglutit une meringue.]
Pareil pour le comte de Paris : on l'appelle Comte de Paris,
déjà. (Ensuite, le reste.)
Nous avons tous, maintes
fois, entendu Poniatowski se faire donner du prince par tel ou
tel inter-viewer empressé. Ou bien d'autres altesse, sa
sainteté (plus rare).
Se souvient-on du zèle imbécile avec lequel se déployait en
Altesse, en Votre Altesse, et en Son Altesse Impériale, certain
courtisan maintenant académicien , au moment de l'invraisemblable
happening - pourtant officialisé par notre république au titre de
la coopération franco-africaine - qui marqua la fin des années 70
: le couronnement [marquer ici une pause à l'intention des clas-ses
nées après l'événement] du colonel Bokassa comme empereur de
Centrafrique.
Mais oui, en 1978 on trouvait encore au plus haut niveau de l'État
(le Président lui-même, ainsi que ses plus proches collaborateurs
ou confidents) des gens capables de prononcer les syllabes :
em pe reur
trône im pé rial
cou ro nne ment
Bo ka ssa Pre mier
sans hurler de rire et s'enfuir à toutes jambes pour "chercher
sur la terre un endroit écarté, où d'être homme d'honneur on
ait la liberté", comme Alceste - après ce fatal
discrédit - s'en serait efforcé.
Or, elles sont pourtant bien lumineuses, aveuglantes même, les
connexions de ce phénomène hy-pernymique avec une certaine
nostalgie aristocratique :
Georges-Marc, où as-tu rangé les clés du garage ? Franz-Olivier,
donne-moi tes chaussettes je fais une machine! Daniel-Blaise, mets tes
pantoufles !
Allons donc! C'est impossible. Sûr et certain que si on demande à
leurs amis d'enfance, à leurs proches parents, à leurs bulletins
scolaires, où bien si l'on écoutait la rumeur de leur cuisine ou
de leur salle de bains (Georges, les clés! Daniel, tes pantoufles!,
etc.) ces gens s'appellent Georges, Daniel, Franz (Franz, tes
chaussettes !). Je parierais qu'en écoutant dans la salle de
bains ou dans la cuisine de Georges-Marc, c'est ce qu'on
entendrait.
Tiens, épinglés ces derniers temps dans Le Monde, Le
Figaro, ainsi que dans les news et autres publications
françaises chic : Victor-Henri Naniche, Marie-Berthe Debidour,
Claude-Marie de Roberville, Paul-Laurent Horth, Alain-Gérard
Dreyfus, Samuel-Joseph Eggly, Georges-Olivier Temple, Georges-Adrien
Kahn, Guy-Claude Calvet, Yves-Marie Maitre, Jacques-Rolland Tremois,
François-Georges Slama, Jacques-Simon Agnon, Paul-Marc Courtine,
Louis-Jean Cogné, Pierre-Aimé Chateaureynaud, Guy-Michel
Seillère, Alain-Gérard Matthey, Frédéric-Jacques Touchard,
Auguste-Alain Slama, Ernest-Antoine Sahores, Daniel-Blaise Burger,
Marcel-Francis Assoun, Robert-Julien Cortèze, Léon-Camille Hilaire
?
On voit que cette touchante faiblesse semble caractériser plutôt
le genre masculin (à moins que ce ne soient les hommes qui se
débrouillent pour se faire remarquer plus souvent); mais les dames ne
sont pas en reste finalement, quand il s'agit sinon d'enluminer, mais
tout au moins de compli-quer comme à plaisir leur patronyme.
N'est-ce pas Georgette Mialou-Marsh-Feiley, Marie-Claire
Abdallah-Pretceille, Monique Braunstein-Sylvestre, Béatrice
Ropars-Wuilleumier, Denise Kasba-rian-Bricout, Debora Ey-Dormois,
Martine Hoyningen-Huene, Florence Cawley-Goolagong, Evonne
Braoudo-Langleben? ?
Seulement ?
Peut-être, des profondeurs de leur ça (ou de tout autre
sanctuaire subcrânien), est-elle montée un certain jour l'envie
de booster un peu leur ego : envie profonde,
assurément, sans doute même irrépressible, car il doit falloir pas
mal d'efforts pour s'habituer à un nouvel état civil (même
privé), ainsi que pour y acclimater ses proches et, surtout, pour
encaisser leur regard - peut-être un peu narquois ? - au moment de
la révélation.
Tranche de vie : M. Naniche (Victor de son prénom, que ses oncles et
tantes appelaient Vivi, et ses copains Totor) est
photographe publicitaire.
Ayant récemment cédé à cette vieille envie qu'il avait
d'enrichir son prénom, il a donc pris - face à lui-même - la
décision d'attacher à Victor (par le moyen d'un petit trait)
cet Henri qui traînait vainement, depuis trente-cinq ans, en
seconde position sur ses passeports, permis, ausweiss, etc.
Après quelques jours d'impatience juvénile, M. Naniche prend
cependant conscience de la déli-cate (et peut-être interminable)
suite de situations qu'il va maintenant lui falloir affronter, sans
l'aide de quiconque bien sûr, seul avec lui-même donc, tout seul
comme un grand : trop tard en effet pour sauter en marche, maintenant
surtout qu'il a déballé - avec exactement le plaisir attendu -
tous ces colis de papier à lettre, enveloppes, autocollants et
cartes de visite procla-mant sa nouvelle
prénonymie.
Ayant lucidement éliminé
tous projets de faire-part, ou autres circulaires propres à le
ridiculi-ser, il se détermine en faveur d'une information en tache
d'huile : jour après jour donc, c'est aux principaux piliers de son
environnement personnel qu'il commence à révéler son nouveau
prénom, sans parvenir à contrôler malheureusement la lourdeur avec
laquelle il affecte auprès d'eux in-souciance et désinvolture.
Mais pourquoi donc cette affectation de naturel ? C'est qu'après
chacune des épreuves, après chacune des plaisanteries et chacun
des violents éclats de rire, une affreuse réalité se fait jour
peu à peu dans l'esprit affolé de M. Naniche : c'est un morceau
tout entier de sa personnalité, un aspect terriblement secret de
lui-même - bien plus secret en tous cas qu'il ne l'avait pressenti -
qu'il expose complaisamment; et avec une consternante maladresse,
au grand jour.
Gardant tout leur calme en face de ce maladroit déballage,
l'assistante, le garçon de laboratoire, et l'apprenti se sont
évidemment adaptés, sans même se poser de questions (tocades et
foucades leur sont évidemment bien connues comme tellement propres
aux artistes). Et c'est maintenant du Victor-Henri qu'ils
donnent à M. Naniche, en s'efforçant d'enchaîner avec une
fluence la plus naturelle possible ces syllabes encore un peu
rétives : "Victor-Henri, je peux aller déjeu-ner ?"??"Allô
Victor-Henri ?"??"N'oublie pas de filer sa péloche à
Victor-Henri"??
Quand survient l'accident, ou plutôt quand arrive inévitablement
ce qui devait arriver : entrée inopinée d'un ami très proche (ou
d'un client régulier, ou d'une ancienne maîtresse), juste au
mo-ment où traverse le studio l'interrogation fatale : "c'est bien
des 13 x 18 que vous voulez, Victor-Henri ?"
Et voilà le flagrant délit. Notre Victor, pense fatalement
le visiteur, mène donc une double vie! Auprès de ceux à qui,
sans doute, il n'en imposait pas assez tous les jours, il s'est
discrètement forgé (avec une extension de son prénom aussi
impitoyablement prétentieuse que celle d'une aile à son château)
un petit rab de standing, et il les oblige (car il en a le pouvoir) à
tenir compte de cette nouvelle paire de phares à iode.
Inexcusable exhibitionnisme, fatale imprudence, alors que tous,
nous avons si bien appris à dé-ployer de tels efforts (et depuis
si longtemps), pour que soit assurée à tout instant, vis-à-vis
de tous les autres, la plus absolue dissimulation de ces
abîmes que les rigueurs de la vie en société exigent de tenir -
hermétiquement enfermés sous l'épaisseur de la calotte - au
secret.
N'ayant pas eu la chance de naître Thibaud de La Haulte-Futaie, ils
ont (sans doute) incorporé leur second prénom au premier (ou bien
leur patronyme à celui d'un proche) et, par le miracle du trait
d'union, cru secouer un peu de la paille qui - à leurs yeux -
collait encore aux galoches de leurs parents.
LE NOM AVANTAGEUX
Par ce même miracle exactement, capable de redorer le blason de
ceux qui n'en ont pas, de bla-son, les dénominations les mieux au
point peuvent à elles seules faire ronfler tout un domaine, lui
conférant dans les meilleurs cas une portée apparente bien plus
avantageuse qu'au naturel
On a vu plus haut que, parmi les principaux utilisateurs de ce
gimmick, se détachent toutes les techniques, doctrines ou
prétendues sciences un peu pauvres en support expérimental et/ou par
trop vulnérables à une contradiction directement verbale :
les cosmétiques, par exemple, qui en font un usage abondant,
absolument systématisé, typique à la fois de la démarche
(lexi-co/néologique) et de l'avantage attendu, caractérisé par
une sorte d'effet intello-buccal :
- résonance cérébrale (sonorité ample, évocatrice de
profondeurs inaccessibles) ;
- plénitude masticatoire (on en a vraiment plein la bouche :
c'est à la fois long à dire, et un peu contraignant pour les
mâchoires, dont un certain déploiement est généralement
nécessaire à une articulation correcte).
HYPO-ALLERGENIQUE, par exemple (dernier quart XXe siècle) :
Cet hypo initial est décidément fort bien troussé,
créant à lui seul dès la seconde syllabe une ambiance
métamédicale, commercialement très avantageuse, et infiniment plus
en tout cas que le rustique anti (capable bien sûr de
s'imposer sans effort à l'esprit des créatifs les plus ploucs,
mais évoquant à lui seul un univers hostile, peuplé
d'antiseptiques, d'antigels, d'antirouille, et de tout ce dont une
femme détesterait s'enduire l'épiderme).
Quant à ce
-génique (là où allergique serait bêtement venu,
sans le moindre enrichissement), ce n'est plus du marketing, mais de
l'Art.
PSYCHANALYSE. Mieux : métapsychanalytique :
Ne semblerait-on pas entendre le même genre de syllabes que chez les
chimistes, lorsqu'ils confrontent leurs interprétations des
phénomènes organophosphorés, ou que chez les physiciens
s'adonnant à la photolithographie submicronique ?
Et ça peut même se décliner entre initiés :
- Georges-Marc est en analyse depuis 1982. Ça marche très
fort.
- Comme analyste il est très directif, mais Anne-Laure ne
jure que par lui.
- Jamais une communauté analytique n'a été à ce point
bouleversée .
ORGANISATIONNEL (immaturité politique au niveau -) :
Caractérise (défavorablement) les instigateurs d'une manif n'ayant
réuni qu'un petit nombre de protestataires et/ou le tabassage d'une
partie d'entre eux par la police et/ou l'extrême droite .
Mais un véritable cas d'école clôture à lui seul ce
grave problème, sans risque du moindre contredit. Nous en sommes
redevables aux souvenirs militaires de mon collègue Alain Maréchal
(qui, comme tout X, a bien connu de l'Armée) :
Comment se faire exempter de telle corvée (piscine, musique, saut en
parachute) ou, de façon générale, comment obtenir le
bénéfice de tel statut (temporairement) dérogatoire, sinon en
pro-duisant ce joker que constitue, dans presque toutes
circonstances, un certificat médical ? Et comment celui-ci
doit-il être libellé, afin qu'en soit obtenu le double effet
suivant :
1. impressionner les gradés, autant que nécessaire à
l'obtention de la dispense ;
2. préserver la sécurité du diplômé signataire (et
donc sans trop solliciter la réalité) ?
Autrement dit, de quelle affection ou de quels symptômes ronflants
peut donc bien attester un médecin scrupuleux, sans faire
preuve de la moindre complaisance vis-à-vis du bénéficaire, et
par conséquent sans engager le moins du monde sa réputation
professionnelle ou morale ?
Alain et ses condisciples ont établi que l'ANOREXIE POST-PRANDIALE
répond en toute rigueur à ce cahier des charges :
- évoquant - dans le cadre d'une réalité médicale
précise - une sorte de fragilité métabolique (sinon
incurable),
- mais ne dénotant chez le bénéficiaire de l'attestation
rien d'autre qu'un manque d'appétit (ano-rexie) consécutif (post)
à la prise de ses repas (prandiale) .
(Chapitre dans la parenthèse)
UNE AUBAINE POUR LES PSYS, ou LA RUEE VERS L'OR DU
VERBE
Le projet freudien était pourtant sympa. Avant de
savoir si on prescrira des comprimés, si on recommandera la pratique
du sport ou bien si l'on invoquera le transfert majuscule et tout le
grand jeu : d'abord mettre tout à plat, bien à plat, tout
le dedans de la tête et le maximum possi-ble. Un peu (un tout petit
peu) comme si l'on s'apprêtait à recenser et identifier tous les
compo-sants de ce beau matériau, c'est-à-dire (par une sorte
d'analogie verbale) à tenter une certaine forme
d'analyse.
Mais c'était avant qu'un infernal snobisme ne s'empare de ce
merveilleux programme.
L'infinie plasticité de ses contours, l'enivrante absence de toutes
frontières au domaine (par quelque bout qu'on le prenne), l'absolue
garantie de connectivité avec tous autres champs de la pensée,
même les plus (apparemment) excentrés, et jusqu'aux plus
fondamentaux, universelle-ment reconnus pour dominer à eux seuls
tous les autres : philosophie, spiritualité, métaphysique,
marxisme, coiffure, art, littérature, enseignement, vie publique,
démocratie, politique.
La chose politique tout entière, avant (et par-dessus) tout le
reste, seul champ d'exploration of-frant l'absolue garantie d'une
prise au sérieux par le reste des classes pensantes (habituées
de-puis Rome à considérer comme simples exercices intellectuels
les réflexions, aussi nobles soient-elles, dépourvues de connexion
avec la problématique du pouvoir ou de l'organisation sociale).
Prioritaire, donc, ce débouché de la psychanalyse dans la
réflexion politique et sociale, sous peine de classification
immédiate parmi les ris et amusements propres à l'adolescence
tourmentée, et renvoi automatique dans la cour des bacheliers, des
rêveurs, et de tous les réfléchisseurs barbus fumant du chanvre
indien sous la lumière des étoiles.
C'est en dernière?
analyse d'une tyrannie intellectuelle (et surtout verbale) que cette
priorité revêtit peu à peu la forme : seules resteraient
recevables - en raison du regard véritablement global qu'elles
exerceraient virtuellement sur toutes choses - les conceptions
politiques inté-grant les apports de la psychanalyse, et pouvant
seules, de ce fait, prétendre à l'universalité.
Bref, un cadre parfait, visiblement propre à accueillir toutes les
spéculations, toutes les astuces, et inévitablement tous les
charlatanismes : des exégètes de Lacan aux promoteurs de
Verdi-glione, ils ne s'en sont d'ailleurs pas privés, déployant,
vis-à-vis de leurs maîtres à penser, et le même esprit
critique et la même exigence dans le jugement que les Tifosi en face
de la Juventus.
Cet acoquinement des psys de tout poil avec le verbe, dans tout ce que
celui-ci peut comporter d'avantageux (pour eux), dégénère
malheureusement en effets secondaires multiples, parfois incommodants
pour tout le monde. Ainsi ont-ils mis sur un formidable piédestal
les actes manqués de toute nature, qui se prêtent tous, et
avec le même bonheur, aux exégèses si profitables au bavard
:
- flattant son logos (c'est précisément à quoi tend
toute cette logorrhée) ;
- mais ne lui faisant pour autant courir aucun risque :
ni contradiction, ni même contestation, pas la plus petite
possibilité de voir mis en question un support technique, quel qu'il
soit, de nature à étayer le discours du cuistre. Et surtout,
par-dessus tout (absolument TOUT), l'assurance abso-lue : aucune
réfutation possible ni même concevable.
Vedette hors concours de la panoplie des actes manqués : le LAPSUS,
évidemment, au nom duquel une véritable tyrannie règne dans tous
les endroits où l'on cause depuis maintenant un bon bout de
siècle. Et - c'est le plus désolant - pas seulement du fait des psys
ou assimilés : chacun y va de son interpellation, avec plus ou moins
d'adresse, plus ou moins d'à-propos, ainsi que l'inévitable dose
d'humour, censée gouverner le tout, que souligne une espèce
d'air entendu (d'ailleurs pas si facile que ça à attraper)
indispensable au genre et propre, en tous cas, à désamorcer les
malaises éventuellement occasionnés par l'intempestif
bavardage.
Où la chose se voudrait la plus profonde, alors qu'elle ne joue le
plus souvent que le rôle d'un cail-lou dans la chaussure, on trouve
bien sûr les propos tenus par les personnages publics, dont
n'importe quel trébuchement suffit à constituer un os capable
d'être rongé pendant des heures et des colonnes :
"Je n'ai jamais été calotin. Il ne faut pas que l'on ne se
trompe pas sur ce sujet", déclare un poli-ticien.
Et la meute de de déchaîner !
Alors il faut les voir, ces amateurs de verbe, faire voile à toute
vapeur, si j'ose dire, en direction de l'informatique et des sciences
de l'information, ayant finalement compris qu'un instrument
extraordinaire avait été inventé pour mouliner, triturer,
traiter les mots avec pour pas un rond les meilleures garanties
offertes par les sciences exactes.
DISTANCES ET VOUVOIEMENT
Les sous-titres (ou doublages) d'anglais en français instituent
presque toujours, à un moment ou à un autre du film, un
tutoiement inopiné entre les personnages, cette transition
n'accompagnant évidemment aucune progression correspondante de la
familiarité dans les dialogues originaux , et alors même que les
plus pointus des anglologues peuvent confirmer qu'aucune forme
appro-chante de tu/vous ne peut être dénichée dans la langue
anglaise/US. [On trouve ici une raison supplémentaire d'aimer
l'Amérique et les Américains .]
Une preuve que ce sont bien les Américains qui ont raison ? Il
n'existe dans leur culture aucun genre approchant de distanciation
sociale. En particulier, pas de noblesse, pas d'aristocratie
(pa-tronymique ou autre), pas de particule, pas de manoir, de castel,
pas le moindre rien. [On cher-cherait en particulier vainement, chez
eux, une forme même bénigne d'hypernymie, que celle-ci s'applique
au prénom ou au patronyme.]
Je suis certain qu'on dit : "Quel temps fait-il chez vous, vous,
monsieur. Kennedy ?", EXACTEMENT de la même façon qu'on dit
chez nous : "Quel temps il fait chez toi, Riton ?" Aucune
nuance perceptible dans la forme, le texte, l'_expression_ de ces deux
questions.
Autrement dit - et cette
hypothèse est toujours celle à laquelle il faut penser à nous
ramener pour évaluer les nuances anthropologiques & Co -,
si un Martien capte ces deux questions, expri-mées en langue
anglaise, il ne peut rien supposer d'une éventuelle
différence de position (relative) entre le poseur de question et le
destinataire de ladite.
La situation est bien différente dans les langues latines, ou le
vouvoiement pourra être claire-ment perçu - sur un certain nombre
d'échantillons - comme strictement équivalent au recul (genre un
pas en arrière) que marquaient nos ancêtres (cf. Molière)
afin de bien marquer les dis-tances que la politesse (humilité)
imposait à tout homme bien né (voir ce mot).
IDENTITE DU MONDE EXTERIEUR,
DENOMINATION DU MILIEU INTERIEUR
Il n'y aurait certes pas besoin de chercher très loin pour
s'apercevoir que ces inquiétudes sur la dénomination et la
qualification fréquentent de près les doutes sur
l'identité. Et c'est bien là que finit par nous amener cette
impossible cohabitation avec le monde inexact des mots : au
mythe, à l'imaginaire, au mensonge. [Avatars tous trois, l'on s'en
doute, du même malaise à dénommer avec suffisamment de
précision les éléments du monde qui nous entoure.]
MYTHE, MYTHOMANIE.
La mythomanie consiste à raconter ou à SE raconter (bref à
DECRIRE) des histoires où les choses se passent conformément à
ce qu'a fabriqué notre IMAGINAIRE :
- première piste : les baratins (j'ai rencontré Catherine
Deneuve et elle m'a embrassé);
- deuxième piste : le roman ou le scénario (trois fringants
célibataires sont chargés de garder en nourrice un nouveau-né
abandonné).
[Il y a ainsi, dans le mensonge et la mythomanie, toute une série de
représentations mentales, supposant elles-mêmes un travail de
réorganisation des "éléments du champ de perception" plus ou
moins poussé selon les cas.
Pour les baratins c'est dur à faire gober (mais il suffit que cela
soit plausible).
Pour les romans ou scénarios, il est très difficile de les faire
accepter, car il faut ici que lesdites représentations mentales
soient portables et ce auprès d'un grand nombre de cervelles, avec
succès.]
- troisième piste, l'invention proprement dite : il faut
déguiser des objets que l'on connaît en choses que l'on n'a
jamais vues, subvertir leur usage, leur donner un rôle, des
partenaires (maté-riels ou au niveau des concepts) qu'ils n'ont
jamais eus. D'ailleurs le langage courant connaît bien cette
analogie, quand il fait dire à un enfant qui a menti :
"Qu'est-ce que c'est que ces inven-tions?"
Mythe et travestissement sont des compagnons permanents de
l'invention ; ils touchent à la sincérité et au mensonge. Mais
le mensonge, grâce à qui nous fréquentons assidûment
l'incertitude, ne passe pas que par le langage.
DE L'UNIFORME
Le vêtement est aussi un moyen de dire quelque chose, et, ainsi
examiné, ce domaine apparem-ment plutôt creux parvient (comme les
autres) à fournir son contingent d'observations récréati-ves :
c'est ici en effet que l'on peut rencontrer certaines limites -
ce n'est pas si fréquent - en l'occurrence celles que les hommes
imposent fondamentalement au mensonge.
Même dans la guerre, qui correspond au degré maximal de la
désorganisation, il subsiste des rè-gles fondamentales de
sincérité. On peut tuer, violer, voler, massacrer, faire tout ce qui
est in-terdit en état normal de civilisation mais il est
interdit de revêtir l'uniforme ennemi. Si ce prin-cipe primitif
n'était pas respecté , personne ne saurait plus qui tuer, et -
sans même parler de l'insupportable stress auquel ne manqueraient
pas de se retrouver alors livrés nos généralissimes - le fait
est qu'il faudrait bien considérer comme globalement et
immédiatement remises en cause l'ensemble des autres règles
du jeu de la guerre.
Ainsi, même une fois libérés le bruit et la fureur, et
irréversiblement déclenchée la pire frénésie dévastatrice,
un embryon de règle commune est-il quand même censé subsister
(ne pas MENTIR sur son camp), alors même que le conflit armé
correspond indiscutablement à la configuration la plus
régressive des relations internationales : sur la base par exemple
du distinguo classique en-tre obligations de moyens et obligations de
résultats, la guerre ne se caractérise que par une impérieuse et
désespérée obligation de résultat.
Sont absous par avance non pas les moyens irréguliers
auxquels auraient ici ou là recouru nos armes, mais en tout cas,
sans discussion possible, et de tous temps, ceux - quels qu'ils soient
- dont l'usage a permis notre victoire.
C'est au crédit de la Seconde Guerre mondiale qu'il faut porter cet
enseignement, dont nous bé-néficions maintenant, et qui nous offre
bien sûr le confort intellectuel propre à toutes
certitu-des : les circonstances spécifiques de la reddition
japonaise (dans un conflit d'ampleur finalement modérée )
correspondaient comme nous le savons maintenant à une transition
entre deux épo-ques de l'histoire de l'humanité.
Certaines règles de sincérité sont donc susceptibles de
passer avant toutes les règles sociales : celles qui
demeurent après que les règles sociales se sont
effondrées.
DU DRAPEAU
Le rôle du déguisement se situe à la charnière entre
l'information et la force. La force est du domaine du matériel,
l'information du domaine de l'abstrait, comme le langage. Le
déguisement, comme le langage, permet d'obtenir les résultats que la
violence, la force physique pourraient obtenir (faire ouvrir un
coffre-fort) à l'aide uniquement d'informations ou même (ici) de
signaux ayant l'apparence d'une information.
Autre cas (militaire de nouveau) : le drapeau blanc.
Rappel : étant donné que pendant tout le temps que durent les
affrontements il y a des morts (ou des dégâts) de chaque côté,
même si l'un des deux camps l'emporte sur l'autre (et même s'il
l'écrase), il était important d'inventer un protocole
permettant au gagnant de savoir le plus vite possible que son
adversaire abandonne.
On a donc inventé pour cela le drapeau blanc. Avec le mode d'emploi
suivant (Règle n°1) :
- en cas d'agitation du drapeau par l'un des deux
protagonistes, les deux armées doivent im-médiatement cesser le
combat , le temps (au moins) que parlementent les commandements
res-pectifs (reddition, conditions de la reddition, négociation sur
ces conditions, voire reprise des combats en cas de désaccord).
Il se déduit de ce mode d'emploi une idée crapuleuse qui n'a pas
manqué de germer dans l'esprit du plus primitif des capitaines,
aussitôt la guerre inventée (ce qui ne nous rajeunit pas) : si
j'agite le drapeau blanc, alors mon adversaire s'arrêtera de taper ;
donc j'agite, il s'arrête, et j'en pro-fite pour le massacrer.
Une des conventions de Genève de ces temps immémoriaux a donc
aussitôt amendé le protocole, en y ajoutant une farouche Règle
n°2 :
- l'usage abusif du drapeau blanc est rigoureusement
défendu, prohibé, tabou.
La Règle n°2 devenait donc nécessairement prioritaire sur toutes
les autres (y compris la Règle n°1), pour des raisons faciles à
comprendre : en particulier, parce que la guerre est en général
considérée non comme une fin, mais comme un moyen (d'avoir la
paix).
Passionné par la guerre de 1914 , je trouve par exemple dans une
chronique publiée en 1921 par l'état-major français la relation
illustrée (croquis 22) d'un fait d'armes illustrant à merveille le
caractère irrésistible de la tentation suscitée par la Règle
n°1339 :
Une forte compagnie allemande est gênée par les tirs d'une
batterie belge, qu'elle ne parvient pas à localiser. Les Allemands
ont alors l'idée d'agiter le drapeau blanc, geste auquel les Belges
ré-agissent comme il faut, c'est-à-dire en hissant leur propre
drapeau blanc. Dommage pour eux : ils se sont signalés par ce geste
à leurs adversaires, qui, les ayant enfin localisés, les canonnent
d'importance, et, dit la chronique, "détruisirent
l'objectif".
Se garder de toute germanophobie triomphante : la même chronique
relate (croquis 23) ce que les militaires doivent considérer comme
une autre anecdote piquante, illustrant cette fois-ci l'ingéniosité
des Français : "Au moment de la débâcle allemande, un
gendarme placé dans un car-refour indiquait aux camions allemands la
route à suivre. Ce gendarme était un Français camouflé en
Boche, et qui envoyait les convois dans nos lignes où ils allaient
bénévolement se faire faire prisonniers."
Il n'y a donc que les Belges à ne pas être ingénieux
?
IGNORANCE, UBIQUITE, OPACITE
Il y a donc les noms et les mots, qui servent en principe à
dire mais qui n'y suffisent pas, et de si loin : tout au contraire
d'une pellicule photographique, à laquelle on pourrait bien sûr
reprocher son incapacité à rendre le velouté d'un pétale
pourpre, ou l'incandescence d'une braise, ou les vi-brations d'un air
surchauffé, ou toutes autres formes de nuances, on se prend à
deviner que le langage trouve des limites bien plus graves puisqu'il
sert à communiquer, et qu'il y a bel et bien de
l'incommunicable.
Communiquer : que ce soit par l'écrit, par l'oral, et sans même
s'attarder sur les variétés - tou-tes plus pittoresques les unes
que les autres - de «non-verbal » (gestes, sons, et autres
attou-chements), le langage joue en permanence le rôle d'une
connexion entre l'intérieur de la tête et l'extérieur.
Incommunicable : inutile d'aller chercher bien loin (extase à la
naissance de son premier enfant, pressentiment d'une apocalypse
imminente, session télépathique avec l'âme de Ramsès II) : de
minuscules situations intérieures n'appartiennent
effectivement pas à l'ordre de la communica-tion.
Minuscules ? On va voir combien, puisque ma première révélation
de ce phénomène se situe à mi-chemin entre l'UDF, la pègre et
un restaurant de la rue Saint-Lazare.
On se souvient peut-être que "l'affaire De Broglie " avait
généré de la part des plus hauts di-gnitaires de l'État toute
une variété de communiqués officiels, dont le plus original
avait été celui d'un intérimaire ministre nommé Bonnet. .
[Celui-ci avait été nommé à l'Intérieur, après deux
années de scandale, par un Premier ministre à bouts d'expédients,
incapable en particulier de différer encore l'élimination d'un
encombrant personnage - certes premier favori du Président - mais
que rendait à présent bien trop com-promettant le rôle de ses
collaborateurs (et plus précisément les relations ambiguës de
ses «ser-vices» avec les fonds les plus bas de cette désolante
affaire de tueurs à gages) : c'est du prince Poniatowski
qu'il s'agissait.]
Plutôt sous que surdoué pour affronter des situations aussi
crapoteuses, et tentant maladroite-ment devant l'Assemblée de
disculper son prédécesseur, Bonnet avait juré - c'est
très rare - que Poniatowski ne savait pas une certaine chose.
Or, une caractéristique fondamentale de notre boîte crânienne,
câblée dans les neurones les plus profonds de notre système
logique tout entier, est précisément que, si la connaissance n'est
pas simulable, l'ignorance, elle, l'est à 100% :
Il me suffit de dire que c'est Joseph Kosma qui a composé
Les feuilles mortes pour établir que je le sais.
Mais si j'ignore que c'est Gaston Ouvrard qui chantait Ah! les
p'tits pois les p'tits pois les p'tits pois, aucun discours ne me
permet d'en administrer la preuve : ceux que je pourrais construire ne
pourraient se distinguer par aucune information, bien sûr, ni même
par aucun terme logique, de ceux que je tenterais - avec la même
impuissance - d'invoquer pour me cacher d'en avoir la
connaissance. A fortiori, nul ne peut se faire une quelconque
idée de mon ignorance, et, encore moins, en acquérir la
certitude.
Double péché donc :
- contre l'intelligence, puisque ces notions élémentaires
(indépendantes de toute époque, culture ou famille de pensée)
sont à portée intellectuelle d'un ministre, fût-il de
circonstance, comme de tout autre individu doué de raison;
- contre la morale qui est la nôtre en ce moment, depuis
tantôt quelques centaines d'années, et qui voit d'un mauvais ¦il
:
o les serments en général (non sollicités par la
Justice),
o les parjures commis à l'occasion des serments.
Enfin, dans cette dernière catégorie, lorsque le péché de faux
témoignage a pour victime une des plus hautes magistratures de
l'État (ainsi que l'on peut raisonnablement qualifier l'Assemblée
des représentants du peuple), supposons pour faire court que de
telles circonstances soient, au mieux, aggravantes.
Ce que m'avait enseigné le fait divers Bonnet/Poniatowski ? Une
seule chose, mais de taille : qu'il existe un abîme entre la
certitude et l'intime conviction.
C'est ce distinguo qu'a méconnu Bonnet, tout au moins dans la
seule hypothèse où il ne sorte pas de cette affaire aussi
abîmé que son protégé : s'il était sincère lors de
son regrettable serment. [Sûrement le genre de type à croire que
les courbes finissent forcément par toucher leurs asymptotes, au
bout d'une certaine longueur de papier.]
Ubiquité
Tentons de remonter les altitudes, après ce détour parmi les
durs et les giscardiens : évitant d'appeler information ce
qui n'est finalement qu'une situation intérieure, arrêtons
nous sur son incommunicabilité.
Il s'agit d'un phénomène particulièrement original, puisqu'il
contredit entièrement la toute pre-mière des règles semblant
caractériser les phénomènes liés à l'information : un
élément informa-tionnel se distingue farouchement de tout
élément matériel par un irréductible don d'ubiquité .
o A partir d'une météorite ramassée dans son jardin, un chimiste
de Bagnolet est parvenu à créer cent grammes d'une poudre dont une
seule particule suffit à transformer un mètre cube de Kro-nenbourg
en autant de Romanée-Conti.
Si notre chimiste envoie une dose de poudre à un confrère,
son stock ne semblera pas affecté par le prélèvement, et de la
poudre sera présente dans les deux laboratoires à la fois. Mais,
bien sûr, si c'est à cent mille confrères qu'il expédie un
échantillon d'un milligramme, son propre stock sera bel et bien
épuisé (il n'y aura plus de poudre à Bagnolet), et l'aventure
sera par conséquent terminée.
o Un autre chimiste obtient un résultat voisin en remplaçant
la météorite par de l'alcool d'endive et, surtout, en
réussissant à déterminer la formule de son composé
(C2H2N2E37).
Enverrait-il à cent mille, ou à mille fois cent mille confrères,
une copie de sa formule, celle-ci ne perdrait rien de ses
propriétés ou de sa valeur. L'information peut, sans aucune limite,
exister à Bagnolet aussi bien que, simultanément, partout ailleurs
dans l'Univers.
À partir du moment où une information est créée :
o l'ignorance de cette information par un certain humain
peut être démontrée :
- par l'intéressé (impossible),
- par qui que ce soit d'autre (impossible) ;
o sa connaissance peut être démontrée :
- par l'intéressé (possible),
- par qui que ce soit d'autre (impossible).
Sur ces quatre cas, l'unique voie d'accès porte donc un nom simple :
la vérité.
Opacité : le pari
De façon générale, le crâne humain se distingue
particulièrement bien du hardware informatique par son OPACITE .
L'homme a cette caractéristique fondamentale qu'il peut
mentir (ou plus simplement : refuser de parler) : les données,
de toute nature, résidant sous son cuir chevelu restent envers et
contre tout son jardin secret.
Jardin secret : délicieuse _expression_ , forgée par un anonyme qui
avait tout compris :
- secret (pas besoin de faire un dessin) ;
- jardin (c'est un espace mental, où l'on fait ce qu'on veut,
et pas seulement conserver des don-nées; je me souviens, je
me raconte mes souvenirs, et même des souvenirs à valeur
ajoutée [les faits plus quelque chose], je m'invente des
choses qui pourraient avoir lieu, qui pourraient avoir eu lieu, qui ne
pourraient pas avoir lieu mais qu'il est tellement jouissif de
m'imaginer quand même, que sais-je encore).
C'est le véritable trou noir des conceptions, représentations,
débats et monologues en tous genre qui germent à plein temps sous la
calotte et qui - la plupart du temps pour notre plus grand bien - y
restent .
Qu'est-ce qui rend si vaste le champ de ces spéculations ? Qu'est-ce
qui permet que nous tou-chions, ici encore, à l'infini ? C'est
précisément l'opacité totale de notre quincaillerie. (Sans
la-quelle nous ne nous autoriserions pas, ou bien moins, les
vagabondages de notre imaginaire.)
Quel effet aurait donc la transparence de notre coquille ?
L'impossibilité du mensonge, sans doute, et voilà comment nous
retrouvons, ici encore, ce compagnon désormais inséparable de nos
pérégrinations : l'incertitude.
Blague (bientôt vieille) que l'on racontait il y a pas mal
d'années sur Brejnev, à propos de son goût personnel très marqué
pour les automobiles.
Chaussant des lunettes
noires, il se mêle aux Moscovites qui contemplent, près d'une
ambassade, une Jaguar garée entre deux Moskvitch. Il interroge un
badaud :
- Laquelle préfères-tu, camarade ?
- La Moskvitch.
- Eh bien, on voit que tu ne connais pas les voitures!
- Les voitures, je les connais, rectifie l'autre prudemment, c'est toi
que je ne connais pas.
Première composante : la sincérité de la pensée
exprimée.
Seconde composante : l'erreur.
Être certain : difficile de définir cet état de la
conscience sans inévitablement rencontrer une forme ou une autre de
récursivité.
Et comment communiquer la certitude? "Je suis sincère et
certain quand je pense que? "
Pour communiquer ces certitudes, comme pour utiliser des idées
demi-mûres, des propositions d'idées et leur préserver des
possibilités de mettre en ¦uvre leur fécondité, un des
meilleurs moyens pourrait être le recours systématisé au
pari.
Qu'est-ce en effet que le pari, sinon une manière de poser enfin de
vraies certitudes et de les étayer ?
Or, curieusement, la logique (telle que nous avons appris à la
mettre en pratique) semble ne nous être d'aucun secours dans nos
affrontement quotidiens avec les éternels et très
désagréables problèmes que nous posent les liaisons :
o incertitude/sincérité [toujours],
o incertitude/erreur [souvent],
en raison précisément de cette infaillible opacité
crânienne.
Ainsi, l'affrontement suivant :
1. -Marius : [?] l'Art de la fugue, superbe
construction, dont on n'a jamais su à quel instrument elle était
destinée .
2. -Olive : Faux ! C'est pour orgue.
3. -Marius : Je suis certain que la partition originale ne donne
aucune indication instrumentale.
4. -Olive : Et moi, je suis certain que Bach a spécifié
cette partition pour l'orgue.
5. -Marius : Je te parie une caisse de Romanée-Conti.
6. -Olive : Ah ! non, je ne parie jamais.
Débat qui se résout pourtant avec une très pure simplicité.
(Mais, regrettablement, celle-ci ne saute pas aux yeux de chacun.)
Pourtant, la formule si souvent invoquée "je-ne-parie-jamais"
constate - sinon l'erreur de celui qui refuse de participer au pari -
mais tout au moins, et en toute rigueur, son incertitude : qu'a-t-il à
craindre, en effet, d'un tel pari ?
Une chose, et une seule : que l'examen (loyal, équitable, etc.) des
pièces propres à trancher le débat (ici : manuscrit et édition
originale) lui donne en définitive tort.
Mais, précisément, le fait même qu'un tel risque lui
apparaisse concevable (et donc conforme à un certain ordre
des choses) signifie irréductiblement qu'il n'est pas certain
de ce qu'il avance (contrairement à sa proclamation du point 4).
Une démonstration rigoureuse en est apportée par la simple
hypothèse d'un scénario limite, où la question en litige serait de
savoir combien de doigts Olive possède à la main droite : certain
d'en posséder cinq, Olive accepterait sans hésitation de
donner les gages de sa certitude, quels qu'ils soient et aussi
nombreux qu'ils puissent être . Pour autant, il n'aurait pas l'ombre
d'un ins-tant de quoi se croire aventureux, téméraire, ni même
audacieux.
Le pari, enseigné à l'école , mériterait d'être interprété
comme instrument supplémentaire de? courage (intellectuel) :
- degré de certitude justifiant l'acceptation (ou la
proposition) d'un pari ;
- dimensionnement de l'enjeu (si, et seulement si, le degré de
certitude est inférieur à l'unité) ;
- règles (plus farouches les unes que les autres) de respect
des enjeux pris.
Généralisée, cette notion de pari permettrait à chacun de
prouver à tout moment sa sincérité en montrant qu'il est prêt
à aller très loin pour défendre ce qu'il avance. Pour un homme
public, c'est par exemple sa démission qui pourrait être en jeu
chaque fois qu'il a une certitude...
S'il n'a pas de certitudes, il pourrait en faire état sincèrement,
et, de toute façon, cela éviterait à son auditoire l'humiliante
corvée d'avoir à subir des discours visiblement non sincères ,
.
Sur quels tableaux pourrions-nous espérer gagner par l'introduction
d'innovations aussi peu conformes, dans une pédagogie du futur ?
Un peu sur le bluff, peut-être, sur l'estomac, sur ces victoires si
injustes de la forme sur le fond, et finalement sur une certaine dose
de mensonge.
Opacité : mensonge & vie publique
En politique bien sûr - où le Langage exerce le pouvoir - le
mensonge joue un rôle permanent.
On sait de manière certaine qu'un certain degré de responsabilité
dans le monde politique impli-que le mensonge. À propos d'otages
français détenus au Liban, les deux candidats du second tour de
l'élection présidentielle (1988) s'étaient affrontés à la
télévision lors d'un débat en direct.
On se rappelle que F. Mitterrand a soudain évoqué certains propos
que J. Chirac lui aurait tenus en privé, et que l'autre a niés. La
scène a viré à l'affrontement direct ("Oseriez-vous le
redire en me regardant dans les yeux ?"), sans que la vérité
puisse jaillir.
Outre qu'il y avait là une violation de codes implicites du débat
télévisé (on ne doit pas faire allu-sion à des propos tenus en
privé dans un débat public), la situation prouvait qu'existait au
moins un cas délibéré de mensonge. Des deux personnages qui
briguaient la plus haute magistrature (et la place de premier
magistrat de la justice), au moins un mentait en direct devant
des millions de téléspectateurs. On avait peut-être en face de
soi, à l'instant, un futur président mais en tout cas un vrai
menteur. Et un menteur antipathique : ce n'est pas la raison
d'État qui justifie son mensonge, mais sa simple envie
d'être élu (ou réélu) président . Dans quinze jours, quelle
autori-té morale justifiera son autorité réelle ?
LES PIEGES DE LA TITRAILLE
Utilisant le langage comme matière première, la presse nous
montre les diverses manières de travestir la vérité, de la
déguiser. Le simple choix des termes que le journal fait pour
désigner un individu en dit quelquefois plus que toute la suite de
l'article.
Ainsi le titre : "Un ancien parachutiste arrêté"
suggère-t-il de manière sournoise un lien entre la qualité
d'ancien parachutiste et un délit quelconque, avant qu'on n'entame
la lecture de l'article.
Pourquoi, en appliquant le même principe ne pas titrer : "Un
ancien enfant de ch¦ur..." ou bien : "Un ancien disciple
de l'école libre élu président de la République".
On appréciera de la même manière : "Il tente d'écraser la
femme d'un gendarme" (France-Soir).
Pas loin d'ici, il est encore désolant de voir la presse - même
éclairée - évoquer l'affaire du Rainbow-Warrior en
rappelant incidemment, mais obstinément, la mort d'un "photographe
portu-gais", sans donc être sensible au pourtant célèbre poids
des mots (pas plus dans cet exemple que dans celui, tout aussi
obstiné, de la loi "Sécurité et Liberté").
Alors qu'il s'agit à l'évidence du même phénomène, à
l'identique, que celui consistant à titrer "une jeune Lyonnaise
agressée par un Portugais" : on n'aurait évidemment pas titré
"une jeune Lyon-naise agressée par un chef de rayon" ou
"agressée par un ambidextre", "par un stagiaire", "par un
insomniaque", "par un velléitaire" (si l'agresseur avait été
tout cela à la fois).
Le fait que le type tué par l'explosion de la bombe sur le
Rainbow-Warrior ait été photographe ne présente aucun
intérêt (et s'il avait été sommelier ?). Bien évidemment, le
fait qu'il soit de natio-nalité portugaise non plus.
Mais ces deux éléments le dévaluent très nettement comme
cadavre :
- photographe (métier - ou plutôt activité - assez
louche, pratiqué par une minorité cosmopo-lite d'aventuriers
certainement incapables d'avoir décroché les diplômes
garantissant une vérita-ble existence sociale);
- Portugais (république d'opérette, dont on ne connaît
même pas le régime, genre de Panama ou de Monténégro). En tout
cas, cette sorte de pays dont on ne s'amuse certainement pas à
compter un par un les victimes d'accidents de transport, le cas
échéant ("un DC10 portugais s'écrase à l'atterrissage, environ
trois cents morts").
Le cadavre une fois dévalué, la faute des Services français s'en
trouve amoindrie d'autant : on va pas en faire une pendule pour un
vieux rafiot, look Armée du salut, écroulé au fond d'un radoub
du côté de Zanzibar ?
POLITIQUE-FICTION
La politique-fiction, quant à elle, associe les tares de
l'article bidonné au ridicule d'une certaine dramaturgie
politique.
Ainsi ces deux pages de mythomanie aggravée, publiées en août
1985, et dont le propos est de décrire le lendemain des élections
générales de mars 1986 (qui vont donc avoir lieu huit mois plus
tard).
"Lundi 17 mars 1986, 14 h 30. 123, rue de Lille, au siège du
RPR. Jacques Chirac, vêtu d'un sobre costume Guy Laroche gris, tente
de se frayer parmi les photographes un chemin jusqu'à
l'ascen-seur..."
Quelques lignes plus loin, le journaliste, à qui on a vraiment
lâché la bride, donne libre cours à son imagination :
"De temps en temps il passe la tête dans la chambre où s'est
retirée sa femme Micheline : "Bou-clette, ma chérie, merci.
Sans toi rien ne serait possible"..."
Grâce à cet article, trouvé dans l'un de nos grands
news, saurait-on comment notre Premier mi-nistre interpellera, le
soir des élections à venir, son épouse dans l'intimité ?
Même pas .
Alors, quel effet est donc obtenu ici, sinon, par le biais d'une
médiatisation fanatique des per-sonnages, une sorte de déification
des hommes politiques dans l'esprit du public ?
Il s'agit donc de pratiques dangereuses à plus d'un titre. Elles
sont fondées sur la mythomanie absolue. Que dit-on à un enfant qui
ment, qui mythifie ? Que ce n'est pas beau de mentir.
En 1984, un scandale n'avait d'ailleurs pas fait grand bruit : un des
principaux collaborateurs du New-Yorker avait révélé dans
une interview au Wall Street Journal qu'il fabriquait des
citations pour mieux rendre compte de la réalité ("Les lecteurs
qui s'intéressent aux faits sont les moins nombreux").
PUBLICITE : L'USURE DES MOTS
Autre discours qui n'existe souvent que par et pour le langage, la
publicité, dans un certain nom-bre de domaines, n'a nécessairement
aucun message à transmettre au sujet du produit qu'elle vante. En
effet, les bières, les whiskies, les banques, les cigarettes, les
parfums, les compagnies aériennes offrent exactement-rigoureusement
les mêmes avantages, les mêmes qualités et, s'ils ne sont pas
complètement identiques (comme les parfums), le message publicitaire
ne peut en aucun cas dire en quoi une marque A serait différente de
sa concurrente B.
Les publicités doivent donc dans un grand nombre de cas se passer de
message à délivrer, d'où un certain nombre de textes sans aucun
sens ou sans aucun rapport avec les qualités présumées du
produit. On fait ici du texte sans avoir rien à dire : et
d'ailleurs, on ne pourrait RIEN dire. A part évidemment : C'est bon,
ça sent bon, ça fait du bien, ou encore (et surtout) : Ça nous
ferait plaisir si vous deveniez client chez nous .
Et nous voyons réapparaître les études qualitatives, entre
autres, dont le rôle de fournisseur d'arguments publicitaires a
déjà été évoqué, qui vont renvoyer, là où en effet il
n'y a rien à dire sur le produit à vendre, la substance de ce que
le public voudrait entendre.
Aimons-nous associer shampoing et ¦uf, que l'annonceur écrira et
vantera un "aux ¦ufs" ne cor-respondant à rien de
spécial dans la composition du produit, mais qui a été fourni par
les études des psychologues (voir Chapitre 5).
De vide par nécessité, la publicité est devenue mensongère par
intérêt et presque par nature : le message ne sert plus à
véhiculer autre chose que ce que son public a dit attendre.
Un exemple? Le slogan : "ON PEUT RESTER ACTIF APRES UNE BONNE
BIERE."
Que signifie-t-il ? Tout simplement que le reproche fait par le public
à la bière est de couper un peu les jambes. On rêverait d'une
bière qui ne fatigue pas du tout, qui laisse tout son dynamisme à
celui qui l'a bue...
Qu'à cela ne tienne, les publicitaires ont entendu ce rêve et le
resservent immédiatement, en le renvoyant au public qui l'avait
suggéré, au prix de campagnes massives...
Bilan déficitaire, bien sûr, pour la collectivité, car
impunément, on n'imprime pas des pages de journaux, on n'occupe pas du
temps d'antenne (pris sur les circuits neuro-récepteurs de dizaines
de millions de spectateurs), etc.
Alors, puisque le système est à somme nulle, qui gagne (à part
l'annonceur lui-même) ? Les médias, bien sûr, chargés de la
transmission, et qui assurent effectivement cette fonction avec
empres-sement :
- soit c'est la presse
écrite, hurlant à la mort que les ponctions de la télévision
dans le budget d'achat d'espace des grands annonceurs mettent en
question la liberté de la presse ;
- soit c'est la télévision, qui s'efforce d'élargir
le champ des secteurs d'activités autorisés à la pub TV.
Voilà donc une importante partie du dispositif social, celle dont la
fonction est spécifiquement de faire circuler l'information dans
tout le réseau, qui supporte à elle seule - en en organisant la
défense - un principe entier de mensonge collectif.
LANGAGE PIEGE
"D'abord, Staline ne s'appelait pas Staline. Son véritable
nom
est absolument imprononçable et n'offre d'ailleurs aucun
intérêt.
Nous l'appellerons donc Staline pour la commodité de ce récit,
mais nous n'en penserons pas moins."
Cavanna.
(page 214)
Mais des mots peuvent en cacher d'autres, surtout de la part de ceux
qui mentent beaucoup (ou simplement plus que les autres). Longtemps,
j'ai cru que les gaullistes - on ne disait pas encore la droite -
avaient la spécialité de ce type de mensonge.
C'était avant de m'apercevoir qu'en la matière une certaine
suprématie devait être reconnue aux communistes. Aux communistes
français, bien sûr [midi à ma porte], ou plutôt à leur
appareil , celui-ci s'exprimant le plus souvent par la bouche -
officielle ou officieuse (cf. Aragon) - de ses organes, hérauts et
porte-parole.
C'est ainsi, avant tout, dans l'inlassable presse communiste que
nous pouvons pêcher la suite inépuisable des exemples, typiques et
parfaitement diversifiés.
Erreur. Les célèbres «erreurs» des communismes. Le plus
célèbre de ces mots pervertis - et surtout le plus dangereux puisque
c'est précisément derrière lui que l'on a dissimulé de si
nom-breux supplices.
Paix, pacifisme. Il a malheureusement fallu apprendre à deviner,
dès après Yalta, que ces mots n'étaient plus si neutres qu'ils en
avaient l'air. Neutralité suppose en effet symétrie ; or la
situa-tion n'était pas précisément symétrique entre l'Est
(dont la sérénité de l'opinion publique était garantie par une
impossibilité absolue de réunion, d'association, et a
fortiori de manifestation) et l'Ouest où pouvaient assez
tranquillement s'épanouir ces ligues aux raisons sociales
évocatrices des idéaux les plus nobles : l'intelligentsia prit alors
l'habitude de parler du « cryptocommunisme ».
Apparemment peu critiquable, ce maquillage présentait en réalité
un inconvénient moral. Un seul, mais de taille : involontairement
mêlés aux authentiques communistes (sans doute authentiques
pacifistes par ailleurs), ce qui en soi n'a rien de honteux
évidemment, de simples idéalistes mili-taient ainsi chaque
dimanche pour la paix, donc pour le désarmement, exerçant sur leur
leurs dirigeants cette « pression de la rue » dont aucune
contrepartie ne se faisait jamais entendre en face, quelle que soit la
démesure du budget militaire soviétique.
Nelson Mandela. Les responsables communicants du PCF ont développé
au fil des années une telle pratique de la diversion
que reviennent périodiquement à la une de L'Humanité
toutes sortes d'événements dont un Martien [toujours eux] serait
légitimement tenté de croire qu'ils obsèdent à plein temps les
travailleurs français.
Généralement puisées dans une actualité extérieure à la
France (et par conséquent d'autant plus facile à commenter que -
sous tous rapports - lointaine), ces informations tonitruantes
concer-nent de préférence :
o l'Amérique centrale, où - comme Hergé a su nous
l'inculquer - il se passe toujours quelque chose (même s'il reste
traditionnellement difficile au commun des mortels d'y situer le camp
des bons et celui des méchants) ;
o l'Afrique noire, Mozambique et Angola fournissant en
suffisance les occasions propres à béati-fier Fidel Castro (et, ce
faisant, entretenir la flamme de quelques poignées
d'intellectuels qua-dra ou quinquagénaires) ;
o l'Afrique du Sud, dont les bases solidement établies sur
l'apartheid et le rugby réunis permet-tent l'alimentation permanente
d'une titraille véhémente (et d'inspiration inattaquablement
géné-reuse), où revient bien sûr plus souvent -
star-system oblige - le nom des dirigeants abolition-nistes
plutôt que celui de leurs fantassins.
Quelque juste soit la cause,
quelque héroïque soit la lutte, aussi odieux soit l'oppresseur, on
en vient à s'interroger sur les libérateurs, - tels Nelson
Mandela. À les regarder d'un ¦il que l'on n'aurait pas aimé
trouver chez soi avant.
Avant (il y a longtemps maintenant), avant que L'Huma n'ait
submergé mon et notre jugement avec l'apartheid, l'ANC, Soweto,
Tutu, Mandela, et tous ces mots (associés à tant de cauchemars)
que le Pcf est si habile à dégainer chaque fois que dans le
monde - et généralement à l'Est - un événement oblige sa
Direction à avaler quelque nouvelle couleuvre.
Et la voilà, la preuve de la nocivité du Pc : non seulement
s'obscurcit une certaine netteté de nos valeurs pourtant les plus
claires, non seulement nous avons à vivre avec la culpabilité
confuse qui accompagne cette focale perdue, mais on finit même par
se sentir mochement envahi, dégoûtam-ment entamé par ce qu'il
faut bien appeler le doute. Merci Roland Leroy pour sa
contribution à la théorie du bordel ambiant : grâce à lui,
nous ne perdons décidément pas le contact avec notre amie
l'incertitude.
CHAPITRE10
Entendu au poste, vu à la télé.
"POUR des radios qui n'empêchent pas d'écouter le
bruit de l'aspirateur !"
Gébé
LE PLAISIR SOLITAIRE DE LA RADIO
La radio est un média beaucoup plus fin que la télévision
dans ses relations avec les zauditeurs.
Là où la TV est brutale, accaparant totalement l'attention après
avoir mis son spectateur en état de connexion forcée, la radio
laisse l'¦il tranquille, et donc disponible, et, avec lui, une
immense partie de nos capacités
neuro-cérébro-intellectuelles.
Le phénomène doit être à peu près le suivant : recevant l'un
ou l'autre de ces émetteurs, nous nous comportons exactement comme
fonctionnent les antennes. Une antenne radio (capable de recevoir
quasiment toutes les stations) peut être constituée d'un simple
fil traînant par terre ou accroché au mur par des punaises (AM),
ou encore d'une tige métallique plus ou moins déployée, plus ou
moins verticale (FM). Au contraire, la télévision exige un
assemblage abracadabrant de nombreux petits tubes aux dimensions
très critiques, le tout orienté dans une direction bien
dé-terminée, en vue de recevoir une gamme extrêmement restreinte
d'émetteurs .
Voilà pour la transmission des signaux entre l'installation
émettrice à l'installation réceptrice.
Pour ce qui concerne maintenant leur acheminement entre l'installation
réceptrice et l'individu récepteur : la radio ne suppose
évidemment que de prêter l'oreille pour être captée à
100% par son auditeur, celui-ci pouvant aller et venir dans les
environs du récepteur, devant, derrière, des-sus, dessous (quitte
à forcer le bouton de volume si nécessaire).
Au total, il faut considérer que la radio fournit des vibrations qui
nous enveloppent, alors que nous devons diriger notre regard vers le
rayon que le téléviseur envoie droit devant lui.
C'est vers les 14-15 ans que j'ai découvert (sans en faire une
théorie) cet effet particulier de la radio, durant des longues et
longues heures consacrées à découvrir l'électronique,
c'est-à-dire, dans mon cas, à câbler, câbler sans cesse. Par une
sorte de gloutonnerie qui caractérisait - et caractérise encore -
ma façon de prendre plaisir à l'électronique, il ne m'arrivait
en effet jamais de faire un quelconque plan avant de me lancer
sur tel ou tel projet : plaisir de manipuler immé-diatement ces
composants colorés, flexibles, plaisir de voir fondre la soudure au
bout du fer, plaisir d'échafauder (en une architecture connue de moi
seul) ces assemblages abscons qui ne prendront de sens qu'une fois mis
sous tension.
Les mains ainsi occupées, (presque) tout l'esprit reste libre
pour écouter. Écouter quoi ? Juste-ment, cet émetteur
(France-Inter, France-Musique, France-Culture) que le montage en
fonction-nement doit permettre de capter. Capter bien, capter mieux,
sans souffle, sans interférences, avec plus de graves et plus
d'aigus .
La meilleure matière sonore s'avère alors rapidement le genre
débat. Au diable la musique (repré-sentée, pour les trois
quarts au moins, par des lieder, de la musique de chambre, ou
des composi-teurs contemporains , tout ce que j'exècre) . Au diable
aussi l'information, charriant inévita-blement son insupportable
moitié de résultats hippiques et de commentaires
sportifs.
Débats donc. Débats sur
l'élargissement du Marché commun, ou sur la limitation de vitesse.
Sur les pionniers du christianisme, sur l'histoire des sports
nautiques, sur le Festival d'automne, sur les systèmes de retraite
scandinaves, le nouveau statut des Chambres de commerce, l'influence
de Voltaire sur les élèves de Nietzsche, la dégénerescence des
langues occitanes : tout débat, toute «tribune«, toutes
rencontres sont bons à prendre. Accès surprise à un domaine
inconnu (dont les abords ou même le simple contexte me sont
étrangers), accès facilité en tout cas par la forme
animée des espèces de connaissances ainsi captées : sur des
thèmes identiques, une confé-rence prononcée par un
spécialiste monologuant redonnait instantanément au sujet le
caractère spécifiquement assommant propre au genre.
Même anecdotiques, même ultra-verticales, ces causeries n'en
recelaient pas moins, tôt ou tard :
- soit une indication de grand intérêt, ou extrêmement
surprenante (et digne par conséquent d'être connue, et même
gardée en mémoire, bref une connaissance) ;
- soit une incroyable perle (qui me faisait instantanément
regretter de ne pas disposer d'une sorte de magnétophone permanent,
capable de dérouler une bande infinie, et donc de garder la
trace de telles merveilles).
Mais cette passion pour la radio m'a toujours été propre, dût
cette révélation faire se retourner dans leurs tombes les
directeurs de la Radiodiffusion Télévision française : jamais à
l'époque je n'ai rencontré une seule personne avec qui la
partager, ni parent, ni copain, ni voisin. Même dans les
conversations des adultes, telles que je pouvais les capter autour de
moi, dans le train ou le métro, jamais il n'était fait
référence à l'une quelconque des incarnations de la radio, exception
faite parfois pour certains jeux ou facéties des environs de midi,
évidemment reçues par les seules ménagères, et peut-être avec
elles par quelques garagistes.
Après quelques années passées à vérifier infailliblement
cette surprenante solitude, j'en étais finalement arrivé à
douter :
- douter que mon goût fût bien «normal» ;
- douter qu'il y eût véritablement en France des auditeurs
pour ces chaînes. (Dans la négative, à quoi pouvait donc bien
correspondre cette gabegie nationale ?)
LA TELEVISION, COMME TOUT LE MONDE
C'est vers la fin des années 60, en écoutant dans un bureau de
poste le bavardage de deux gui-chetières, que m'est apparue
subitement l'omniprésence de la télévision : "Vous avez vu
hier soir ? Qu'est-ce qu'il jouait bien, Jean Gabin !"
Comme une évidence, j'ai compris que si "hier soir"
était le temps, il devait bien y avoir un lieu. Et ce lieu non
précisé était évidemment l'écran de la télévision. Ça se
passait à la télé. Or la télévi-sion, c'était
alors, pour tout le monde, le même spectacle à la même heure du
même soir; une communauté immense des téléspectateurs existait
donc (à laquelle je n'appartenais pas), dont les membres se
reconnaissaient sans problème, possédant un référent quotidien
commun. La commu-nion du lendemain consistait à commenter le
programme de la veille (celui diffusé à 20 h 30, cela va sans
dire).
Le plus banal pour mes congénères était alors de professer une
aversion pour le petit-écran-nouvel-opium-du-peuple : à cet âge,
on n'a pas la télévision, et on se moque avec un mépris plus ou
moins appuyé des gens qui l'ont. Cet a priori anti
télévision me semble maintenant lointain, et principalement attaché
à un âge bien précis de la vie, l'âge où on ne sait jamais
chez qui (ou bien avec qui) on passera la soirée (celle-ci se
finissant immanquablement très tard) ; âge où l'on s'efforce
(encore) de n'avoir surtout pas l'air de ses parents, ni des parents
en général, l'un des critères de ressemblance étant
précisément la télévision, ainsi que la lecture concomitante de
Télé-Poche.
Mon passage dans le camp des téléspectateurs a été facilité
par une très ancienne curiosité pour toutes les manifestations
publiques de la sottise, de la méchanceté ou du scandale (je n'ai
jamais réussi à perdre mon temps avec un numéro de Jours de
France ou de L'Équipe, c'est comme
ça).
Le spectacle offert par chacune des trois chaînes disponibles, à
l'époque de mon entrée en télé-vision, n'a donc pas manqué
de constituer pour moi une source inépuisable de plaisirs ... L'air
infiniment sérieux que s'est efforcé de prendre, dès le premier
soir, le journaliste du 23 heures pour annoncer que "l'indice Dow
Jones a baissé de 3% et un huitième aujourd'hui..." m'a
immédia-tement comblé, et me comble encore.
DINER CHEZ JACK
Aussi féconde reste évidemment - ici comme ailleurs -
l'observation des vrais mots, les mots du domaine.
- "A la télévision" disait le député (celui qui
mettait des ¦illets, des roses, et "Paris-Club" dans le débat
national) : c'est qu'en 1968 on ne disait pas encore chaîne, bien
qu'il y en eût deux. Pour tout le monde, "la télé" c'était
bien sûr la 1ère chaîne.
- "Chaîne" dont le sens n'avait pas encore commencé à
évoluer vers celui que nous lui connaissons vingt ans plus tard,
c'est-à-dire après élimination de presque toutes les
évocations autres que celles où fermentent dans un même
bouillon les milieux du show-biz, de l'État haut de gamme , un
déluge de monnaie, et dont on entend justement parler tous les jours
(preuve que c'est quelque chose qui compte vraiment) : chaîne
= télé.
- "Poste" : on ne dit plus, n'est-ce-pas (comme pour la
radio), poste de télé. La radio, c'est vrai, c'est un
poste. Ou à la rigueur une station. En tout cas, un trou
noir, où Dieu seul sait qui fait et dit quoi ; leur seule envie à
vrai dire - ça crève les yeux - c'est de jouer enfin dans la cour
des grands : un peu dommage de secouer comme si on y croyait la
torpeur de tous ces solitaires, pro-fessionnels au volant,
ménagères à mi-destin, tous ces taxis, tous ces représentants,
avec Scien-ces-PO. Qu'on en juge : non seulement ça transmet ce qui
se passe, mais également cela crée (ce qui ne se serait pas
passé). CQFD : la télévision, c'est ce qui se passe, c'est ce qui
est.
Rien n'existera sans que la télévision en ait attesté, rien
n'arrivera sans que la télévision l'ait confirmé. Enfin, de tout
cela rayonnera une lueur, calibrée par la télévision.
Alors, une chaîne ?
C'est une lumière de plus. Un soleil, qui éclaire de par chez
nous. C'est de l'existence en plus.
A l'échelle de mon escalier, de mon bureau, de la moitié de
l'hémisphère Nord, oui c'est comme ça, la télévision est le
véritable, le seul commun dénominateur : les très riches,
les très pauvres, les banlieusards, les top-models, les chefs
d'État, les immenses patrons, les vétérinaires (piqueurs de chiens
âgés), les aveugles, sourds, tétraplégiques, les mères
maquerelles, les tenanciers de gale-ries d'art.
Spirituelle, religieuse, ethnique, idéologique, gardienne et
propagatrice de tous les savoirs, paci-fique, la télévision est
presque la plus belle chose du monde, et en tout cas la plus
importante.
LA TELEVISION, PHENOMENE AUTONOME
Ne serait-ce que pour assister au formidable spectacle qu'offre
désormais par lui-même, chaque jour que Dieu fait, le
système français de télévision, je ne regrette rien de mon
reniement. Pour un amateur de sensations fortes, incrédulité,
stupeur, colère, indignation, les occasions jubilatoi-res ne
manquent plus jamais. Souvenons-nous par exemple (magie des mots) :
privé, privatisation.
o Fin 1985. Sans un début de commencement de justification, sans
mouvement d'opinion, sans pression des lobbies, sans intérêts
économiques en jeu, le Gouvernement crée pour le compte d'un
puissant opérateur italien, Silvio Berlusconi, la cinquième
chaîne.
{Coup de poing à l'estomac.}
o Pour aller jusqu'au bout de l'incompréhensible, le Gouvernement
utilise à cette fin une procé-dure exceptionnelle : LE VOTE
D'URGENCE.
{Si les mots ont un sens, urgence doit peu ou prou signifier
qu'un péril quelconque est à nos por-tes : violent abus de langage
donc, perversion spectaculaire des termes les plus précis de notre
organisation politique, puisque dénichés dans la
Constitution.}
o C'est ainsi que l'avant-veille du réveillon, et par une
Assemblée de quelques dizaines de députés, est voté in
extremis (avant clôture de la session d'automne) l'amendement
nécessaire.
{Détail sobre mais
efficace.}
o La classe politique est seule en mesure d'apprécier la tactique
gouvernementale, habilement dissimulée (selon des indiscrétions
calculées qui ont évidemment vite fait d'apparaître en pleine
lumière) derrière l'opération : "faire échec aux projets de
Robert Hersant".
{Un rapport de forces incroyable serait ainsi révélé : la
volonté (ou la crainte) d'un homme seul suffit à
contraindre
- le Gouvernement à faire voter le Parlement;
- la République à réformer radicalement une doctrine clé
(télévision = secteur public), qui gou-vernait depuis un quart de
siècle l'usage du plus puissant des moyens de communication,
d'information et de culture.
Formidable. Du jamais vu.}
o La suite prouvera de façon accablante l'inanité de l'argument
(ou, pire, de la "stratégie") : une fois la chaîne créée,
Hersant en prend rapidement le contrôle.
{Remarquable rebondissement, totalement imprévu, y compris par les
plus cyniques des commen-tateurs.}
o Mars 1986. La droite, élue sans aucune surprise, proclame
aussitôt son intention de privatiser un maximum de grandes entreprises
nationales. (Chacun songe aux banques, aux compagnies d'assurances,
aux télécoms). Mais constatant qu'il existe bel et bien en France,
depuis quelques jours, un secteur PRIVE de production et de diffusion
TV, le nouveau gouvernement n'estime pas exorbitant d'élargir la
liste des "secteurs privatisables" jusqu'à la
sacro-sainte télé.
{Ce qui aurait été impensable dans ce pays ne serait-ce que six
mois auparavant est devenu non seulement concevable mais possible
grâce au zèle urgent du gouvernement précédent : un
sec-teur de l'économie national, ouvert aux capitaux privés (cela
par l'autorité d'une Loi s'il vous plaît), et occupé par une
unique entreprise, La 5 ? Ce serait trop dommage décidément de
gâcher tout ce libéralisme.}
o Assurée en définitive (grâce aux études d'opinion) de ne pas
rester aux affaires plus de deux années , la droite décide
d'exploiter à fond cette sorte de droit acquis hérité de la
maladroite (?) équipe précédente, et lance le cochonnet au plus
loin : c'est TF1 qui sera privatisée.
{Implacable dénouement et uppercut final : la PREMIERE CHAINE
représentait à elle seule la continuité de la télévision
française depuis tantôt deux républiques.}
o Etc., etc.
°
° °
Stupeur et indignation à satiété donc, avec la
télévision, et cela non pas en raison de son ac-tion, mais de sa
simple existence. Au-delà des affrontements entre le fond et la
forme, c'est bel et bien le triomphe du contenant sur le contenu.
THEOREME DE LA PATISSERIE
Mais le contenu aussi est passionnant, quel que soit le
niveau de profondeur retenu pour l'observation : de la couche la plus
basse (écran) à la plus élevée (cabinet du chef de l'État ou
du Premier ministre ), en passant par les chefs d'unité de
programme, directeurs de la program-mation, directeurs de chaîne,
etc., les enseignements (ou sujets d'indignation) susceptibles d'y
être puisés sont nombreux. Exemple :
Le Premier ministre décide (à travers divers tampons et écrans)
d'attribuer la chaîne à des inté-rêts privés.
Voilà un cas typique de fonctionnement selon le mode dit de
l'enfant dans la pâtisserie :
Enfermez un enfant dans une pâtisserie pendant une demi-heure,
après l'avoir autorisé à se ser-vir de tous les gâteaux qu'il
veut parce qu'il a bien travaillé (ou pour toute autre raison) et
mé-rite donc une récompense. Il va en avaler autant qu'il pourra
(les plus goinfres iront jusqu'à s'en faire vomir).
Donnez à un Premier ministre tout pouvoir sur la télévision
française parce que son parti a gagné des élections , et le
voilà qui bouscule tout ce qu'il a le droit de bousculer (bousculant
bien sûr d'autant plus fort que ce droit, il ne l'a pas pour
longtemps).
Ma religion politique ? Privatiser. Qu'y a-t-il à privatiser ? La 3
(compliqué, insignifiant), la 2 (in-tello, moyen-moyen).
La 1 aussi, théoriquement, mais cette chaîne, vieille comme deux
Constitutions, est une véritable institution nationale : la moitié
de l'audience à elle toute seule, mais aussi les deux tiers de la
pub, et peut-être bien les trois quarts de l'influence. Trop gros
poisson, disent les conseillers. Poisson peut-être, mais la comète
législative, quand repassera-t-elle ?
Donnons maintenant à un industriel (du Bâtiment & Travaux
publics) tout pouvoir sur une chaîne dont les programmes rythment
les loisirs (week-ends en particulier) de millions et de millions de
Français depuis l'aube même de la télévision. Fébrilement,
il se met aussitôt à exercer son pou-voir flambant neuf :
- multipliant en quelques semaines la fréquence des écrans
publicitaires, et accroissant simulta-nément leur durée moyenne
;
- licenciant après moins de six mois un journaliste fétiche
de la Une sans se donner même la peine d'invoquer plus qu'un
minuscule incident d'antenne, ayant lui-même été l'occasion d'un
très-très anodin persiflage .
etc.
En réalité, à force d'avoir subi l'incessant débat que
mènent sous nos yeux, et depuis longtemps maintenant, les nombreux
professionnels parties prenantes peu à peu formés, comme nous le
sommes tous désormais, aux voies et aux moyens du marketing, de la
publicité, ainsi qu'aux princi-paux ressorts du système des
médias. Et il semble bien se dissimuler, derrière ces péripéties
d'apparence puérile, de solides raisons d'étonnement (laissons de
côté l'indignation, pour l'instant).
On est en effet ici dans une logique d'apparence commerciale, et,
après avoir assisté à certains "transferts" particulièrement
spectaculaires , une vague idée nous est venue du prix qu'en
ef-fet les patrons de chaîne sont capables de payer une voix, un
visage, un style (et parfois aussi une réputation solidement
établie ), capables de faire gagner cinq ou dix points d'audience dans
une tranche horaire déterminée.
UNE PROMOTION SUBLIMEE EN TRANSFERT :
LE CAS VECU DE L'HOMME-METEO.
Longtemps, encore, nous garderons au fond de nos mémoires le
véritable conte de fées qu'a vécu sous nos yeux émerveillés le
si touchant météorologue. Depuis toujours, son visage nous était
familier, préposé qu'il était à la plus assommante de
toutes les rubriques d'un journal : le bulletin météo. Mais
attention. Pas n'importe quel bulletin météo : celui de 20 h 30 ,
celui qui est le prime-time à lui tout seul.
[Peut-être bien d'ailleurs les partageait-il au centuple, ces
sentiments hostiles qu'il sentait re-monter sourdement l'éther
jusqu'à lui, en une silencieuse protestation à l'égard d'un art
profes-sionnel qui était pourtant le sien : débitant avec le plus
grand soin l'insignifiante petite musique, il s'arrangeait en effet
pour ne jamais perdre au fond de l'¦il cette lueur de complicité
qu'il savait y faire rayonner, et qui signifiait : tu le sais, toi,
celui pour qui je parle, que dans Libé de ce ma-tin, comme
dans celui d'hier et dans celui qui paraîtra demain, je dépose
chaque jour ces quelques lignes écrites à l'encre de feu, qui
suffisent à me venger de tout le reste.]
Il advint pourtant qu'un beau matin le téléphone sonna chez lui,
et il s'entendit proposer par Ber-lusconi, patron de La Cinq et
véritable prince charmant, une occupation inespérée :
animateur-vedette, oui, vedette, d'une émission-vedette à base de
boys, de girls emplumées, d'escaliers à descendre, avec des
cadeaux coûteux pour les Français éperdus à qui le
Gouvernement (sursi-taire) de la République venait de donner la
cinquième chaîne.
Et, du jour au lendemain, c'est le strass qui se mit à briller dans
ses yeux, tandis que de bruyan-tes, ronflantes, solennelles musiques
de scène remplacèrent dans son paysage audiovisuel à lui cet
odieux - et maintenant si lointain - indicatif de la météo.
Il ne voyait pas, bien sûr - car ses yeux étaient encore
aveuglés par le scintillement de toutes les paillettes, et par le
regard foudroyant de son nouveau patron -, combien la prodigieuse
inno-cence du bulletin météo était finalement bienfaisante, et
surtout honnête, à côté de l'ahurissant racolage à laquelle
on lui demandait de prêter son sourire et sa confondante bonne
humeur.
Mais la citrouille n'était pas loin. A quelque temps de là, il eut
à connaître des rigueurs impitoya-bles de la science des mesures
d'audience (corrigées tout comme le chômage des variations
sai-sonnières). L'ami italien de notre Président déplora que la
recette qui lui rapportait tant d'argent en son pays fût si
décevante de ce côté-ci des Alpes, en convainquit sans mal son
associé gouver-neur de la presse française, et notre héros se
retrouva un soir, sur le coup de vingt heures trente, en face d'une
carte de France constellée de petits nuages, de petits soleils et
d'anticyclones menaçants.
AUDIENCE, QUANTITE, QUALITE
Ces fameux points d'audience, justement, ils ne poussent
pas sous le pied d'une caméra, pas même dans le corsage d'une
accorte journaliste : il ne suffit pas de doubler la quantité de
foot, de tri-pler le nombre de girls ou de donner à Julio
Iglesias suffisamment d'argent pour qu'il accepte de venir chanter en
direct trois fois par jour.
Et, dans cet ordre de préoccupations, Polac (c'était lui) rendait
pourtant de sacrés services à la chaîne :
- drainant à lui seul une très importante audience chaque
semaine (mesurée à l'Audimat brutal, cette performance est
suffisante pour garantir la pérennité de l'émission ) ;
- programmée vers 22 h 30 le samedi soir, son émission
rencontre un succès qui n'empiète pas sur les périodes de
programmation plus précieuses (20 h 30, etc.), et qui permet donc de
vendre l'espace publicitaire noble (tarif élevé) jusqu'à des
heures très avancées de la soirée (entre 23 h 00 et 1 h 00,) ce
que n'autorise aucune autre émission, sur aucune chaîne ;
- l'audience étant non seulement nombreuse, mais aussi
plutôt luxueuse (profil voisin des lecteurs de news, si convoités
par les annonceurs), les spots correspondant à cette cible
bénéficient d'un bien meilleur rendement économique (prix par
contact utile) que lors d'une diffusion prime-time ;
- le succès particulier de l'émission, lié à sa formule
elle-même très particulière, rejaillit très favorablement sur
l'image globale, telle que perçue par le public, du support TF1
;
- attirant notoirement une frange de spectateurs à la fois
éduqués, bien placés, éclairés, moder-nes, non conformistes,
exigeants , etc. , l'émission produit un effet rédempteur
précieux au-près de la catégorie «incertaine» des
téléspectateurs ;
- les annonceurs sont donc satisfaits (et les agences de
publicité encore plus), appréciant évi-demment ce
sous-support d'excellente qualité disponible chaque samedi soir
(toute cette bonne humeur bénéficiant in fine à TF1,
support principal).
Et tout cela était juste.
C'est donc à des millions de télespectateurs (premier choix) que
TF1 renonce, d'un geste.
Et il faut en fait, pour compléter le bilan, constater que la
disparition de Droit de réponse laisse trois gros
perdants :
- l'ensemble des Français équipés d'un poste de
télévision (pesant de nos jours une belle somme d'argent) ;
- la totalité des annonceurs, présents ou à venir (pesant
eux aussi pas mal de MF ) ;
- la chaîne, bien évidemment.
Absolue nécessité, en effet, de se limiter au recensement des
seules victimes indiscutables, pre-nant ainsi le parti d'ignorer
complètement le contenu de l'émission , car s'éliminent alors
auto-matiquement - devenues sans objet - toutes considérations ou
interprétations relatives à quoi que ce soit d'autre
qu'une stricte logique économique d'entreprise .
Mais alors, puisque en dehors des solides inconvénients cités,
aucun bénéfice indirect ou induit n'en découle pour la chaîne
, à QUI bénéficie donc ce geste ?
Il ne reste plus que F. Bouygues.
Et pas une seule solution de rechange n'apparaît à son nom :
Francis Bouygues tout seul.
Nous y voilà donc. L'impossible conflagration entre le plaisir d'un
homme et les intérêts du pays où il habite, non seulement
la voilà donc devenue possible, mais elle s'est même produite sous
nos yeux.
FAUST 86 : LE PACTE DU PAF
Sachant que ce n'est pas dans son appartement qu'il s'est amusé
à faire des dégâts mais bel et bien au bureau,
c'est-à-dire en tant que chef d'entreprise, il faut bien se
résoudre à interpréter ce geste comme une faute, dans la
catégorie des très lourdes (agir contrairement à ce qu'on a le
devoir de faire) .
Mais on peut s'amuser à chercher dans une tout autre direction, bien
plus intéressante. Plus inté-ressante en tout cas que ce scandale,
énorme certes, et absolument sans précédent, mais qui en
définitive ne nous apprend rien.
Supposons que l'industriel ait proposé à ses partenaires le pacte
suivant :
- En tant que chef, je vous promets d'assurer une rentabilité
époustouflante à vos capitaux ;
- A partir de maintenant, vous fermez les yeux.
Ou, plutôt, de façon moins abrupte :
- Je m'engage à vous faire bénéficier, à moyen terme, d'un
profit de X% par an sur les sommes que vous avez investies à côté
de mes 25% dans l'acquisition de TF1, affaire inespérée dans
la-quelle, grâce à moi, vous avez pu vous introduire.
[A cette invraisemblable mais véritable aubaine, il ne manquerait
plus en réalité que le pont de Brooklyn, comme article en prime,
pour rehausser encore cette démonstration éclatante du prin-cipe
sacré qui ne devrait jamais manquer de guider chacune de nos paroles
et chacun de nos ac-tes : du culot, encore du culot, toujours plus de
culot.
La belle vie ne sourit qu'à ceux qui savent user et abuser de ce
carburant inépuisable, mais que seuls cependant quelques grands
fauves de la finance et des affaires savent exploiter comme il faut,
c'est-à-dire jusqu'aux limites des limites.]
- De votre côté, vous me laissez le pouvoir, que d'ailleurs je
confierai immédiatement à celui qui sera véritablement le
patron. Moi, je serai le Chef, et je pourrai à ce titre jouer à
être le maître de la France en intervenant quand bon me
semblera, et à ma façon (dans le cadre de la Loi, rassurez-vous,
et en tout cas des lois écrites ), c'est-à-dire en profitant à
mon gré, et pour mon seul plaisir, de l'incroyable pouvoir que va me
donner pour la première fois dans l'histoire de la France
(d'ailleurs j'ai toujours adoré les inaugurations) la position de
responsa-ble/copropriétaire/Chef suprême d'une entreprise telle
que La Première Chaîne française de télévision.
Et maintenant, afin de dissiper cette impression fâcheuse qui est
certainement la vôtre face à ce qui vous apparaît encore comme
une sorte de caprice plutôt puéril, je vais vous donner lecture du
rapport ultra-secret dont les conclusions m'ont conduit à
échafauder le plan que je vous ai sou-mis, et sur lequel je vous
demande de vous déterminer.
En exclusivité pour les lecteurs de TBA, nous avons pu nous faire
lire par téléphone les passages les plus significatifs de ce
rapport explosif (et dont la lecture aurait, bien sûr, entraîné
dans la direction souhaitée les actionnaires de TF1). Très
grossièrement, de mémoire, et en substance, voilà ce dont il
s'agit :
EFFET DE L'APLANISSEMENT DES ECARTS
La télévision est désormais, de très loin, le sujet qui
concerne le plus grand nombre de Français. Qui - si elle ne les
occupe pas tous et tous les soirs - les intéresse, les mobilise, les
interpelle, et cela bien davantage que n'importe laquelle des autres
facilités, plaisirs, ou centres d'intérêt aujourd'hui
accessibles au plus grand nombre. [Incidemment, on peut observer qu'un
reflet parti-culier de cette situation se retrouve aisément dans la
prodigieuse vitalité économique propre à ce secteur, et qui peut
de son côté laisser tout espérer aux entrepreneurs
capables de s'y appro-prier encore quelques niches : publicité sous
toutes ses formes, exploitation de satellites, loca-tions de canaux
hertziens, télédistribution et câblage, TV à péage,
télé-achat, etc., etc.]
On trouvait fin 1989 une illustration supplémentaire de cette
primauté de la TV sur pas mal d'autres choses.
Quel est l'événément le plus important du demi-siècle
écoulé ? L'écroulement du communisme d'État. Mi-octobre,
l'opposition interroge le Gouvernement, devant l'Assemblée, sur
l'attitude de la France face aux "nouvelles données
extérieures nées de l'évolution de l'Est".
Qui le Gouvernement envoie-t-il pour répondre, en l'absence du
ministre des Affaires étrangè-res ?
Une vedette de la télévision. Rien de plus ni de mieux qu'une star
de la TV : Alain Decaux.
C'est en réalité sous l'effet d'une rétroaction pernicieuse que
la télévision est devenue si cen-trale :
1. Origine des temps : la TV est un sujet futile et léger.
2. En raison de sa légèreté, elle plaît au public.
3. Tout le monde la regarde.
4. Elle devient l'élément central de la vie du pays, dominant en
particulier (et encore une fois pour tout le monde) ce qui concerne
l'information, la connaissance, le pouvoir.
5. La TV devient donc un sujet prioritaire pour les gens importants
(dirigeants, célébrités?), qui commencent à devoir s'en
occuper de près , et plus du tout en triant les
lentilles.
6. Devenue question grave,
entre les mains des gens qui comptent, la TV est maintenant
réelle-ment importante.
7. Retour à l'étape n°3.
Il y avait par exemple auparavant le sport. Puis l'automobile. Après
quoi, ce fut le tour de la poli-tique. Mais aucun de ces sujets ne
présentait, tant s'en faut, ce caractère proprement universel
caractérisant la télévision : pour ne prendre qu'un seul
exemple, les femmes (52% de la popula-tion) y étaient complètement
étrangères (avec toutefois une certaine entrouverture de l'¦il
une fois tous les cinq ans, à l'occasion des élections).
Or, l'origine de cette insensible mutation doit être recherchée
dans l'observation du profond phénomène social consistant en un
nivellement généralisé de toutes les VARIABLES affectant les
systèmes qui nous entourent et nous caractérisent.
Tout, autour de nous (ne parlons évidemment ici que des pays tels
que la France et autres régions nord-occidentales, en voie de post
industrialisation ), devient lisse, uniforme, égal. D'un individu à
l'autre, d'une maison à l'autre, d'un régime (politique) à
l'autre, d'un employeur à l'autre, d'un mois de vacances à
l'autre, et même d'une vie à l'autre.
La vie, parlons-en. On ne meurt plus, bien sûr, sauf de vieillesse
(et alors dans une tranche d'âge bien calibrée, plutôt
étroite). Ou alors sur la route. Et puisque aussi bien la voiture est
également un de ces personnages clés qui occupent notre vie,
prenons-la comme exemple typique de ce phé-nomène de lissage et
d'unification.
Mourir d'un accident de voiture, bien sûr, mais ce risque-là tend
à la fois vers un certain impro-bable et vers un
équiprobable certain : sécurités obligatoires pour tous (ceinture,
dépistage antialcoolique, limitation de vitesse, etc.), construction
des petites voitures sur le modèle des grosses (disparue, la 2
CV dont la tôle s'enfonçait avec le pouce).
D'ailleurs, les macabres compilations auxquelles se livrent à plein
temps assureurs et policiers restent impuissantes à établir une
typologie quelconque du cadavre routier. Quels qu'aient été
sa naissance, son milieu, ou son caractère, ses chances de finir
d'une hémorragie interne et la colonne vertébrale brisée (comme
Michel Piccoli) étaient les mêmes que celles de son voisin de
morgue, simplement carbonisé sur le bas-côté d'une odieuse route
départementale (comme Jean Yanne).
Une inexorable convergence, donc, entre les automobilistes, et même
entre leurs automobiles : au volant de sa 205, on fait moins
fauché en face du collègue en R30 qu'après la guerre,
lorsqu'une Juva-4 rencontrait une Delahaye.
Mêmes appuie-tête d'un modèle à l'autre, même ceinture de
sécurité (aux caractéristiques iden-tiques puisque agréées par
la même autorité), mêmes matières de rembourrage sur le
tableau de bord, mêmes ailerons, mêmes anti vols , même warnings
, mêmes installations sonores , véri-tables auditoriums roulants
.
Avant de prendre le volant, les automobilistes vérifient tous qu'ils
ont bien sur eux leur permis, tous leur assurance, tous leur vignette.
(Mine de rien, les voilà décidément tous passés par un
sacré conformateur administratif et social.)
Les ceintures bien bouclées, les voies de circulation bien
parallèles, on prévient son homologue roulant derrière que l'on
s'apprête à déboîter, tandis que, d'un appel de phares
discret, on invite l'homologue de devant à serrer à droite, car on
va le doubler : même si sa voiture est plus grosse, même si elle a
des enjoliveurs chromés, même si son conducteur est un personnage
considérable.
Voilà donc un domaine désormais circonscrit dans une bande très
étroite, par quelque bout qu'on l'observe : même les constructeurs
sont égaux (tous également énormes, proposant des gammes à la
fois complètes et strictement comparables).
Mais ce mécanisme de regroupement des paramètres jusque-là
dispersés affecte quasiment tous les aspects de notre vie
(intérieure ou extérieure, personnelle ou collective), et non pas
seule-ment celui de la mort et de l'automobile. Ainsi nos émotions
varient-elles entre un certain niveau inférieur (farniente sur la
plage) et un niveau de forte intensité (arrivée du TGV sur les
rails duquel on est ligoté). Toutes les nuances du stress entre ces
deux extrêmes : tache d'encre sur le veston, portefeuille perdu,
voiture volée , maison incendiée, etc.
TRAVAIL, par exemple :
o Jusque dans un passé encore pas trop éloigné, une prise de bec
avec le patron avait de fortes chances de déboucher sur un
congédiement, c'est-à-dire sur une bonne dose d'émotion.
{Les lois sociales instituées au cours du siècle, et qui
délimitent de façon très restrictive les possibilités de
licenciement, réduisent dans de grandes proportions les occasions
d'avoir à af-fronter ce type de contrariété.}
o Une fois mis à la porte, que doit constater le travailleur (et,
avec lui, tous les membres de sa famille) ? L'annulation des revenus.
Il s'ensuit de nouvelles (et durables) émotions.
{Le système obligatoire des ASSEDIC aplanit aujourd'hui ce choc en
bonne partie : les revenus ne sont pas ramenés à zéro, mais
réduits. Nuance.}
o Enfin quand sonne - toujours trop tôt - l'heure fatidique de la
retraite : même situation, mê-mes difficultés.
{Et même traitement du problème par le système de protection
sociale (cotisations obligatoires et complémentaires),
comptabilisation de points, etc.}
HABITATION :
o Économiser pendant trente ans pour réunir enfin la somme
nécessaire à son achat. Mais alors, quelle émotion, quelle
récompense, quel grand jour !
{Les innombrables formules de crédit et d'emprunt, ainsi que les
systèmes d'accession à la pro-priété, réduisant de trente
ans à six mois la patience nécessaire, doivent certainement
faire perdre à la pendaison de crémaillère une bonne partie de
sa solennité.}
o Pillée par des cambrioleurs (avec bijoux etc.). C'est la
ruine.
{Le système des assurances réduit considérablement l'ampleur de
la catastrophe.}
o Un pot de géranium tombé du balcon est reçu de travers par la
nuque d'un passant, qui, avec la complicité d'un avocat, en profite
pour se goberger jusqu'à la fin de ses jours dans un fauteuil à
roulettes. Procès, condamnation, dommages et intérêts, c'est
encore la ruine qui passe.
{Les assurances, ici obligatoires, réduisent pratiquement à zéro
les conséquences financières de l'accident.}
SANTE :
o Une rage de dents persistante : perspective assurée d'une
prochaine extraction à vif, sur la place du village, de la molaire
infernale (avec le concours gracieux du tambour municipal chargé de
couvrir les cris que l'on poussera comme on en pousse depuis 10 000
ans).
{Invention de l'anesthésie.}
GOUVERNEMENT & VIE PUBLIQUE (chez nous, ailleurs ) :
o Élections législatives dans un mois (le Régime risque d'être
balayé). Rumeurs de soulèvement populaire. Le tyran est en fuite.
Union nationale contre l'abandon de nos colonies. Pleins pouvoirs à
celui qui saura négocier. Etc., etc.
{Aucune surprise ni évidemment émotion ne sont plus maintenant
attendue des urnes, ni l'élection d'Adolf Hitler, ni celle de
Salvador Allende. Plus de coup de force style Castro, ou de complots
façon 13 mai. Et plus personne évidemment ne songe encore à un
quelconque Grand Soir.
D'ailleurs, avec ou sans urnes, aucun événement politique
d'envergure, susceptible de mobiliser au moins les esprits, ne se
laisse plus espérer (ou redouter).
Ne restent finalement ici où là qu'un ministre défrayant une
brève chronique (ayant réussi à se suicider dans une flaque
d'eau), ou la plaisante attribution d'un portefeuille à tels
pittoresques personnages (vulcanologue, cancérologue), dont la
langue haute en couleur parvient bon an mal an à engendrer quelque
incident susceptible d'être rapporté avec la plus grande solennité
par le concert des médias.
Ainsi, un Français entré en hibernation sous Chaban-Delmas et qui
se réveillerait sous Rocard aurait-il du mal à identifier ce qui a
bien pu sortir de la cinquantaine d'élections (et autres
chan-gements de Premier ministre) intervenues entre-temps. (Il en va
de même, bien sûr, pour un Al-lemand, un Anglais, et au premier
chef pour un Américain.)}
Tous les paramètres composant notre cadre d'existence étaient
ainsi pendant longtemps forte-ment dispersés (c'est-à-dire que
leurs valeurs étaient très écartées les unes des autres) : de
républicain à bonapartiste, de misère à abondance, de
tranquillité à catastrophe, etc., partout de larges écarts
accentuaient les différences, marquaient les distances, dessinant un
paysage au relief accidenté, hérissé de pics et
d'aspérités.
Encore un exemple, afin de
bien situer le caractère absolument universel du phénomène : à
une certaine époque (peu importe exactement quand), un voyageur
devait savoir qu'entre Paris-Lyon (deux jours) et Paris-Sydney (six
mois) il existait un rapport de l'ordre de CENT entre la durée des
deux trajets. Aujourd'hui, ce rapport est sans doute beaucoup plus
près de DIX.
Effet pratique : aplanissement très appréciable des états
d'âme d'une demoiselle, apprenant que son fiancé part signer un
contrat non plus à Lyon, mais à Sydney.
Et voilà comment se sont peu à peu regroupés (autour de valeurs
plus proches les unes des au-tres) ces écarts caractérisant :
- les amplitudes (revenus du chômeur et du retraité,
extraction dentaire, cambriolage) ;
- les rythmes (Paris-Sydney, limitations de vitesse) ;
- les distances (employé/employeur, petites et grosses
voitures).
Un cas bien particulier, et d'une extrême importance, est celui de
la compression des écarts de distance en relation avec
l'information. Son mécanisme est le suivant (prenons le cas de la
réélec-tion de F. Mitterrand à la tête de l'État) :
puisque depuis le début de la campagne électorale les rumeurs ne
cessent de véhiculer tel "tuyau de premier ordre" (émanant
d'un ami travaillant à l'IFOP), ou telle indiscrétion
(révélée par un employé des RG), il y a donc bien des Français
plus ou moins bien informés : le vulgum qui se contente de
lire les journaux, et ceux qui savent déjà.
A 20 h 00, tous les Français apprennent en même temps
l'information, par rapport à laquelle ils se retrouvent donc tous à
distance zéro, et par conséquent à distance égale les uns des
autres.
D'une façon générale, les moyens de communication regroupent les
écarts dans des proportions véritablement spectaculaires :
- avant l'invention du télégraphe, plusieurs jours étaient
nécessaires à ce que les décisions prises par la Convention
soient connues des provinces françaises ;
- les sémaphores de Chappe réduisirent subitement ce délai
à quelques heures, égalisant ainsi avec une particulière
puissance l'écart entre ceux qui savaient de ceux qui ne savaient
pas encore, et préfigurant par ailleurs les monstrueux facteurs de
progrès qui continueront de caractériser pendant encore deux
siècles l'évolution des techniques de communication (ici un gain de
l'ordre de vingt-cinq).
Parmi les principaux inducteurs de cette évolution :
o les moyens de communication, de toute sorte, et plus
généralement la priorité maximale donnée à toutes les formes
de communication ;
o le système des assurances ;
o les innombrables déclinaisons du principe de la protection sociale
;
o la concurrence en général ;
o les dispositifs régulateurs de la concurrence ;
o le consumérisme, etc.
CONCLUSION META HISTORIQUE
Notre vie tout entière est en train de devenir plate.
Confortable certes, et même de plus de plus en plus confortable, de
plus en plus sûre, de plus en plus intelligente (accès à la
culture et aux connaissances), de plus en plus démocratique, de plus
en plus juste, de moins en moins barbare , mais la contrepartie de cet
immense bénéfice se retrouve dans une certaine paralysie : presque
toutes choses étant devenues rigides , et donc non
susceptibles d'évolution (a fortiori de mou-vements brutaux
ou de grande amplitude, donc capables de faire spectacle).
Presque toutes choses.
Sauf au moins une, et pas des moindres, puisque supportant à elle
seule une comparaison avec le gouvernement de la France : la
télévision précisément .
1. Nous sommes de moins en moins affectés par les décisions que
prennent nos dirigeants : dépla-fonnement (plus ou moins
généralisé) de la Sécurité sociale, autorisation administrative
de licen-ciement, règles d'augmentation des loyers, limitation de
vitesse, augmentation ou baisse (quelques centièmes) de la fiscalité
ou des taux d'intérêt, etc.
Rien n'oscille donc là non plus que dans une bande étroite, et
même rendue (irréversiblement) plus serrée à chacune de ses
retouches. Les choses vont donc se figeant, et, dans un avenir
désormais proche, plus rien ne pourra même changer.
2. En outre, la plupart de ces modulations n'affectent, si peu
soit-il, qu'une fraction de la popula-tion : ceux qui cotisent dans la
tranche plafonnée (ainsi que leurs employeurs), ceux qui sont
licenciables (idem), les locataires, les automobilistes,
etc.
Au bilan, on doit donc constater (ou déplorer) une influence globale
très faible de l'action du Gouvernement sur les Français.
En toute rigueur, une trame identique peut être adoptée pour
l'examen-fenêtre de la télévision :
- ses responsables y exercent une action (résultant
elle-même de décisions) ;
- l'effet de cette action affecte la vie des Français.
Mais avec ici des caractéristiques bien plus flatteuses :
1. La télévision est vivante (capable d'évolution et de
changement), et même d'une incroyable plas-ticité : les
changements peuvent en effet intervenir dans un nombre véritablement
infini de di-rections :
allonger/raccourcir/différer/supprimer/créer une (ou cinquante)
émissions, échanger des programmes avec une (ou cinquante) chaînes
étrangères, transformer les décors (ou la for-mule) du journal
de 20 heures, ainsi que l'ensemble des jingles et indicatifs,
remplacer le jazz par de l'opérette (ou les variétés par du
sport), etc., etc.

Bande extrêmement large, donc, et sans aucune perspective, même
lointaine, d'avoir à opérer (ou à constater) un pincement
quelconque .
2. C'est dans la plupart des cas une large majorité de l'audience
qui sera affectée (ou tout au moins concernée) par les changements
institués.
Conclusion opérationnelle
Il existe finalement une façon plus maligne de se hisser au sommet
de l'État, c'est-à-dire non pas en vue de rester
hypothétiquement dans l'Histoire, mais dans l'intention
d'exercer bel et bien le véritable pouvoir, celui qui consiste à
imposer sa volonté.
L'imposer immédiatement, et à tous.
- Qu'avez-vous fait de beau, cette semaine, Monsieur le Président de
la République, Monsieur le Premier ministre ?
- Nous avons renforcé les liens de la France avec la Finlande, rompu
les relations diplomatiques avec le Sud-Yémen, élaboré un
nouveau projet de convention collective pour le secteur des Pa-piers &
Cartons. Nous projetons maintenant de privatiser la BNP. Et vous,
Francis ?
- J'ai permis aux Français de dîner un peu plus tard (l'émission
du soir commence maintenant à neuf heures moins dix, c'est-à-dire
après les jeux que j'ai installés à la suite du Journal de 20
heures).
- Très pratique. Et la semaine prochaine ?
- Je vais leur permettre de se coucher plus tôt le samedi soir.
CHAPITRE 12
Nivellement & création
"Quand dans une cage on enferme
un lion affamé, un homme affamé, et une côtelette,
ce n'est jamais la côtelette qui gagne."
Cavanna.
TOUT S'ARRANGE
Tout s'arrange apparemment. Les choses ne reculent pas, elles
avancent. Toutes dans le bon sens.
Ce ne sont plus jamais des démocrates humanistes (épris de liberté
et de justice sociale) que l'on déboulonne, mais des dictateurs. Et,
pour ceux qui n'ont pas exagéré, pas même besoin de
débou-lonnage : ils s'en vont tout seuls (RDA), se suicident
héroïquement en organisant des élections libres (Chili), ou meurent
dans leur lit (Espagne, Portugal). Plus de bain de sang , plus de
mar-tyrs, plus d'épuration ni même de terreur révolutionnaire
(Iran 79) succédant aux luttes de libé-ration (Algérie 62,
Viêt-nam 73).
Les pays nouvellement affranchis bénéficient aussitôt d'une aide
internationale considérable , et une assez bouleversante euphorie
générale gagne chacun, tandis que les Occidentaux his-sent
tout le monde dans leur bateau, même si des inconvénients peuvent
être attendus - plus tard - en retour de cette solidarité.
Personne en tout cas ne s'étrangle plus de rire aux évoca-tions
(révolues) de M. Prescovikz.
Magnétoscopes , walkmans , cartes de crédit pour tout le monde.
Inquiétude, aussi, de dé-cembre à janvier, quand l'enneigement
se fait attendre. Et, au mois de mai, ceux qui ne seront pas à
Roland-Garros, c'est parce qu'ils regarderont Flushing Meadows.
Tous informés de l'état du monde au même instant, et dans des
conditions maintenant compara-bles d'honnêteté journalistique ,
nous nous retrouverons peut-être l'un de ces prochains étés sur
quelque plage abordable (Abidjan, Marbella ?). Avant la fin du
siècle, les économies les plus exsangues se seront refait la santé
: on investira [ou on ira s'installer] chez vous, qui serez deve-nus
entretemps nos meilleurs clients ; et qui sait, pourquoi ne pas
rêver à de sympathiques coups de Bourse sur le second marché de
Bucarest ou de Leipzig ?
Intellectuellement, une telle évolution présente un avantage
considérable : elle est conver-gente , ce qui dispense - et nous
dispense tous chaque jour un peu plus - d'avoir à nous
inquié-ter, ou même de nous interroger sur les voies que pourront
emprunter certains de nos destins collectifs : le prochain
demi-siècle est à livre ouvert441.
Et attention : pas d'aigreurs ! Il ne s'agit pas ici de chanter la
nostalgie d'un quelconque bon vieux temps, où les chômeurs
vendaient leur vaisselle, où les bourgeois allaient au théâtre
ou à Biarritz tandis que le populo tricotait devant la cheminée et
canotait sur la Marne ; l'armée supportait le gros de notre
industrie et assurait douze mois par an notre protection face à des
voisins hostiles prêts à bondir ; les grèves étaient si dures
que les ouvriers avaient le temps d'avoir faim, et les flics si bien
dressés que du sang coulait encore pour de bon.
Il faut au contraire bénir la chance qui nous a fait croiser cette
fin du XXe siècle alors que nous aurions pu partager le sort des
communards, des poilus, ou bien (pour les dames) croiser les mains en
entendant l'angelus.
LES RIVES DU PACIFIQUE
Destination, les rives du Pacifique.
Le terrain y est d'ailleurs déjà bien défriché, principalement
bien sûr par ceux qui se sentent le mieux dans leur époque, leur
société, et avec ces perspectives.
Prélevons de ce vivier (avec les pincettes qu'exige notre rigueur )
l'un de ces précurseurs : Jean-Louis (un petit Français) est
flatteusement cité par un magazine sous le titre "Argent : les
bons?"
"Jean-Louis Tébéa, conseil en gestion de patrimoine,
hésite à raconter le bon coup qu'il a réalisé l'an
dernier. Et pour cause ! Souvenez-vous de la catastrophe de
Lockerbie.
Un Boeing de la Pan Am explose en plein vol au-dessus de l'Écosse.
Selon des témoins, l'avion s'est disloqué.
Deux thèses sont avancées sur les causes de l'accident : une bombe
ou une défaillance de l'appareil.
Face à cette incertitude, les actions de Boeing piquent de 5%.
A tort, estime Jean-Louis Tébéa. Pour lui, compte tenu des
indications des témoins, il ne peut s'agir que d'une bombe.
Dans cette hypothèse, le titre devrait remonter.
A l'ouverture de la Bourse de New York, à 15 heures, il achète des
actions Boeing. Deux heures après, un premier rapport tombe,
concluant à une bombe. Aussitôt, le titre remonte de 4,5%.
Jean-Louis Tébéa revend, réalise une plus-value de 28% et
empoche 42 000 francs."
Ainsi, même certains progrès qu'on n'attendait pas (ou qu'on
n'attendait plus) finissent par arri-ver, et c'est donc la fin du XXe
siècle qu'il aura fallu attendre pour que la mort engendre de
nou-velles formes de satisfaction : 500 000 ans après l'invention
des pompes funèbres, et bien long-temps même après que les
premiers cadavres eurent été ingénieusement détroussés
(tueurs à gages non compris).
On peut parler d'"argent facile". On peut s'en indigner. On peut
aller jusqu'à faire "Tsss?" entre ses dents, avant de tourner
la page du magazine, à la recherche d'une information de portée
plus générale que cette anecdote.
Mais je n'aurais pas alors de mots assez durs pour flétrir ce
sous-emploi d'une aussi riche par-celle de Réalité. L'actualité
est comme un jardin, qui nous offre des fruits à perte de vue, mais
encore faut-il les apercevoir, et penser à baisser les yeux (ces
fraises par terre, cachées sous leurs feuilles), ou les lever (ces
poires dont la peau verte tachée de brun joue au caméléon dans
les branches ).
Si l'on s'en donne la peine, voici les plus beaux enseignements que
l'on peut - sans difficulté - tirer de cette superbe prise :
Procédé
Même Rothschild, le jour de Waterloo , n'avait pas fait montre
d'un cynisme aussi épanoui : ses plus-values auraient en effet été
tout aussi grasses si les troupes françaises s'étaient rendues
sans combattre (alors que Jean-Louis n'aurait pas gagné ses
42 000 francs sans l'émotion causée par les 250 morts du Boeing
éclaté).
Maîtrise émotionnelle
Qu'il s'achète une automobile, un aller-retour pour Papeete, des
meubles neufs pour la chambre de ses enfants, Jean-Louis tient ses
humeurs sous contrôle, et ne laisse pas prise à la supersti-tion :
chaque fois qu'il se mettra au volant, ou pendant toute la durée du
vol (s'il choisit Tahiti), ou encore le soir, quand il viendra
embrasser ses petits : aucune fâcheuse image ne viendra
assu-rément le hanter, et c'est sans arrière-pensée qu'il
bordera le petit lit tout neuf.
Exploitation future
Cette coquette somme gagnée en quelques heures lui aura
sûrement donné des idées : sans doute écoutera-t-il désormais
la radio plus souvent. Et, apprenant quelque chute d'avion, son c¦ur
bon-dira-t-il d'excitation ?
Altruisme
Censé, par profession, trouver des façons originales de faire
travailler l'argent, Jean-Louis fera tôt ou tard profiter ses
clients de son ingénieuse trouvaille : d'autres petits lits seront
peut-être ainsi financés, à moins qu'il ne s'agisse d'une belle
bague de fiançailles, ou d'un somptueux cadeau de mariage.
Le bilan est nettement (même si faiblement) positif.
Auparavant, les victimes mouraient de toute façon (à l'initiative
- et pour le seul "bénéfice" - de fanatiques artificiers) :
personne, absolument personne ne profitait de ces péripéties.
Désormais, les morts restent morts, le terrorisme n'augmente en
aucune manière, les compagnies d'assurances subissent les mêmes
sinistres, mais - nuance - certains privilégiés en tirent un
substantiel rapport. C'est bel et bien d'un progrès
qu'il s'agit .
L'artisan : ce nouveau monstre, qu'on imagine mâtiné de vampire et
de golden boy, est un futur citoyen - en avance partout et sur chacun
- de ce monde vers lequel nous nous hâtons. Encore européen, mais
déjà si bien installé aux avant-postes de la vie telle que
pratiquée là-bas (Tokyo, Wall Street), il campe d'ores et
déjà sur les territoires nouvellement défrichés.
Le temps et l'espace lui sont familiers : d'Allemagne aux USA en
passant par l'Écosse, de Paris (où réside son argent) à New
York (où est cotée l'action Boeing), il sait prendre des
décisions rapi-des. Mobilisant en un instant quinze jours de son
salaire, il sait quoi écouter et à qui
téléphoner pour donner quelques heures plus tard l'ordre qui scelle
son succès.
Sans laisser la morale ou le sentiment perturber son intelligence, il
spécule - c'est le mot - avec cette efficacité
américaine à laquelle ne prétendait pas encore son père (ni
encore la plu-part de ses copains de lycée), qui détachaient
chaque année les coupons de l'emprunt SNCF.
Au total, sûr que les terroristes se sentiront moins seuls.
Et pourtant :
Ce progrès constitué par ces plus-values sur victimes du
terrorisme aérien, validé par le petit Français, publié par ce
magazine , est désormais engrangé : ce qui signifie (compte
tenu de sa remarquable adaptabilité à tout cas de figure), la
certitude de sa mise en ¦uvre future.
Confusément, cette perspective semble contredire nos lois les plus
universel-les :"thermodynamique" (alias "entropie", plus
connue comme loi du Désordre croissant), prin-cipe
d'Incertitude , lois de Murphy , Tartines beurrées, etc.
Quant à cette féconde intégration de notre défricheur à son
milieu, celle-ci est symptomatique d'une convergence plus générale
: aplanissement de tous critères différenciateurs (temps, es-pace,
niveau d'information), unification des paramètres les plus
diversifiés (rapport avec l'argent) ou les plus subtils (avec la
mort) .
Combiné avec les perspectives de progrès, ce mouvement semble
défier une autre super-loi (im-plicite, mais omniprésente à notre
pensée) : celle de l'équilibre (vases communicants,
gagné-perdu, balances carrées et autres "jeux à somme
nulle").
Alors, progrès ou désordre ? Égalisation ou différenciation ?
Il serait intolérable d'avoir à coha-biter avec de telles
anomalies :
- d'un côté, des principes, unifiant en quelques mots tout
un passé scientifique (et méritant à ce titre l'immense
autorité que leur reconnaît notre jugeotte), proposant en
définitive une estima-tion du futur le plus probable ;
- de l'autre, plusieurs échantillons extraits tels quels de la
Réalité (Jean-Louis, 42 000 francs, ex-Boeing, traces de Semtex
?), par conséquent vrais plutôt qu'intelligents, et constatant
donc la certitude du passé.
Titanesque lutte entre le Réel et l'Intellectuel, qui se dénouera,
en effet, autour de la certitude.
En gros : ça se peut, ou ça ne se peut pas ?
Subsidiairement, la question suivante peut aussi se poser :
- Est-il bien raisonnable de se livrer à de telles spéculations
sur d'aussi minces bases (simples coupures de presse, montées en
épingle jusqu'à fournir matière à exégèse)
?
D'ailleurs - étant plus ou moins admis que l'indignation (réaction
émotive) s'oppose à la compré-hension (réaction intelligente)
- ne finit-on pas par mithridatiser son organe cérébral en
s'insurgeant avec complaisance face à d'inclassables cas d'espèce
?
Réponse (véhémente) après examen sommaire du monde qui nous
entoure, sur le thème : "Plaisir et Enrichissement à
l'Inépuisable Spectacle de la Réalité".
UNE CHAISE
C'est sur une chaise des dimanches que nous allons apprendre à
nous poser (utilement) ce genre de question.

Sa photographie apparaît
dans un magazine de décoration intérieure, parmi vingt meubles
conçus depuis un siècle par les designers les plus prestigieux,
regroupés comme "éternellement jeunes" dans une anthologie à
grand spectacle titrée : "Les pionniers du contemporain". Dix
pages lyri-ques, mais aussi pratiques : pour chaque meuble - on
verra que le mot est important - prix et points de vente sont
indiqués.
Avant même qu'un quelconque examen soit nécessaire - et en se
gardant bien sûr de toute éva-luation esthétique - deux
caractéristiques de l'objet s'imposent immédiatement :
- son inconfort manifeste ;
- l'extrême simplicité de ses lignes.
Plus précisément :
Inconfort
De vives douleurs (fesses, colonne vertébrale, face
postérieure des genoux) s'anticipent aisé-ment. Des blessures
doivent également être attendues : au niveau des jambes (en cas de
mouve-ments inadaptés à la station sur cette chaise), sur tout le
reste du corps en cas d'incident (chute par exemple). Il est
certainement très désagréable, par ailleurs, de sentir ses
talons glisser le long de la paroi inclinée (alors qu'on tente par
réflexe de les poser sur un barreau), et de ne pou-voir se balancer
(alors que tout le monde aime cela). On devine enfin que cette chaise,
"éditée en orme brut", est d'une manipulation très
malcommode (aucune prise), et d'une évidente fragilité (le dossier
semble à lui seul particulièrement vulnérable) .
Simplicité
Un jeu de quelques équations (moins d'une douzaine peut-être,
et toutes du premier degré) doit certainement suffire à une
description géométrique complète de la forme. [A titre de
comparai-son, ce qu'on pourrait considérer comme la chaise
type (de cantines, commissariats, etc.) exige certainement une bonne
centaine de fonctions, dont un grand nombre de degrés supérieurs à
1.]

ÇA SE PEUT / ÇA SE PEUT PAS
Ce violent contraste entre deux caractéristiques plutôt
substantielles de l'objet :
- sa genèse ;
- sa destination ,
fait de cette chaise un véritable cas d'école, une plate-forme
idéale pour tenter d'interpréter l'une par rapport à l'autre.
o Sur la finalité proprement dite :
Non seulement le confort attendu n'est pas au rendez-vous (faible
performance), mais le simple usage de la chaise est visiblement
pénible (forte contre-performance). Ainsi incapable de suppor-ter une
comparaison fonctionnelle avec la plus simple des chaises
conventionnelles, il ne reste à ce navrant objet qu'une
indéfinissable valeur d'apparence, de mode, ou de frime. (Création,
sno-bisme, même combat, pas de mystère.)
o Sur les lois génératrices :
Une forme plane (rappelant un W mal formé) a été créée au
moyen de quatre segments formant entre eux trois angles.
Après quoi, le designer a affecté cette forme bidimensionnelle
d'un simple effet de relief, conf-érant à l'objet la troisième
dimension qu'exige sa cohabitation avec l'homme.
C'est donc un véritable système qui gouverne la conception de
cette chaise : huit paramètres (pas un de plus) sont nécessaires à
ce système pour engendrer une vaste gamme de modèles : les
lon-gueurs L1, L2, L3, L4, les angles A1, A2, A3, et la profondeur P
.
Or l'usager de la chaise, lui, n'a pas été doté par la nature
d'une profondeur géométrique : c'est au contraire un nombre
considérable de formes, cotes, dimensions, articulations, et masses
mobiles qui se présentent à la chaise, et, une fois assis, c'est
en nombre également considérable que se-ront transmises les
réactions, sensations et perceptions attendues par le client.
L'objet autopsié par TBA pour l'édification de ses lecteurs
pouvant être ainsi déclaré impropre à l'usage de chaise, un
échec complet doit donc être constaté : cette chaise
ne-se-peut-pas.
REGLES IMPITOYABLES MECONNUES PAR LES LAPINS
Chaque jour, du cerveau d'innombrables ébénistes, architectes,
stylistes jailllissent des projets de chaise.
Certains de ses projets évoluent en pièces d'ameublement, sur
lesquels les hommes s'assoient quotidiennement après avoir payé
pour les acquérir.
- lieu d'existence : Ikea, salon, salle à manger,
commissariat, école ;
- nom : chaise.
D'autres ne dépassent pas (ou pas de beaucoup) l'état de
formes, et ne soutiennent finalement que le regard de l'homme, à
défaut de ses fesses.
- lieu d'existence : musée, galerie, expo, magazine ;
- nom : objet, objet d'art (ou de collection), sculpture,
étude.
Comparaison possible avec une situation moins civilisée (et même
la plus nature possible) : le vol-can [toujours lui], d'où
jaillissent sans interruption des pierres de toutes les formes,
tombant dans un rayon de cent mètres autour du cratère.
Les lapins du voisinage, victimes de cette avalanche de pierres,
espèrent la formation (assuré-ment possible) d'un abri : il
suffirait pour cela que se disposent correctement trois pierres (deux
posées verticalement sur le sol, la troisième reposant
horizontalement sur le sommet des deux premières).
Mais ces lapins insouciants et optimistes méconnaissent les
mécanismes les plus probables de la Création (Felix qui potuit
rerum cognoscere causas ) :
1. Tendance maîtresse : renouvellement perpétuel du désordre
initial (les pierres pleuvent, tom-bant la plupart du temps n'importe
où sur le sol).
2. Circonstances exceptionnelles : une amorce de début d'abri
commence à se former : deux pier-res (plus rarement, trois) se
superposent, se juxtaposent, bref se combinent.
3. Retour au néant : même une fois amorcés (ou même
terminés), ces arrangements constructifs ne tardent pas à
s'écrouler,
- soit parce que mal établis (pierres inférieures en
équilibre instable, sur une irrégularité du terrain) ;
- soit sous le choc d'une grosse (ou petite) pierre, tombant
(tôt ou tard) sur l'édifice.
Mis à part les cas prévus par la loi dominante (tendance au
désordre), on peut aussi rencontrer les effets suivants :
1. Incompatibilité avec les règles en tous genre caractérisant
le milieu d'accueil : en l'absence de relief, le sol est plat
(loi-cadre), même si sa surface est souvent accidentée de
rochers, trous ou crevasses (loi marginale).
2. Vulnérabilité aux inévitables turbulences du milieu : des
roches de toutes tailles peuvent tom-ber du ciel (dans quelques
instants ou quelques jours), tandis que des arbres peuvent pousser et
faire basculer un roc (dans quelques mois ou quelques siècles).
D'où, risques de retour au néant, liés à ces règles
permanentes (et originelles) d'une part, aux règles élargies
(tolérant la pré-existence d'autres Créations), d'autre part.
Notre lexique de base pour cette situation :
Milieu : les environs du volcan.
Création : assemblage (même temporaire) d'au moins deux
pierres.
Existence : stabilité de cette Création, pendant (au moins) le
temps nécessaire à l'apparition d'une autre Création.
Lois : gravitation, pesanteur, mécanique des cailloux, relief
terrestre.
Conditions d'existence : équilibre stable (une pierre horizontale
reposant sur deux pierres verti-cales, elles-mêmes assises sur le
terrain d'accueil).
Turbulences : vent, pluie, secousses telluriques, chutes de pierres,
grêlons, météorites, avions en panne, etc.
COHERENCE
Ce que l'on peut d'ores et déjà postuler : une Nouveauté
(au moins deux pierres en équilibre, - si possible formant un abri)
ne peut apparaître, puis s'établir, que si ses Conditions propres
d'exis-tence sont compatibles avec la cohérence globale du Milieu où
elle s'introduit, cohérence procé-dant elle-même (sur une longue
période de Temps) d'un système de règles.
o Tout d'abord, les règles les plus générales (comparables à
notre Constitution), caractérisées par une certaine
permanence.
Agriculture cosmique (ensemencement d'avoine sur la surface lunaire) :
absence d'atmos-phère = échec immédiat.
o Puis les amendements à ces mécanismes, tels qu'issus du passé
(Jurisprudences).
Diversification des transports (camion pour girafes) : hauteur
incompatible avec celle des ponts qui, depuis plusieurs siècles,
enjambent les routes.
o Enfin, les règles latentes, correspondant à des scénarios
prévisionnels ou à toute forme de mo-délisation.
Rigueur budgétaire (tripler le prix du ticket de métro) : retour
progressif au transport indivi-duel, engorgement des villes, hyper
pollution , .
Bien sûr, la plupart des règles sont interconnectées.
Il en résulte de puissants effets de propagation , qui interdiraient
toute observation stabilisée si l'on ne profitait pas de l'occasion
pour retenir l'idée d'une sorte de base de temps : en fait, le
rythme principal de la Grande Boucle, telle que celle-ci sera
bientôt décrite (d'ici quelques pages).
Il devient alors possible de ramener l'Univers à une suite
ininterrompue de situations instanta-nées.
Chacune des situations peut de même être complètement définie
par la différenciation exhaus-tive des états
élémentaires qui la caractérisent.
oDegré zéro, correspondant à la perception : constantes.
Les états élémentaires sont de leur côté unifiés par les
Règles : forces de mouvement et de ré-gulation, celles-ci sont
composées d'opérateurs mais aussi de modalités (telles que :
principes de propagation, consignes de hiérarchie et de priorité),
dont la combinaison détermine à tout ins-tant, par itération
permanente, chacun des États élémentaires.
oDegré un, correspondant à l'intelligence : fonctions.
oDegré deux, correspondant à l'imagination :
primitives.
Les Règles sont elles-mêmes unifiées en un système global,
propre à un état donné de la Connais-sance.
Dans le cas de la chaise design, les conditions propres d'existence
sont très favorables : simplici-té de réalisation (planche +
scie), et donc d'industrialisation, ce qui garantit l'existence
maté-rielle .
En revanche, les règles propres au milieu visé sont
systématiquement ignorées.
La seule façon d'améliorer la performance de cette chaise sur le
critère de la cohérence serait donc de passer par la définition
d'un nouveau jeu de Règles (bien peu concevable, étant donné
l'ancienneté1 - préhistorique ? - de la fonction
s'asseoir).
Or ces règles ne sont pas une variable du problème, mais au
contraire l'une de ses données de départ qui caractérisent le
milieu destinataire : l'homme, ses maisons, ses tables, ses bureaux,
ses genoux .
C'est finalement un paradoxe qu'il faudrait donc surmonter pour
que soit envisageable une meil-leure compatibilité.
Il n'en est évidemment pas question, et ainsi faut-il conclure que
cette Création - définie par un système de lois n'épousant
pas celles qui gouvernent les autres occupants de cette Réalité
- ne se peut pas.
Les exigences propres à ce qui pré-existe triomphent en toute
logique, et tant mieux pour notre confort intellectuel.
NON-STOP
Cette vaillante défense de la Réalité contre les assauts de
maladroites Créations est un specta-cle bien édifiant.
Toutes interrogations sur l'invention, le progrès, l'évolution en
général s'y ramènent inexorable-ment : autant approfondir dès
à présent cette mécanique universelle (d'apparence ingrate car
suspectée - à tort - d'héberger toutes les évidences).
Sur quoi achoppait donc cette navrante chaise ? Sur son Existence,
rien de moins.
Car l'erreur serait précisément d'y croire, à son Existence.
Cet objet ne cohabite qu'avec des photographes, des commentateurs, et
quelques boutiquiers snobs : un univers de mots et de signes qui ne
représente pas la vraie vie, le monde, et en tout cas pas la
Réalité.
Si l'on accepte un instant de limiter notre observation aux seules
combinaisons de pierres rete-nues comme représentatives de
l'ensemble des choses qui peuplent l'Univers, il est possible de
pousser quelques millimètres plus loin la volcanique analogie : tout
comme notre imaginaire, qui ne peut un seul instant cesser de produire
des représentations (lesquelles deviendront éventuelle-ment des
paroles, des idées, des actes, etc.), le Réel s'accomplit en
permanence sous la forme de la fameuse Grande Boucle [on y vient] au
cycle ininterrompu.
Mais l'Existence du Réel - contrairement à celle du symbolique -
n'est ni automatique, ni même implicite.
Lorsqu'elle fait défaut, c'est donc que la ""chose""
ne peut pas être.
Qu'est-ce donc qui s'oppose ainsi à ce sympathique projet
d'existence ?
Entre autres obstacles :
Le contrôle automatique, par le monde lui-même, de sa propre
Cohérence Interne Globale, cela en vue d'assurer sa propre
sécurité, et bien sûr celle de ses adhérents.
Sans négliger, bien sûr, la vigilance exercée tout
particulièrement par l'un des membres du club, en vue
d'assurer sa propre santé mentale.
Nous autres (humains) devons en effet naviguer sans cesse entre les
deux positions extrêmes du curseur cérébral, dont les bornes
représentent :
o côté raison, le refus d'admettre l'existence (et bien
sûr - à défaut d'existence - l'hypothèse) de notions non encore
perçues ou expérimentées (apparence externe : absence
totale d'imagination) ;
o côté folie, l'intégration généreuse à la
connaissance des notions les plus audacieuses, sur la base
- de signes (parfois grossiers) ;
- ou même d'informations (évidemment entachées
d'incertitude) supposées significatives (appa-rence externe :
crédulité, naïveté, absence d'esprit critique).
SIGNE REÇU, SIGNE PERÇU, ou
EST-CE QUE C'EST VRAIMENT POSSIBLE ?
En d'autres termes, il y a ceux que dépasse complètement
l'idée que sous d'autres climats, très loin de la place Balard, on
puisse saluer son prochain par friction mutuelle de l'appendice nasal,
et ceux qui croient aux soucoupes volantes depuis qu'un excellent ami
leur a raconté avoir vu des sortes de lueurs au fond de son
jardin.
Mais on se souvient d'avoir cru au Père Noël.
Et finalement, se dira un jour le fou devenu raisonnable,
ces Esquimaux, en ai-je déjà vu seule-ment une paire se frotter le
nez ? Est-ce qu'un de mes amis, est-ce qu'une seule des personnes en
qui j'ai confiance a déjà assisté au protocole
?
C'est alors que se produit la
conflagration entre cette parcelle de connaissance (si peu conforme à
la totalité du reste) et la fragilité des indices susceptibles de
l'étayer. De ce choc naît une terreur particulière : celle
d'avoir été crédule, d'avoir marché, d'avoir eu autant de
jugeote qu'un enfant, d'avoir fait preuve de
naïveté.
Voilà pourquoi une
simple petite annonce est tellement intéressante
:

Son rôle est en
quelque sorte celui d'un révélateur de l'occulte, et donc
instrument complémen-taire de perception. Notamment ce qui ne se dit
pas (et surtout ne s'avoue pas), parce que hon-teux ou simplement
irrecevable par les autres.
Qui a déjà vu un
transsexuel, un seul ? (La question s'adresse aux vrais citoyens, non
pas aux médecins, journalistes, assistantes sociales,
psychothérapeutes comportementaux, tenanciers de bars spécialisés,
animateurs de programmes-choc sur la Une ou la Cinq,
etc.)
Qui même connaît
une personne (à la fois proche et crédible) ayant déjà
côtoyé un tel sujet, masculin ou féminin
?
CQFD. Cette petite
annonce nous confirme assurément leur existence, bien mieux
(et en tout cas avec une bien meilleure qualité d'écoute) que ne
l'aurait fait un traitement journalistique ou documentaire. Une
subtile transition - du signe reçu au signe perçu - nous
permet de passer par-dessus le mur des transmetteurs de connaissance
pour sauter directement dans la vraie vie, et (presque) dans
l'expérience : c'est du «vécu».
LA GRANDE BOUCLE, ou POURQUOI ÇA N'EXISTE PAS
La création permanente peut, commodément, revêtir la forme
algorithmique d'une sorte de grande boucle (suite de
décisions). Toute Création doit, pour s'accomplir, passer le circuit
de cette boucle.
1. On commence par tirer une nouvelle combinaison.
2. Puis on se demande si elle est conforme avec ce qui existe. Si oui,
on saute à l'étape 6.
3. Si elle ne l'est pas, on regarde si elle est conforme avec ce qui
pourrait être. Si oui, on saute à l'étape 5.
4. Si elle ne l'est pas on arrive à un constat d'impossibilité. Il
faut retourner à l'étape 1.
5. On doit adapter, retoucher (profondément) cette création.
6. C'est l'étape de la finition, des corrections
(superficielles).
7. Notre création peut être intégrée au Réel, et on retourne
à l'étape1.
A l'origine même du cycle
se situent toutes les sources susceptibles de proposer l'existence de
nouvelles combinaisons, elles-mêmes destinées à être
incorporées à l'Univers, et donc compati-bles avec son système de
règles. Exemples : le climat, les ministres, les femmes en couches,
les syndicats, etc., ainsi que [si l'on y tient] une sorte d'être
suprême jouant le rôle de créateur universel.
Faisons tourner dans cette Boucle quelques combinaisons proposées
par diverses sources pour voir si elles ont une chance ou non de
réussir leur examen d'existence, et pourquoi...
Seront repoussées lors de la Grande Boucle les
créations/combinaisons suivantes :
o50 °C sous zéro, à Paris un 15 août (proposé par : climat
terrestre).
Une telle température estivale serait incompatible avec la rotation
de la Terre autour du Soleil (ce qui nuirait gravement à la
cohérence de la mécanique céleste, et serait par conséquent
plein d'inconvénients).

omarteau désaltérant (proposé par : inventeurs).
Un outil aussi original supposerait de profonds amendements à notre
système digestif, et/ou une redoutable fragilité de nos
constructions métalliques (caractère fatal, dans les deux cas, des
effets produits).
oattaque militaire de la Chine par Monaco (proposé par : ministres/
dirigeants).
Un tel conflit ne pourrait être conçu que sous l'effet d'une
vision hallucinatoire des relations internationales.
Au contraire seront admises les candidatures telles que :
oeau minérale vendue par bouteilles de 1,5 litre (proposé par :
industriels).
Conforme à ce qui est, et donc acceptée dès l'étape n°2 de
la boucle : simple extension de l'existant.
omotocyclette à nettoyer les trottoirs (proposé par : élus
locaux).
Cette invention est conforme à ce qui pourrait être (sur la
base d'une observation de l'Univers associée à une intense
réflexion), et donc acceptée à l'étape 3 de la
boucle.
Il ne faut évidemment pas perdre de vue
l'accomplissement implicite [en permanence depuis l'ori-gine des
temps] de cette Boucle à laquelle tout obéit, et qui en
définitive gouverne l'apparition, la disparition, l'évolution
de toutes choses.
Autres cas :
- rallye automobile de Paris à Dakar. Ok.
- liaison supersonique Paris-New-York. Ok.
- mes enfants seront députés. Ok.
- je ferai de mon fils un grand violoniste. Non : Adolf Hitler (encore
nourrisson) de-
viendra chef suprême de son pays, et les guerres qu'il provoquera
feront de nombreux morts, dont mon enfant .
DE PLUS EN PLUS FORT
Par nature, le système de Règles devient sans cesse plus riche
(les règles s'ajoutent les unes aux autres), et surtout plus
complexe : chaque règle nouvelle interagit avec l'ensembles des
règles précédentes.
Une excellente analogie est fournie par le jeu de Mikado :
L'ensemble des bâtons forme, à chaque tour, un tas stable.
Mais les bâtons sont, en grande majorité (et c'est d'ailleurs ce
qui fait l'intérêt de ce jeu), dans une configuration telle qu'un
seul de leurs mouvements agit sur au moins un autre bâton. La
récur-sivité de cette règle entraîne la propagation
quasi-générale de tous les mouvements.
Sauf cependant le mouvement des bâtons quasi-extérieurs au tas
(non reliés mécaniquement, car dépourvus de point de contact
avec un seul autre bâton), ou qui bénéficient de supports
multi-ples, et qui tolèrent par conséquent la disparition d'un de
leurs points d'appui.
Chaque nouveauté prenant pied dans la Réalité ne parvient à
s'y maintenir qu'en luttant contre les nombreuses influences
défavorables :
omouvements de protestation, qui tentent de faire interdire le
Paris-Dakar?
Ces interférences avec de nombreuses autres existences (souvent
actives) ont pour effet de préciser certaines Règles, ou encore
d'en créer de nouvelles :
oà partir de 1980, des enfants peuvent se faire écraser
(par des bolides rugissants) en plein Sa-hara?
Ce qui modifie donc (presque toujours par enrichissement) le Système
de Règles :
oprudence en traversant les rues du village, pendant les trois
premières semaines de l'année chrétienne?
Mais il pourrait arriver que les Règles ne se laissent pas modifier
:
oles maires du Ténéré interdisent le passage du
Paris-Dakar dans leurs villages?
L'Existence de la Nouveauté débutante deviendrait alors menacée
: manifestation parfaitement naturelle (et typique) des célèbres
"résistances au changement".
Afin de sauver sa peau, la Nouveauté peut alors choisir de s'adapter
au Milieu (n'étant pas par-venue à modeler delui-ci), en
éliminant de ses Conditions d'existence les spécifications
auxquelles le Milieu refuse précisément de s'adapter
:
Trois issues possibles à cette chirurgie courageuse
(""réaliste"" est le mot) :
1. Transport des véhicules de Marseille à Dakar par voie maritime
: perte (fatale) d'identité.
2.Limitation de vitesse à 10 km/h dans un rayon de 10 km autour des
agglomérations : meilleure viabilité après édulcoration.
3. Création d'une autoroute Tripoli-Dakar : excellente viabilité,
après transposition brutale d'un modèle prélevé dans la
Réalité.
Mis à part le premier scénario (retour au Néant par abandon),
les solutions (2) et (3) partagent visiblement le même
inconvénient :
- renoncement à des caractéristiques réellement inédites
(et donc : moindre innovation) ;
- adoption de schémas éprouvés (et donc : extension de
l'Existant).
Enfin, dans l'hypothèse où aucune résistance extérieure ne
s'est manifestée, c'est donc qu'il y avait bien conformité
entre l'Existant (actuel ou virtuel) et la nouveauté candidate.
Lorsque deux jeux ont des règles approximativement conformes l'une à
l'autre (exemple : bridge, belote), force est de constater que ces
jeux se ressemblent.
Pour réussir à apparaître, puis exister, les Nouveautés (ou
Évolutions) auront dû au total naviguer entre les deux seuls caps
possibles :
- ressembler à la Réalité ;
- ne pas s'en différencier.
Et, si elles ont échoué, c'est en définitive la Réalité qui
ressemblera (un peu plus) à elle-même.
PINCEMENT & CONVERGENCES
De cette hégémonie du pré-existant, il y a toutes raisons de
craindre que les innova-tions/évolutions soient progressivement - et
nécessairement - de moins en moins audacieuses.
Apparition de plus en plus rare, par exemple, de ce qu'il convient de
nommer «nouveaux concepts» (four à micro-ondes,
télécommande-TV), présentant au moins une forme de
discontinuité avec ce qui préexiste.
La tendance est au contraire à des sortes de variations sur un
thème (calculettes) présentant un maximum de caractéristiques
communes avec le sujet principal (dimensions, matériau, énergie,
touches, affichage, mémoire).
Et, une nouvelle fois, il faut admettre que les évolutions ayant le
plus de chances de réussir (s'ancrer durablement dans la
Réalité) sont celles qui ressemblent le plus :
- à ce qui existe déjà (walkman) ;
- à ce qui existe davantage (VHS contre Betamax).
Il est particulièrement récréatif d'observer que les
Créations représentées, autrement dit, ca-ractérisées
par une fausse existence (agents secrets, cow-boys, hommes) ont la vie
facile grâce à leurs conditions d'existence simples [en tous cas
plus simples, et donc moins contraignantes, que celles des
?prêtres (ils ne peuvent pas être méchants),
?chefs de bureau (ils ne peuvent pas être aventuriers),
?femmes (elles ne peuvent pas être bagarreuses ).
Cela suffit à leur permettre de tout faire (par exemple :
être méchants et sentimentaux), et donc d'assumer toutes les
situations, vivre tous les destins.
Mais des Réalités établies, ayant peu évolué, peuvent aussi
se retrouver en faible cohérence avec le Système de Règles
ambiant, qui, lui, n'a pas cessé d'évoluer.
Exemple de Règle caduque :
opas de travail = pas d'argent
[âge : centaines de siècles.]
Son application nous obligerait à trouver sous notre regard une
famille, des petits enfants affa-més parce que le père a perdu son
boulot. Insoutenable spectacle : ça ne se peut pas ! C'est deve-nu
non cohérent .
Un mécanisme s'enclenche alors, tendant à permettre l'adaptation
du Réel : apparition de l'assurance-chômage.
En outre, certaines règles apparaissent ou se modifient (cotisation
obligatoire) : c'est donc bel et bien d'une Règle qu'il
s'agit !
Autre exemple de Règle caduque :
ogrossesse accidentelle = détresse
[âge : dizaines [?] de siècles.]
Idem : ça ne se peut plus !
On observe également l'apparition progressive (et non signalée) de
nouvelles Règles d'ordre très général (et ne concernant donc
que le mouvement des choses, non pas les choses
elles-mêmes).
Ainsi, ce principe directeur (assimilé depuis le XIXe siècle) : il
faut favoriser la circulation des biens (marchandises, argent,
information).

Or, les miséreux, ne
pouvant participer à ce mouvement, le freinent :
1. Il faut donc lutter contre
la misère (dont les inconvénients se révèlent au passage plus
nom-breux que prévu) :
oSMIC, Assedic, Retraites.
2. Mais il faut aussi s'attaquer à la pauvreté (faute de quoi ces
anciens gueux se contenteront de pain, charbon et patates, ce qui ne
suffit pas à faire tourner une économie moderne ; en particu-lier,
ils ne pourront pas s'acheter les produits de masse [auto, frigo,
TV?] que l'on inventerait volontiers à condition qu'ils aient
des débouchés) :
oCrédit.
Bilan spectaculairement avantageux :
o Avant : faibles connexions entre la société et ses parias
- soupe claire distribuée les hivers de grand froid ;
- chair à canon disponible le reste du temps.
o Après : flux de marchandises, d'argent, de papiers, d'engagements
mutuels et de contrats à long terme.
La règle de Cohérence a donc des retombées à perte de vue, en
raison de son bouclage («réaction positive») intrinsèque.
C'est en particulier grâce à ces auto références
systématiques que finissent par s'adapter - si harmonieusement -
toutes les situations . Par exemple, cet auto-allumage du cycle
économique, provoque un miraculeux tassement (vers le haut) des
écarts sociaux.
ARRET SUR COÏNCIDENCE
A la fin du XIXe siècle commence donc à s'exercer ce processus
de réduction des inégalités (en-tre les hommes).
A la même époque, le progrès des sciences & techniques -
ayant accouché de ses plus monumen-tales conquêtes - révèle à
son tour une tendance à la réduction des inégalités (entre les
Nou-veautés).
Aux environs de 1920, le plus gros est fait :
oélectricité, magnétisme, pétrole, atome, quanta, aspirine,
vaccins, avion?
oles hommes n'ont plus froid, ne voyagent plus à cheval ,
s'informent (tous en même temps) «au poste», se distraient sur
l'écran des mêmes salles obscures.
Et c'est au cours de ce même demi-siècle, où l'évolution du
Réel/Matériel semble s'essouffler, que s'épanouissent avec vigueur
trois innovations :
- le marxisme ;
- la psychanalyse ;
- l'Art non figuratif ,
qui partagent une caractéristique commune (appartenance à l'ordre
du Symbolique, plutôt que - précisément - à celui du
Réel).
REPRESENTATIONS
Le symbolique. On dit aussi : l'imaginaire, afin de bien
préciser que c'est de l'Imagination que tout cela est issu, et non pas
de la Création universelle (autrement dit de la Réalité ).
Les ressemblances sont en effet innombrables entre la Grande Boucle du
Réel et le processus permanent qui engendre sans cesse les
représentations de l'imaginaire, d'où, parfois, dérive une
véritable «création», qui jaillit dans la Réalité.
Mais c'est sur ce point précis que se révèlent quand même
inconciliables les deux modes d'enrichissement du Réel :
1. Le nôtre (création par l'Imaginaire), dont nous ne pouvons
évidemment que postuler la dépen-dance totale vis-à-vis d'un
système représentatif interne, - multimédia, certes, mais de toute
façon très-très verbal.
En tous cas, avant d'être reçues à l'examen de passage qui ouvre
toutes grandes les portes du Réel, les candidatures sont passées
par le stade primal d'une forme de représentation, qui
permettent au minimum de pouvoir en parler. Entre nous.
Mais celle-ci ne doit pas être indispensable au processus, puisque
la création universelle s'en passe apparemment .
2. L'Universel, dont il n'est décidément pas raisonnable de se
mettre à supposer - par souci de parallélisme - qu'une hyper
conscience, là-haut, se représente quoi que ce soit.
Chaque tour de la Grande Boucle s'accompagne de l'exécution
incontournable des tests de conformité (étapes n°2 et n°3), ce
qui suffit à rejeter impitoyablement les combinaisons
réfrac-taires dans les poubelles de l'impossible.
La première distinction est
certes intéressante puisqu'elle oblige à imaginer une sorte de
"langage" (système de signes et de sensations internes)
véritablement universel permettant à tous les imaginaires
fonctionnant dans tous les cerveaux de tous les hommes, de toutes
langues et de toutes cultures de produire - même fugitivement - ces
représentations.
La seconde est beaucoup plus gênante : l'indifférence de
l'imaginaire aux systèmes de Règles quels qu'ils soient oblige à
supposer que le processus combinatoire n'est ici suivi d'aucune
batterie de tests, et que par conséquent il n'existe en aval de
l'imaginaire aucune forme de poubelle.
Si par exemple, en souvenir des combinaisons proposées (plus haut)
par la Grande Boucle, je viens d'imaginer Jacques Chirac, courant
après un magnum d'Évian pour lui taper dessus conformément aux
lois monégasques, rien ni personne ne pourra me contraindre à
annuler de mes souvenirs, de ma mémoire, et peut-être bien de mes
connaissances, cette pittoresque scène de genre :
- je me la suis représentée (sans d'ailleurs me faire le
moindre n¦ud au cerveau) ;
- elle a eu une existence achevée dans ma tête (la preuve :
je suis capable de la décrire avec précision) ;
- elle y reste.
Et même, si un ensemble de circonstances veulent bien s'y prêter,
elle y restera jusqu'à la fin de mes jours.
On est donc vraiment très près de l'existence tout court :
existence non pas de la situation, mais de sa représentation.
MEMOIRE, IMAGINAIRE
Une source particulièrement autorisée de nouvelles
combinaisons [surtout dans ce volume] est d'ailleurs constituée par
l'imaginaire à lui tout seul. L'indifférence totale, absolue, de
l'imaginaire aux règles de possibilité/impossibilité doit alors
être mise en corrélation avec ses nombreuses et très profondes
attaches avec la mémoire.
Qu'on en juge :
o
Mémoire
Inconcevabilité de
toutes bornes, et même de toute notion de
dimensionnement.
Imaginaire
Inconcevabilité de
toutes limites au processus, et même de toute notion d'épuisement
.
o
Mémoire
Inconcevabilité d'un
blocage d'entrée.
Imaginaire
Inconcevabilité d'un
état statique. (Analogie : équilibre d'une
bicyclette.)
o
Mémoire
Insensibilité
absolue aux efforts d'appauvrissement, quelles que soient leur forme
ou leur origine.
Imaginaire
Insensibilité aux
efforts de modération.
o
Mémoire
Seuls appauvrissements
concevables : confusion/volatilité, sous l'effet du
temps.
Imaginaire
Seul modérateur
connu : perte de conscience [décès non comptabilisé]
.
o
Mémoire
Insensibilité aux
efforts de la volonté, dans quelque direction qu'ils
s'exercent.
Imaginaire
Insensibilité aux
efforts de la volonté, tendant à empêcher une production
quelconque.
Le parallélisme frappant entre ces deux ressources de notre
intellect est précisément à l'origine du principe
d'enrichissement/consolidation de ce qu'il faut bien appeler le
circuit cognitif :
1. Spectacle permanent offert par la vie, le monde, les autres.
2. Observations prélevées dans ce champ de perception.
3. Les observations sont-elles perçues (une fois passées au crible
de la Raison à travers les mail-les des connaissances
antérieures449) comme conformes :
- à la Vérité ou à l'Existant ? OUI :
indifférence, consolidation du circuit ;
- au Possible ? OUI : surprise,
enrichissement du circuit ; NON : hilarité (dans le meilleur des
cas).
LE CIRCUIT
D'un abord aussi fallacieux que métaphorique, le schéma du
circuit de perception/mémorisation gagne à être envisagé sous
l'angle d'un processus fonctionnel parfaitement pratique (sous peine
d'ennui profond).
Exemple retenu : celui d'un rappel mémoire (exactement identique à
celui qui correspond, sur les calculettes, à la touche RM ou
MR).
Situation : jeu radiophonique.
Question posée : qui a popularisé la chanson J'aime les bananes
parce qu'il n'y a pas d'os dedans" ?
Le bloc principal est évidemment la Perception, car c'est par là
que tout commence.
En particulier, c'est par là que tout entre dans la mémoire (le
cerveau, la connaissance, bref : la tête), et, ici, la question
posée.
Il s'agit d'un bloc à deux
entrées :
- perceptions d'origine externe,
c'est-à-dire, en gros, ce que nous appelons les sens (vedettes
privilégiées : vue, ouïe) ;
- perceptions d'origine interne (émotions,
joie, et toutes ces choses encore plus immatériel-les les unes que
les autres).
-
Un autre bloc plutôt
important est celui qu'on se contentera d'appeler la Conscience. (Plus
que l'habitacle d'une automobile, ce bloc rappellerait le cockpit d'un
avion.)
La conscience dispose d'un canal de communication à très grand
débit avec la "mémoire".
Ou plutôt, avec la CONNAISSANCE.
Quelle différence ? Retenons celle-ci : la connaissance serait non
pas une zone du cerveau, ou quoi que ce soit du genre, mais
plutôt un processus d'accès aux souvenirs, eux-mêmes
enregistrés dans ce qu'on peut, commodément, appeler la
mémoire.
Cette dernière serait quasi
indissociable de l'intelligence, ou cerveau, ou CPU , via un canal de
communication à très-très-très grand débit. Installé entre
mémoire et CPU, un capteur très in-génieux fournit au système
sensoriel interne des renseignements du plus haut intérêt sur
l'état des traitements, recherches, réflexions, rêves, etc .
Bien sûr, certaines perceptions n'ont pas besoin de passer par la
conscience pour être mémori-sées. D'où ce canal, jouant
exactement - toujours par analogie grossière avec le monde des
ordi-nateurs - le rôle d'un DMA (Accès Direct Mémoire).
Ne pas oublier la Volonté, laquelle envoie des ordres aux autres
organes. La circulation des com-mandes (fils fins) ne se confond pas
avec le flux des données (fils larges).
Exemple de commande : l'ordre de rechercher une donnée dans nos
souvenirs.
Enfin l'Action, alimentée en données par la conscience, sous
le contrôle de la Volonté. Exemple : exprimer la réponse avec sa
bouche ou sa main.
Développement du jeu (animé par Lucien Jeunesse, Chers Amis,
bonjour !).
La question posée entre par la porte Externe du système de
perception, et s'établit donc à la conscience. Celle-ci envoie à
la mémoire le MASQUE correspondant à la question, et au CPU
(contrôlant les accès à la mémoire) l'ordre de dénicher le
complément à ce MASQUE.
C'est là que le mécanisme se révèle le plus étonnant :
- on superpose donc une minuscule donnée ("J'aime les
bananes?"),
- avec le colossal réservoir-dépotoir de nos souvenirs et
connaissances, où sont enregistrées des données non seulement
indénombrables, mais de tous les formats possibles : dates (quelques
ca-ractères), histoires (milliers de caractères), parfums (?),
émotions, gifles, et coups de foudre (??) ;
- afin de récupérer en bout de chaîne un signal
parfaitement binaire .
Le tout, accompagné de certaines caractéristiques rarissimes
(certitude, reproductibilité, ins-tantanéité) :
1. Certitude d'une réponse (positive ou négative) :
- on a trouvé, ce qui provoque :
osur le système sensoriel interne, un sentiment
jouissif signalant l'issue positive de la requête,
osur le canal reliant la mémoire des souvenirs à
la conscience, le libellé de la réponse (Ray Ven-tura).
- ou bien on ne trouve pas, ce qui résulte d'une simple
absence de résultat après un certain temps (très inférieur
à une seconde) : le temps ne fait plus rien à l'affaire au-delà
de cette consigne. Il est donc inutile d'insister, et nous le savons
fort bien .
2. Reproductibilité totale du cycle.
3. Quasi-instantanéité de la réponse .
Une fois formulée (le cas échéant) dans la conscience,
accompagné de la perception interne cor-respondant au succès (ou à
l'échec) de la recherche en mémoire, la réponse s'exprime (par
exem-ple en paroles), dans le cadre d'une action .
Pourquoi avoir donné à cet assemblage l'air d'une voiture ? (Plus
précisément, l'auteur a tenté de représenter un équipage,
formé d'une sorte de locomotive, tirant un vague tender .)
Parce que, tout simplement, l'ensemble se déplace. Et, bien sûr,
dans plusieurs dimensions à la fois :
- horizontalement, c'est le Temps (de gauche à droite : ce qui
s'est passé, ce qui se passera, et, au moment de la photo :
l'événement qui est en train d'avoir lieu) ;
- verticalement, toutes les autres «dimensions» : matière,
espace, énergie, information ?
La dimension du temps est donc largement surpondérée (le temps
d'un côté, toutes les autres dimensions de l'autre) : le circuit
de perception/mémorisation/connaissance n'étant bien sûr qu'une
gigantesque machine à traiter les phénomènes informationnels,
l'écoulement du temps ga-rantit bel et bien - en les rejetant dans
le passé - la certitude qui est la contrepartie de leur
irréversibilité.
Un événement génère une Information. Sous l'effet du Temps,
celle-ci devient Certitude.
Ainsi m'apprend-on [événement supposé] la mort de Coluche.
- Si, après une dizaine de jours, cette information n'a pas
évolué (malgré lecture des journaux), une certitude se superpose à
l'irréversible réalité.
- Au contraire, si France-Inter proclame soudain la guérison
de mon héros (après une semaine de coma), c'est - au minimum
- que l'événement n'était pas irréversible, et par
conséquent pas réel.
Ainsi doit se comprendre le processus de la Connaissance (acquisition
de la Réalité) : par l'expérience, par l'information et
l'éducation, par la perception critique.
Des points d'observations privilégiés sont constitués par les
points-limites. La plupart des phéno-mènes nous apparaissent en
effet d'autant plus conformes qu'ils se sont manifestés en
plein mi-lieu de leur gamme d'exercice :
- accident d'avion : 200 morts ;
- dévaluation : -15% ;
- faux-pas d'un chef d'État en visite officielle : il trébuche et
se rattrape à la rampe de l'escalier.
Alors qu'un crash de 600 morts appelle un indispensable complément
d'information (deux jumbo-jets bondés), un ajustement monétaire de
90% obligera à réviser certains présupposés économi-ques
.
Ainsi, très en dehors des
gammes, ce simple titre :
Sans qu'il soit même
nécessaire de lire l'article, une telle annonce suffit à modifier la
connais-sance que nous croyons avoir de certains protocoles établis
(lancement d'une activité ou d'une entreprise), des lois habituelles
du dialogue social, et même certaines bases du vocabulaire :
1. une entreprise peut (mais nous ne le savions pas encore) s'animer
vis-à-vis du monde extérieur tout en vivant un conflit intérieur
maximal ;
2. dans un journal aussi soucieux de rigueur que Le Monde, ce
dès signifie plus qu'une simple concomitance entre le démarrage et
la grève ; il y a là une forme d'exploit, un peu comme si le titre
avait été
?.sera animée par Christine Ockrent dès ?
?sera émise à pleine puissance dès?
3. enfin, grève
étant généralement pris comme synonyme exact d'arrêt de
travail, c'est une notion forte du vocabulaire qui est remise en
cause (comment peut donc s'arrêter quelque chose qui n'a pas encore
commencé ?)
Le symbolique est donc dispensé de s'inscrire dans un système
réel. Il doit, en contrepartie, s'inscrire dans un processus de
représentation.
C'est là, finalement, le
seul filtre dressé face aux combinaisons du symbolique : la
nécessité d'une conformité aux règles (nous y voilà)
d'un système de représentation.
L'incroyable plasticité du langage (et, plus
généralement, des combinaisons ne procédant que du symbole) s'oppose
bien sûr à l'hyper-cohérence du réel : de ces routes
créées par les Romains se déduit la voiture ; de la paresse se
déduit le moteur ; de l'irrégularité du pavage se déduisent les
cahots ; du confort se déduit le pneu. La rigidité du caoutchouc
suppose la création de chambres gonflées par un gaz, l'explosivité
du méthane et le prix de l'hélium impliquent l'usage de l'air, le
prix final du pneu et de la chambre associée imposent (par rapport
au pouvoir d'achat moyen) la rustine, etc.
Autres illustrations de cette plasticité du langage (plus
précisément, du verbe) :
o Le besoin, éprouvé par Libération, de revenir sur une
erreur ayant présenté Louis Mermaz comme ayant adressé à un
nouveau député "ses brèves salutations" alors qu'il
s'agissait de ses brèves "salutations". (Ce qui
apparaît effectivement plus poli.)
o Et sur une autre, ayant pu laisser croire qu'un autre député
avait offert le champagne "assez frais" alors que
c'était "à ses frais". (Plus généreux.)
Mais comme le langage est précisément là (et d'ailleurs lui seul
joue ce rôle) pour permettre l'_expression_ de ce qui n'est pas encore
réel (ou symbolisé), les "Règles" désignent ici les
couches les plus basses (alphabet, couleurs ?), et ne filtrent
en définitive qu'une forme d'aliénation (délire intégral).
Pollock montre bien où pourrait se situer la limite : frapper la
toile, la crever à coup de tournevis (celui-ci éventuellement
enduit de peinture).
Mais (un point plus haut), Lacan et ses épigones ne sont pas
mal non plus.
D'une façon générale, l'outil verbal nous est extraordinairement
commode à construire les ta-bleaux, les situations, les états dont
la cohésion n'exige que celle du discours propre à les
expo-ser.
Et nous pouvons ainsi, en toute hypocrisie, dire des
choses.
Preuve que les constructions verbales peuvent mener où l'on
veut : cette interview du bourreau du roi Fayçal :
- Qu'éprouvez-vous après une exécution ?
- Un sentiment de plaisir et d'exaltation. Je remercie Dieu de
m'avoir permis de punir ceux qui l'ont
offensé.
Il y a vraiment du monde,
beaucoup de monde, dans ce réseau d'actions, de relations et de
senti-ments, si l'on se donne la peine de décortiquer (et cela en
vaut la peine) :
1. Le supplicié
1.1. qui, au départ de l'action, a mal agi,
1.2. cette mauvaise action ayant eu pour effet
d'offenser.
D'offenser qui ça ?
2. Dieu.
2.1. Celui-ci a alors permis
2.2. Permis à qui ?
3. Au bourreau.
Cette permission de punir, ainsi accordée par le personnage n°2, a
elle-même deux effets :
- la punition proprement dite (décapitation du personnage
n°1) ;
- le plaisir (et l'exaltation) du personnage N°3 .
Cohérence complète .
Et c'est de cette façon,
in fine, qu'on peut intégrer à l'ensemble des processus
créatifs dérivés de l'imaginaire ce chaînon qui manquait
regrettablement au tableau : l'Art.
BELLE EPOQUE : RETOUR SUR UNE TRANSITION
Cette configuration étonnante, fin XIXe - début XXe siècle,
mérite évidemment qu'on y re-tourne, et même qu'on s'y arrête,
car il est facile de deviner que c'est dans son prolongement que se
situent, cent ans plus tard, les prodigieux bouleversements qui
semblent contredire la théorie - réapparue en 1989 - de la fin
de l'Histoire .
Donc :
- nivellement des évolutions ;
- convergence des modes de vie ;
- apparition triomphale du symbolique.
Ce dernier phénomène recèle trois immenses projets :
- marxisme (auparavant, la philosophie ne se mêlait pas
d'organiser la société) ;
- psychanalyse (la psychologie n'espérait pas arranger
l'âme) ;
- art (antérieurement, très près du système sensible
humain),
dont les ambitions sont d'autant plus grandioses que - sauf dans le
cas de l'Art - une prise di-recte avec la Réalité y est
explicitement revendiquée.
Quant aux deux premiers
(nivellement, convergence)485 - en se souvenant de l'exemple de
Jean-Louis, le vampire-spéculateur, et de son intégration
prématurée à ce qu'on appelait après-guerre l'american way of
life -, leur illustration sera complétée par un détour sur
certains des indices qui témoignent, déjà très bien, de notre
alignement - aussi sage que systématique - sur les
USA.
CHAPITRE 13
A perte de
vue.
« Tout est
bien. »
Roger
Stéphane
CARTE A TOUT FAIRE :
SOUVENIR D'UN PHANTASME COLLECTIF
Dès l'origine du projet carte à puce, une large majorité des
interlocuteurs que les circonstan-ces m'amenaient à rencontrer
se mettaient rapidement à gamberger sur l'idée d'une carte
unique, qui aurait pu, dans le cadre d'un développement beaucoup
plus ambitieux , se substituer à de nombreux objets alors
dispersés : carte bancaire, carte de téléphone et de parking,
pièce d'identité, permis de conduire, clé d'immeuble, dossier
administratif et médical, etc.
Ainsi, quelques années après le démarrage de la carte, avais-je
rencontré un membre de la Trila-térale , qui considérait
la carte comme porteuse de tant d'applications qu'il me suggérait de
lui donner d'emblée une dimension planétaire .
Or il se trouva que ce projet, loin de me sembler grandiose et porteur
de nouveaux marchés, m'apparut irréaliste et même rapidement
suspect. Cela, pour de nombreuses raisons, parmi les-quelles dominait
un simple bon sens.
Bien sûr, les applications à l'échelle mondiale de la carte se
présentaient comme porteuses de perspectives commerciales
particulièrement attractives , mais, quand je me mis à envisager les
choses d'un point de vue vraiment quantitatif, je sentis qu'elles les
choses seraient moins sim-ples. Même en assimilant la population
mondiale à l'infini (se limitant, dans les rêves des
démo-graphes les plus hystériques, à une petite centaine de
milliards d'individus), la multiplication de cet infini par zéro (ou
un chiffre proche de 1/?), qui représentait une probabilité
vraisemblable de réussir la généralisation de la carte dans un
laps de temps de l'ordre du siècle, donnait un résultat
certainement plus proche de zéro que d'un quelconque grand
nombre.
C'est du moins ce que devrait nous enseigner le théorème fondateur
du marketing, si bien résumé par l'équation transcendante
:
? x Ø
= Ø
Pour cette première raison, hautement scientifique , je refusai
de me laisser leurrer par un projet aussi grandiose.
Mais une autre raison me
venait de ce que j'avais pu voir aux États-Unis, et finalement mon
im-pression était que l'avenir de la carte - et même l'avenir tout
court - se présentait différem-ment .
Voir en effet les portefeuilles des Américains tout entrelardés de
ces traditionnels (et multi-ples) soufflets à cartes, eux-mêmes en
général bien remplis de ces rectangles multicolores, m'avait
renforcé dans ma conviction : comment envisager que dans ce
domaine-là, justement, nous nous apprêtions à ne pas
marcher, comme d'habitude, dans leurs traces ? Que nous ne
réus-sirions pas comme eux à collectionner les cartes en plastique
dans nos portefeuilles ? Que nous n'y prendrions pas goût ?
J'imagine qu'en renonçant alors à cette stratégie maximaliste,
être apparu aux yeux de nombreux comme bien pusillanime, frileux,
privé de véritable esprit d'entreprise.
On m'opposa que la carte à mémoire ne saurait avoir une
application unique, et qu'il était diffici-lement envisageable que
le citoyen de demain accepte de devoir transporter une carte pour le
parking, une autre pour la banque, une troisième comme pièce
officielle ...
Nous sommes pourtant maintenant arrivés à ce point, et les cartes
que nous portons avec nous se sont multipliées, tandis que leur
nombre est presque devenu une marque de distinction.
La quantité de cartes qu'un individu normal peut supporter dans son
portefeuille m'était apparue, dès cette découverte, comme un
élément supplémentaire de cette américanisation vers laquelle il
n'était pas encore devenu banal d'observer que nous nous y hâtons.
Elle était liée aux mêmes réti-cences initiales que le
hamburger, mais - comme le hamburger - destinée à être adoptée
tôt ou tard en France.
Dans ce domaine comme dans tant d'autres, nous étions déjà
engagés dans une fantastique course en avant, inexorablement à la
traîne des États-Unis (et notre mode de vie, désormais
dé-ter-mi-né par les habitudes des Américains).
De fait (et dans le désordre) :
Nous les avons imités dans leur système présidentiel. Nous avons
nous aussi, maintenant, deux candidats à la présidence quasi
interchangeables , un, par exemple, issu du centre de la gauche et
l'autre de la droite du centre. Le poujadisme est haïssable, certes,
mais qui aurait osé avancer l'hypothèse, il y a moins de
quinze ans, que notre scène politique prendrait cette tournure ?
On parle de plus en plus souvent de «primaires», et notre campagne
septennale se clôture désor-mais rituellement (tout comme, dès
1960, l'historique Eisenhower/Kennedy) par LE débat entre les deux
prétendants.
Nous les avons imités dans la permanence institutionnelle de la
publicité. Mon père racontait, quand j'étais enfant, que les
films et les émissions de la télévision américaine étaient
entrecou-pés par des réclames : cela dépassait alors pour nous
les limites du croyable, du possible...
Et pourtant, nous en sommes maintenant à une occupation comparable
de notre espace télévisuel - non seulement en quantité
cumulée, mais aussi en rythme de sollicitations - sans pour autant que
les masses s'en soient vraiment émues .
Pour la nourriture, nous allons comme eux au fast food. Nous
choisissons entre le cheese, le big, ou la salade-jardin, mais il est
absolument indéniable qu'un repas dans un tel endroit est devenu -
pour de bon, et sans doute pour longtemps - la plus chouette fête
possible pour nos enfants .
Quand nous roulons, nous nous arrêtons comme eux sur les autoroutes
pour payer un droit de passage, chose impensable il y a trente ans,
quand n'existait encore que l'amorce de l'autoroute de l'Ouest .
Nous prenons l'avion pour nous déplacer, presque aussi facilement
qu'eux. Après quoi nous louons une voiture.
Nous prenons des vacances courtes (une semaine, dix ou quinze jours
ici ou là dans l'année).
Nous remplaçons (les boutiques d'alimentation par des
libres-services), nous cessons (de fumer), nous jouons (au golf), nous
téléphonons (pour un oui ou pour un non), nous regardons (des
SitComs à longueur de prime-time), nous disons gay plutôt
qu'homosexuel ou pédé ?, etc.
Nous nous sommes américanisés sur tous les plans - ce n'est
évidemment qu'un début - mais, comme souvent lorsque nous copions,
nous allons plus loin et plus vite que notre modèle : au plus
profond de nos m¦urs, dans notre vie quotidienne (jogging et
cocooning inclus), ce sont les habi-tudes américaines qui
s'installent précipitamment, en dépit de quelques résistances
de prin-cipe.
Allons, un dernier exemple : on peut dès maintenant prévoir, par
exemple en voyageant aux États-Unis, certaines évolutions à
venir de la publicité française. D'emblée, on constate
l'importance de la nourriture : la moitié des publicités y sont
liées à l'alimentation . Mais il y a plus, car là-bas on mange
dans les publicités, et ce geste est d'ailleurs absolument
sacré.
Animée (comme les spots TV), ou même statique (presse ou
affichage), la pub aboutit la plupart du temps à un geste, à une
image de type orgastique qui nous paraissent encore à nous,
Français, un peu choquants et pas trop montrables de si près : la
mâchoire qui se jette à pleines dents sur le morceau de viande
saignant.
Cette forme de publicité commence à arriver en France :
scénarios à base de plats pour jeune célibataire sympa, où le
jeune homme ouvre la bouche et mord dans le produit vendu.
C'est encore tout récent, et on ne le voit pas encore
mâcher comme aux USA, mais on sent que ça vient.
Existe-t-il aux États-Unis une recette, un ensemble de décisions
prises délibérément, en vue de dominer les autres pays par
propagation de la culture américaine ?
Le fait est qu'un spectacle est vraiment impressionnant : celui
qu'offre depuis des années Mme Carla Hills ferraillant douze
mois par an avec les différentes instances culturelles que la CEE
tente de lui opposer.
Autant en effet les USA semblent accommodants, voire mous, dans tels
et tels aspects de la vie industrielle (exemple : leur abandon pur et
simple face au Japon dans le domaine crucial des mé-moires
électroniques), autant leur thatchérienne rigidité traduit-elle
une véritable détermination dans ce refus inflexible de tous
"quotas" ou autres restrictions (notamment : télé-films
et séries) applicables aux règles européennes de programmation
télévisée.
Il serait risible d'en douter encore, alors que chaque jour une
manifestation nouvelle du phéno-mène s'impose à nous : ne
serait-ce que ces adolescents, confrontés à la justice
française, et qui s'adressent aux magistrats en commençant
systématiquement leurs phrases par Votre Honneur.
(Après des centaines d'heures passées depuis leur naissance devant
les séries américaines unani-mement diffusées - en France comme
partout dans le monde - ils croient tout bonnement que c'est comme
ça qu'on s'adresse à un juge.)
TRANSITION, COMMUNICATION
A quoi imputer cette inexorable tendance à la convergence de nos
m¦urs, styles de vie, sociétés, depuis cette époque
charnière ?
Et d'abord, de quand dater cette transition ?
L'apparition du téléphone semble une réponse pertinente, qui
présente en outre l'immense avan-tage de fournir un début de
clé.
C'est assurément la communication sous toutes ses formes qui
déclenche l'accélération du pro-cessus : train, télégraphe,
journaux, éducation, publicité, démocratie (la liste est
certainement bonne à compléter) .
Le train, à lui seul, fournit un exemple imparable :
- les rails sont les mêmes dans tous les pays, donc les wagons
et les locomotives [encore !], ce qui suffit à fournir du travail à
toutes les industries sidérurgiques, mécaniques et ferroviaires de
la planète ;
- les marchandises deviennent gravement exportables (au moins de
région à région), ce qui accé-lère les mécanismes
concurrentiels de toute nature.
Globalement : une foudroyante délocalisation du Réel.
La démocratie offre le même phénomène : comparaisons, bilans
(chiffrés), modèles.
Et la publicité : idem.
A contre-courant de ce tassement - dont on a vu qu'il ne laissait plus
grand espoir d'évolution ou de bouleversements dans l'ordre du
Réel - apparaissent alors ces innovations ne procédant en-core que
du symbolique : ce qu'on pourrait appeler des idées.
Parmi celles-ci, une perle rare est représentée par le
marxisme.
Afin de ne pas se perdre en objections stériles autour de
l'appellation la plus pertinente, conve-nons - à l'intention des
puristes - de regrouper sous cette dénomination (issue du père
in-contesté) toutes les formes dérivées de sa trouvaille :
communisme, léninisme, marxisme-léninisme, centralisme
bureaucratique, dictature du prolétariat, démocratie populaire,
pays de l'Est, rideau de fer, pacte de Varsovie, etc.,
etc.487
Il y a là, tout d'abord, une sorte de comble dans l'intellectualisme
pur :
- pas un précédent, pas une expérience dont ce projet soit
inspiré ;
- des conclusions volontiers établies sur la base du seul
raisonnement :
"L'existence d'un secteur économique basé sur la petite
propriété permet dans une série de do-maines une meilleure
satisfaction des besoins." proclame par exemple en 1976 - sans
aucun dé-but de raison - le Parti communiste français) .
Mais, outre ce caractère 100% verbal, le marxisme pèche
évidemment :
- par sa caractéristique (irréductible) de système
;
- par son arrivée tardive (c'est comme ça).
Comme la chaise design disséquée plus haut, le marxisme procède
en effet d'une véritable méca-nique, ce qui offre l'avantage d'une
certaine séduction intellectuelle (simplicité, rigueur), donnant
l'impression d'une démarche presque scientifique :
L'énigme de l'Histoire [est] résolue. (Marx)
Le communisme [est une science] aussi exacte que la physique.
(Staline)
Tout comme la chaise, le marxisme-léninisme est facile à mettre en
¦uvre : quelques trimestres après la Révolution russe, tout est
en place ; après la Seconde Guerre, les démocraties populaires
sont bâties en quelques semaines ou quelques mois ; plus tard, la
Chine et Cuba se mettent rapi-dement au diapason.
D'ailleurs, le marxisme ne cherche absolument pas à épouser le
milieu destinataire, mais impose au contraire une adaptation
(autoritaire : c'est son principal atout) du territoire où on
l'installe .
Et, comme la chaise, c'est précisément de sa rigidité et de sa
dureté (inconfort serait un peu faible) qu'il tire cette
facilité d'installation : "manichéisme foncier, propension
profonde à ne connaître que les bons et les méchants",
précise André Fontaine.
Et de fait, ce serait plutôt dans des genres de boutiques, ou des
sortes de magazines de décora-tion qu'il aurait tendance à prendre
racine (livres, discours, milieux étudiants et intellectuels,
partis, cellules et groupuscules), plutôt que dans la vraie
vie. En trois quarts de siècle, les hom-mes volontaires pour
cette vie-là se sont comptés sur les doigts , tandis que par
milliers d'autres hommes ont fait l'impossible pour s'asseoir
sur une véritable chaise.
C'est d'autre part plusieurs centaines d'années après
l'auto-amorçage de ce qu'on appellera fina-lement le marché
qu'arrive le marxisme487 : mais l'Évolution est déjà fortement
encadrée entre les innombrables barrières de l'impossible.
Cela ne favorise pas les chances d'une doctrine qui entendrait
précisément tout changer. Voir :
- La Révolution française, qui avait pourtant conservé de
nombreuses règles et situations héri-tées de l'ancien régime
(propriété privée des terres, par exemple), s'est terminée
dans le ridicule le plus tragique, par un outrancier renforcement du
système précédent : l'empire (retour au né-potisme, aux
familles princières et aux guerres matrimoniales).
- La Révolution américaine (qui a conservé presque
tout).
- La Commune (Paris, 1871) , elle-même précédée de
1830/1848. [Tous commentaires super-flus.]
Enfin, sa fécondité n'engendrera que barbelés, miradors,
flicaille en tout genre : officielle (avec uniforme), parallèle
(milices), officieuse (police politique), souterraine
(téléphone et courrier), sans compter les douaniers, chargés de
prévenir l'entrée et surtout la sortie543.
Le voilà, le vrai bilan (globalement carcéral) : le marxisme
n'aura décidément su créer que des prisons.
MEDIAS ET PLAISIR
On a vu (Chapitre 10) que le corps des médias, convenablement
sollicité, fournit une rassurante parade à la loi de compression
des écarts.
La raison en était que tout autour, sous l'effet de la stagnation
générale, rien ne peut plus sé-rieusement être perçu qui
vaille la peine de lever un ¦il :
- quel progrès dans l'automobile, depuis l'invention de la
boîte automatique il y a cinquante ans ?
- dans la construction, depuis le béton ?
- dans la télévision, depuis la couleur ?
- dans la maison, depuis l'aspirateur ?
- dans la cuisine, depuis le frigo ?
- dans la navigation, depuis l'hélice ?
- dans l'aviation, depuis le djet ?
- dans le métro,
depuis le métro ?
Des réponses telles qu'ABS, RER, et lampes halogènes comptent pour
du beurre, tandis que le four à micro-ondes parvient à se faire
(un peu) remarquer. Une seule avancée significative : la
télécommande de nos téléviseurs.
Pas un hasard : c'est derrière la télé qu'il se passe des
choses. Mais on va précipiter un peu le mouvement en ajoutant un
truc devant.
1970 : canapé, Zitrone, ennui, debout, l'autre chaîne,
assis.
1990 : canapé, Drucker, longueur, bouton.
En gros, les Martiens qui nous regardent avec leur puissants
télescopes ont maintenant de quoi penser qu'effectivement, en vingt
ans, la situation au foyer est plus calme : on ne bouge plus.
Effet direct : compression aveuglante des variables, mais sur le
phénomène télé cette fois-ci.
En 1970, Zitrone pouvait - déjà - évoquer ses souvenirs
(intéressant), commenter les amours de son invité (passionnant),
s'attarder sur la crise des merceries : même si l'ennui pointait
alors, il n'y en aurait peut-être pas pour très longtemps, et la
paresse de se lever suffisait à forcer l'écoute.
Vingt ans plus tard, avec six chaînes, le premier mot de Drucker sur
la ville natale de Serge Lama est en trop. Appui immédiat sur le
bouton 3 (un éclair suffit : on aperçoit un archéologue et tous
ses petits cailloux), sur le 2 (idem : Mermaz répond à de Virieu),
le 1 (Sulitzer et PPDA), le 6 (Ni-na Hagen).
Dans le pire des cas, la parenthèse biographique de Drucker touche à
sa fin (début d'applaudissements). Dans le meilleur, on a capté
sur la 5 le bruit d'une fusillade (voitures zigza-guant dans les rues
de Los Angeles), et restons-en là.
Après deux ou trois couches d'Audimat , , études qualitatives, et
briefing des directeurs de chaîne, Drucker apprendra à mieux se
concentrer sur le sujet principal, et d'ailleurs à s'en tenir
là.
D'apparition imminente : l'autozappeur, permettant le passage en revue
de toutes les autres chaî-nes, avec arrêt automatique (une
seconde) sur chacune. Le tout, en n'ayant appuyé que sur un seul
bouton. Encore plus facile de s'esquiver de chez Drucker : même plus
besoin de regarder le boî-tier de la télécommande (un geste
aveugle du pouce suffit).
Les Martiens verront s'accentuer le calme domestique.
Procédant du même souci : les téléviseurs multi-tuners à
incrustation d'image. L'écran comporte, sur sa partie supérieure,
un ou deux, et jusqu'à neuf sous-écrans de quelques centimètres
carrés, sur lesquels défile en permanence le programme des autres
chaînes.
Plus besoin de se demander si éventuellement il n'y aurait
pas mieux ailleurs : on le voit.
Et, dans pas très longtemps, Drucker le verra aussi.
Arrêt vidéo-sociologique nous conduisant tout droit à cette
question (qui nous ramènera elle-même au marxisme et aux chaises
design) : y a-t-il des recettes permettant de garantir le plai-sir, le
bien, la satisfaction ? Des systèmes peuvent-ils aboutir à notre
bonheur ?
Il est vraiment important de se renseigner sur le sujet, car en
vérité, nous sommes proprement cernés par de tels mécanismes :
outre les deux tentatives qui nous servent de substrat depuis tantôt
quarante pages, il y a bien sûr les feuilletons américains et,
plus grave, les rires enregis-trés.
Commençons par le feuilleton, où l'on remarque d'emblée un souci
d'émulation internationaliste , ainsi qu'un effet typique
d'égalisation des distances (ici culturelles).
Gagnez 30
000F avec TF1
et TÉLÉ
7 JOURS
en
regardant le feuilleton
le plus
populaire aux U.S.A.
"Les Feux de l'Amour",
le feuilleton qui passionne les États-Unis depuis longtemps est
enfin à l'antenne en France, sur TF1 naturellement.
Amour, vengeance, haine, coups de théâtre, suivez "Les Feux
de l'Amour" et vous pourrez faire partie des gagnants du prix de
30000 F si vous répondez aux cinq questions de la semaine. Faites
vos jeux !
oQuestion 1 : quel est le numéro de téléphone du Docteur
qu'appelle Lauren Fenmore ?
oQuestion 2 : quel vêtement porte Ashley lorsqu'elle arrive chez
Nikki ?
oQuestion 3 : qu'offre à boire Jill à Michaël, l'avocat ?
oQuestion 4 : quelle somme Jack veut-il proposer à Jill pour son
silence ?
oQuestion 5 : Nikki sait
où se retrouvent son mari Victor et Ashley. Où ?
TF1 offre sans ambiguïté le rattrapage d'un écart présumé
dommageable : "depuis longtemps", "enfin à
l'antenne".
Ni doute, ni incertitude pour le prospect, mais au contraire garantie
de résultats :
- ça existe déjà (donc ça peut exister)?
- ?depuis longtemps (ça tient la route)?
- ?aux USA (public exigeant et courtisé de toutes
parts)?
- ?dans mon propre milieu (c'est un feuilleton
populaire, or je lis précisément Télé 7 Jours).
Très désagréable, et surtout inquiétante, est sans doute cette
complicité (non dissimulée) avec le téléspectateur, dans le
procédé fixateur d'audience : focalisation du jeu sur les seuls
détails exigeant une attention méthodique (de l'ordre du maniaque) :
numéro de téléphone, vêtement, boisson, montant exact.
C'est en souvenir des exigences de Léotard ("La loi prévoira
la prise en compte d'un mieux-disant culturel , dont je surveille de
très près la définition.") - grâce auxquelles Bouygues
avait triomphé de Lagardère - qu'il convient d'observer ici
la mise en ¦uvre explicite d'une vérita-ble recette dramatique,
avec publication des ingrédients : "amour vengeance, haine,
coups de théâtre ."
Cernés par de tels procédés ? Nous serions ?
Une autre indication en transpire, jusqu'à notre niveau (pourtant en
principe inadapté) : cette étonnante visibilité des contraintes
qu'imposent aux cinéastes leurs producteurs : dans les films les
plus ordinaires, on peut mesurer scène par scène les obligations
de la production :
- sein à l'air, flirt avancé, scène de lit, violence pure
;
- cascades (ou effets de toutes natures) liées aux moyens de
transport : automobile, hélicop-tère, moto, métro, ou tout
simplement course à pied .
Mais surtout - et en facteur commun - la nécessité nouvelle qui
s'impose à l'industrie du film de penser à l'avance que des
bandes-annonces devront être réalisées pour le lancement du
film (ou surtout pour sa diffusion TV) , lesdites bandes devant être
suffisamment racoleuses sur les différents critères :
- dialogues (avec répliques au vitriol) ;
- bagarre ;
- action (portes qui claquent, pneus qui crissent)
- sexe ;
- amour (gros plans sur les deux visages, dialogues murmurés)
;
- humour (seule solution suffisamment brève ici : une
séquence où, tout simplement, ce sont les personnages du film qui
rient ).
Pour résoudre ce dernier problème, une série TV (cas typique :
SitCom genre Maguy) se figera sur une image arrêtée
réunissant obligatoirement les composantes suivantes :
1. tout le monde rit ;
2. un ou deux personnages sont surpris, ou déconcertés, par
l'événement (ou la réplique) ayant provoqué le rire des autres
;
3. un personnage au moins est immobilisé dans une position
défavorable (grimaçant, bouche en cul-de-poule, yeux mi-clos ou
fermés, etc.) de façon à authentifier le naturel de la scène
.
RIRES ELECTRONIQUES
Le triomphal fantaisiste Collaro, père du célébrissime (en
France) Bébête-Show, affirme par exemple ne pas pouvoir
fabriquer ses émissions (qui ne sont pas réalisées en public)
sans l'aide des rires enregistrés.
La question qui brûle alors les lèvres est de savoir comment il
faisait avant.
Il y a là un phénomène gravissime, apparemment issu (par
dégénérescence) de certaines des ta-res les plus antipathiques qui
nous caractérisent individuellement ou en groupe.
Le mécanisme se signale par une forme subtilement odieuse
d'irresponsabilité, elle-même indisso-ciable dans ses
manifestations d'un égoïsme crispé jusqu'à la rapacité.
[C'est grave.]
Quant au mouvement, c'est exclusivement celui d'une fuite.
Contexte : la fin du monde est pour très bientôt.
Tendance générale : fuite en avant. (Objectif : les
limites, quelles qu'elles soient.)
Le détail qui tue : anéantissement de toutes les voies de
retour. (Devise : Après nous, le déluge.)
Dans le système des rires électroniques, trois personnages sont en
action : le téléspectateur, le spectacle (comique) que regarde le
téléspectateur, la chaîne qui diffuse ce spectacle.
Les rires artificiels ajoutés à la bande-son, au moment de chacun
des gags, ont pour effet :
- de rafraîchir
l'attention des téléspectateurs dans la lune ;
- de provoquer le rire des téléspectateurs que le gag
lui-même n'aurait pas suffi à dérider ;
- de faire rire plus fort les téléspectateurs déjà
amusés par le gag.
Chaque personnage en action gagne donc à ce jeu :
- le téléspectateur (riant plus souvent, ou plus fort) ;
- le spectacle (et surtout ses auteurs et interprètes), qui
bénéficie d'une gratification plus nette de la part du public ;
- la chaîne (améliorant son indice de satisfaction).
Mais la question qui se pose est de savoir ce qu'on pourra désormais
faire de plus pour accroître encore les bénéfices des uns
et des autres, autrement dit pour progresser ?
Et malheureusement la réponse est : rien.
Par ailleurs, aucun des personnages ne souhaite évidemment voir un
jour réduire son bénéfice.
Voilà donc un cursus complet, désormais épuisé. Totalement
épuisé, irréversiblement épuisé.
BRULER SES VAISSEAUX
La sagesse traditionnelle nous fournit de quoi commenter la
situation.
- "on a mangé son pain blanc, tiré ses dernières
cartouches" (Totalité) ;
- "on a brûlé ses vaisseaux" (Irréversibilité)
.
Exactement donc comme s'il ne
devait pas y avoir de lendemains, plus jamais d'après, plus rien
:
F
I N
D
U
M
O N D
E
Se pose également une autre question, et pas des moindres : qui est
le perdant de ce jeu ?
La réponse doit être douloureuse à affronter, puisqu'on se doute
que c'est notre collectivité tout entière.
Puisqu'on rajoute du bruit (rires) au signal (dialogues comiques), que
devient ce fameux rapport signal/bruit, présenté partout
comme gouvernant à lui seul tous les systèmes d'information ? Pas
de mystère, il se dégrade (imperceptiblement), ce qui serait
d'ailleurs sans grande impor-tance si les autres chaînes ne
surchargeaient pas - elles aussi - leurs programmes comiques et
leurs SitComs de rires enregistrés : le double effet de
lissage aboutit donc à un appauvrissement global des signaux TV
émis sur le territoire.
D'où l'observation annexe : en voilà des grands mots, d'immenses
notions, de gigantesques phéno-mènes, et tout cela à propos de
cette sorte de SitCom ? Quelle époque !
SYSTEME & SOTTISE
Impression globale : les filons sont épuisés.
Y compris dans le domaine - pourtant encore malléable - du
symbolique.
Au lieu de s'en tenir au degré zéro (les constantes), la
télévision nous montre de plus en plus sou-vent le degré un
(fonctions) . Manifestation typique de cette tendance : les coulisses
sont de plus en plus souvent objet de spectacle :
- sottisiers en tout genre ;
- caméras cachées.
Malheureusement, il s'agit de spectacles qui supposent un fort degré
de confiance entre le télés-pectateur et sa chaîne (donc un
faible degré de mensonge).
Or il est clair que les sottisiers sont désormais intégrés à
la production proprement dite (très en amont du sottisier, et même
précisément en amont du programme cible).
Pour s'en convaincre, il convient de regarder l'une des nombreuses
demi-journées occupées par Dorothée (notamment, mercredi et
dimanche). La fin du programme est constituée d'un sottisier,
lui-même centré sur l'émission que les enfants viennent
précisément de regarder. Comme ce sot-tisier occupe un véritable
temps d'antenne (cinq minutes environ), la question de son remplissage
se pose pour de bon, et l'on devine que les collaborateurs de
Dorothée doivent consacrer une part significative du temps de
création/réalisation à créer les gags qui alimenteront le
sottisier.
Et il suffit enfin de regarder les animateurs de l'émission, dans
chacun des plans "épinglés", pour vérifier que, sans nul
doute, c'est bel et bien à un sottisier qu'ils sont en train de
participer, et non pas à un authentique tournage éventuellement
sujet à incidents.
On se situe donc bien, ici encore, en plein dans un système.
Mais ne boudons pas notre plaisir : les authentiques sottisiers TV
sont une des rares innovations désopilantes que nous a apportées
ce médium en plusieurs dizaines d'années. Quant au mensonge, la
publicité nous en débite en surdose, et depuis beaucoup plus
longtemps.
Un exemple tout simple [digression éhontée] de mensonge
publicitaire moins banal que les autres.
Contexte : news-magazine.
Standing : double-page, illustration et typo très soignées. (Le
contraire, donc, des petites pub cra-cra de France-Dimanche et
du Hérisson).
Annonceur : le "Savour-Club", distributeur de vins et
alcools maquillé en un genre d'association pour amateurs
éclairés, ou ayant besoin d'éclairages. (Le fonds de commerce
s'appuie entièrement sur le fait que les vins sont méticuleusement
choisis par Paul Bocuse, le plus célèbre de nos Chefs.)
Texte : cent cinquante mots. Phrase d'accroche : "Chaque fois que
je sors une bouteille du Sa-vour-Club, sélectionnée par Paul
Bocuse, on trouve mes plats succulents."
Mensonge tellement brutal (chaque fois, ?une, ?on trouve), que
la discussion n'en est même pas nécessaire.
En revanche, il est passionnant d'observer que cette tromperie
piétine non seulement la fiabilité des recommandations du
"Club", mais aussi la «sélection» de l'illustre
cuisinier, dans le cadre d'une relation ouvertement offerte par
l'annonceur comme fondée sur la confiance.
L'escalade se poursuit d'ailleurs jusqu'au degré deux, celui des
primitives559 (ici, les créateurs du symbolique).
o Publicité sur la publicité :
le célèbre spot "Eram" (réalisé par E. Chatilliez)
représentant des mannequins en train de tour-ner un spot
publicitaire.
o SitCom sur les SitComs :
un épisode de Marc et Sophie a pour intrigue les projets de
Sophie en matière de réalisation TV. (Son producteur la pousse à
s'orienter vers des séries - type SitCom ou SoapOpera - non sans lui
expliquer longuement la logique et les contraintes de l'Audimat).
o Télévision sur la télévision :
"Sept d'Or", "My télé is rich" (variante : C.
Dechavanne invitant J.P. Foucault).
Manifestations diverses : les rediffusions, notamment de films . Outre
certains incontourna-bles De Funès, Bourvil, Delon, Belmondo,
désormais véritablement périodiques , le phénomène des
rediffusions se matérialise en un réflexe de plus en plus
répandu - et d'ailleurs très salubre - chez les téléspectateurs
.
Hésitant un instant entre L'homme de Rio et la finale du
Tournoi des Cinq Nations, on se décide vite en faveur du Tournoi,
car on sait bien qu'il ne faudra pas attendre plus d'un an (maxi)
avant que soit reprogrammé le Belmondo, sur l'une des six
chaînes.
NE PAS DEPASSER LA DOSE PRESCRITE
Il est également visible que cet épuisement des filons va
s'accélérant. Une tendance au pillage des fonds les plus
intouchables s'est amorcée - notamment depuis l'explosion
française de la télé (France : à partir de 1984) - en diverses
astuces dont il aurait assurément mieux valu être éco-nome.
De nombreux procédés, destinés à un effet de racolage maximal
doivent être surveillés de près.
Humble exemple : la dénomination des personnages comiques, fondée
sur l'exploitation systémati-que d'un certain infantilisme.
Associé par tout le monde à de précises (même si pas très
légères) connotations péjoratives, gland pourrait être
remplacé, dans la plupart des utilisations que nous en faisons,
par con. Le ci-néaste J.-P. Mocky emprunte pourtant cette
piste en nommant Dugland le héros d'un de ses films (ce que -
dès 1956 - des écoliers du CM2 auraient trouvé insolent).
Quelques années avant lui, un imitateur à succès, Thierry le
Luron , avait ouvert la voie avec un personnage de référence
nommé Glandu .
L'inconvénient est évident : après la racine «gland», il n'y
aura plus en langue française que la ra-cine con (susceptible
de se décliner en Ducon, Moncon, Tête-de-con, Duconneau, etc.).
Mais, au-delà, c'est l'impasse.
Un fantaisiste radio/TV a choisi pour pseudonyme Lafesse.
Situation identique : seul cul et trou-du-cul restent encore
disponibles , bien que difficilement déclinables : Ducul, Moncul,
Trouduc (pour les plus intellectuels), etc. Encore une impasse.
Un groupe de quatre forçats du rire (Canal Plus) a choisi pour
dénomination Les Nuls. Mais il n'existe rien au-delà du
zéro, et voilà encore une piste épuisée pour eux comme pour
leurs confrères : le potentiomètre est à fond
.
Ils exploitent d'ailleurs eux aussi, tout comme un autre fantaisiste
célèbre, Jean Roucas, une veine à laquelle pourtant les comiques
n'auraient pas dû toucher : les gros mots . Leurs propos en sont
abondamment pourvus, et pas précisément dans un registre modéré
: dégueuler, enculer, chier, etc.
Là précisément où Coluche faisait montre de toute son
intelligence en abordant le mode pipi-caca, Les Nuls produisent
au tout premier degré, sur le coup de 20 heures précises, un slip
blanc maculé de brun, avec lequel se termine d'ailleurs leur
prestation, et qui en constituait donc la chute c'est-à-dire le
clou.
Pour l'ensemble de ces situations, la logique peut en général se
ramener à "ce qui est pris est pris" (audience, succès). Et
les abus pratiqués, s'ils peuvent assurer la sympathie immédiate
du public le moins difficile, n'en entraînent pas pour autant la
désaffection ou le rejet de la clientèle chic. Les mesures
d'audience ou de satisfaction sont donc immédiatement favorables, et
le pari est gagné.
Que fait donc ce quotidien lorsque, à l'occasion d'une rénovation
de sa formule, il offre aux an-nonceurs la surface entière de
sa dernière page (pourtant la plus commode à lire - avec la
première - par exemple dans les transports, et à ce titre
bénéficiant parmi tout le journal d'un statut bien particulier) ? Il
privilégie un bénéfice instantané dans son exploitation
commerciale, remettant par conséquent à plus tard - et par
conséquent minorant - l'incidence de ce change-ment sur le
plaisir ou le confort des lecteurs : celui-ci ne pourra être capté
qu'à beaucoup plus long terme, et encore faudra-t-il à ce moment
l'interpréter.
Ce qui est pris est pris.
C'est décidément vers toutes ces extrémités que nous nous
précipitons, comme si une sorte de loi de la jungle avait
implicitement repris le dessus.
Très fin du monde aussi, cette façon de faire défiler à
l'envers les cortèges mis en scène par J.-P. Goude au moment de la
célébration du bicentenaire de la Révolution. On ne pourra
certaine-ment plus avant longtemps, en effet, renouveler avec audace
un tel genre :
1. défilé ;
2. contre-défilé ;
3. qu'est-ce qui caractérise donc un défilé ?
- le fait que les membres du cortège soient en uniforme,
- le fait que le cortège bouge,
- le cortège bouge d'arrière en avant.
L'uniforme restant nécessaire pour une identification suffisante du
genre de spectacle auquel on assiste, et le mouvement étant lui
aussi indispensable(pour que puissent bien se succéder les
cor-tèges), il ne reste alors, décidément, que le sens du
mouvement.
C'est assez antipathique, mais quelques fortes doses de charisme
arrivent à faire passer le tout. Et le bon peuple arrive
certainement à penser : "quelle imagination !"
Bien sûr, l'affrontement entre J. Chirac et F. Mitterrand (mai
1988), déjà cité , relève entiè-rement de cette logique de
fin du monde, qui consiste à tout jeter dans la balance, même si
l'arme ultime à laquelle l'un deux a recouru est désormais
fortement émoussée pour tout le monde.
Le bénéfice principal est immédiatement acquis (l'autre est
suspect d'avoir menti), tandis que l'effet des inconvénients est
fortement différé :
- on piétine un code de conduite implicite (risque associé
de réprobation de la part de l'opinion) ;
- on épuise durablement le moyen utilisé.
Même conflagration, non plus entre deux candidats à la direction
de l'État, mais entre deux États :
Juin 1985. Le gouvernement iranien organise une démonstration
populaire destinée à approuver la guerre contre l'Irak, au nom du
Prophète et de la République islamique : plusieurs millions de
per-sonnes (dont beaucoup de femmes accompagnées de leurs enfants )
y participeront, scandant "Dieu est le plus grand, guerre,
guerre, jusqu'à la victoire".
Tentant de dissuader les Iraniens de participer à un tel
rassemblement, la propagande irakienne avait mené (vainement),
pendant plusieurs jours, une intense campagne radio-psychologique,
fon-dée sur l'annonce répétée de bombardements contre
Téhéran. Espérance d'un bénéfice immédiat (terroriser la
population civile), effet différé de l'inconvénient propre au
genre (discrédit de Radio-Bagdad auprès des Iraniens non
fanatisés).
Dans le domaine économique, le mouvement désormais frénétique
dit de "croissance externe", dans lequel se sont lancées les
entreprises n'est pas qu'une course en avant. Par cette façon
ca-ractéristique de brûler de nombreuses étapes qui
rythmaient la vie des entreprises (coopéra-tion technique, accords
industriels, filiales communes, participations croisées, etc.), il
relève d'une dissolution accélérée de la notion d'entreprise.
Cette "financiarisation" de l'économie laisse toute la place à
un unique objectif, la formation du capital.
Il suffit de comparer la tentative d'OPA en 1970 de BSN sur
Saint-Gobain (qui avait secoué l'opinion mais qui correspondait à
l'apparence d'une finalité industrielle : les mots verre plat
et verre creux semblaient au centre de la bataille) et le
projet de C. De Benedetti sur la Société générale de Belgique.
Personne, je crois, ne peut en suggérer une explication autre
que de pure finance.
Là aussi, ce qui est pris est pris.
Même si, en l'occurence, la SGB ne l'a pas été (prise).
L'entreprise - notion associée à une finalité économique
(industrielle ou autre) - correspond à des ressources elles-mêmes
génératrices de richesses, non pas à une logique d'assemblage
ten-dant à associer ces générateurs de richesses. Éternelle et
obsédante escalade : on s'élève au-dessus des fonctions
(pourtant encore mal maîtrisées) pour prendre le contrôle des
primitives.
Retour à la TV, du côté des veines en voie d'épuisement.
"Télémagot" : interruption du programme pour écoute
obligatoire de suites de nombres, elles-mêmes régurgitées par
les téléspectateurs au moment de remplir le bulletin-réponse
d'un concours quotidien. Le taux de participation à ce concours
permet à la chaîne de garantir à ses clients (annonceurs ou
gouvernement) l'heure et la minute précises d'une certaine
audience.
Dans un éventuel futur, que pourra-t-on donc trouver de plus que cet
effet ultime ? Quoi de plus pénalisant vis-à-vis du
programme diffusé, et de plus contraignant vis-à-vis du
téléspecta-teur ?
Rien bien sûr, puisqu'une pure et simple mécanique a été
instituée, qui plus est dans la dimension incontournable (et surtout
inextensible) du Temps .
ART SYSTEMATIQUE
Ce qui apparaît le plus clairement - après avoir visité dans
ses moindres méandres le théorème de combustion des vaisseaux -
est cette utopie que représentent - tous domaines confondus - les
systèmes propres à exercer un contrôle sur les plus fins
de nos circuits : organisation so-ciale, plaisir, bonheur, Art.
A lui seul, l'Art ne devrait pas manquer de nous emmener vers le seul
domaine avec lequel il en-tretienne de réelles affinités : le
plaisir.
L'Art doit assurément nous procurer du plaisir (ou de l'émotion).
Sinon, il faut trouver un autre mot.
Or depuis (et malgré) l'invention de l'opium, jamais on n'a réussi
à trouver grand chose susceptible de le provoquer dans des
conditions satisfaisantes - autrement dit, sans créer un nouveau
poison - ce plaisir .
Cette connexion avec les plus profondes de toutes nos fibres interdit
au plaisir d'être le simple résultat de procédés, car la
sensibilité du destinataire est tellement riche, multiple, fine, que
la pauvre combinatoire issue de mécanismes gouvernables par un
humain est insuffisante à satis-faire de tels récepteurs.
La création artistique semble même procéder d'une si noble
nature qu'il serait décidément risible de prétendre en
maîtriser (par automatisme) un quelconque processus : l'artiste peut
pro-duire des résultats, non pas des générateurs de
résultats.
L'¦uvre d'art est typiquement stable : elle ne nous présente que
des constantes (son degré de dérivation doit donc être nul559).
Sa fonction primitive est la création artistique.
Allons jusqu'à lancer une hypothèse : le hard-rock pourrait bien
constituer à lui seul un modèle d'Art non réductible, autrement
dit dont aucun extrait (dans le Temps ou toute autre dimension)
ne puisse être envisagé.
[Un «extrait», ce serait ce qui aboutit à ce que la chose soit
sifflotable.]
L'exemple de la chaise design nous a enseigné qu'un tel système
peut facilement être ramené à un principe de création, à une
recette, à un procédé (mécanique, électronique, ou autre),
voire à un style type.
Et si l'artiste réduit sa
création à un ensemble de recettes, de systèmes capables de
créer l'Art en série, le résultat ne provoque plus de plaisir - Le
Plaisir - ni d'émotion.
C'est comme ça.
MUSIQUE + ELECTRONIQUE = PLAISIR ?
Mais l'art n'est pas seul à résister au systématisme.
Même la bonté - quel mot désuet - est concernée. Marcel
Aymé, dans une de ses plus ingénieu-ses nouvelles,
L'huissier, en fait la démonstration.
Homme de rigueur, de moralité, et de piété, le héros - qui
exerce l'ingrate profession d'huissier - est très soucieux de
sa future éternité. Sur ses vieux jours, il décide de tout
mettre en ¦uvre pour y mériter le Paradis. Ne pratiquant
habituellement, à ses yeux tout au moins, aucun des pé-chés qui
devraient le pénaliser, il n'en décide pas moins de tout miser sur
la bonté, et, à cette fin, commence à distribuer de l'argent aux
pauvres et aux nécessiteux. Inlassablement, il répand ses
économies tout autour de lui , et finit par épuiser toute sa fortune
en quelques mois.
Les circonstances de sa vie professionnelle l'amènent à
s'interposer entre un odieux gérant d'immeubles (dont il est
précisément chargé de recouvrer les loyers), et une malheureuse
jeune maman, sur le point d'être expulsée manu militari par
le vindicatif rentier pour cause de paiement tardif.
L'huissier prend sa défense, et - perdant la tête devant sa propre
audace - s'exclame "A bas les propriétaires !".
Craignant pour sa vie, l'autre sort son pistolet et abat l'huissier,
qui se retrouve enfin devant saint Pierre. Mais celui-ci ne
considère comme bonus aucune des libéralités terrestres -
pour-tant aussi nombreuses que coûteuses - et s'apprête à
expédier l'huissier en Enfer.
Heureusement, ayant entendu les glapissements furieux de l'impétrant
sûr de son bon droit, Dieu finit par trancher en sa faveur,
considérant la seule belle action par laquelle se soit
véritable-ment distingué l'huissier : ce cri (A bas les
propriétaires !), qui lui ouvre en toute justice les por-tes du
Paradis466.
Et pour revenir sur notre terrain préféré, considérons
l'exemple le plus frappant - et le plus consternant - de ces méfaits
des moyens électroniques , même une fois associés par l'homme à
un authentique processus de création (et par exemple mis au
service d'une inspiration musi-cale) : leur impuissance
caractéristique à fournir quelque résultat que ce ce soit pouvant
être apparenté, même de loin, à l'ordre du joyeux, du gai
,530, du bon .
Cet imparable constat ne peut pas être évité :
Jamais, depuis l'apparition de la musique électronique ou
électro-acoustique, soit un bon demi-siècle , un seul des
compositeurs qui s'y consacrent n'a réussi à en tirer un produit
qui soit res-té dans les mémoires ou - encore moins - sur les
lèvres .
La netteté des faits s'impose en effet ici de façon tellement
irrésistible que seule peut être retenue la conclusion (sans appel)
que nous dicte la très sage loi de la fumée et du feu.
On n'a rien vu, simplement parce qu'il n'y avait rien à voir.
Une ère semble à coup sûr terriblement lointaine à présent :
celle de Vincent Scotto qui se flat-tait, auprès de Marcel Pagnol,
des cinq mille chansons qu'il avait composées. Sur ce nombre,
seu-les quatre cents avaient eu les honneurs de la radio,
et pas plus de quatre-vingts avaient été imprimées. Dix avaient
été reprises en ch¦ur par les gens. Mais c'est une d'entre
elles qu'il avait entendu siffloter par un maçon sur un
chantier588.
On peut siffloter le thème d'une fugue de Bach (celle de la
Fantaisie chromatique par exemple), le Lacrimosa du Requiem
de Mozart, l'attaque d'une impro de Django Reinhardt (celle des
Yeux noirs), une chanson de facture conventionnelle , mais
décidément pas une production de l'électronique.
Si l'électronique réussit à produire quelque chose qui touche à
une certaine forme d'émotion, c'est en effet TOUJOURS dans l'ordre
de la peur, de l'angoisse, ou autres territoires à mi-chemin entre
cauchemar et inconnu. Jamais la joie de vivre, la sérénité n'en
sont nées.
Ce mouvement paraît d'ailleurs avoir commencé bien avant
l'arrivée de l'électronique (voir Berg, Webern , Schönberg,
Boulez, tous les autres), et ne pas se limiter à la musique :
la peinture "moderne ", elle aussi - celle d'un
Pollock , avec ses taches immenses et les zones floues aux contours
délibérément absents -, évoque abondamment la peur, le mal
d'être, l'angoisse, le cauchemar [encore et à toute force], mais
jamais évidemment la joie profonde d'exister, l'envie de
manger des cerises, de conter fleurette, de se rouler dans l'herbe, ou
quoi que ce soit du genre .
Ch¦ur des esthètes contemporains et post-modernes : Non à
"l'Art optimiste, qui vante la créa-tion, la Nature et les petits
oiseaux" !
Toujours [souvenir du Chapitre 1] le mûr (réfléchi, évolué,
adulte) canardant l'immature.
Mais, en réalité, la question se pose peut-être dans un autre
ordre :
- réussir d'abord à maîtriser la nature, les petits
oiseaux, le reflet des blés d'or et le ciel (bleu profond)
d'Auvers-sur-Oise ;
- laisser (ensuite) s'exprimer les sensibilités sous
forme non figuratives : grise, brune, ocre, noire, aléatoire,
mystérieuse et longue en bouche.
Tout n'est pourtant pas à jeter dans la production des IRCAM et des
GRM du monde entier ; pour ne s'en tenir par exemple qu'aux seuls
effets évoquant l'angoisse (ou encore une certaine dé-fonce
"douce"), aucune preuve n'est plus désormais nécessaire
: oui, cent fois oui, la musique élec-tronique sait créer de tels
effets .
Or l'effet de cauchemar est un des plus faciles à produire, que ce
soit en musique ou en images (ou même en paroles).
Tout amateur de micro-informatique, avec l'aide d'un des innombrables
programmes-"artistes" dont c'est précisément la
vocation, ou bien dans le domaine sonore en déréglant adroitement
son synthé, est capable de provoquer de telles impressions : ce sont
même les premières qui surgis-sent, et il est d'ailleurs
particulièrement difficile de parvenir à en dépasser le
stade.
Ces créations électroniques (me) laissent au total l'irritante
impression qui caractériserait par exemple un amateurisme tardif,
mais prolongé.
Keith Jarrett commente : "Je vais vous dire à quoi les claviers
électroniques me font penser. Imaginez un beau poulet,
appétissant, avec du riz et des brocolis . L'ensemble paraît
délicieux. Vous commencez à manger, vous goûtez un brocoli? et,
stupeur, c'est du plastique. Impossible de manger davantage. C'est
exactement ce qui se passe avec moi en ce qui concerne les claviers
électroniques, les synthétiseurs : il me suffir d'une bouchée pour
dire que ce n'est pas de la nour-riture ."
Et là encore, ce sont peut-être nos grands principes de
thermodynamique (régissant ordre et désordre) qui, convenablement
sollicités, permettraient l'avancée d'une interprétation moins
gra-tuite que les autres.
Supposons par exemple qu'il existe une catégorie de configurations
objectivement «positives» (tout au moins dans l'ordre de
l'humain), comme la joie, le plaisir, guérir d'une maladie, gagner
de l'argent, siffloter gaiement un air qu'on a dans la tête, ranger
son bureau, déguster le plat issu d'une prodigieuse recette. De
façon certes entièrement intuitive, il semble raisonnable d'avancer
(au moins par analogie) que c'est bien une forme négative
d'entropie qui caractérise ces sortes d'humanités
positives.
Tout fonctionne comme si la «négativité de l'entropie»
nécessaire à la manifestation ou à l'apparition de ces bonnes
choses ne pouvait provenir que d'une volonté, d'une
créativité, et d'efforts [énergie ?] humains.
Brûler ses vaisseaux, s'interdire le retour en arrière en se
précipitant vers les limites, n'est-ce pas la tendance dominante dans
la généralité contemporaine des arts , tous les arts , et
l'ensemble des autres manifestations de la culture ?
Les premiers à avoir posé que du texte pouvait être
incompréhensible, de la peinture indéchif-frable, de la musique
dissociée du plaisir ont joué sur du velours. Qui donc allait
affronter le ridicule de dire : "Mais qu'est-ce que ça veut
signifie ? Je ne comprends pas. Ce n'est pas beau, pas
harmonieux ! Où est la mélodie ?"
Le premier architecte ayant osé dire que la forme qu'il
créait s'accommodait parfaitement de "l'authenticité de la
couleur du béton" a été aussi loin qu'on pouvait aller
dans la mocheté éco-nomique. Il lui a suffi de l'affirmer avec
toute son autorité pour convaincre d'un gain possible sur le budget
de peinture et se faire imiter un peu partout.
Ceux qui sont venus après lui auront eu bien du mal à faire preuve
d'un mérite quelconque : il a raflé pour lui les deux
bénéfices : coût du chantier, antériorité dans une conception?
artistique.
Là aussi, à cause d'un charlatanisme autorisé, dans la vie
quotidienne, un peu du plaisir - ou de l'anti-désagrément [?] -
que provoqueraient la couleur ou la variété des murs a disparu au
profit de bâtiments au terrifiant béton noirâtre : Roissy
Airport, par exemple, mais aussi les «échan-geurs»de toutes
sortes, périphériques et voies autoroutières creusées dans
Paris ou ailleurs.
Effrayant phénomène
régressif , qui gagne progressivement ; et surtout inertie
permettant à tant de spécialistes ou supposés tels d'imposer la
dictature de leurs créations qui ne sont pas mieux et pas plus qu'à
la mode. La preuve : rendez-vous en 2200, et tout cela ne
relèvera plus que de l'anthropologie.
[D'accord, je ne prends pas un grand risque en proposant ce pari.]
ALIBORON ET LA DOUANE
En gros : nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes pour nous
fabriquer du plaisir. Mais, à cette onaniste conclusion, il convient
tout de même d'ajouter que nombre de nos éléments réac-tifs
face à l'art logent habituellement dans cette zone subcrânienne
dont nous avons appris de-puis notre prime enfance à dominer les
impulsions et à contrôler, en toutes circonstances : la fameuse
opacité . D'où l'on peut déduire que l'émotion artistique
a le pouvoir d'accéder (par des voies dont nous ignorons encore
tout) à nos chers secrets.
Une espèce de démonstration (par le ridicule) en a été
administrée par Roland Dorgelès, en un admirable canular monté
il y a près d'un siècle :
Le Festival d'automne de 1905 ayant fait connaître les premiers
fauvistes (Matisse, Vlaminck, Marquet, Derain), certains commentaires
plus désagréables que d'autres avaient pu être enten-dus :
"barbouillages informes? jeux barbares? aberrations picturales?
mauvaises plaisanteries? débauche orgiaque de couleurs, cauchemar,
mystification", et d'autres encore.
A un aubergiste de ses voisins, Dorgelès emprunta son âne. Et, à
la queue de celui-ci, il fixa un pinceau.
Puis, dans le jardin montmartrois du farceur, commodément installé
devant une table chargée de carottes, d'épinards, de cigarettes,
et, en présence d'un huissier, l'animal commença à se gorger de
friandises et à remuer sa queue. Celle-ci frottait au passage contre
une toile disposée par Dorgelès sur une chaise, à bonne hauteur.
Toutes les dix minutes, le pinceau frotteur était auto-ritairement
trempé dans un pot de couleur différente.
Une fois le résultat jugé satisfaisant, Dorgelès et ses copains
lui attribuèrent une signature ("Boronali ") et un titre :
Coucher de soleil sur l'Adriatique, avant de courir l'exposer au
Salon des indépendants.
Le style "excessif" de Boronali y fit l'objet de certaines
critiques (en raison de la personnalité hypertrophiée qu'il
semblait refléter) mais le tableau trouva preneur, pour 400 francs
.
[Résumé ici, de mémoire, par mon érudit ami Philippe
Souveton.]
Boronali est un peu comme ce que l'on [souvenez-vous] disait de Mai 68
: rien n'aura jamais plus été comme avant dans le monde de l'Art
après ce canular historique.
Toute la problématique de la création artistique se trouve en
effet ramenée, grâce à Boronali, dans le champ de l'incertitude.
Cet âne prouve à lui seul, que dans le domaine de l'art,
l'incertitude - quelle qu'en soit la proportion - suffit à provoquer
un désordre total.
Hypothèse (démonstrative et scientifique) : le Coucher de
soleil est présenté à un expert igno-rant le style (et
surtout le nom) de Boronali. S'agit-il d'un jeune peintre albanais,
très célèbre dans son pays (genre de Picasso à ses débuts),
ou bien est-ce un âne à la queue duquel on a accro-ché un
pinceau ? Pas besoin de réfléchir longtemps pour comprendre que
l'expert ne dispose évi-demment de rien pour trancher.
Variante : deux toiles seraient soumises à un expert étranger qui
ne connaît pas Coucher de so-leil, cette fois faussement
signé de Staël , et à un autre Boronali (pourquoi pas un
Lever de soleil ?) attribué à un confrère du même de
Staël : l'expert est encore incapable de se détermi-ner.
Une seule dose de désordre suffit donc à créer 100%
d'incertitude .
A l'autre bout de la gamme, on trouve une autre mystification, dont le
rappel est aussi souvent mal vécu, par les amateurs d'art pictural,
que celle montée par Dorgelès.
Au lieu d'un âne, il y avait en effet, dans les années 30, un
remarquable peintre, dont les talents de copiste trouvaient un
épanouissement particulier dans les reproductions de Bruegel,
Ver-meer588, et - c'est le plus important - Bouguereau (peintre
peu coté à cette époque).
Ce peintre était l'âme
damnée d'un escroc, dont l'absence d'humour était efficacement
occultée par une solide âpreté au gain ; celui-ci avait
élaboré l'admirable scénario suivant :
1. Copier (et signer) une trentaine de flamands et hollandais
(¦uvres choisies parmi les moins en vue).
2. Vernir soigneusement les trente toiles.
3. Par-dessus le vernis de chacune d'elles, copier (et signer) des
Bouguereau.
4. Du Havre, et en ayant pris soin de déclarer la totalité de ses
bagages (y compris et surtout les trente "Bouguereau"), l'escroc
s'embarque pour New York.
5. Depuis Paris, son complice télégraphie aux autorités
portuaires new-yorkaises, et dénonce comme elle le mérite cette
"exportation illégale de peinture flamande maquillée".
6. L'escroc peut donc être cueilli, dès sa descente de la
passerelle, par une brigade douanière spécialisée, qui
s'empresse de frictionner les tableaux avec les chiffons et les
solvants adéquats.
7. Effondré devant la révélation des Rembrandt, des Rubens et
des Vermeer, l'escroc s'incline devant l'évaluation qui en est faite
par les autorités, et se trouve obligé de payer (sous peine de
séquestration) de très forts droits d'entrée, d'un montant
évidemment égal à la différence entre les droits acquittés
pour les toiles de Bouguereau et ceux applicables aux chefs- d'¦uvre
fla-mands frauduleusement importés.
8. Mais il a de l'argent sur lui, il paie les trente amendes de
1 000 francs chacune.
9. Une fois en règle, on devine qu'il achève de nettoyer les
pompiers décors désormais inutiles, et qu'il s'empresse alors de
vendre, au centuple, ces trente primitifs flamands désormais
authenti-fiés par le reçu officiel des douanes.
°
°
°
Embêtante, quand même,
cette émotion artistique exaltée par un coup de tampon. Non ?
ART, GOUT, EXTRACTION
Central encore, Boronali, en ce qu'il établit l'insurmontable
faiblesse des constructions symboli-ques.
Et certes n'y a-t-il pas que les arts, les doctrines ou les sciences
de l'âme à recéler un tel piège. Balayant autour de nous le
champ de ce que - la plupart du temps - nous ne suspectons même
plus, ramassons dans le plus grand désordre :
- un parfum, une chaîne hi-fi ;
- un tapis, une coiffure ;
- un dessert, une chaise (encore une).
Cherchez l'intrus.
Il n'y en a pas !
Ce parfum capiteux, lourd et insistant, cet ampli aux basses
ténébreuses et aux aigus agressifs, cette lampe en opaline si
vieillote (et pour tout dire si tarte), cet ennuyeux sorbet
d'églantine à la vapeur de kiwi, ce tapis caressant aux motifs
célestes, la coupe toute simple de cette sauva-geonne?
Et puis cette chaise imbécile, sur laquelle on juche l'invité
politique du jour (vers 23 heures sur la Cinq), et dont les accoudoirs
en tube métallique - que l'on devine glacés - forment deux
parfaits quarts de rond depuis le haut du dossier jusqu'à l'avant du
siège : le ténor passe son temps à pré-venir la glissade de
ses coudes (ce qui nuit à l'élaboration des petites phrases
censées jaillir na-turellement de son verbe), tandis que le
téléspectateur guette avec gourmandise le ripage fa-tal . (Glissera ?
Glissera pas ?)
Pas de chance, le parfum était de chez Guerlain. L'ampli était un
Marantz à tubes (push-pull d'EL34 en sortie), et la lampe avait
été extraite de la collection personnelle de Maurice Rheims.
Le sorbet est un classique de l'Archestrate, tandis que J.-L. David,
lui-même, a créé l'an dernier cette coiffure exclusive.
Quant à la chaise, elle était de Philippe Starck. Pas moins.
Et le tapis , il venait du BHV (-20% toute la semaine sur la
décoration intérieure).
On a donc perdu sur plusieurs tableaux.
Et tout d'abord, l'occasion de se taire : vis-à-vis de ceux qui
savaient - pour Starck, David, Rheims - et se trouvaient donc investis
d'une fraction du goût (celui de l'expert, mais aussi celui
de l'artiste et pour tout dire du créateur).
Ensuite, on n'a malheureusement rien pu faire avancer : ni la
formation de ses propres émotions, ni l'explication des règles
gouvernant à l'esthétique (y compris celle de tous les jours). Ah
! le sourire indulgent, le regard protecteur de celui qui - le
premier, ayant soulevé un coin du tapis - a su en décoder
l'extraction , c'est-à-dire la race.
TYRANNIE DU TRISTE
Julia, ma fille petite, m'a posé vers ses huit ans un drôle de
problème. Après avoir vu La belle au bois dormant (ou
Blanche-Neige), elle était ressortie très émue. Les yeux
encore embués, elle proclama le soir même sa volonté de ne plus
aller voir désormais "que des films qui sont tout le temps
drôles", et plus jamais de ces films où l'on pleure.
La scène se situait à l'automne 1989, en pleine débâcle
communiste -, et cela n'est pas indiffé-rent pour l'histoire
(ou plutôt pour les leçons que j'ai cru pouvoir en tirer).
Commençant à lui expliquer - en une rapide synthèse verbale du
7e art - qu'à mon avis les films à faire rire étaient
certainement moins nombreux que les films à faire pleurer, je me
suis aperçu en cours d'exposé que, surtout, il était infiniment
plus facile de faire des films tristes que de confectionner des
films comiques.
Et sans doute parce que recette il y a, elle est
d'application plus facile en effet.
C'est bien cela : recette.
Le système, le procédé. Ces dispositifs de toute nature censés
provoquer le beau, le chouette, le bien, le bon, le plaisir, le
rire.
Et me voilà donc en pleine thermodynamique, obligé de prendre une
certaine hauteur car ce n'est décidément pas au seul
cinématographe que se réduit l'impitoyable mécanisme.
Revoir par exemple notre dolmen : apparemment stable, - mais
pour combien de temps ? L'instabilité peut prendre le dessus, si par
exemple un certain genre d'évolution jaillit du milieu environnant
.
Ainsi en est-il allé du marxisme487 : stable pendant un
demi-siècle, mais s'écroulant en quelques semaines.
Un instructif recalibrage amène à fixer les références
suivantes :
Stabilité de l'URSS et de ses satellites (40 000 jours),
précédant la dégringolade (120 jours, soit environ 0,7%).
Ce qui donnerait par exemple :
- Présidence moyenne (démission deux semaines avant la fin
du mandat).
- Construction d'une maison (écroulement quatre jours avant la
fin des travaux).
- Gestation d'un enfant (avortement quarante-huit heures avant
le terme).
- Roland-Garros (défaite du champion cent vingt minutes avant
la cérémonie).
- Débat télévisé
(le ténor se fait moucher en soixante secondes -, juste avant le
générique final).

Sous quelle(s) influence(s) ?
Les historiens chercheront pendant quelques dizaines de siècles la
réponse à cette question, mais il n'est certainement pas
déraisonnable d'y placer en bonne posi-tion :
o l'évolution permanente de l'"Occident" (interaction positive
latente),
o la stagnation concomitante du "socialisme réel" (inaction
sclérotique).
De fait, c'est dans une surprenante inertie que les pays de
l'Est ont traversé ce presque siècle. Dirait-on - pour emprunter
un déplorable vocabulaire pastoral et surtout salonnard - que cette
inertie était consubstantielle [Si !] au principe générateur ?
Peut-être bien que oui : la boucle infernale qu'offre aux dompteurs
du langage certaines astuces de la rhétorique en créait les
conditions LOGIQUES :
1. A la base de tout, la lutte des classes. (C'est une
science.)
2. Les bourgeois ne se laisseront pas faire : ils défendront
leurs privilèges contre les ouvriers et les paysans.
3. Il faut donc prendre le pouvoir par la force .
4. Aussitôt après la victoire, la lutte des classes
reprendra de plus belle, animée (du côté des bourgeois) par
les contre-révolutionnaires de l'intérieur et de
l'extérieur.
5. Il faudra donc mater les réactionnaires, d'autant
plus que ceux-ci profiteront de l'état insur-rectionnel pour
critiquer le désordre, protester contre la collectivisation des
terres, et surtout déplorer (fallacieusement) une prétendue
restriction (temporaire) aux libertés individuelles.
6. Ne pas se laisser impressionner : de ces «libertés»,
purement formelles, la bourgeoisie en-graisse les bénéfices.
7. Seule tactique possible : serrer l'étau, pour étouffer
(jusqu'à complète éradication) ces survi-vances de l'ancien
régime.
8. Quant aux influences réactionnaires externes, seule
stratégie : s'unir comme un seul homme - un peu comme à l'Armée -
sous les ordres d'un chef unique, organisant la résistance du
proléta-riat.
9. Ces luttes sont
prioritaires : il convient de tout leur sacrifier.
En gros : la force . Un peu comme cette grosse pierre plate, jaillie
brutalement du cratère et tombant lourdement sur quelques caillasses
convenablement disposées à la surface (irrégulière et
cahotique) de ce terrain accidenté. Elle tient, et les fait tenir.
Tout tient.
Et, sous l'effet même de la pesanteur, rien ne bouge ni ne peut
bouger.
Tandis que diverses sirènes nous invitent au mouvement, à
l'individualité, nous savons bien, nous qui connaissons la Logique,
que la Loi Scientifique n°4 est la plus forte. Notre seule conduite
pos-sible (à nous autres bons militants de la lutte ouvrière) est
donc dictée par la Loi Scientifique n°8. Et, si même nous
doutions encore de l'une ou de l'autre, la LS n°9 s'appliquerait
alors.
Pas de doute, pas d'incertitude. Cohésion [verbale] parfaite.
A partir de cette implacable construction verbale s'épanouit tout
naturellement une éblouissante capacité à générer du
militaire (n°7) autant que du policier (n°8) :
- armée complexe , envahissant pendant quarante années
(munie d'un important support dia-lectique) ses voisins
centre-européens avant d'y déployer tous azimuts tanks, missiles et
méga-tonnes.
- cauchemardesque règne d'une police politique, dont le rôle
particulier («Procès de Moscou», 1935-1938) aurait normalement
dû déboucher, il y a de cela cinquante ans, sur un sauve-qui-peut
général, dicté par l'épouvante et pourtant pleinement
justifié.
Dans le même temps, l'Occident ne cessait de transformer son
système politique, économique, social (ce que - pas plus que nos
lapins629 - Marx, Lénine et Staline n'avaient prévu),
introdui-sant ainsi une abondance de paramètres nouveaux.
Paramètres dont on devine qu'ils finiront par réagir, ne serait-ce
que sous l'effet des moyens d'information, sur les sociétés
voisines.
ÉVOLUTION TECHNIQUE ET SCIENTIFIQUE
Presque tout. Et quasiment rien en face, hors le militaire (sans
oublier le spatial, genre Spout-nik /Gagarine/Cosmos) :
o Pas un vaccin, pas un antibiotique, pas un semi-conducteur, pas un
avion, pas un carburant, pas une résine, pas un alliage, pas une
caméra, pas un ordinateur, pas un langage informatique, pas un
programme, pas un support de musique ou d'image, pas un procédé
anti-pollution?
ÉVOLUTION ECONOMIQUE
Idem, si l'on excepte quelques matières premières :
o Tout comme le Maroc vend encore quelques phosphates (depuis cent
cinquante ans, exactement comme dans Topaze), des minerais non
transformés et autres matières brutes (pétrole) sont parfois
exportés du trou noir.
Sinon, rien : pas un téléviseur, pas un rail, pas un pneu ,
pas un engrais, pas une voiture, pas un goudron, pas un parcmètre,
pas une ampoule, pas un frigo, pas un zoom, pas une imprimante, pas
une disquette, pas un club de vacances, pas une chaîne
hôtelière, pas un sac-poubelle ?
.Pénurie généralisée, depuis les objets interdits
(magnétophones, photocopieurs, etc.), décadents (jeans, disques de
rock), jusqu'aux plus primitifs des produits alimentaires
(¦ufs).
ÉVOLUTION CULTURELLE
A l'Ouest, et en vrac : cinéma, télévision, hi-fi ,
télématique (bases de connaissances), et tout ce qui nous parvient de
l'informatique.
En face :
o Le cirque de Moscou, les ballets du Bolchoï, les ch¦urs de
l'Armée rouge . (Du floklorique, des danses typiques : exactement
comme au Maroc.)
ÉVOLUTION SOCIALE
Point ambigu, mais la réponse semble être fournie - malgré la LS
n°6 - par le flot de ces migrants qui en toute liberté, et au
rythme de dix mille par mois, choisissent d'aller
s'installer543 (travail-ler, vivre, cotiser, etc.) en RFA.
[Méfiance toutefois, car - ici comme ailleurs - il convient de nous
référer à ce qu'indique à cha-que instant notre boussole
idéologique, Georges Marchais : "[dans les pays
sociaux-démocrates], on va voir ce qu'on va voir, parce que (?)
il est des acquis sociaux qui vont être mis et qui sont déjà mis
en cause."]
Menace dont ceux qui ont bien assimilé le fonctionnement de la
boussole peuvent déduire leur propre gouverne.
ÉVOLUTION POLITIQUE
Insignifiante (l'état de la démocratie y est sensiblement le
même qu'un siècle auparavant). Seule progression : celle des moyens
de communication, qui mettent grosso modo à égalité, face à un
demi-milliard d'habitants, plusieurs candidatures indépendantes
.
o En face : le Lider
maximo dispute la vedette au Génie des Carpates, tandis
que les massacres de Pékin en 1989 font oublier ceux de Budapest en
1956 .
A l'Ouest, donc429 : transformation permanente (toujours - en gros -
dans le bon sens ), et surtout progrès ininterrompu. Que cette
évolution soit - ou non - guidée par la lutte des clas-ses, le fait
est presque sans importance puisque seule s'en déduit son
éblouissante capacité d'adaptation du système nature.
Résumé sur le communisme d'État : organisation politique,
créée de toutes pièces et d'ailleurs fièrement déduite
d'un système (au contraire du régime "occidental", qui
est natif ), et ne peut donc engendrer que du pas bon : police,
corruption, prisons, répression (entre autres).
Un "Forum démocratique" se proposait en France, début 1990,
de reconstituer une intelligentsia.
Ça ne sera sans dout pas facile, si du moins le vocabulaire n'y met
pas un peu du sien.
1. Démocratique. Mot piégé (voir Chapitre 9) depuis si longtemps
confisqué par ces régimes, ces organisations, ces doctrines en
décomposition accélérée.
De même pour son homologue libéral, qui signifie
approximativement, non pas conservateur ni réactionnaire, mais de
droite.
Quant à populaire, il désigne sans ambiguïté un
gouvernement fort. (L'idéologie est facultative.)
2. Intelligentsia. Autre mot fortement ancré, qui pendant plus d'un
demi-siècle désigna sarcasti-quement (sous la plume des
sceptiques, des poujadistes et des démagogues) ces universitaires,
écrivains philosophes, et tous ces penseurs qui n'avaient pas encore
le statut de maîtres à penser (et qui finissaient immanquablement
en orbite autour du PCF ).
Une sage plate-forme y a été proposée : "Nous avons trop
longtemps rêvé de transformer le monde, l'heure est venue de
l'interpréter."
C'est aussi ce que tentait TBA depuis le début du Chapitre
12, sur la lancée de ce que nous avait forcé à considérer le
licenciement de Michel Polac, mais oui, au milieu du Chapitre 10.
Incidemment, on notera que ce mot d'ordre reprend, enfin, l'une des
revendications les plus inso-lentes entendues vers la fin du mois de
mai 68 : "Assez d'actes ! Des mots !"
Nous voilà bien loin, vraiment loin de Blanche-Neige,
entends-je. Pas tant que ça.
La preuve, ce simple test :
- Vous avez soixante secondes pour imaginer deux histoires
drôles.
- Vous avez soixante secondes pour imaginer deux nouveaux
supplices.
Je me souviens avoir vu un jour, sur la table à dessin d'un bureau
d'études, le plan d'une curieuse mécanique.
- C'est un nouveau système d'arme, m'expliqua-t-on, qui corrige
les défauts des mines antiper-sonnelles classiques (celles-ci,
explosant au niveau du sol, se contentent parfois de briser les
membres inférieurs). Ce nouveau modèle, avant d'exploser, saute à
cinq pieds de haut : son effi-cacité est donc très
supérieure.
On me précisa que la demande mondiale était d'ores et déjà
très soutenue pour la "mine bondis-sante" (c'était le nom
de cette création).
Et cette brève incursion dans le réel - un autre réel que le
mien - m'a fait comprendre à jamais que la création du bon,
du bien et du drôle aurait toujours plusieurs longueurs de retard
sur l'invention des mines bondissantes.
Variante (pour ceux qui n'ont pas compris) : trois heures, et puis on
compte le nombre de créa-tions.
° ° °
UN INFINI BIEN DE CHEZ NOUS
Au contraire de ces maladroites tentatives (l'art systématique,
le marxisme, et tant d'autres), dérivées de pauvres recettes, la
création véritable se produit - ne l'oublions pas - dans un
dé-sordre total, dont seules survivent les combinaisons viables .
A tous les sens du terme.
Mais un retour sur les notions d'infini (ou plus exactement sur ce
qu'il serait possible de qualifier infinités pratiques, par
opposition aux notions purissimes exigées par les théories :
mathémati-ques, métaphysique ou autres) s'impose au préalable.
Les lois du désordre ne peuvent en effet se lire que sur les
dimensions réellement macroscopi-ques des phénomènes , autrement
dit sur les nombres immenses (mesurant des durées, des quantités,
etc.), en deçà desquels les raisonnements les mieux étayés
sont impitoyablement condamnés à patauger dans l'ornière des
fausses pistes, et des erreurs les plus dangereuses aux-quelles
conduit (souvent) la trahison analogique.
Soit une éruption volcanique, encore une : 1) Le volcan
projette sans interruption une grande quantité de pierres autour de
lui. 2) Si, parfois, une pierre retombe sur une autre, et y reste en
équilibre, il arrive très rarement que trois ou quatre pierres se
trouvent ainsi empilées. 3) Exceptionnellement, il peut
arriver que quatre pierres se retrouvent ainsi disposées, à la
façon par exemple d'un dolmen. 4) Donc il doit pouvoir arriver que 50
000 pierres se retrouvent spon-tanément disposées de manière à
représenter la basilique Saint-Pierre de Rome.
En effet, il serait absurde de croire qu'un nombre quelconque,
cinquante par exemple, représente une limite à l'empilabilité
des pierres. Il faudrait admettre alors une discontinuité entre les
ef-fectifs possibles des tas de pierres engendrés par le volcan et
un seuil constitué par ce nombre (cinquante) au-delà duquel les
phénomènes changeraient complètement de nature. Ce qui serait
possible à quarante-huit ou quarante-neuf (trouver des pierres
empilées), à cinquante et un ne le serait plus .
Et pourquoi donc ?
Au total, l'observation du volcan fournit :
- une distinction sensible entre extrêmement improbable
et impossible ;
- une passionnante analogie entre les mouvements sismiques et
les phénomènes de l'imaginaire, qui nous ramène à l'objet
central de ce circuit mental : la création du monde (celle-ci
considérée sous l'angle de ses points communs avec la création
permise par notre dispositif cérébral).
L'état le moins avancé sur notre planète, c'est-à-dire la
roche en fusion de notre volcan (entropie maximale), et l'état le
plus avancé de la matière, l'humanité pensante et même
imaginant (entropie minimale), témoignent du même fonctionnement
quand il s'agit de créer, et les pierres du volcan jaillissent comme
les créations du cerveau. Avec lui, nous voyons sans cesse de
nouvelles combi-naisons, et notre imaginaire de même, dans sa
capacité à produire sans cesse de nouvelles asso-ciations.
Nous voilà donc en présence d'une nouvelle incarnation de cet
infini réaliste, à la fois vraiment très gros (sans exiger pour
autant la moindre division par zéro), honnêtement indiscutable
(l'étape 3 du raisonnement étant franchie, rien ne saurait
justifier le rejet de l'étape 4), et très? terrestre.
Cette nuance capable d'être d'affectée au mot impossible a
une portée absolument considérable (on devine que la vie ainsi que
pas mal d'autres trucs en tirent leur origine) et n'a rien d'une
cons-truction logique, d'un paradoxe amusant, ou de ces sortes de
choses.
Quant à l'espèce de sismologie comparée, elle prend nettement
appui sur deux états extrêmes de l'Évolution : le moins
avancé (roche en fusion, gestation de la croûte terrestre) et le
plus avan-cé (humanité pensante et même imaginante).
Incidemment, on devine que de tels pics fournissent de bien meilleures
références que tels états, moins bien définis, prélevés à
des stades intermé-diaires.
Surtout, ne pas se laisser terroriser par les mathématiciens et les
purs esprits : de telles infini-tés sont bel et bien à la portée
de notre sensibilité.
Démonstration, puisée aux sources de la plus triviale
quotidienneté : celle du sport.
Le record mondial du sprint sur cent mètres s'établissait
avant-guerre (supposons) à 12 ou 13 secondes. Vers la fin des
années Beatles : 10 secondes. Aujourd'hui : 9 secondes 3/4.
Toutes conditions égales par ailleurs (altitude, planéité du
terrain, etc. ), ce record sera inéluc-tablement amélioré dans
le futur : il serait en effet absurde de croire que le stade ultime de
la vitesse sur 100 mètres a été atteint en 1987, et une telle
opinion restera tout aussi absurde en 2087, lorsque le record sera
tombé à 9" 15/100 122/1000. La seule course qui compte en effet
ici est celle des hommes contre les instruments, et on devine
facilement que ceux-ci auront tou-jours plusieurs longueurs
d'avance.
Il est donc possible de se représenter la courbe (de plus en plus
plate) décrivant l'évolution à travers les âges du record
mondial du 100 mètres : si celle-ci a progressé, au cours des
trente dernières années, de 2 secondes sur l'axe vertical, sans
doute ne gagnera-t-elle au cours des trente prochaines années que
quelques dixièmes (ou centièmes) de seconde. Mais jamais
évidem-ment, jamais n'arrivera le jour où l'on pourrait enfin dire :
"Voilà, nous y sommes, personne ne pourra désormais faire un
meilleur temps."
Pourtant, nous savons une
autre chose : c'est que jamais, au grand jamais, on ne pourra courir
100 mètres en UNE seconde. Le système musculaire de l'homme ne s'y
prête pas, et même à l'échelle de l'évolution de l'espèce
- donc sur une période plusieurs milliers/millions d'années - un
tel progrès reste inconcevable : il serait béatement stupide
de croire que le progrès (de tou-tes choses, et par exemple du
sport) est illimité.
Nous voilà donc condamnés à reconnaître l'existence certaine
d'une sorte de point, très éloigné sur l'axe du temps, au-delà
de tout ce que nous pouvons nous figurer dans l'ordre des durées,
mais sans pour autant échapper, si peu que ce soit, à l'ordre de
l'humain .
INEPUISABLE SPECTACLE DE
LA REALITE
Miracle ! Ce sprint nous a hypocritement ramené aux séries
convergentes, que nous avions per-dues de vue depuis cette jubilatoire
émancipation des peuplades est-européennes , ainsi qu'aux
scientifiques phénomènes (dits de compression des écarts
) y afférents.
C'est un modeste contributeur du progrès (spéculant en Bourse, à
la hausse, sur les dégâts pro-voqués par le terrorisme aérien)
qui avait servi d'illustration (majeure) à l'ensemble du
processus.
Où l'avait-on déniché,
cet ambassadeur de notre futur ? Dans un magazine, plus exactement
dans le flot de faits (divers) que charrie sous nos yeux - sans cesse
et pour toujours - l'inépuisable spectacle de la vie
.

De fait, face aux
imprévisibles combinaisons que provoque continûment le déroulement
du Réel, l'une des stratégies gagnantes est sans doute
l'étonnement perpétuel : inlassable jouissance à profiter de
tout ce qui bouge. L'ennui ne peut jamais survenir, pas plus que
lorsqu'on invente ou qu'on crée soi-même, quand on acquiert la
manie de capter cette création perpétuelle? car l'invention et
la contemplation ravie (ou scandalisée) du spectacle du monde qui se
déroule devant nous procèdent des mêmes mécanismes et offrent
des plaisirs de même nature.
Un exemple précis, vécu, et tout ce qu'il faut :
Tapissant le fond d'une corbeille à papier avec un très vieux
Monde prélevé dans une pile de jour-naux à jeter, m'en
accrochent l'¦il quatre colonnes. Sujet excitant s'il en fut :
tabagisme, al-coolisme, surconsommation médicamenteuse, etc.
Pourquoi ce titre ("Cinq experts proposent un plan d'urgence
contre l'abus des drogues licites") me déclenche-t-il, ding
?
Pourquoi ces quelques caractères au rayonnement si morne, étalés
comme chaque jour en haut d'une page intérieure ("Société,
Culture") ont-ils un tel effet : cuisant sujet d'indignation,
certes, mais désormais si ancien , si bien institué au fond de nos
constats les mieux établis (et les plus désabusés) qu'il en a
presque perdu toute capacité à cabrer encore l'esprit ?
C'est encore le masquage qui frappe. Tout comme dans la
recherche des souvenirs, le cerveau fonctionne comme s'il était
attiré par des sortes de rayonnements négatifs. Il cherche, en
creux, quelque chose qui comble un manque très précis : ce
déficit de rationalité que cristallise à lui seul (dans une
certaine compréhension de la société, de sa morale, de ses
limites, de ses exemples, etc.) cet impossible système à la
fois abrutissant, pathogène, destructeur, ruineux, dangereux,
exagérément immoral.
Cette vieille indignation contre une telle hypocrisie a dû établir
un durable phénomène d'imprégnation, qui génère ces
"rayonnements négatifs" lesquels sont à la base de cette
réaction précisément indignée.
Comment expliquer cette imprégnation au problème de l'alcool et du
tabac alors qu'on sait avec quelle vigueur, pendant tout ce quart de
siècle, outre les médicaments l'alcool et le tabac -
qui précisément constituent le véritable noyau dur de ces
drogues - se sont accouplés avec notre société ? Tout cela
est tellement irrationnel que je suis à l'affût, depuis toujours,
sur ce sujet comme sur d'autres, de tout ce qui pourra nourrir mon
indignation.
Peut-être une certaine comptabilité des fragments de notre
connaissance les moins compatibles avec la tendance générale
est-elle automatiquement tenue. En cas de déséquilibre, le rôle
de ce bilan serait de développer une certaine curiosité, ainsi que
de probables sentiments d'indignation.
En contrepartie de cette immaturité, la "victime"
bénéficierait de substantiels avantages (que - les connaissant bien -
je ne vais pas me gêner pour décrire) :
- disponibilité permanente à l'étonnement (qui rend inapte
à l'ennui) ;
- multiplicité des centres d'intérêts, qui se concentrent
sur les formes d'enrichissement les plus propres à combler - ou
ressenties comme telles - ce fameux déficit (documents, reportages,
récits à la rigueur), au détriment de la malheureuse
fiction.
Ce n'est pas le bonhomme lui-même qui est intéressant, mais
plutôt la sphère dans laquelle il vit. Or, l'auteur de fictions ne
fournit aucune information - et en tout cas, pas la moindre
certi-tude - sur un quelconque milieu (celui de son héros, de
ses ennemis, de ses amants et maîtresses, ou de tous ceux qui
croiseront sa mythique destinée).
Aucune aide à attendre, donc, de la fiction, dont l'incapacité
à combler certaine [insatiable] curiosité est ainsi avérée.
Surtout lorsque le créateur se contente de produire en direction de
ses prochains le résultats de ses sentiments, états d'âme,
inspirations et autres fantasmes.
L'Art lui-même ne m'est d'aucune aide non plus, car il ne me permet
en rien de combler ces défi-cits de rationalité. Et, lorsqu'il ne
provoque pas non plus de plaisir, sa disqualification est alors
totale.
Au contraire, les phénomènes tout à fait marginaux comme
l'ésotérisme et autres manifestations du "paranormal" sont
l'objet d'un traitement très ambigu : affichage d'une méprisante
phobie à leur égard, inlassables efforts consacrés à en
établir l'imposture, mais aussi, bien sûr, attirance irrépressible
et inavouable (souvent déguisée en "curiosité") pour toutes
informations ou indices à leur sujet.
Tout cela confère évidemment à la presse, à l'actualité ,
leur statut particulier, et à l'Histoire son piédestal. Là sont
les meilleurs moyens de découvrir, encore et toujours, de nouveaux
aspects du monde dans lequel nous vivons et de rebondir inlassablement
sur ces découvertes, d'indignation en dérision.
Tous ces livres, ces papiers, toutes ces coupures de presse, les piles
de photocopies constituent un formidable vivier. A chaque occasion je
prélève, je découpe, j'ajoute à ces dossiers sans fin que
j'ouvre - occasionnellement - tout seul ou pour les copains . Tout
ça, ce sont de vraies choses, c'est du réel, saisi natif, à
l'état de surprise pure, et qu'il serait navrant,
désespérant, de ne pas ingurgiter, ne pas savoir. C'est le
spectacle de la vie en train de se dérouler, gratuit, ou-vert à
tous.
_
DERNIERES RECOMMANDATIONS AVANT DE REPENSER A TOUT CELA.
L'étonnement, d'accord. Mais pourquoi le rire serait-il un
phénomène si important ? J'ai mon idée.
Ce serait parce que, en riant, l'homme agite les mêmes muscles que
quand il est heureux, les mê-mes que le bébé qui a pris son
biberon et qui sourit. Agheu. Autrement dit, quelqu'un ou quelque
chose qui fait rire est un générateur de bonheur. Et celui qui rit
approche du bonheur. Quoi de plus important ? Quoi de plus
intéressant ?
Rien ne vole plus haut - à portée de ma vue évidemment (et
malgré cent pages tentant de prou-ver le contraire) - que ce mythe
d'un bonheur systématisable, automatique, glouton.
Indéfendable certes (mais surtout inaccessible), ce rêve
rappellerait par exemple Le meilleur des mondes, où l'on se
souvient que ce rôle est strictement dévolu à la pilule
soma. Genre de dro-gue (mais qui n'est pas présentée comme
telle par Huxley), évidemment dépourvue d'effets anti-pathiques,
et que les habitants de l'État mondial absorbent à chaque fois -
et aussi souvent - qu'ils en ont besoin.
Autre souvenir : à la fin des années 70, des biologistes avaient
cru (un temps) localiser dans no-tre cerveau la zone du plaisir. Un
peu comme, dans un ordinateur (où cohabitent des "ressources"
communes à toutes les unités), nos circonvolutions hébergeraient
- non pas un générateur de plaisir associé à chaque organe
(peau, bouche, nez, etc.) - mais plutôt une région commune qu'il
serait possible de stimuler artificiellement.
Le plaisir absolu.
La portée de telles recherches dépasse évidemment tout ce que
nous pouvons concevoir (ou conjecturer). Dans l'ordre des relations
sociales par exemple.
En l'an 2200 ou 2300, après
qu'auront abouti de telles spéculations, on peut imaginer que deux
fils connectés à cette zone de plaisir sortiront du cerveau, et
qu'une espèce de micro (ou nano) ordinateur en réglementera
l'usage (dans le cadre de notre morale, les abus devraient -
sûre-ment - en être empêchés).
Pour prendre un exemple simple : jour après jour, on pourrait
prendre son RER à Cergy-Pontoise pour aller travailler à
Marne-la-Vallée, et commencer ces deux ou trois heures de cauchemar
quotidien en appuyant sur le petit bouton. Le bonheur, le plaisir
surgiraient jusqu'à l'arrivée au travail. Une fois sur place,
débrancher ce circuit serait sans doute nécessaire.
Peut-être faudrait-il renoncer à créer, faute de stimulation,
d'angoisses? [Mais la créativité est-elle un but en soi ?
Sûrement pas.]
En cas de petite faim, on pourrait aller dans n'importe quel
restaurant, et à condition d'appuyer sur son bouton, on aurait du
plaisir tout le temps du déjeuner, quelle que soit la cuisine. (A la
sor-tie, débrancher encore).
Bien sûr, quelque circuit intégré (à mémoire) sera sans
doute nécessaire pour contrôler tout ce système : heureusement
(ou malheureusement), des composants simples joueront un peu le rôle
des robinets thermostatiques pour les radiateurs. Installés un peu
partout, dans une vingtaine de générations [je ne prends aucun
risque], ils procureront du plaisir à la demande et ne seront pas
plus gros que le bouton qui servira à les actionner?
(S'il y a encore besoin d'un bouton.)
14. LE RAYON
FRANÇAIS A DISPARU
Madeleine, Madeleine, c'est mon Amérique à moi.
J. Brel
Le texte présenté ici n'a pas autre ambition que de fournir un
inventaire des abandons français du demi-siècle finissant, lesdits
abandons étant sans cesse rapportés à l'amérique dans ce que
celle-ci a de plus triomphal, - n'ayons pas peur des mots.
J'ai dressé à l'occasion de quelques évènements récents, un
panorama de ce qu'on pourrait quali-fier le 'high-tech dominant'.
Le bilan semble accablant, et bien sûr très immodeste de ma part,
- puisque la carte à puce y apparaît comme la seule création
française significative de l'après-guerre (si l'on veut bien
ou-blier un instant le cas de la pointe Bic).
Ne me reprochez pas, s'il vous plaît, d'avoir eu la main lourde, et
pardonnez je vous en prie la mé-galomanie apparente du propos
('Rayon' ne constitue pas un audit macro-économique type
O.C.D.E.).
Il ne s'agit ici, à travers cet inventaire-à-la-Prévert, que
d'évaluer le rayonnement de la France (quand rayonnement il y
a). C'est là, on le verra, toute la question.
Qui profite, et où cela sur la planète, de ces 'hautes
technologies' issues des baby-boomers fran-çais ?
Force est de constater qu'à part nos grands crus, nos carrés de
soie, nos fromages et nos par-fums - qui partagent l'inconvénient de
n'être pas nés d'hier (je veux dire que tout cela a cent ans, et
parfois mille !) - c'est globalement à la traîne de nos
"grands voisins" que nous vivotons à la fin de ce siècle-ci.
Ce qui n'était pas le cas il y a cent ans.
oOo
Que cherche t'on à
identifier dans cet essai de typologie ? On cherche la réponse à
une série de questions qui tourneraient autour de deux mots-clés
bien précis :
PROFITER, RAYONNEMENT.
o où dans le monde, profite-t-on de trucs français ?
o la technologie française, brillante, universelle, visible, celle
qui rayonne, quelle est-elle ?
o en quoi se manifeste donc - toujours en 'high-tech' ou 'techno' - le
prétendu génie français ?
o et ce génie, en quoi participe-t-il au succès des autres
(la fameuse 'fuite des cerveaux').
Quels autres ?
o attention : Ariane, Airbus (facilement et volontiers
cités en guise de contre-exemples) sont des machins internationaux,
ou en tous cas européens (où la place de la France n'est pas plus
que la sienne) : il n'y a qu'à voir la photo d'Ariane (qui
illustre la publicité SNECMA), toute constellée de drapeaux et
fièrement marquée ESA (si les acronymes ont un sens, cela doit plus
ou moins doit vouloir dire European Space Agency).
o Comment peut-on avoir manqué (au point où la France l'a raté)
la micro-informatique, - ce qui n'est pas le cas de nos voisins
anglais ou allemands ? Comment expliquer le naufrage de R2E, et
de Micral, - sans compter le scandale Goupil ?
o Que sont nos
cassettes, nos walkman, nos Leica, nos caméscopes, nos mémoires,
nos Windows, nos Word, nos Apple, nos Polaroïd, nos Mercedes, et -
pour les écoliers - nos HP, nos TI et nos Casio, nos Nike, nos
Dolby, nos MP3, nos standards de télévision ou de
télécommunications, nos basic, nos Macintosh, nos Photoshop, nos
Postscript, nos Ethernet, nos Internet, notre nylon, nos
couches-culotte, nos Sopalin, nos Cell-o-frais notre papier
d'aluminium, nos téléphones de poche, nos Fortran, nos Cobol, nos
Unix, nos Xerox, nos Post-it ? ? !
Sans même parler de notre Coca et de notre Pepsi, de nos hamburgers,
de notre chewing gum, de notre Prozac et de notre Viagra, de notre
Scotch (tape), de nos tuners (FM), de notre mousse (à raser), de nos
pantalons unisexe au bleu terrestre.
Ni de ce modeste perfectionnement à notre civilisation, made in USA
toujours (1962) : la contra-ception orale - depuis 900 000 ans qu'on
faisait autrement
o A t-on conscience que les produits de la vie quotidienne
sont tous américains (rarement japo-nais,
exceptionnellement allemands).
Encore une fois, je ne parle pas ici des lubrifiants pour roulements à
bille, des seringues hypodermiques, des alliages spéciaux pour
l'industrie du bâtiment, des verres pour l'optique interstellaire,
des fournitures pour prothèses dentaires, des poêles à frire
(Tefal ?), des missiles, ni même des fibres pour moquettes de Volvo.
Si ça se trouve nous sommes bons dans tout cela, seulement
voilà ça ne rayonne pas (ou si c'est un peu le cas, personne
ne s'en aperçoit).
Autre exception à ce constat (d'ailleurs pas spécialement propre à
la France) : automobile, bâtiment, vêtement (Grande-Bretagne,
Italie, Allemagne, Suède, et même Espagne disent leur mot au sujet
de ces produits particuliers desquels l'homme
s'enveloppe).
oOo
C'est un fait, c'est comme
ça. Le grand public ne connaît le nom ni de l'inventeur de Windows,
ni de celui du Post-it, du Macintosh, du magnétoscope, du CD, du
microprocesseur, de TCP/IP.
Il ignore de la même façon le nom des inventeurs du téléphone
portable, celui du fax, du répon-deur, du Polaroïd, de la
cocotte-minute ou de la pointe Bic [le stylo bille existant depuis un
siècle, et Bic n'en étant qu'une marque particulière, parmi
Reynolds, Schaeffer, Waterman, Parker, etc.]
Alors qu'il existe (c'est un fait, c'est comme ça) des centaines
d'inventions issues des cerveaux de centaines ou de milliers
d'inventeurs et de co-inventeurs : le cahier à spirale, l'Airbag, le
four à micro-ondes.
Et des milliers, des millions si l'on considère le champ (plus
large) des objets et des créations qui ne sont pas directement
vouées à être connus ou utilisés du grand public : intégration
N ou CMOS, catalyseur pour la synthèse de l'anhydride phtalique,
passivation optique des structures FET, etc., etc.
oOo
La question est en pleine
actualité : 1998 aura été l'année de l'abandon de
plusieurs créations françaises spécifiques.
On ne doute pas qu'il y ait aussi des abandons américains ou
japonais : mais ce qui compte ici - et ce dont on va parler - c'est
de ce qui reste.
TELEPHONIE MOBILE :
Abandon - anecdotique apparemment, mais pas tant que cela - de notre
radiotéléphone de po-che Bi-bop.
Souvenons-nous : 1993, tandis que les italiens, les mexicains, les
japonais, et nombre d'américains ont déjà adopté par millions
le 'cellular' et le 'telefonino', la France lance un
radiotéléphone mini-maliste (appel seulement).
Ce n'est pas léger, l'installation d'un réseau
téléphonique.
Certes, nous ne sommes plus à l'ère du tout-filaire
(défoncer les trottoirs, creuser les fossés, planter tous les trente
mètres de solides troncs d'arbres hérissés de pots de yaourt
isolants, câbler caves et 'colonnes montantes', etc.).
Pour près d'un milliard depuis 1992, on l'a fait !
Et on a perdu, quarante à zéro :
- les étrangers n'ont pas pris l'habitude d'acheter notre
Bi-bop
- ils n'ont pas construit chez eux des usines de Bi-Bop.
- nous ne sommes pas allés chez eux passer nos coups de fil
Bi-bop
- nous ne nous servons plus du Bi-bop.
Démantèlement du réseau, des relais, des antennes (adaptation
technique impossible aux stan-dards GSM).
NUCLEAIRE CIVIL
1998 aura aussi été
l'année d'un autre abandon, tout aussi inconditionnel
désormais : celui de la filière électronucléaire
surrégénératrice (plus connue sous le nom de
"Super-Phénix").
C'est depuis des années et
des années que l'on sait que Super-Phénix ne fera école nulle
part : au contraire, les pays du monde entier déposent commodément
leurs déchets nucléaires dans notre jolie Normandie,
et évitent soigneusement - pas si bêtes ! - de construire chez
eux cette marmite diabolique dont les nucléocrates des
années 70 avaient assuré que nous vendrions (très cher) la
licence.
Des années et des années, que Super-Phénix est condamnée
(entre autres pour ces raisons), et que tout le monde (sauf la CGT,
mais pas seulement les écolos) le sait.
Nuisible en tout, Super-Phénix l'aura été jusqu'à son
inimitable façon de s'incruster dans notre vie sociale, de
s'agréger à notre planète.
Il ne suffit donc pas que nous la détruisions, tout au long des
vingt prochaines années, encore aura-t-il fallu que nous exposions à
la face du monde notre vertigineuse erreur.
Plutôt, l'effet d'une certaine immaturité : fiers de pouvoir
accomplir cette performance indus-trielle (la création de ce monstre
assoiffé de sodium liquide, - et n'existant que par son abon-dance),
nous français avons essayé de rabouter cette "solution"
à un "problème" qui serait le nô-tre.
Et, contrairement à l'unanimité des autres pays du monde, qui
ont tous choisi de procéder sans la
surrégénération, nous avons décidé d'anticiper sur l'épuisement
programmé des réserves de combustible nucléaire en créant
cette pierre philosophale que les alchimistes du moyen-âge
n'au-raient pas osé cauchemarder : la chaudière qui brûle de la
cendre et rejette des boulets.
Ça nous fait un gros déficit de prestige techno-industriel à
rattraper : Super-Phénix a été beau-coup plus voyant que
Bi-bop !
TELEVISION PAYANTE
Et à propos de Bi-Bop, on ne saurait négliger ici le parc de
plusieurs millions de décodeurs Canal+ (sans carte) remplacés
depuis le début des années 90 par des décodeurs avec carte (à
puce).
FERROVIAIRE
Le TGV ne saurait
figurer dans cette énumération exhaustive (ici en ordre
chronologique inverse) des fiertés françaises de l'après-guerre,
et propres à cette époque - à la différence des vins, des
foulards et des parfums - car aucune rupture spécifique
n'intervient avec ce train moderne, rapide et confortable, pas même
une rupture symbolique ou mythique (ce "mur du son" qui
carac-térise si spécifiquement la performance de
Concorde).
En outre, des Trains à Grande Vitesse allemands italiens et japonais
existent bel et bien, qui semblent ne rien devoir au TGV
français.
oOo
Mais nos abandons et nos
échecs ne datent pas de 1998, ils s'étalent au contraire tout au
long d'un demi-siècle.
La preuve :
TELEMATIQUE
S'agissant du minitel, inexorablement condamné par le
phénomène Internet, auquel la France n'est pour rien, on donne
cinq ans avant que ce sympathique terminal personnel ne rejoigne le
musée des antiquités (technico-industrielles) préhistoriques,
entre le gramophone et le pneu plein.
Irréversiblement placé sur orbite, et plébiscité dès 1996,
Internet laisse sur place le 'vidéotex-t' (cf. Tableau comparatif)
que nous avons pourtant été si fiers de créer en 1976 (puis
surtout : d'imposer - aux français, seuls - dès le début des
années 80), aux côtés de la Grande-Bretagne (Prestel).
On chercherait vainement, bien sûr, un endroit du monde où l'on
profite du minitel, hors de France.
oOo
Toujours remontant le temps,
voici - contemporaine du minitel, bien que présentée à l'état
de maquette deux ans auparavant - la carte à
puce.
On y reviendra plus loin,
bien sûr (après avoir passé en revue le cas de l'informatique et
de l'électronique françaises).
COMMERCIAL SUPERSONIQUE
Le cas de Concorde (dont nous
partageons le mérite et l'échec avec le Royaume-Uni) présente
avec Super-Phénix quelques caractéristiques communes
:
- choix inverse de celui fait
par le reste du monde : un avion commercial, allant plus vite que le
son, et même deux fois plus vite.
- performance technique.
Encore le Concorde ne constitue-t-il pas une innovation de
rupture : il va simplement plus vite, et ce gain n'entraîne
aucun avantage spécifique pour ses usagers autre que le gain de
temps lui-même.
Gain, d'ailleurs fortement aplani par les incontournables
phénomènes d'interfaces :
- temps de décollage
- temps d'atterrissage
- navigation dans l'aéroport, formalités
- temps d'accès à l'aéroport, depuis chez soi.
En profitent les
quelques milliers de passagers, qui chaque année empruntent un (ou
plusieurs) des seize appareils construits.
En profitent les
quelques dizaines de salariés encore employés à la maintenance
des seize Concorde.
(Sans oublier, marginalement, les compagnies pétrolières
fournissant le fuel que Concorde s'applique à surconsommer tout
près de notre chère couche d'ozone.)
N'en profitent ni les
riverains des aéroports, ni surtout les contribuables français et
anglais, qui subventionnent les voyages de ces happy-few, chaque
année en comblant de quelque monnaie le déficit d'exploitation
d'Air-France et British-Airways.
Il s'éteindra doucement
comme le Minitel, avant cinq ans.
BI-REACTEUR ARRIERE
Le premier "jet" français est empaillé, et l'on ne
vole plus que dans des avions américains ou eu-ropéens qui
apparemment ne doivent rien à la Caravelle.
[Il vaut mieux, par une espèce de pudeur, ne pas s'arrêter sur
le France, notre fierté absolue des années soixante.
En tout cas, il n'a pas coulé.]
AERONAUTIQUE-EN-GENERAL
Hors sujet par nature, car ni
Airbus ni Ariane ne sont spécifiquement français (deux programmes
internationaux, obstinément - et depuis toujours -
européens).
DS 19
Outre sa forme générale, tout-à-fait inédite, et même
quasi-révolutionnaire, un véritable festival d'innovations
caractérise cette BMW française des années cinquante/soixante
:
- suspension hydropneumatique (la voiture peut se coucher et se
lever)
- levier de vitesse ramené à un simple commutateur
- pas d'embrayage, frein impulsionnel
- volant (monolithique jusqu'à l'arbre de direction) assisté
- phares tournants
- clignotants arrière sur le toit
- pas d'arrière.
Le moins qu'on puisse dire, est que ces trouvailles sont souvent
ignorées dans les voitures d'au-jourd'hui, et que - sans avoir un
échec commercial, ni avoir causé la perte de Citroën - le fait
est que nulle part dans le monde on n'étudie, ne fabrique ni ne
conçoit une voiture dont on pour-rait dire qu'elle descend de
la DS19.
TELEVISION EN GENERAL
À qui la faute ?
Peut-être un simple ascendant étranger, qu'il soit de performances
honorables (PAL) ou critiqua-bles (NTSC).
Le SECAM est abandonné, et, comme le minitel, ne subsiste encore que
dans quelques régions du monde où s'est faite subir une certaine
influence diplomatique française.
Quant aux D2MAC et TV-HD, plus près de nous, ils n'ont résisté
ni l'un ni l'autre aux centaines de programmes qu'ont imposé le
satellite, la parabole et le câble.
En gros : on n'en parle plus.
Enfin, notre 819 lignes national a dû s'incliner - sans grande
résistance, d'ailleurs - face aux autres standards, un excellent
compromis à 625 lignes ayant été retenu par l'industrie
mondiale.
INFORMATIQUE
Une mention spéciale pour cette industrie, qui a connu Charybde
et Scylla, et n'a réussi à impo-ser aucune marque, au
contraire des anglais, des allemands, des italiens , des japonais, -
puis-que l'Amérique va de soi.
Pas même dans la micro-informatique, après plusieurs échecs et
même l'acquisition d'un des plus importants constructeurs
américains (Zenith).
Et, à cet égard, doit être mentionnée une occasion
particulière, terriblement ratée : celle de créer le premier
ordinateur individuel (1973).
Aucune ne subsiste plus (ou quasiment) des entreprises
françaises, plus ou moins pionnières, ayant en tout cas tenté de
participer au marché alors naissant de la micro-informatique : R2E,
Léanord, Thomson-T07, seules quelques maigres sociétés se
hasardent elles à "assembler des PC", dont les
c¦urs - incluant des processeurs tous US - sont tous originaires
d'Asie (où se situe donc la seule valeur ajoutée
matérielle).
Les trois quarts de la valeur de ces machines, la valeur logicielle
est (bien sûr) d'origine US,
ex-clusivement.
Autre marché parfaitement à
la portée de l'industrie française, celui des objets 'nomades' (où
pourtant nous réussissons si bien avec cette mémoire nomade - ô
combien - qu'est la carte à puce) :
Psion, Newton, Palm-Pilot, H-P, Texas, Casio, calculettes du bas au
haut de la gamme, scientifi-ques ou financières, graphiques ou
numériques, sans oublier les walkmans.
Ou encore - toujours
censément dans le domaine de ce dont nous sommes capables (voire
"bons") - une excellente contribution française aurait pu,
aurait dû être un langage. Mais ni For-tran, ni Cobol, ni
Basic, ni Pascal, ni C, ni C++, ni Java ne sont d'origine
française, si peu que ce soit.
Une autre opportunité
ratée (en dehors de la création de l'ordinateur individuel), celle
donnée par le gouvernement US en 1976, de créer le langage
universel de gestion de seconde généra-tion : sélectionnée
pour son 'ADA' par le gouvernement américain, CII-Honeywell-Bull ne
tira au-cun bénéfice de cette occasion unique.
Deux modestes aberrations,
cependant :
- BORLAND, société à capitaux US, fondée par un français
(Turbo-Pascal)
- BE, autre société à
capitaux US, fondée elle aussi par un français entouré
d'informaticiens américains (BeOs).
Pire : nous sommes pour
rien dans l'outil le plus universel qui soit aujourd'hui : le
traitement de texte.
Ni Word, ni aucun de ses "grands" concurrents (moins
de 5 % du marché, chacun) ne doivent quoi que ce soit à
l'esprit français pas même une industrie (la plus légère
qui soit) : celle de la duplica-tion de rondelles de plastique
(disquettes, CD-ROM).
Nous n'avons aucun mérite non plus (aucun) à la création
du plus merveilleux appareil depuis l'in-vention du boulier : le
tableur.
Ce sont des américains qui créent (puis éditent massivement
Excel et Lotus), après avoir changé la vie de millions
d'utilisateurs avec Multiplan et surtout le pionnier
Visicalc.
INDUSTRIE DU LOGICIEL
Modèle : Windows95, dont 100 millions d'exemplaires ont
été vendus. Pour chaque octet écrit et dupliqué par elle,
Microsoft a ainsi créé un chiffre d'affaires de $ 1000.
Combien la France gagne t'elle de ce genre de dollars ?
ET LE RESTE
Absents totalement nous sommes - même si pas seuls - de l'image
: image électronique, et même argentique.
La pharmacie, l'ingénierie génétique ?
Ça se saurait.
Notre contribution à la
recherche pétrolière date du charleston (famille
Schlumberger), elle est contemporaine de nos travaux (certains
pionniers) dans le domaine "atomique" (famille
Curie).
Inutile de souligner
l'absence de toute marque phare, dans le domaine (aussi généralisé
que l'on souhaite) dit "high-tech" : ni Polaroïd, ni
Kodak, ni IBM, ni Xerox, ni Intel, ni Nikon, ni Intel, ni Philips, ni
Siemens, ni, même Sony, ni même 3M.
3M, créateur de ce post-it - on n'ose même plus mettre des
guillemets - qui a changé la face de la terre, désormais toute
constellée de petites languettes jaunes.
oOo
Alors, quand un dirigeant de
la France veut se faire mousser, rabattre le caquet d'un
interlocu-teur étranger soulignant complaisamment les mérites de
son pays, que lui reste-t-il à étaler ?
La carte à puce, bien sûr : seule création française ayant
marqué de son empreinte le Canada, l'Argentine, le moyen-orient, la
Chine, l'ex-URSS, l'Allemagne l'Italie, l'Espagne et les États-Unis,
et peu ou prou le reste du monde (via le radiotéléphone GSM).
Et elle seule, mais oui !
Invention française -
condition nécessaire mais pas suffisante - celle-ci a rapidement
été en-couragée par ses autorités de "tutelle"
(industrie, télécom, communauté financière), même si
l'État n'a misé - tout compris - que 250 000 Francs sur ce brevet
(dont il a d'ailleurs été rem-boursé depuis quinze ans
!).
En moins de dix ans,
l'invention de ce juif né en Égypte , a facilité la vie de
nombreux français, utilisateurs occasionnels de cabines
téléphoniques publiques.
Incidemment, cette concrétisation (sous Mitterrand) de l'invention
née sous Pompidou a donné du travail à une industrie, alors
naissante : celle de la carte, des terminaux (publiphones) et des
services associés : dès 1985, plus de 1 000 emplois sont
déjà créés.
25 000 quinze ans plus
tard..
oOo
Puis, les applications
enseignées par le brevet originel se sont épanouies, tandis que
nos grands voisins commençaient à participer à l'aventure (RFA :
milieu des années 80, Japon : quelques an-nées plus tard).
LA CARTE BANCAIRE
(Enfin) apparue au début des années 90, après 15 ans de
gestation chez Philips et Bull, la Carte Bancaire à puce s'est vite
imposée dans les gestes quotidiens de nos compatriotes.
En ont
profité simultanément :
- les usagers (dispensés
de prouver leur identité lors d'un achat fiduciaire)
- les banquiers (protégés de la fraude, de la contrefaçon, et de
la plupart des abus)
- les commerçants (mis à l'abri des impayés : les paiements leur
sont garantis).
Sans compter les industriels, (Schlumberger, Bull, Philips, Thomson,
Motorola, Sagem, Dassault, Gemplus, etc.), qui ont choisi de prendre
une part de ce marché, à la fois immense et garanti : dix
milliards de Francs mi-95, en croissance de 30-40 % l'an.
Puis le remplacement progressif des pièces de monnaies dans les
parcmètres, facilitant la vie urbaine au volant, suscitera
l'apparition d'une industrie entièrement neuve : les
horodateurs à carte à puce.
LE RADIOTELEPHONE ("PORTABLE" OU "GSM")
L'application du principe de la carte à puce au
radiotéléphone donnera naissance au GSM (qui représente aujourd'hui
plus du tiers de l'activité des industriels de ce secteur). Cette
industrie fulgurante a changé notre paysage urbain (et une petite
partie du paysage tout court), dans des conditions de sécurité et
de commodités inconnues jusqu'alors.
La preuve ?
Les USA y viennent carrément, vingt cinq ans après le dépôt
des brevets, en commençant par la côte Est : Washington,
Baltimore, Philadelphie, New-York.
Enfin, un petit peu de France moderne sur Broadway !
TRANSPORTS PUBLICS
Les avantages de la carte à puce étant maintenant amplement
démontrés :
- en termes de fraude,
- en termes de coût
global (moyen de paiement plus terminaux plus
systèmes),
et compte tenu de certains
autres avantages propres, le secteur tout entier des transports
pu-blics (bus, métro, train, avion) à l'échelle mondiale
a entrepris le passage à la carte à puce.
Ceci pourrait représenter
plusieurs milliards de produits dérivés de l'invention originelle,
d'ici 2020, tandis qu'un avantage fonctionnel significatif serait
offert à l'usager : tarifs et abonnements facilités, suivi et
garantie des bagages, simplification de l'embarquement
aérien.
PORTE-MONNAIE ELECTRONIQUE
Afin de réduire l'encaisse liquide des commerçants et des
appareils distributeurs automatiques : boissons, confiserie,
photocopies, timbres, voire essence, ce qui en fait la proie des
petits mal-faiteurs, capables de fracturer un automate pour 200 Francs
(ou, surtout, de braquer un com-merçant pour 2 000 Francs), la
communauté financière internationale (Grande Bretagne, Allema-gne,
Italie, Belgique, Pays-bas, USA, Portugal, France) a entrepris la
création d'un Porte-Monnaie Électronique
("PME").
Cette carte à puce de
paiement, à la différence de la carte bancaire, se caractérise
par :
- le caractère
universel de l'argent stocké [la carte téléphonique ou la
carte de stationnement contiennent des jetons]
- l'anonymat spécifique de la carte [celle-ci n'est identifiée que
par son numéro de série, et est en outre librement
transmissible]
- l'immédiateté des transactions, celles-ci n'étant soumises au
test d'aucun code confidentiel
- le montant faible des transactions visées (moins de 300
Francs)
- la rechargeabilité, par débit du compte bancaire (ou remise en
espèces à un guichet bancaire).
Bientôt les cartes hybrides
(porte-monnaie + transport urbain) contribueront à réduire
encore la circulation de monnaie liquide, et par conséquent une
frange (basse) de la criminalité quotidienne.
CARTES "SANS-CONTACT"
Originellement conçue sans couplage galvanique, la carte à puce
s'est contentée depuis son pre-mier âge (1983) de connexions
métalliques, qui lui donnent d'ailleurs son aspect visuel particulier
(au recto), tandis que les cartes à pistes magnétiques sont
caractérisées par une large trace brune au
verso.
Le composant-carte est ainsi
homogène physiquement avec le terminal auquel il est cou-plé
(métal/métal, volts/volts).
Mais l'évolution des terminaux (par exemple les cabines
téléphoniques) est éloquente : originel-lement enfermée dans un
tiroir rotatif (voire avalée purement et simplement par le
publiphone), la carte en émerge aujourd'hui à moitié, et peut
d'ailleurs être extraite à tout instant par l'usa-ger,
indépendamment de la 'volonté' du terminal.
L'avenir est donc à
distance, l'usager ne se dessaisissant plus de sa carte (voire
l'oubliant simplement au fond de sa poche ou de son sac à
main).
C'est pourquoi, la communauté
industrielle mondiale s'apprête au lancement des cartes de
seconde génération, sans couplage galvanique, du type
"télé-alimenté" (c'est du faisceau
électro-magnétique porteur de données qu'est extraite par la carte
l'énergie nécessaire au fonctionnement de la
puce).
Ce sont d'ailleurs les transporteurs publics qui sont les moteurs de
cette évolution, et qui tirent aujourd'hui la carte vers sa nature
originelle
Ici encore, ce sont des
milliards de Francs (équipements de péage), qui seront investis
par les opérateurs publics, ceux-ci rapportant à leur tour à la
France - qui, ici aussi, est pionnière - d'importantes royalties en
devises.
oOo
GEMPLUS
Sur vingt-cinq mille emplois
au total que représente l'industrie et les services de la carte à
puce (dont la moitié en France), la plus brillante industrie
spécialisée est implantée en France, en Allemagne, au Mexique, en
Chine, tout ça dirigé depuis la Côte d'Azur.
Qu'on en juge : à lui seul,
le géant français Gemplus (4 milliards de Francs, 4 000 personnes)
réalise en 1998 plus de 80 % de son activité vers ou à
l'étranger.
Quel autre secteur a-t-il
connu l'apparition, en pleine maturité, d'un industriel majeur,
passant très vite loin devant chacun de ses concurrents,
conquérant en moins de dix ans plus de 40 % d'un marché mondial
devenu considérable, et ayant résorbé de plusieurs milliers le
nombre des chômeurs ?
Six milliards de cartes à
puce sont attendues, ici-bas, pour 2005 : une par terrien, en
gros.
(Noël 2000 : la trois milliardième)
(Finance)
Incidemment et sur un strict plan économique français la carte
à puce a généré des royalties en quantité significative (1
milliard de Francs), dont une proportion considérable en devises
fortes (DM, Yen, Dollar).
Ceci continuera pendant
encore longtemps, car l'industrie française a su perfectionner
l'invention originelle, et protéger ces perfectionnements par des
brevets eux-mêmes générateurs d'abondantes
royalties.
oOo
Il ne s'agit pas du triste
constat d'une certaine indigence française après-guerre
:
- nos contributions à la
biologie vont au-delà, sans doute, de la création du valium
;
- dans l'aéronautique, le
spatial, nous tenons un rang honorable, et les fusées européennes
n'explosent finalement pas plus souvent que leurs concurrentes
américaines et japonaises ;
- c'est à nous que
s'adresse l'armée américaine au moment de moderniser son système
de communication terrestre (programme "R.I.T.A.")
;
- nos fusils, nos
canons, nos avions et hélicoptères de combat, nos munitions
(fixes ou mobiles), nos explosifs - sans même parler de nos
chars et de nos missiles - occupent une place flatteuse sur le marché
international.
oOo
Bref : après avoir écouté
patiemment le président US lui parler de Microsoft, d'Internet, de
navettes spatiales ou le premier ministre japonais lui parler de
circuits intégrés, de mémoires et de walkman (ou encore son
homologue allemand : automobile, informatique), que peut lui
répondre le dirigeant de la France ?
Serions nous le leader
mondial des chenilles pour motoculteur et des pneus radiaux,
exporterions nous 80% de notre production de verre plat ou
d'essuie-glaces, que le présent propos serait intact et que
s'imposerait encore le mutisme du Président.
Que peut riposter l'un
quelconque de nos ambassadeurs ?
---------- Notes finales
----------
[1] Ce programme peut
remplacer le répondeur téléphonique, et permet à l'appelant,
grâce à son minitel, d'entrer en communication écrite avec
l'appelé : par exemple, prendre un rendez-vous chez le médecin, en
consultant la liste de ses horaires libres (elle-même stockée sur
l'ordinateur chargé de la gestion centrale du cabinet
médical).
[2] Le vocabulaire en
usage dans le domaine des mémoires électroniques distingue
systématiquement deux classes parmi les espaces de stockage de
l'information, quelle que soit leur technologie (bandes ou disques
magnétiques, semi-conducteurs, cartes ou rubans perforés, etc.)
:
- les espaces à
accès séquentiel (ou encore sériel) ; le film par exemple,
qu'on est bien obligé de dérouler sur la moitié de sa
longueur si l'on cherche à atteindre une image qui se trouve par
exemple à mi-chemin entre le début et la fin de la bobine
;
- les espaces à
accès direct (adressables, en anglais "Random-Access") ; le
plan de métro par exemple, se laisse consulter instantanément, que
l'on décide de pointer son regard sur Montparnasse, sur Clignancourt
ou sur Les Lilas.
Les espaces sériels
sont caractérisés par un mouvement relatif de l'information
et de son point d'accès, lui-même unique.
De leur côté, les espaces adressables (multidimensionnels)
offrent une égalité parfaite entre les conditions d'accès à
toutes les positions de stockage, et, à ce titre, éliminent toute
notion de "distance" entre positions.
[3] A. Koestler, Le
cri d'Archimède.
[4] Cité par Hervé
Nègre (Ddhd, Fayard, 1967).
[5] L'An 01
(Éditions du Square, 1972).
[6]
Voir "L'Express à pile ou face".
[7] Voir plus haut et
plus bas.
[8]
Celle qui compte de Ø à 1. (Synonymes :
logique, binaire, numérique.)
[9] Contraction de
l'anglais "BInary digiT", c'est-à-dire chiffre
binaire.
Schématiquement ; un
bit de valeur 1 correspond en électronique à un courant
"fort", tandis qu'un bit de valeur Ø correspond à un courant
"faible". [Le chiffre zéro est symbolisé Ø, afin
de permettre - indépendamment du contexte - une distinction certaine
avec la lettre O]
Un mot est constitué de plusieurs bits, par exemple 4
(pour désigner un chiffre parmi 16) ou 8 (pour désigner un
caractère parmi 256).
[10] Dans le système
binaire, la modification (ou changement, transformation,
altération, inversion, etc.) d'un bit ne consiste, et ne peut
consister, qu'à remplacer la valeur antérieure de ce bit par la
seule et unique autre valeur disponible : 1 si la valeur
antérieure était Ø, et bien entendu Ø si la valeur
antérieure était 1.
Par
convention d'écriture, cependant, la notion d'effacement
consiste à FORCER la valeur d'un bit - quelle que soit donc sa
valeur antérieure - à Ø (logique dite "positive") ou
à 1 (logique dite "négative").
[11] Composants
électroniques séparés (par opposition à
intégrés).
[12]
L'octet est un groupe de huit bits (et désigne
généralement un caractère).
[13]
Du moins quand leur contenu n'est pas figé en usine, comme
dans le cas des ROM masquées.
[14] Read Only Memory :
mémoire dont le contenu est défini à la fabrication, et
donc rigoureusement inaltérable.
[15]
Imaginée par Georges Gamow.
[16] Cité par A. et Ph.
Meyer (Le communisme est-il soluble dans l'alcool ?,
Seuil, 1978).
[17]
Authentique.
[18]
Source : Jacques Reisse, cité par
L'Express.
[19] Le saviez-vous ?
(Éditions du Square, 1971.)
[20] (Note numérotée
accidentellement.) Merci d'avoir lu jusque-là.
[21] Cité par Le
Monde (10 février 1990).
[22]
Le Nouvel Observateur (15 septembre 1989).
[23]
Cité par Le Monde (15 octobre 1989).
[24]
Exemple authentique et verbatim (France, années
80).
[25]
Jargon informatique désignant la capacité d'un ensemble
logique à fonctionner (ou à s'exécuter) dans un cadre matériel
(ou logiciel) différent de celui pour lequel il avait été
conçu originellement.
[26] Jargon
(hardware = quincaillerie) désignant la partie matérielle des
ordinateurs, par opposition à la partie dite logicielle :
programmes, données, etc.
[27] "En quoi nous ne
concevons aucune limite" (ROBERT).
[28]
Cervantès rêvait à soulever le toit des maisons?
[29] Ni les médias, ni
même nous.
[30]
Cité de mémoire.
[31] Rédigé avant
la libération de Mandela par De Clerk (et non retouché
après).
[32]
Balland, 1985.
[33] Cité
par Le Monde (25 octobre 1989).
[34]
La Tribune de l'Expansion (29 mars 1990).
[35] Le Monde (12
janvier 1990).
[36]
Authentique. [Mais nouvelle erreur Pao (voir 20 &
68).]
[37] Le Point (22
janvier 1990).
[38]
Le Nouvel Observateur (25 janvier 1990).
[39] Libération (7
novembre 1989), cité par Le Canard
enchaîné.
[40] Alain Schifres avait
attiré l'attention - dès 1986*
- sur certains pittoresques phénomènes** induits par cette loi perverse.
______________
(*) Ceux qui savent de quoi je parle comprendront ce
que je veux dire (Robert Laffont / J.-J. Pauvert).
(**) " (?) la planche à voile, [qui] était
déjà un saut par rapport à la planche à surf, ne cesse de
se perfectionner et je crois qu'on s'achemine lentement vers
l'invention du bateau. Les progrès constants de l'U.L.M. nous
permettent de présager l'invention de l'avion. Pour se protéger du
monde extérieur, on a franchi un grand pas cette année par rapport
au walkman, avec le caisson d'isolation sensorielle. Dès qu'on aura
maîtrisé la technique de la fenêtre et du pot de géranium, la
maison sera au point. "
[41] Cité par Le
Monde (12 décembre 1989).
[42]
Le Monde (21 avril 1984).
[43]
Libération (4 octobre 1984).
[44]
Encore (J. Lacan, Puf).
[45] Khaleej
Times (octobre 1989), cité par Claude Sarraute.
[46] Congrès de
l'Audit Informatique (Cnit, décembre 1989).
[47] Cité par A. et Ph.
Meyer (Le communisme est-il soluble dans l'alcool ?,
Seuil, 1978).
[48] Roger
Stéphane (Ed. Quai Voltaire, 1988.)
[49] Le Nouvel
Observateur (14 décembre 1989).
[50] Cité par S. Royal
(Le ras-le-bol des bébés zappeurs, Laffont, 1989).
[51]
XXIIe Congrès du Parti communiste français (1976).
[52]
Le Monde (26 janvier 1990).
[53]
Télé 7 Jours (septembre 1989).
[54] Cité par
L'Événement du jeudi (23 septembre 1989).
[55]
Cité par L'Événement du jeudi (23 septembre
1989).
[56]
Cité par L'Événement du jeudi (23 septembre
1989).
[57]
Derrière chez Martin (Gallimard, 1938).
[58] Cité par
Télérama (17 janvier 1990).
[59]
Le Monde (15 décembre 1989).
[60]
Cité par Le Canard enchaîné (25 juillet
1984).
[61] Cité
par Le Monde (6 février 1990).
[62]
L'Humanité (27 octobre 1989).
[63]
L'argent fou (Grasset, 1990).
[64]
Lignes d'horizon (Fayard, 1990).
[65] Le Monde (18
décembre 1989).
[66]
En verve (P. Horay, 1970).
[67]
Libération (6 février 1985).
[68]
Le Monde (9 décembre 1989).
[69] La PAO* (en anglais : DeskTop Publishing) permet de
produire, par l'habile combinaison de moyens individuels
d'informatique, un texte qui a l'allure générale des documents
obtenus - tout au long des décennies et même des siècles
précédents - par l'arrangement (fastidieux, mais combien noble) de
lignes en plomb, puis en film.
Cette technique, intégrée
à nos m¦urs à partir du milieu des années 80**, exige la mise en ¦uvre des ingrédients suivants
:
- un ordinateur
personnel (Macintosh de préférence)
- des «fontes» (de
l'anglais font, police de caractères)
- un soft de PAO
(traitement de textes grand luxe)
- une imprimante à
laser (Apple, Canon, Hewlett-Packard, etc.).
Si le standing du projet*** l'exige absolument, un «flashage» (voir ce mot)
permet de remplacer par la photocomposition une modeste
sortie laser.
______________
(*)
Publication Assistée par
Ordinateur
(**) Exemple : "Pour mon Rapport annuel, je leur ai
fait une PAO hyper-giga."
(***) Après quinze mois consacrés à faire
de TBA une magnifique démonstration de PAO - sur la base d'une
utilisation extensive du logiciel
FullWriteProfessional**** -
force est de constater les moyens traditionnels d'édition ont encore
de bien beaux jours devant eux.
______________
(****) Lui-même très à l'aise sur un Mac2x
(8 Mo/Ram, 400 Mo/disque).
---------- Blocs
----------
Un héritier nommé
Jésus-Christ.
Londres, 10/12/85 (afp). Le testament d'un vieux professeur anglais
pose un problème presque insoluble à la justice des
hommes.
M. Ernest Digweed, enseignant
à Portsmouth (dans le Sud de l'Angleterre), a en effet légué sa
modeste fortune de 30 000 livres (300 000 francs) à Jésus-Christ à
condition que le Sauveur revienne sur terre d'ici à 80 ans.
Prévoyant le pire, l'auteur du testament a ajouté une clause selon
laquelle la somme reviendrait au Christ, augmentée de ses
intérêts.
Ses héritiers terrestres,
de lointains cousins, ont attaqué le testament en justice et demandé
que le pécule destiné au Seigneur leur soit chrétiennement
échu en partage.
Mais les exécuteurs
testamentaires, d'honnêtes fonctionnaires, sont bien ennuyés : ils
ne disposent d'aucun critère pour refuser d'allouer la somme à
celui qui se présentera en affirmant être le fils de
Dieu.
Les
foot-notes
Un de mes
amis, Alain Hollande, avocat, entré comme moi dans la période où
il est convenu non plus de passer des diplômes, mais de les
utiliser, me disait pourtant un jour, avec évidemment la
désinvolture nécessaire : "J'ai trois licences. Mais celle qui
me sert le plus, c'est celle de psycho." (Faites-moi de bonne
psychologie, et je vous ferai de bons contrats.)
Genre de mot savant pour commencement, propre à
déstabiliser un futur inadapté universitaire avant même d'avoir
mis les pieds en fac.
Je n'avais pas encore découvert Cavanna.
Autres que
le nôtre.
Salman
Rushdie n'avait pas encore percé.
Et il y avait
aussi l'Histoire (dont je n'avais même pas encore commencé à
soupçonner l'importance), la Philosophie (terriblement suspecte)
?
C'est un tout
simple phylactère, aperçu pour la première fois je crois chez
Gotlib, qui illustre avec le plus de simplicité [i.e. : économie
maximale de moyens] cette situation d'impuissance mentale confinant à
l'extériorité : du crâne de son personnage, Gotlib fait monter
une simple bulle, dépourvue bien sûr de tout texte, et simplement
habitée par quelques toiles d'araignée.
Par exemple : chez Françoise Castro, où nous nous étions
connus.
Impossible
en tous cas de revoir Annie Hall sans déguster ce prodigieux
exergue avec lequel W. Allen ouvre le film :
Face à la caméra, sur fond neutre, il nous dit une vieille
blaque.
Deux vieilles commentent l'ordinaire de leur maison de retraite
:
- La bouffe
est vraiment épouvantable, dit l'une ;
- Je sais,
répond l'autre, et les portions sont si petites."
Déchirement
particulièrement romantique à dix-neuf ans.
Nous avons
suivi des mouvements inverses, elle s'approchant du Pc, moi me
contentant de parcourir, en une dizaine d'années, le curieux chemin
qui séparait alors le colossal ricanement (désormais si familier)
de cette sorte d'exaspération alors vivace chez tous ceux qui se
sentaient impatients d'une meilleure justice sociale.
Celui du Plan Câble.
Celui qui
dirige aujourd'hui la RATP.
Bouguereau,
alors responsable du Journal des étudiants de
Propédeutique*,
dirige aujourd'hui L'Événement du Jeudi, après avoir fondé
avec S. July, puis rédigé-en-chef pendant douze ans,
Libération.
Didier Truchot
était là aussi, qui occupe maintenant la place enviée de directeur
d'Ipsos. Travaillant principalement dans les tests de pub, il a donc
effectué un virage spectaculaire par rapport à ce qu'il était -
et surtout à ce qu'il professait - alors.
Plus rectilignes
dans leurs parcours édificateurs : Kravetz ou Péninou à travers
leur carrière de jounalistes à Libération.
________________
(*) Dont j'étais le
"rédacteur en chef".
Je ne
comprenais décidément et obstinément rien* à leur logorrhée importante, mais
eux-mêmes se sentaient assez en phase avec leurs
...compagnons**
pour passer d'excellents moments (toute la nuit par exemple) à
élaborer le texte d'une motion qui serait remise le surlendemain au
délégué des étudiants nicaraguéens en visite officielle.
_____________
(*) Je jubile évidemment de
constater, un quart de siècle après, qu'ils ne disaient
effectivement rien.
(**) Si nombreuses étaient les tendances, à
l'intérieur d'une même fraction crypto-trotskiste, que ces
différents "militants" avaient parfois les pires difficultés à
déterminer, préalablement puis tout au cours de la discussion,
s'ils pouvaient mutuellement se considérer comme des sortes
d'alliés (à tout le moins, "allié objectif" pouvait suffire,
notamment en cas de poker ou de bouffe chez Polydor par
exemple).
En un an, nous
avons publié deux numéros, ce qui faisait de notre organe un
véritable journal sporadique, à la manière de celui que
revendiquait alors l'anarchiste-clochard Mouna-Aguigui, que nous
fréquentions d'ailleurs avec assiduité.
Ayant (quand
même) lu Le zéro et l'infini, ma méfiance allait
naturellement vers tous ces mots antipathiques : centralisme
démocratique, dictature du prolétariat, etc. (Cf. Chapitres 12 &
13).
De poing, ou (beaucoup plus rarement) de manche de
pioche.
A cause de
mes fréquentations, rien de plus.
Et pourtant je
suis devenu un militant : toute cette volonté de diffuser, de
convaincre, de faire partager qui animait les gens de l'UNEF que je
côtoyais, je la possède maintenant. Je suis devenu un militant de...
Apple et de tous les pas en avant que, selon moi, notre intelligence
fait grâce à Jobs, Wozniak, Sculley, Gassée.
Parler
aujourd'hui des ronéos Gestetner?, de ces gros tubes avec le
piston qui faisait monter l'encre visqueuse dans la machine, des
préparations de stencils au normographe, évoque pour moi l'image
d'un grand-père qui ressasse des souvenirs d'un autre temps. Mais
aussi, quelle volonté de communiquer que celle de cette époque,
qui acceptait d'envoyer des messages au prix du nettoyage de tels
engins !
Et quand est-ce qu'on mange ?
C'était
mon cas.
Discours prononcé à l'occasion de la remise du diplôme de
Docteur honoris causa de l'université de Berketon (Wyoming).
Irrationnel, rêve ou imaginaire, tout ça c'est
synonyme.
Ou plutôt la
vision que - soit dit en toute paranoïa - j'en ai, mais nous avons
vu que ça revient au même.
Ou peut-être
au XVIe, ou bien au Moyen Âge (ça a dû aussi dépendre beaucoup
des civilisations) ; de toute façon, la datation à un millénaire
près n'a ici aucune importance.
Voir ce mot.
Passionnés
que nous sommes par le comportement de notre prochain, nous voilà
bel et bien sensibilisés à la la population si attachante des
briquets jetables : leurs fascinantes affinités avec la peau (des
bananes), le marc (du café), et de façon générale avec toutes
les formes d'ordures ménagères.
Goûtons, au
passage, le plaisir délicat (et méconnu) de dénicher dans les
plus humbles observations, dans les plus misérables détails de
notre paysage le plus quotidien*,
les révélations pourtant les plus vertigineuses : cet achèvement
triomphal, sous nos yeux, à la fin du second millénaire, de
l'impossible conquête entreprise à l'époque
pré-néanderthalienne. [Et l'entrée concomitante de l'humanité dans
une nouvelle ère, où le feu est désormais à ce point MAITRISE
- conformément au cap défini par les anciens singes il y a 900 000
ans - qu'on en élimine la semence.]
Moralité : ouvrir
les yeux sur les objets et les signaux qui nous environnent,
considérer tous ces indices, pénétrer les plus intimes de ces
situations ou de ces mécanismes, exactement dans l'état où -
chaque jour - ils se présentent à nous.
______________
(*) Ce goût pour
les objets les plus familiers (ceux que tous les hommes ont en commun)
- et même pour les moins nobles d'entre ceux-ci parfaitement à son
aise dans le plus trivial - n'est d'ailleurs pas fortuit de la part de
l'inventeur de la Télécarte et du Piaf, de nos lieux d'échange :
le bureau de tabac ! [Note de l'éditeur.]
Ne pas perdre de vue, s'il vous plaît, que le cerveau
«tourne» tout le temps (comme on dit que le moteur d'une voiture
tourne).
Voir plus loin l'exposé complet de la théorie du Bordel
ambiant.
Pour autant,
bien entendu, que cette renaissance de l'univers s'accompagne de la
création de suffisamment de bibelots et d'étagères.
Et pourquoi
donc la terre n'aurait-elle pas été incluse dans un ballon de
verre, ou de quartz, ou de mica, ou d'or (on sait que l'or ultra5mince
est transparent) ?
Ceux qui ne croient qu'à leurs propres hallucinations sont
dénommés, par ceux qui n'ont pas peur des mots, des
"thomistes".
Au bout de leurs petits bras musclés.
Du moins au
sens le plus trivial de ce mot (tout aussi pratique à sortir de son
chapeau quand on en a besoin que délicat à manier surtout si un
mathématicien pur et dur vous surveille). Disons, pour faire ça à
la hache, qu'une série ascendante tend vers l'infini, si, aussi
grand que soit un élément N de cette série, il y a toujours
moyen de trouver un nombre (N+1) plus grand* que N.
_____________
(*) François
Grieu, qui lit par-dessus mon épaule sous prétexte de réparer
mon disque dur, estime que ma pédagogie est trompeuse : selon lui,
je définis une fonction simplement croissante, sans
perspective pour cette malheureuse de tendre vers l'INFINI. Mais
indéfiniment croissante : elle monte, monte, monte de plus en plus
lentement - en courbant l'échine pourrait-on dire - et elle est donc
logarithmique. (Et non pas asymptotique, comme il viendrait
spontanément à l'esprit de dire.)
[Voilà le lecteur
prévenu, tandis que l'auteur espère de son côté ne pas
encourir les lazzis des matheux puristes.]
Par exemple :
Vivaldi debout dans une brouette.
Analogie : si
un taxi dont le démarreur est mort (ou bien qui est construit
sans démarreur) s'arrête, il ne peut plus repartir.
Complètement libre, il peut aller où il veut, en théorie.
Pratiquement, il ira où ses clients lui demandent d'aller,
c'est-à-dire dans des endroits connus a priori (gares, etc.) et
il s'y rendra le plus vite possible, donc en passant par les chemins
les plus directs.
Mais il sera
quand même également assez ridicule de téléphoner à
l'ensemble de ses amis et relations si d'aventure on retrouvait
l'édifice écroulé.
Cas de
l'auto-chatouille.
Les
chatouilles, il faut bien le reconnaître, se pratiquent
généralement avec des relations proches - donc a priori amies -
plutôt qu'avec n'importe qui dans la rue.
Ne pas confondre avec cette autre devinette (de facture
beaucoup plus orthodoxe) :
- Quelle
différence entre un pigeon et un corbeau ?
- Il n'y en
a pas, car ils ont les deux pattes de la même longueur : surtout
celle de gauche (et surtout le corbeau).
Dans le
meilleur des cas.
Bof.
Nous avons
d'ailleurs déjà pris l'habitude de constater que les
phénomènes qui se passent sous le cuir chevelu ne sont jamais
simples.
Comme bouteille non consignée, pile, emballages, etc.
En vente chez les meilleurs éditeurs
d'encyclopédies.
Pour autant
qu'un tel "test" puisse avoir une quelconque signification. (Mais
c'est ici la méthode qui est séduisante, pas les "résultats"
d'un tel examen.)
Sobriété,
rusticité, tout ce qui plairait à un décorateur
anticonformiste.
Cela a peut
être l'air d'un truisme, mais seulement dans le domaine humain : il
est bon de se souvenir que le cerveau obéit aux mêmes règles
qu'une feuille de papier, un sémaphore, un cliché d'imprimerie ou
un thermostat.
Ça arrive de moins en moins souvent, ce genre de
trucs...
Au sens : ne
pas s'y connaître, être étranger à un sujet.
Aucun
commentaire.
On dépose
une noix de produit sur le terrain à bâtir, en trois heures, une
maison de cinq pièces-cuisine-salle-de-bain apparaît, il ne reste
plus qu'à brancher l'eau, le gaz et l'électricité.
Tellement commode qu'on l'exploitera à nouveau, et en
détail, Chapitres 12 & 13. [Note de l'Éditeur.]
Intéressante nature morte.
Image
tirée d'un cours de physique où, pour préciser les notions liées
à l'entropie, il était expliqué que, si les pierres projetées
par un volcan ne reconstituaient pas spontanément la cathédrale de
Chartres, ce n'était pas que cela fût impossible en soi, mais
seulement extrêmement peu probable.
Ce n'est que par paresse intellectuelle, bien évidemment, que
l'on affecte ici de croire à une sorte d'entropie mesurable (plus
grande, plus petite). En fait, et heureusement pour notre intelligence
de ces phénomènes, tout fonctionne un petit peu comme si.
En outre, dans le premier cas (un seul mot), l'idée existe
déjà et je le sais.
Nouvelle :
susceptible de capter deux ou plusieurs rayonnements.
Une forme
particulièrement ingrate de "créativité" consiste à aimer
les idées des autres, à en comprendre la portée, la richesse, ou
le potentiel : dans un des cas de figure, c'est de
«venture-capitalisme» [mais oui] qu'il s'agit. Mais ça peut aussi,
dans une configuration (et sans déchoir), être un simple
imprésario à 10%.
Ça me
prend la tête, disait-on à la fin des années
80.
Captée un
jour comme les autres, sur le morne paysage verbal et vaguement sonore
de France-Culture, dans la bouche d'un narrateur anonyme, rapportant,
au sujet d'un obscur Parisien, une anecdote par ailleurs de faible
intérêt.
Idée
demi-mûre : un recueil d'I. D. M., unique en son genre, a été
publié au début des années 60 par le scientifique anglais I.J.
Good.
Il s'agit de
collecter, auprès des scientifiques et autres penseurs du monde
entier, des idées à faible maturité, autrement dit qui ne sont
encore qu'à l'état de pistes.
Or, pourquoi ne
sont-elles encore que dans cet état "pré-existentiel" ?
Tout simplement parce qu'il manque au moins un facteur permettant leur
réalisation, soit l'argent, soit l'intérêt économique, soit
une certaine réunion de conditions sociales, soit qu'une certaine
étape du progrès (ou de l'évolution en général) ait été
atteinte.
Peut-être,
au bout de la énième année de psychanalyse, ce type de
stimulations pourrait-il accélérer la rencontre avec le passé et
éviter des séances que j'imagine aux silences
interminables.
Ou de toute autre capitale, n'importe où dans le
monde.
Citée
devant moi, verbatim, par un lucide chauffeur de
taxi.
Quinze jours
me paraît bien.
Il faut
évidemment penser ici à ceux des juges qui, plus souvent qu'à leur
tour, seront amenés à distribuer des détentions préventives.
Ou bien encore à ceux qui, hésitant à donner entre six mois et
huit mois sans sursis, finiront par choisir huit.
Le mot est un peu faible.
Leur modestie
était d'ailleurs à l'image de ma solvabilité : 500 francs,
peut-être, en tout.
En
particulier les humains de sexe masculin, et cela pour des raisons si
profondes qu'elles constitueraient à elles seules un excellent sujet
d'étude.
Voir cependant (plus haut et plus bas) les diverses tentatives de
l'auteur en vue d'éclaircir la question de l'entropie.
Terreur à l'idée d'au moins l'une des réactions
négatives du milieu ambiant en cas de "défaillance"
:
- il mentait
lorsqu'il estimait pouvoir récupérer de l'argent dans un délai
très court ;
- il ne
mentait pas, alors il est trop naïf pour être encore un adulte
comme vous et moi ;
- tout
simplement, c'est quelqu'un qui ne maîtrise pas (et il serait temps
de commencer à en prendre conscience) ce qui sort de sa
bouche.
Très
dangereux.
Prière de ne chercher aucune liaison psychanalytique ou autre
entre ce propos et la carte (de crédit) à puce.
Elle ne me
faisait payer qu'en fonction de l'argent dont je disposais à
l'instant (tantôt cinq francs, rarement plus de
vingt...).
J'ai fini par
contourner cette difficulté quasi existentielle en créant un monde
(mon entreprise) où, en définitive, j'apparaîtrais pour le moins
endimanché (sinon parfaitement ridicule) s'il me prenait d'arriver
un matin en costume trois-pièces.
Il est clair
pour tout le monde, n'est-ce pas, que la femme concernée par cette
approche, elle, n'a déjà plus d'yeux que pour son prétendant.
Ces considérations sur le caractère (ridicule ou conforme) de la
démarche ne la concernent donc pas.
"Je
marchais dans une espèce de toundra, et je me suis aperçu que je
m'étais trompé de chemin. J'ai alors voulu remonter en arrière,
à la bifurcation, lieu de mon erreur, mais je n'ai pas pu car les
herbes étaient remontées."
Je me souviens
d'avoir lu ça dans un bouquin de Jean Cau, vers le début des
années 60 (époque où le chroniqueur à L'Express - et
surtout ancien-secrétaire-de-Sartre - était encore chouchouté
par l'intelligentsia), et j'avais le souvenir précis de cette
analogie particulièrement heureuse.
Comme la
plupart des post-adolescents de cet âge : relation avec l'autre
sexe, apparence sociale, etc.
Le charme
désuet de cette formule, aux sonorités fernand-raynesques?
N'ayons pas peur des mots : trié sur le
volet.
Selon le
Mémento pratique du fonctionnaire, édité par la FEN, "le
décès est généralement assimilé à une invalidité à
100%".
Authentique :
la notion de récidive n'existait absolument pas. L'incitation
des patrons à respecter la réglementation du Travail était ainsi
sans aucune portée, et les inspecteurs exerçaient (notamment sur
ce point) un véritable apostolat.
J'ai honte
évidemment, aujourd'hui et toujours, d'avoir pu être encombrant à
force de me vouloir importun. Mais je me dis pour ma défense
que cette organisation imbécile était quand même pour beaucoup
dans cette extrémité.
Sûr que
François de Closets aurait vu là une manifestation
supplémentaire de la toujours plus envahissante puissance
syndicale.
Aussi classique en fait que celui observé dans les cas de
vocations suscitées par la psychologie.
Environ
trois mois de mon salaire d'employé aux écritures. (Et pourtant la
presse n'avait déjà pas la réputation d'être une profession
lucrative, loin s'en faut.)
On distingue déjà l'embryon d'une organisation automatisée
de la rédaction, désormais propre aux grands organes
d'information.
Inutile évidemment de préciser qu'aucune héroïne de sexe
féminin n'était moins belle que Romy Schneider, moins sexy que
Bernadette Lafont*,
les hommes de leur côté ne pouvant rappeler que Julio Iglesias ou
Sacha Distel.
___________
(*) Aujourd'hui : Sophie Marceau (
?).
L'emploi de
l'imparfait a pour but de donner à comprendre le caractère
régulier (et donc occulté par quelque puissance mystérieuse)
du scandale monstrueux que Détective révélait aux
Français.
C'était évidemment, on l'aura compris, la destination finale
de toute cette titraille.
On n'enseigne pas assez ce genre de choses.
Et si Brel,
Brassens, Montand, Trenet choisissaient Serge Lama pour les
représenter ?
Comme le
coucou de Jean Richepin (grâce auquel Brassens nous a donné ses
superbes Oiseaux de passage).
Vagabonds si passionnants à écouter - chacun sait cela - que
visiblement encore imprégnés de quelque immense «culture» (on
y met des guillemets) : connaissant la vie, décodant les
gens,comprenant les choses, bref redescendus après avoir
été quelque part, c'est-à-dire plus haut?
L'établissement où, en classe de 6e, je me
suis de mauvaise grâce laissé initier au latin n'était en fait
qu'une annexe (tôle ondulée et Algecos) du prestigieux
lycée Montaigne. Son indépendance, sous le nom de lycée Rodin,
n'est contemporaine que de la décolonisation, de Dalida et des
yé-yés.
[Précision à
l'usage des historiens, des nostalgiques, et de tous ceux qui
regimbent à cet amalgame entre la rue Auguste-Comte et la place
d'Italie.]
Très joli nouveau mot, incorporé désormais à notre
vocabulaire, puisque (c'est toujours comme ça) il y avait une place
à prendre.
Vocabulaire Belle Époque pour : «être
cocu».
Maturité
insuffisante pour exercer un choix, dont la suite révélera
longuement la gravité cachée.
Aussi chouette
en effet que l'on pouvait être nourri-logé-blanchi, pour pas un
rond, dans un appart cosy sur le square Saint-Lambert, garçonnière
(pour dame) à part entière pour tous ceux qui s'y sentaient chez
eux : on avait d'ailleurs pris rapidement l'habitude de s'y sentir
comme invité de première classe, ce type d'invité, vous savez,
qui est toujours le bienvenu même arrivant les mains vides, même
sans une bouteille de quelque chose (ou plutôt quelque bon libanais
rouge, afghan noir, ou cashmeere marbré à défaut d'acide
anglais), même sans une copine au bras, et finissant toujours par se
servir de tout (tout), sur place et à discrétion.
Pas facile,
apparemment, de cataloguer comme «bons» ou «intelligents»
les journaux de toute nature (magazines, chaînes de radio et
tv), tellement irréductible semble être leur
diversité.
o Cavanna -
encore lui - est quand même parvenu à isoler un critère
infaillible : l'horoscope*.
[Si les "«bons» journaux ne s'en déduisent certes pas du
premier coup d'¦il, ce test démasque impitoyablement les
autres.]
o Je propose de mon côté de surveiller la rubrique Sondages
/ Études d'opinion. Si les résultats d'une enquête sont
présentés avec deux décimales, conclure sans appel. [Mais
une décimale reste quand même très
suspecte.]
o Enfin, pour
pousser plus avant ce type d'auto-discipline, il ne m'apparaîtrait
pas insensé que les médias séquentiels (radio/tv) adoptent un
code de conduite consistant à placer le sport systématiquement en
queue de bulletin, et en tous cas jamais avant la vie
publique.
______________
(*)
Résultats du 'Tapis vert' tous les matins dans L'Huma
: ça n'y ressemble pas un peu ?
Dix ans avant Le Point (d'ailleurs fondé, au sortir
de L'Express, par Claude Imbert et Jacques
Duquesne).
C'est-à-dire
à peu près les vingt-quatre heures de la journée, trente jours
par mois.
Une
vingtaine d'années avant la généralisation de la télécarte,
ce qui est bien suffisant pour s'amuser à l'idée d'une certaine
prédestination?
Article annoncé, et illustré, en couverture.
«Face-texte», «face-édito», ou encore
«face-sommaire», dont on devine :
- la tarification
avantageuse,
- les
inconvénients pour la lecture,
- et par
conséquent les douloureux arbitrages indispensables chaque semaine,
ainsi que les volontés les plus impérieuses de la direction (à
ne pas confondre avec le rédacteur en chef) : celles qui modifient -
par adjonction, suppression ou promotion - l'«ours» du journal,
autrement dit la liste nominative de ses collaborateurs.
Justifiée par le caractère ostensiblement apparent de tous
les composants électroniques.
Dominant en
nombre depuis toujours à L'Express.
Acronyme bien
facile à décoder, que Claudine Maugendre (depuis passée à
Actuel) composa à titre de contribution
personnelle.
Permettant de
zapper furieusement entre «Cognacq-Jay» et la «2e
chaîne».
Lui-même
encore si peu parmi nous qu'un néant lexical pur et simple
occupe encore sa future place.
Comme on ne disait pas encore (même à
L'Express).
Gurgand
écrivit plusieurs livres, dont un sur Les chemins de
Compostelle. Il avait emprunté les anciens itinéraires que
suivaient les pèlerins pour aller à Saint-Jacques-de-Compostelle,
en compagnie de Pierre Barret, avec qui il écrivit plusieurs autres
ouvrages sur des sujets tout aussi originaux.
Barret fut, entre
autres, président d'Europe n°1, mais plus facile à conserver
sera sans doute le souvenir de ces exploits, aussi spectaculaires que
gratuits (traverser la Méditerranée en ULM, escalader l'Himalaya à
moto), qu'il accomplissait discrètement, et sans y mêler d'une
quelconque façon ses responsabilités principales.
Barret et Gurgand
sont morts en 1988, à quelques semaines d'intervalle - leur santé
a fini par les trahir -, à l'aube d'une cinquantaine éclatante,
type Redford (vous voyez le genre ?).
Ici, comme en
de nombreux autres domaines, l'équivalent français le plus proche
(réécriture, rerédaction) est tout simplement ignoré dans la
pratique, c'est-à-dire dans la vraie vie.
Un monstrueux condensateur de plusieurs dizaines de milliers de
microfarads, fonctionnant très à côté de sa plage de
fonctionnement (ce qui participait en grande partie à l'authentique
effet d'aléa que je me flattais d'avoir conquis, ex nihilo et
pour de bon).
Blocage
lexical typique : s'agissant de cet appareil qui NE SERT A RIEN, il
est clair que servir est d'emblée disqualifié pour
caractériser cet état de... néant fonctionnel. Et pourtant, un
équivalent positif tel que appareil inutile ne décrirait que
très improprement l'objet ; c'est pourquoi, contre l'évidence (et
en général bien lourdement), nos langues se sont débrouillées
pour intégrer de possibles modules annulateurs (ici :
ne......à rien) ; conjugués avec un terme principal habituellement
chargé de caractériser une présence expresse, ils rendent
finalement compte, le moins mal, de ces situations marginales, certes,
mais bien révélatrices pourtant du malaise permanent dans notre
système de représentation verbale, pour tout ce qui touche aux
évocations de l'inexistant. (Voir Ch. 13 :
Représentations.)
Si toutes choses dans la vie sont susceptibles de recevoir une
explication, ce geste de la part de Gurgand doit, au moins, signifier
que je (lui) inspirais confiance. Ou que j'avais l'air d'un gars
honnête*.
Que déduire d'autre ?
__________
(*) Frappant de constater ce
qu'une _expression_ apparemment aussi positive (avoir l'air honnête)
peut parfois trimbaler, mine de rien, comme connotations parfaitement
méprisantes.
N'est-ce pas que, si
l'on entend quelqu'un dire cela d'un de ses amis, il vaut mieux ne pas
aller le lui répéter ?
Peut-être
trois?
Ne pas
confondre fonction et destination sociale.
Cette
dénomination ingénieuse, mais plutôt austère et finalement
assez... ennuyeuse, ne prit pas racine.
Idem pour Philippe Starck : il ne crée que des bêtises pour
nouveaux riches, mais si l'on se donne la peine de l'écouter parler,
on découvre au authentique et passionnant personnage. Vraiment un
gars intéressant.
Ministre de
l'Éducation, ambassadeur des États-Unis, Henri Salvador,
etc.
France-Nouvelle (9 octobre 1968) :
"Le débat qui s'instaure avec ce film n'avait pas mal commencé.
Hélas ! il fut coupé au bout de cinq minutes à peine pour laisser
la place à une autre séquence filmée, sur un étrange gar-çon
qui proclame que les études ne le concernent plus et présenta des
«gadgets» très surréalistes. Mais ces gadgets supposaient des
connaissances trop étendues en électronique pour que l'on crût
vraiment au curriculum vitae que leur auteur exposa
complaisamment. Il s'avoua d'ailleurs arriviste et il est probable
que, SI LA PAROLE AVAIT ÉTÉ DONNÉE AUX JEUNES APRÈS CETTE
SÉQUENCE INUTILE, LES CRITIQUES EUSSENT ÉTÉ
SÉVÈRES."
C'est Vrai qu'on ne
rigole pas avec ces choses-là : objets qui ne servent à rien ?
Parasitisme social !
Bref on ne s'aime pas, le Pc et moi, et je peux même ajouter : on ne
s'est jamais aimés.
Mais aussi les communistes en général, et même le
communisme tout court. Relisant (novembre 1989) ces observations
notées six mois plus tôt, je me rends compte évidemment de leur
incroyable vitesse d'obsolescence.
Il serait en réalité plus précis de parler du
"milieu" Pc.
Combien de
leurs militants se seront peu à peu sentis largués en voyant Le
Parti défendre bec et ongles le droit pour les rupins de voyager en
Concorde, ou encore les plus aberrants excès d'une politique
énergétique - fût-elle de droite, fût-elle social-démocrate -
pourvu qu'elle soit suffisamment nucléaire.
Salut Coluche !
Par exemple
: expérience, expérimental, test, essai, épreuve, théorie,
contre-théorie, recherche, laboratoire, effet, résultat,
preuve, etc.
Je compris
plus tard que j'aurais pu demander beaucoup plus. Mon statut dans le
scénario - ainsi que le découvris plus tard - était celui d'un
"acteur-qui-avait-tourné-pour-la-télévision" et pour lequel,
par conséquent, une somme nettement plus importante avait été
prévue...
Le comique
d'une telle situation n'avait pas échappé à Pagnol : cinquante
ans auparavant, il brossait ainsi la rencontre de Topaze et
Castel-Bénac :
TOPAZE
{instituteur, qui vient de perdre son
travail}
[Si
je tiens beaucoup] "à rester dans l'enseignement ? Mon dieu,
oui [?]".
CASTEL-BENAC
{élu municipal, corrompu jusqu'à l'os}
Pourquoi ?
TOPAZE
Parce que c'est une profession très
considérée, peu fatigante, et assez lucrative.
CASTEL-BENAC
{qui
verse chaque mois à ses complices une somme correspondant au salaire
annuel d'un enseignant}
Assez lucrative. Fort bien.
Avec le recul, j'ai
l'impression d'avoir trouvé moi aussi très lucratifs ces 5
000 francs.
Y compris celles vendues à Gurgand, Barouh, puis à quelques
autres promoteurs de l'Art Aléatoire.
Pendant les
interruptions de tournage, quand je ne me promenais pas dans cet
appartement, je jouais de la guitare, assis sur un lit. Léa Massari,
qui jouait la femme de Piccoli, s'amusait de mon ignorance
guitaristique, et passait parfois de longs quarts d'heure assise à
côté de moi, tentant laborieusement de me faire entrer en
mémoire les infernales suites d'accords (9es, 11es, 6es+9 ou 6+7)
caractérisant l'accompagnement brésilien, sa marotte. Ainsi
échangions-nous, rue Marbeuf, de ces harmonies, aussi moelleuses que
l'édredon (et encore, c'était elle qui m'apprenait), en
tout bien tout honneur : ah ! le monde fascinant du
ShowBiz.
Il est très
facile de constater que pour les mêmes raisons (facilité de
décodage par le spectateur), le cinéma ne peut jamais (jamais
jamais) représenter une scène en décors pluvieux autrement
qu'avec de véritables déluges de flotte.
A la question que lui posait un exégète :
- Vous vous
êtes inspiré de Bergman, puisque vous le remerciez, en exergue, de
vous avoir fourni quelques éléments pour la réalisation de ce
film ?
Woody Allen fit cette audacieuse réponse :
- Non, non, je ne
m'en suis pas inspiré. Je l'ai entièrement copié.
Il évitait ainsi d'utiliser un procédé tout à fait
habituel dans le monde de la production intellectuelle et artistique :
lorsqu'on s'est inspiré, dans d'importantes proportions, d'¦uvres
appartenant à d'autres créateurs, et qu'on s'est contenté de les
reproduire sans véritable démarquage, on peut à très bon
compte se dédouaner du reproche qui vous en serait éventuellement
fait. Il suffit pour cela d'une simple ligne en petits ou moyens
caractères dans le générique (ou au dos de la pochette de
disque).
Il n'y a en effet que deux instants qui caractérisent la mort
: le dernier instant, et l'instant. Il n'y a pas
d'après.
Un qui n'avait
pas dû comprendre, en tout cas, même pas le principe, c'est
l'Américain, vous savez un petit à lunettes, un comique, il joue de
la clarinette aussi : c'est lui qui a dit : "L'éternité
c'est long, surtout vers la fin."
En
informatique, en mathématiques (mais aussi au poker !) sont
affectés du statut de jokers des «êtres» réputés sans
réalité, mais dont une représentation formelle est néanmoins
(parfois) nécessaire.
Transport du texte brut,
observation de son affinage, interrogation sur telle ellipse, tel
euphémisme, telle construction impersonnelle, et bien sûr
évaluation systématique des si troublantes corrections
d'auteur.
Trésors d'indignation, de
scandale, de ridicule (entre autres?).
Par
opposition à celle des militants, des cellules, des clubs, des
groupes et des groupuscules, dont le point commun est bien sûr de
n'être pas (ou pas encore) responsables.
Mais sans ce côté
Almanach tellement désolant, qui colle aux pages de ces
recueils, florilèges et autres produits papetiers, genre
Réalités dépassant la Fiction.
Peut-être bien, mais ça évoque aussi,
furieusement, son vieux garçon perclus de tics, quelque chose comme
M. Dutilleul (le Passe-Muraille de M. Aymé) et sa collection
de timbres.
Pour tout dire, ça ne fait pas Rambo. Ni même Robin des Bois. On
ne peut pas non plus s'empêcher de penser qu'avec le temps ça ne
s'arrangera sûrement pas.
Avant d'entrer à
L'Express, Claude Imbert exerçait le métier (vraiment très
différent) de Rédacteur en chef de l'Agence France-Presse.
Il y en avait un.
[On se souvient que
c'est le navrant Peyrefitte qui avait étrenné la fonction. Sachant
qu'il faut vraiment être prêt à accepter n'importe quoi (et
être connu comme tel) pour accepter ainsi, tout humaniste qu'on soit,
un portefeuille de l'Information, fin XXe siècle, en
Occident, je ne risque pas gros à rétro-pronostiquer (?) que, si
Peyrefitte ne s'y était pas collé, une espèce de Michel Droit,
peut-être bien ??]
Dont le cahier des charges n'a visiblement jamais
prévu la moindre forme de dérision (même bénigne), d'humour ou
de simple distanciation. Tant mieux (ou tant pis ?) pour Brétecher,
Wolinski et Reiser (Observateur), Faizant et Frémond
(Point), Cabu (Canard), Siné (EDJ).
Ce genre d'échec à l'hilarité me frustre
beaucoup. Rien ne me tire de meilleure jubilation que lorsque je sens,
chez celui qui a bien voulu prêter attention à ma trouvaille de
l'instant, ce réflexe de panique (dont la résultante consiste
généralement à rechercher fébrilement un mouchoir) caractérisé
par un besoin urgent de se tamponner les yeux ou la bouche.
Ma perversion la plus sérieuse sur ce registre consiste d'ailleurs à
stocker les perles dans mes poches, de façon à pouvoir les
produire à table.
J'admets jouer gros, mais je bénéficie en cas de succès d'une
prime à l'hilarité, d'ordre 3 environ :
1. Il va sans dire
que j'accompagne mon auditeur pendant que lui-même prend
connaissance de la perle. Je ris, bien sûr, mais je ris aussi
d'aise, par anticipation de l'imminente hilarité
commune.
2. Dès amorçage
du rire attendu chez mon initié, je me livre aussitôt à
l'activité (pourtant méprisable) consistant à lui expliquer,
tout en riant moi-même très fort, pourquoi il
rit.
3. L'échec dans la
recherche du mouchoir salvateur étant généralement sans appel,
une troisième source de satisfaction apparaît dès lors,
elle-même modulée dans de fortes proportions selon les circonstances
du repas pris en commun (cocktail, restaurant chic, etc.), avec bien
évidemment mention particulière pour les repas d'affaires, compte
tenu de la diligence avec laquelle le convive parvient à escamoter
les multiples particules expulsées autour de lui, notamment chez les
autres convives.
[Gratification
spéciale pour cette figure, très classique mais difficile à bien
réussir : garder le contrôle de la perle, et attendre, pour mettre
en évidence le temps fort du gag, que le convive soit en train de
boire, en phase de déglutition. Toutefois, ici plus qu'ailleurs, il
convient de conserver un minimum de tact : un degré suffisant de
familiarité mutuelle est indispensable à la bonne fin de cette
figure, en raison de l'inévitable confusion occasionnée chez le
convive, et aussi d'une certaine douleur dont celui-ci ressentira
encore l'effet dans ses sinus pendant un ou deux quarts d'heures
(maximum).]
Plus tard référencée sous
le nom d'offensive du Têt*, et abondamment commentée dans tous les bons
traités de pacification.
______________
(*) Un des derniers chefs-d'¦uvre signés
par le maréchal Giap, bien connu des stratèges
français.
C'est Delfeil de Ton que j'ai
fait profiter*
il y a quelques années, d'une polémique exemplaire intervenue
entre la CGT et la Préfecture de police de Paris sur le sujet
brûlant du nombre de manifestants ayant participé à un
défilé.
La Préfecture argumentait, pour justifier le chiffre avancé par
ses services**, que les moyens dont elle disposait pour évaluer
les nombres de manifestants avaient été renforcés par le
recrutement récent de cinq spécialistes du comptage des
manifestants.
Profession typiquement post industrielle, que j'avais immédiatement
incorporée à la liste des petits métiers, si peu connus, et qui
pourtant font le charme de cette fin de millénaire.
__________
(*) Nos destinées s'étant
finalement séparées, Imbert et moi.
(**) Traditionnellement cinq fois
inférieur à celui revendiqué par les organisateurs, quel que
soit le régime, et quel que soit l'objet de la
manifestation.
Une rubrique de ce type était
à l'époque extrêmement originale. Il n'y en avait aucune autre,
à ma connaissance, dans la presse française (sauf celle que
tenait, une fois par semaine, dans Le Figaro, un obscur
journaliste du nom de «Bernard Pivot»).
Tous les autres n'étaient que
le résultat de malentendus.
Qu'on
m'autorise à insister, ici, sur l'authenticité de ces deux
questions.
Mon impression est toujours -
et jusqu'à maintenant - que les chiffres ronds ne font pas
sérieux.
Vous aviez
deviné le montant ?
Mes collègues à l'E.P.P. se
nommaient Alain de Benoist (théoricien de cette «Nouvelle droite»
qui créa quelque émotion à la fin des années 70), Jean-Claude
Valla et Alain Lefebvre (fondateurs au début des années 80 de
National Hebdo). Sans oublier Christian Blachas,
extrême-centriste et surtout fondateur - avec Lefebvre - de
Stratégies, et animateur (encore aujourd'hui) d'émissions TV sur
la publité et les publicitaires.
Si ces techniques prennent la
suite de celles connues il y a une quinzaine d'années, il est
étonnant de constater qu'un grand vide apparaît (entre 1975 et 1985)
quand on essaie de dresser l'historique de ces méthodes de
"gestion du matériel humain". Ça doit être intéressant à
comprendre, quelque part, quoi?
Défense de tourner autour du
pot : collaborateurs = cadres.
C'est comme ça. Je ne dis pas non plus scenarii,
imprésarii, ni rien de ce genre.
Exemple
inventé pour les besoins de ce paragraphe.
Mais il
faudrait penser à mettre dans le plat autre chose que du
maïs.
Qui, avec la cuisine, constitue
la source privilégiée (et peut-être bien unique) des exemples
propres à illustrer le processus créatif.
SAMU, agonie, etc. (Cf. "Les choses de la
vie".)
Après réduction puis
suppression de l'automobile elle-même, on peut ainsi réinventer
(au choix) : métro, bus, sprint.
Le caractère quasi incantatoire de cette formule
évoque irrésistiblement le "petit nom" donné au premier
de tous les tableurs (Visicalc) vers la fin des années 70:
WHAT IF ??
Et qu'est-ce
précisément qu'un tableur*,
sinon un simulateur, c'est-à-dire un saut dans l'imaginaire ?
______________
(*) En anglais spreadsheet (qui donnera
- dès qu'au milieu des années 80, on aura commencé à en abuser
- ce que Jean-Louis Gassée appelle les spreadsheet
follies).
Gébé illustre ce climat si particulier qui
était alors dans l'air, avec l'une de ses idées les plus
diaboliques("La vie de groupe" dans L'An 01) : celle de
Paul Lundi, Georges Mardi, John Mercredi. Une petite page 21 x 27, pas
plus.
Il se mit donc à dormir systématiquement pendant
ses heures de présence, d'abord sur son bureau, puis dans une
armoire qu'il avait spécialement aménagée à cet effet en
l'équipant (à ses frais) d'un confortable plaid.
Restait le problème de ses insomnies. Il les utilisait pour faire du
tourisme dans cette grande ville de douze mille habitants sise vers la
rue de Bellechasse.
Il avait ainsi découvert, entre autres, le quartier de la
prostitution, situé au dernier étage de l'immeuble de la Caisse,
particulièrement actif pendant l'heure du déjeuner, avec ses
tarifs quasi réglementés.
De la même
façon, il avait identifié (c'était en 1970) un service chargé de
verser des aides aux veuves d'anciens combattants de la guerre de
1870... Ce service était bien sûr composé de trois personnes :
un chef, un sous-chef et une auxiliaire, qui, consciencieusement,
remplissaient chaque mois des états. Au fil des années,
bien sûr, ces états avaient progressivement assimilé la
disparition progressive des infortunées veuves et ne portaient
désormais plus que la mention néant. Puis les totaux nuls
étaient scrupuleusement reportés mois après mois, en les ajoutant.
Jamais l'institution qui avait mis en place cette cellule de travail
un siècle plus tôt n'avait prévu de mettre en place un processus
chargé de la supprimer quand elle n'aurait plus de raison
d'être.
Un microphone fixé au
plafond, approximativement au centre de chaque pièce (bureau,
atelier, salles de travail), orienté vers le sol, et relié par une
câblerie en fil orangé au poste de surveillance. On aura déjà
compris que c'était le dirlo lui-même qui surveillait ce poste et
que l'écoute téléphonique était encore plus simple : un
vulgaire commutateur, commodément disposé sur son bureau-mirador,
qui lui permettait de sélectionner le poste à écouter.
(Inconvénient : il ne pouvait espionner qu'un collaborateur à la
fois.)
Mon système de références
s'est affiné depuis.
Je n'appris que plus tard que je m'étais mépris
sur la fonction réelle de ces stages, qui n'avaient pas en réalité
pour but, comme je le croyais, de fabriquer, grâce à la montée
de l'angoisse, une énergie destinée à faire trouver de nouvelles
idées. J'étais persuadé que cette tension créait une énergie
propice à l'invention alors qu'il ne s'agissait tout prosaïquement
que d'éponger le 1% patronal destiné à la Formation continue en
proposant à des prescripteurs de stages, telle cette éminente
déléguée métallurgiste du CNPF participant à notre
séminaire, des cycles dont ils allaient se souvenir au moment de leurs
commandes de stage...
Et dans les meilleurs cas : comme des
bêtes.
Pour en avoir connu plusieurs,
je maintiens les guillemets à ces psychologues-là.
Début 1990 , la pub d'une marque de bière comprend
:
- un vitrail
coloré ;
- un texte
("Abbaye de Leffe, l'infini d'un peu plus près")*.
______________
(*)L'infini ! Une bière !
Il y a quelques années, Que Choisir ? (un de
mes nombreux magazines préférés), avait fait un test comparatif
sur une dizaine de shampoings aux ¦ufs (autrement dit, dont
l'étiquette et/ou la publicité faisait expressément référence
à la présence d'¦ufs dans la composition).
Or, l'analyse
chimique n'avait révélé pour deux d'entre ces shampoings que des
traces d'¦uf
*, et même, pour
l'une des marques testées, une absence intégrale d'¦uf, y
compris sous forme de traces. Cela signifiait donc bien que le
marketing de cette marque avait fonctionné efficacement, en
identifiant l'_expression_ verbale "aux ¦ufs" comme vue
favorablement par le public. Il suffisait donc d'imprimer cette
_expression_, sans nécessité expresse d'avoir à honorer dans les
faits cette pétition.
___________
(*) En jargon chimique, «traces» signifie
: présence, mais en quantité insuffisante pour être mesurable
(synonyme : absence).
De ces techniques serait née
une des campagnes publicitaires les plus mémorables de
l'après-guerre. A la suite d'une de ces études, commandée par la
BNP (laquelle n'a rien de particulier à vendre, semblable qu'elle
est à toutes les banques, mais doit pourtant faire de la
publicité, donc inventer des messages), on aurait tiré
l'idée que La Banque est associée à un personnage sans sexe
défini. L'idée de ce gringalet, compromis entre l'absence de
virilité et l'absence de féminité, qui s'adressait au client
potentiel pour lui dire, incidemment : "Votre argent
m'intéresse..." venait de là.
Le texte n'ayant en définitive pour rôle que d'accrocher le
lecteur (et, subsidiairement, permettre la mémorisation), le
véritable n¦ud du message était donc ce personnage, en effet
complètement asexué, qui respectait le statut assigné en toute
inconscience, selon les "études", par le citoyen moyen à La
Banque.
Le succès,
paraît-il, fut total. [C'est-à-dire que la BNP fut contente.]
Où je venais pourtant de battre largement tous mes
records de stabilité professionnelle (près de trois
années).
Somme de
toute la matière textuelle.
Ainsi que d'autres sonorités moins
heureuses.
A la différence de
pseudo-stages où les publicitaires exploitent la naïveté des
participants, je rémunérais, moi, mes groupistes.
Les idées me passionnent, beaucoup plus que les
gens.
Avec de petits aspects pas francs, qui me
titillaient aussi un peu le système moral.
Pas inventé
ici.
Mais ici
encore, tout comme mes dettes de période UNEF, de véritables pipis
d'enfant même à cette nouvelle échelle : 2 000 francs ici,
500 francs là, et aucune dette à la Sécu puisque je m'étais
rapidement supprimé le salaire (2 000 francs mensuels) que je
m'étais voté lors de la création.
Ces différents conditionnels attestent simplement le
fait que je ne me suis jamais, de près ou de loin, attaqué à la
moindre maquette de ce "procédé".
Autre ami d'enfance, deuxième du nom.
Évitons de
nous attarder sur mon honneur flétri de "créateur
d'idées".
Au mieux : j'étais un amateur de "sciences" (au
sens : éprouvettes, oscilloscopes, cadrans multicolores,
etc.).
Où l'on
retrouve le fameux principe d'incompétence prôné dans les
méthodes de créativité, comme le lecteur attentif l'aura tout de
suite remarqué.
En tout état de cause, elle n'a pas débouché, ce
qui tendrait quand même à confirmer la validité de cette
règle.
Par toutes méthodes : lecture de journaux
scientifiques et électroniques, expériences, autopsie de
matériels tombés entre mes mains, etc.
Dont, s'il avait vécu après
moi, Pascal se serait peut-être inspiré. [Mais la question se
pose-t-elle vraiment ?]
Précision
susceptible de nuancer ma performance : la machine n'était capable
de traiter que des nombres de DEUX chiffres.
Surtout, sensation encore
inconnue de maîtrise de l'invisible et de l'énorme :
au rythme du millionième de seconde, la calculatrice exécutait
plusieurs dizaines de millions de cycles successifs avant de donner le
résultat de ses divisions.
[Je n'avais pas pu
éviter, quand même, de lui donner quelques petits chromosomes de
cette affinité avec le hasard si étonnante à cultiver et surtout
si amusante à voir se manifester : le résultat des divisions
n'était bon qu'une fois sur quatre ou cinq essais, et parfaitement
aléatoire le reste du temps. Il fallait donc faire une dizaine de
tentatives pour être sûr de disposer du résultat présumé
exact, c'est-à-dire revenu plusieurs fois ; par ailleurs, le
résultat des multiplications était systématiquement trop grand
d'UNE unité. Il suffisait de le savoir.
J'ai encore cette
machine, je l'entretiens jalousement, et elle fonctionne encore
exactement de cette manière. Elle consomme malheureusement autant
d'électricité que mon sèche-linge.
Paranoïa : aussi indissociable de l'inventeur que la
naïveté.
A condition
d'accepter un fort (et flatteur) degré d'approximation.
Je n'avais
découvert qu'en 1970 le charme pur de l'électronique digitale
dans laquelle j'avais immédiatement reniflé des perspectives
terriblement excitantes, et surtout illimitées, et faisant en
quelque sorte l'impasse, compte tenu de l'immensité du
domaine, sur ces "mémoires" dont parlaient pourtant abondamment
la presse spécialisée. Celles-ci m'apparaissaient (à tort, comme
la suite le démontrera) comme relevant de l'informatique,
c'est-à-dire de la gestion des compagnies d'assurances, banques et
autres caisses de Sécu ; j'avais donc laissé passer avec
indifférence l'annonce (en 1971) de la commercialisation par Intel?
des premières mémoires à haute intégration (dites
"1103").
Le gain est encore plus
spectaculaire avec les composants utilisés aujourd'hui (4 millions
de bits), qui nécessiteraient théoriquement 4 096 fils, et qu'on
commande en pratique avec 22 fils seulement, grâce à
l'encodage/décodage des adresses.
Ainsi que la "mise en
sommeil" et le "rafraîchissement", et toutes ces hédonistes
notions (que, de l'extérieur, on ne soupçonne pas les puces de
partager avec nous autres humains).
Car c'en est un, et un vrai :
- sensibilité,
grâce aux organes d'entrée, à des événements ou à des
données extérieurs (et en tout cas variables) ;
- mise en relation
avec un ensemble de consignes (fixes ou programmées)
;
- fourniture des
données résultantes aux organes de sortie.
En français normal : processus de décision.
Aussi grande et épaisse qu'un
kilo de sucre (mais moitié moins lourde), en raison précisément
de ces composants prétendus discrets. Mais aucun de ces détails
n'avait de réelle importance : s'agissant d'un dispositif
logique, seul son impeccable comportement dans les situations
d'affrontement (tentatives d'accès à des mots protégés
par leur statut) était destiné à être constaté. Et il le
fut.
... qui rôde encore aux
alentours de mon bureau, avec sa mémoire proéminente (un circuit
intégré) et son intelligence effectivement hypertrophiée
(vingt-neuf circuits intégrés) qui en contrôle
l'accès.
Voir Chapitre 12 :
Mémoire, imaginaire.
Voir Les
choses de la vie.
Ou alors,
que les psychologues me l'enseignent.
Exceptions : tous les mécanismes à apprentissage.
Exemple : 6 x 7 = 43 (erreur obstinée). Après assimilation du
résultat correct 42, le 43 disparaît peu à peu, puis
définitivement.
Chez les humains seulement (les ordinateurs sont,
à ce jour, épargnés).
Plus précisément :
acquisition de la première licence de mes brevets par un
industriel, aux termes d'un contrat hâtivement considéré (par
moi-même et ceux qui m'entouraient) comme une véritable
consécration, prélude à un lancement en fanfare.
Propriété industrielle (technique des brevets,
marques, modèles, etc.).
La bonne énergie est
celle qui permet le mieux de contraindre un système vers un niveau
entropique inférieur. Chez l'inventeur, son rôle serait (selon
moi) de faire la chasse aux multiples objections, inconvénients, et
impossibilités rédhibitoires de toute sorte, qui guettent l'idée
dès sa sortie du trou pour la tuer déjà à ce stade, si
possible (l'idée n'étant donc encore qu'à l'état de rêve) ;
ou tout au moins, si elle ne s'est pas écroulée après ce premier
assaut, lui fournir de quoi renoncer définitivement à la tentation
de nouvelles échappées vers la vraie vie.
Plus simples, moins difficiles
à industrialiser, mieux adaptées à une exploitation
internationale, etc.
L'expérience m'a en effet
appris que plus certains maîtres à penser* planent haut, plus il y a de bénéfice à
venir grignoter autour de leurs restes : des mégots ou des déchets
ayant été traités par eux conservant bien souvent encore un peu
de ces étincelles qu'ils ont fréquentées. En les considérant
de bonne façon, on peut parvenir à sentir un peu de
relativité, un pouième de quatrième dimension, et toutes sortes
d'autres expériences, à classer dans la catégorie Physique
amusante.
____________________
(*) Je ne parle évidemment ici
que des sciences exactes ; pour les autres, mes idées sont moins
arrêtées (et puis aussi, je ne voudrais pas me fâcher avec trop
de gens).
Le futur s'impose ici absolument.
C'est-à-dire bien avant
l'informatique, entre autres.
Aigus et
graves extrêmes susceptibles d'être transmis et reçus sans perte
d'information, via un canal donné.
Chanteuse
égyptienne, particulièrement célèbre dans l'ensemble du monde
arabe méditerranéen, disparue à la fin des années 70. Son
système vocal parvenait à émettre la fréquence record de 14
kHz
Exemple scandaleusement restrictif.
C'est-à-dire :
"susceptibles de donner lieu à des opérations dans un quelconque
champ phénoménal", selon la définition de A. Moles.
Jusqu'alors indépendantes, ou considérées comme
telles.
Avec quel
arbitre ?
C'est-à-dire de façon telle
qu'après le dernier mot (LOI) soit immédiatement lu le premier mot
(SOIENT).
Ce n'est qu'une coïncidence :
l'algorithme de Shannon peut parfaitement produire des mots
strictement identiques à l'un des mots de la source. Seul compte
le flux ininterrompu de la production.
Il aurait pu avoir été
imaginé par les Grecs ou les Égyptiens.
Et même
parfois, toutes bêtes : CYCLAMEL, par exemple, ne résultait que de
la substitution d'un L à un N.
Maladivement sédentaire, comme voilà moi, c'est en
effet plutôt dans ce sens, et non dans l'autre, que les rencontres
finissaient par s'organiser, à l'initiative évidemment de mes amis
les plus attentionnés.
Pire épreuve encore, m'a-t-on
rapporté plus tard, que ces projections de diapositives chez oncles
ou voisins retour de Côte-d'Ivoire.
De victime à victime (?).
Genre de
Trivial Pursuit avant l'heure?
Nostalgique, n'est-ce pas, de
constater la désuétude en laquelle tombent, tout doucement mais à
coup sûr, certaines expressions, pourtant issues il y a longtemps de
quelque audace linguistique. (C'est violon d'Ingres qui est ici
visé.)
Fonctionnant sous le contrôle d'un dispositif
logique fixe.
L'électronicien le plus
brillant que j'aie jamais rencontré de ce côté-ci du méridien
de Greenwich.
Ma découverte de la
programmation date de 1975 : une calculatrice Hewlett-Packard HP 55
"programmable" qui possédait 54 "pas de programme".
J'en avais tiré une petite invention qui était une fonction
mathématique récursive, - non sans lien avec le Radoteur,
puisqu'elle consistait, une fois lancée, à fabriquer un chiffre à
chaque fois différent et typiquement "aléatoire". La
destination de ce premier programme (car c'en était un)
exclusivement en direction du hasard rappelait confusément la
machine à tirer à pile ou face d'une autre époque.
Pas seulement dans le Radotage, mais (oui, oui) en
général.
Rarement plus de deux dans la pratique.
Les
prénoms masculins ne présentent aucun intérêt.
L'ordinateur
est décidément bien seul au monde, pouvant travailler ainsi sans
renâcler, jour et nuit, sans bruit, protestation ni dépense
d'énergie...
De moi seul, et par expérience
évidemment.
[Ouf !
Sauvés ! L'avenir de l'Homme n'est pas en question, rien de tout cela
n'est encore pour longtemps à la portée des radoteurs les plus
futuristes, même les radoteurs atomiques, même ceux à
laser.]
Pas les insultes.
Travail de
bénédictin maniaque.
Prévert
évidemment ignoré ici.
Le Radoteur musical a
d'ailleurs surmonté l'un de ses plus grossiers défauts, puisque
j'ai réussi à lui faire produire un jour, non plus des suites de
signes mais directement des sons, c'est-à-dire de la musique
temps réel.
Dans le cas le plus
défavorable : le prix d'une disquette, soit 20 francs.
Le mien est
plus gros, etc.
Avec ses
goûts éclectiques.
L'illustration qui saute aux yeux est évidemment
celle des séries américaines envahissant depuis un tiers de
siècle les télévisions du monde entier.
La non-reproductibilité des
biens fondamentaux nous est essentielle : pourquoi l'or reste-t-il,
depuis deux ou trois mille ans, la base des échanges, sinon parce
qu'il n'est pas reproductible et que les alchimistes ont toujours
échoué dans leurs tentatives d'en faire le résultat de leurs
transmutations (plomb, ou autre matériau vil), et par
conséquent de le reproduire ?
Adaptation exécrable de l'intraduisible anglais
designer.
Le passage progressif d'un type
de production à un autre se solde pour l'instant par des
disparitions d'emplois, puisque, pour prendre un exemple simple, les
emplois supprimés dans la sidérurgie ne se retrouvent pas
quantitativement dans ceux que nécessitent la production assistée
par ordinateur, la télévision par câble, etc.
Très schématiquement.
Impuretés là aussi.
Selon la
formule au moyen de laquelle G. Marchais a, pour de bon, contribué à
l'enrichissement de la langue française. Il y avait une case vide ?
Il l'a prise !
Encore un de ces mots violemment rajeunissants.
L'on se sert ici, enfin, d'un dictionnaire en
n'utilisant que les définitions (donc le sens).
Attention !
En deux ou trois de ces élévations, c'est le dictionnaire tout
entier qui sera englobé.
Désordre
et ennui peuvent être surmontés, selon moi, par l'invention.
Ce ne serait pas tellement plus choquant que les
OPA.
De plus en plus fort : les
champs de référérence peuvent eux-mêmes être pondérés,
voire surpondérés !
Jargon informatique pour
reproduire (au sens de : fonctionner à la façon de
-).
Et mes
manies personnelles.
Et authentique.
Reconnaissable entre tous.
C'est-à-dire celui qui, tout
seul, justifie à mes yeux les 10 (ou 100, ou 1 000) heures
consacrées à l'exploration de cette "idée".
Mon ultime ambition est de
parvenir à faire radoter la machine sur des scénarios :
résumer des films (ou bien des romans, ou autres histoires) en
une phrase, afin de pouvoir les soumettre à une variante
perfectionnée du Radoteur. Outre les habituelles phrases
dépourvues de sens ou de forme, sortiraient alors de cette bécane
des trames inédites, autrement dit, des arguments pour films,
romans, feuilletons, fictions de toute nature. [Et, pourquoi pas,
faits divers.]
On connaît le principe de
cette machine à imprimer universelle, qui fonctionnerait un peu
comme un compteur kilométrique de voiture, avec une centaine de
rouleaux, chacun pourvu de quarante faces, pour pouvoir imprimer les
26 lettres de l'alphabet, les dix chiffres et quatre signes de
ponctuation. Elle commencerait par imprimer une ligne de cent A puis
le dernier rouleau avancerait d'un cran et imprimerait, seul, un B,
puis un C... A la fin de sa révolution, il entraînerait
l'avant-dernier rouleau qui imprimerait un B à son tour.? [On
devine qu'une telle machine pourrait imprimer tous les messages de
cent signes possibles et - merci Coluche - inimaginables. Donc elle
donnerait la formule du vaccin contre le sida, la date du début du
monde, la vérité sur l'au-delà, et tant d'autres choses dont
resterait simplement à faire le tri.?]
Long fleuve tranquille peut-être, mais ici se situe
quand même le tout premier aiguillage : entre le hasard
(dis-traction) et la détermination (malveillance), c'est entre les
mains de ce premier tuteur que notre héros sortira (peut-être) de
ses rails.
Ne jamais reculer devant les questions
ultimes.
Mark Twain a
lui aussi connu ces affres : "Nous étions deux frères
jumeaux, dans deux berceaux jumeaux, et personne n'était capable de
nous reconnaître, même pas notre mère. Et puis un jour, l'un de
nous deux est mort. Et l'on n'a jamais su lequel. Et je ne sais pas
davantage lequel est vivant, si c'est moi ou lui."
Redoutable effet pervers du brassage
social.
On sent ici
le souffle de toute la marine danoise, tel qu'exprimé par la
dramaturgie britannique.
Je crois bien que ce mot (et cette tradition) sont en
train de sortir de notre paysage.
Un peu tout
comme les citations inventées qui permettent d'asseoir l'autorité
de son propre discours sur la célébrité d'autrui. [Mais ici,
c'est sa banalité qui est mise en valeur.]
Où ces publicités -
crasseuses s'il en fut - fleurissent toujours.
Jamais
pourtant je n'ai monté un seul canular à base de petite
annonce.
Trouvée (on s'en doute) dans
Libé.
Preuve que le vote à bulletin
secret procède d'une pratique plus avancée de la démocratie (que
le vote traditionnel à main levée) : ces unanimités
dérisoires, à l'Est (ou en France au Pc), qui incarnent jusqu'à
l'autre extrémité comment peut fonctionner la terreur d'être
repéré en votant selon son jugement et non pas selon un système
en action, indiscret par nature.
Ayant pourtant - disciple
fidèle de Cavanna mon Maître - les jeux de mots en horreur, je ne
suis pas parvenu à contourner celui-ci.
Voir Chapitre 13 : Souvenir
d'un fantasme collectif.
A rapprocher
(Chapitre 9) des bouleversantes conséquences de notre opacité
cérébrale.
[Sûrement nécessaire de revenir un jour sur ce (très profond)
parallèle.]
Voir Chapitre 12 : Belle Époque : retour sur une
transition.
Ch. Pasqua plus
précisément, dont on sent que chaque minute de sa vie politique est
tout entière consacrée à la recherche d'une plus grande rigueur
(habité qu'il semble être par le souci de perfectionner sans cesse
la démocratie française).
Une bretelle, une bande, une
disquette, un fichier «masqué» sur le disque-système, une
EEPROM (ou encore une RAM subtilement non volatile) : on n'a que
l'embarras du choix ; et les experts techniques éventuellement
dépêchés par les tenants du vote manuel n'y verront - j'en prends
le pari - que du feu.
Voilà à quoi sert le futur
antérieur : à parler de la Genèse depuis au-delà de la fin des
temps.
Pour moi qui
[je le sens] ne vivrai pas vieux, disons : 300 millisecondes. Le temps
par exemple de dire "Allô ?".
Né en 1913, et rapidement en
charge d'aider aux travaux du foyer, mon père a en effet été
familier de la charrette pendant toute son enfance.
Se limiter aux seules
époques antérieures, sinon le problème devient
inabordable.
En juin
1985, les responsables iraniens organisent une démonstration
populaire destinée à faire approuver la guerre contre l'Irak, au
nom du Prophète et de la République islamique. Plusieurs millions
de personnes (dont beaucoup de femmes accompagnées de leurs enfants)
y participeront, scandant "Dieu est le plus grand, guerre, guerre,
jusqu'à la victoire".
Rencontrer l'adhésion des femmes jusqu'au point de leur faire
envoyer au feu, le c¦ur serein, leurs enfants : seules les guerres
saintes en sont capables.
Fort opportunément, Cavanna nous rappelle que
"les chiens athées ne croient pas à l'existence de
l'homme".
Celui-là même dont
Jean-Louis Gassée, dirigeant vedette d'Apple, et qui n'a pas sa
langue dans sa poche, aime à citer en exemple la parfaite
compréhension du système des médias :"Sachant admirablement
se coucher quand il le faut sur le sol pour baiser la terre
mexicaine, souligne Gassée avec ce cynisme élégant dont je
ne l'ai jamais vu se départir, mais toujours bien droit dans
l'axe des caméras."
Se voulant condescendantes et restant simplement
déplacées.
Aucune provocation "machiste"
dans cette formulation*
: tant qu'on ne m'aura pas enseigné un mot** désignant à la fois les petites filles,
les jeunes filles, les demoiselles, les femmes et les vieilles dames,
je me sentirai autorisé à employer l'équivalent français de
l'anglais female qui, lui, remplit parfaitement cette
fonction.
______________
(*) Dont il faut admettre la
sonorité quasi injurieuse en langue française.
(**) Et non une périphrase
lourdingue et endimanchée type : personnes du sexe
féminin.
Faire du bruit en mangeant, penser que les huîtres
(ou la cervelle, ou la moelle, ou l'andouillette) sont une chose
répugnante, trouver que les rouquins (et/ou les Noirs) ont une drôle
d'odeur, décrire avec précision la consistance et la couleur de
nos selles, etc.
Télérama*,
13 novembre 1985.
______________
(*) Ils ont beau nous énerver
souvent, tous ces chrétiens de gauche, c'est quand même eux les
meilleurs (et en tous cas les plus honnêtes).
Période qui séparait officiellement Adam, Eve et
leur côte de notre époque.
Rappel sur
la façon dont la bibliothèque d'Alexandrie a été incendiée
:
Amr Ibn el As, en 645,
interroge le Calife sur le sort qu'il doit réserver à ces livres
dont on fait (déjà) tout un plat. Réponse, non ambiguë, du
commandeur des Croyants : "S'ils sont conformes au Coran, ils
sont inutiles ; s'ils sont contraires au Coran, ils sont
pernicieux."
Quant au point des relations
entre l'au-delà, nous-mêmes et nos enfants, celui-ci me paraît
très bien délimité au terme du dialogue suivant :
- Écoute,
dit la maman à sa petite fille, si tu es sage, tu iras au ciel,
mais si tu n'es pas sage, tu iras en enfer !
Et qu'est-ce que
je dois faire pour aller au cirque ?
En Histoire, Waterloo se dit : 1815. En sciences nat,
petit doigt se dit : métacarpe (ou mététarse, selon
l'extrémité dont on parle).
Je me revois un jour dans un train de banlieue,
revenant du lycée, lisant du Balzac, auteur caractéristique entre
tous du devoir de culture qui règne dans les classes de seconde ou
de première. Je lisais bien sûr le moins passionnant entre tous de
tous ses romans (au titre presque provocateur : Le lys dans la
vallée), et j'arrivai à ces mots : "parmi les herbes
folles, les reflets de couleur diaprée"?
Ce mot me fit
sursauter : il me montrait de manière immédiate et indubitable ce
qu'était la littérature, le scolaire? Ce mot, je ne
l'emploierais jamais, je ne le verrais sans doute même plus ; mais
il fallait décidément que j'apprenne ce joker idéal pour une
dictée ou une explication de textes.
[Il y avait bien
sûr dans le petit Classique Larousse, ma référence
obligée, une note qui expliquait le sens précis de ce mot, tel que
je devais le retenir.]
Un des rares personnages à bénéficier du titre
de Apple Fellow (compagnon de route, bon copain de la maison
Apple).
Palo Alto Research Center,
unité de recherche plus ou moins "fondamentale*" créée au début des années 70
par Rank-Xerox, dans ces alentours de San Francisco (près de
l'université de Stanford, où travailla Einstein) qu'une prise de
conscience ultérieure regroupera en Silicon
Valley**, et que desservent des routes aux noms magiques :
Coyotte Hill Road, Deer Creek Road, etc. [On est en plein Lucky
Luke.]
_______
(*) En tout cas, non liée à
des objectifs directement commercialisables.
(**) Vallée du silicium et non du
"silicone" (ce dernier terme emprunté plus au vocabulaire
de la chirurgie esthétique, en particulier au sous-problème du
raffermissement mammaire), alors que silicium désigne le matériau
de base de toute l'électronique.
De même, l'utilisation par
Arafat lors d'un voyage à Paris d'un mot-choc, le mot caduc
(en français dans le texte) appliqué à la charte de l'OLP
permet-elle de créer chez beaucoup de gens une secousse, par exemple
chez cet épicier de la rue des Rosiers interviewé le soir même à
la télévision qui se demandait ce qu'il faut entendre par
caducité chez Y. Arafat? Que signifie en effet caduc,
tel qu'employé par Arafat : promis à la chute (un arbre à
feuilles caduques), qui doit bientôt tomber, qui est déjà tombé
(un accord caduc) ? Toute l'habileté diplomatique réside dans la
polysémie du terme, qui malgré tout fait une grosse impression,
puisque chacun l'entend un peu comme il veut (ou comme il le
redoute).
La communication, c'est donc bien ce qui dit Kay : la mise en commun
d'une intersection d'analogies.
Périphrase alambiquée pour ne pas employer
"mot".
Mais il existe peut-être des
langues ou des cultures logées à d'autres enseignes.
Gébé peut-être, mais
également : Saussure, Wittgenstein, Lévi-Strauss, Foucault, etc.
(Note de l'éditeur.)
Piège classique, à
l'intersection de la linguistique et de l'ornithologie : qu'est-ce qui
est orange, dangereux, qui vole et qui fait cui-cui ?
Il n'y avait pas que
Beauvoir, Vidal-Naquet, et autres habituels signataires.
Selon le réviseur qui, chez
Belfond, a gâché sa jeunesse à corriger le manuscrit de TBA,
Barthes aurait - avant moi - épuisé ce sujet en dissertant sur la
"R16".
Pour être tout à fait
honnêtes, reconnaissons que les Britanniques nous battent à plate
couture dans la création de régionalisations postales aussi
absconses que lourdes à trimbaler : non seulement ils ont renoncé
aux noms de leurs comtés (pourtant si amusants : tous les écoliers
français rient encore chaque année en découvrant l'existence du
Sussex), mais ils les ont remplacés par des combinaisons de
chiffres, en y ajoutant pas mal de lettres, mais pas les
bonnes!
On peut concevoir que des
parents, souhaitant pour leurs enfants que ceux-ci embrassent la
carrière d'installateur de piscines, cherchent à savoir
dans quelle région française se situe l'École - agréée par
l'État - où l'on dispense l'enseignement adéquat. Un guide
d'orientation professionnelle nous renseigne avec une extrême
précision. Au lieu de la région, il nous indique carrément
l'adresse : 88765 Bains-les-Bains*. Où est-ce, le 88 ?
______________
(*) Exemple sans aucun
intérêt s'il n'était pas authentique.
Plaque minéralogique : en voilà un de ces mots à
l'étymologie obscure, certainement intransmissible en tout cas vers
les siècles suivants.
Ce qui n'était pourtant pas
bien dur, l'histoire (à elle seule) de nos Arts, de nos Sciences et
de nos Armes regorgeant de noms, tous plus définitifs les uns que
les autres (DURas 34-12, GODard 77-50), sans même recourir aux
DREyfus, DUTourd, BORgia, TURenge, etc. [Même les cartes à
puce ont à souffrir de cete excédent de rationalité
française.]
Utilisation publicitaire de ce
double code par une boutique de produits photo/vidéo (n° de
téléphone : 742 88 73)
"Need photo,
movie, films? Go to Picture-Products or dial P I C T U R
E !"
[Vu à New York ]
Petit clin d'¦il sympa : le R
serait-il là pour Renault ?
Et
heureusement : si le mot TGV avait été utilisé au début du
siècle (comme il aurait fort bien pu l'être), qu'aurions nous dû
trouver...?
Un cas particulier, et
aggravé, de formulation autodénominative nous est fourni par cette
lancinante _expression_, qui revient depuis une vingtaine d'annnées
sous la plume de nos reporters et commentateurs : petite
phrase. De quoi s'agit-il? Eh bien, ce sont justement des
phrases (mais oui), et généralement pas très longues,
voire courtes, auxquelles les journalistes qui les cueillent
s'efforcent de donner un retentissement (quitte à y
réussir).
En tout cas, que
celui qui a pensé le premier à appeler ces citations des
«petites phrases» fasse encore des efforts : des pans entiers du
paysage lexical français restent à enrichir.
Ou alors, très
maladroitement, en fabriquant des produits de mauvaise qualité, que
les implacables lois de la concurrence économique, libérale et
bienfaisante, condamneront inéluctablement à se faire évincer
par les marques qui - tôt ou tard - apparaîtront pour occuper la
place disponible.
A Semyon Bychkov, après sa
nomination à la tête de l'Orchestre de Paris (en remplacement de
D. Barenboïm), au sujet de ses relations avec les firmes
discographiques..
La preuve : "Chacun sait
que Karajan, le jour de sa mort, avait rencontré à Salzbourg Norio
Ohga, président de Sony. [?] L'héritage de Karajan sera
distribué par Sony."
L'initiative de son lancement
ne se situant donc (incidemment) qu'à la seule portée des géants
de la productions audiovisuelle.
Sachant [rappel] que bit
signifie chiffre binaire, que byte désigne un groupe
de huit bits, et que, d'une façon générale, les
évocations transatlantiques sont unanimement considérées comme les
plus favorables.
Autres exemples*
de titres amenés à un nom (ou prénom) : Bajazet, Britannicus,
Phèdre, Gigi, Andromaque, Hernani, Dom Juan, Le père Goriot,
Hamlet, Muriel, Héloïse, Thérèse Desqueyroux, Thérèse
Raquin, Roméo et Juliette, Marius, César, Angèle, Topaze, Jean
de Florette, Cyrano de Bergerac, M. Verdoux, Lacombe Lucien, Les
Thibault, Les Natchez, Les Rougon-Macquart, Les frères Karamazov,
Oliver Twist, Tom Sawyer, etc., etc.
Leurs auteurs sont
coupables. La preuve ? Une quelconque différence se
sentirait-elle si le film avait pour titre "Léon Goriot,
prêtre", le bouquin "Thérèse Bovary", "Madame
Raquin", "Thérèse Karamazov", "Tom Twist", ou la pièce
"Roméo et Fanny" ?
____________
(*) Vraiment faciles à
trouver.
Pour Lorenzaccio*.
______________
(*) Vous aviez deviné ?
Ce Michel Droit qui, au lieu de
s'en rester à Tarascon - comme aurait exigé un légitime souci de
se faire oublier - retourne des années plus tard, muni d'un fusil,
sur ces lieux où il ridiculisa quand même un petit peu la France;
pour y blesser cette fois, d'une autre maladresse mais en une seule
cartouche, l'un de ces amateurs*
qui retrouvait en son imprudente compagnie l'authenticité de la
chasse au Grand Fauve.
____________
(*) Lequel n'aurait d'ailleurs
pas survécu aux interventions maladroites du chirurgien.
Mais aussi Boby Lapointe (L'ami
Zantrop).
Jean-François Revel en
ricanait déjà il y a vingt ans.
Ce qui est frappant, en
consultant la liste des dirigeants du club de droite
"Perspectives et Réalités", c'est moins le fait d'y trouver
Giscard d'Estaing, Hervé de Charette, Michel d'Ornano, mais plutôt
de s'apercevoir brusquement que ces particules, il n'en existe
aucune à gauche.
Voir Chapitre 4 : Intermède linguistique &
réactionnaire.
Malgré l'antériorité
indéniable*
de la spécialité informatique (analyse) consistant à préparer
le travail des collègues programmeurs, avant que ceux-ci ne donnent
à leur tour du travail à ceux qui poussent les wagonnets : perfos,
vérifs**, etc.
Et en s'efforçant
surtout d'oublier la pénible activité*** des laboratoires spécialisés en urines, frottis,
selles et crachats.
______________
(*) Non seulement très ancienne (plus de
trente ans), mais surtout extrêmement bruyante dans le concert
quotidien des offres d'emploi.
(**) Vocabulaire lui-même emprunté à la
«grande» informatique, aujourd'hui presque entièrement occultée
par l'autre (micro-informatique, informatique individuelle ou
personnelle, bref les Apple et les pécés).
(***) Et en tout cas la plus ancienne
(peut-être bien cent ans).
Trouvé (en même temps
que régulation analytique - clinique analytique - discours
analytique - institution analy-tique - occulter toute dimension
analytique - universitaires non analysés - les moins paroissiens des
analystes) sous la plume d'une psychanalyste, Maud Mannoni,
commentant il y a quelques années la mort du célèbre
Lacan.
Circonstances
cumulatives.
Les écologistes français
ont souffert, fin 89, en apprenant - autre cas d'école - que
leur tête de liste aux élections européennes :
- s'était
affublé, sur ses bulletins de vote, du titre
d'"ingénieur-écologue" ;
- était
néanmoins pardonné par le Conseil d'État (sa ronflante
autoqualification, qui ne correspondait certes à "aucun titre
ou diplôme légalement délivré", n'ayant pas exercé,
aux yeux des magistrats suprêmes, d'influence "de nature à
altérer les résultats du scrutin").
Pauvre tentative ainsi couronnée d'un triple effet :
-
autoridiculisation sévère (frappant traditionnellement ceux qui
voudraient bien être un autre, et qui s'y essaient) ;
- réprimande
humiliante de la part des grands ;
- perte
sèche et brutale d'un crédit laborieusement conquis (auprès d'une
opinion exigeante) en plusieurs années de patience.
Et révélation publique, bien sûr, d'un trait de personnalité
qu'il eût bien mieux valu garder caché.
Un bénéfice indirect mais
non négligeable de cette bénigne fraude doit être celui que
fournit le spectacle de l'adjudant (s'efforçant - comme on l'imagine
- de prendre l'air compatissant exigé par de telles
circonstances).
Un vieux de la vieille
(puisqu'il avait lui-même fréquenté le père de la psychanalyse
dans ses ¦uvres), Binswanger, reconnu spécialiste sinon de ces
choses, du moins de ces milieux, rappelait volontiers, avec une
franchise qu'il croyait convaincante, le désabusement de Freud
lui-même à ce sujet ("J'ai toujours pensé que se
jetteraient tout d'abord sur ma doctrine les cochons et les
spéculateurs") ; de bien belles appréhensions en vérité,
comme on aimerait à en rencontrer plus souvent, mais dont il est
tellement dommage que nous ne puissions mesurer la portée
scientifique, étant donné le caractère principalement oral, et
tardif, de tels pressentiments*.
______________
(*) On ne dit pas (je crois)
post-sentiment ?
Je paierais pour voir à
l'¦uvre les gens qui font ce travail. Le pouvoir leur appartient en
effet de juger souverainement qu'à un moment de l'action les
distances se sont raccourcies entre les personnages qui, se vouvoyant
jusqu'à présent, basculent subitement dans le tu en une
transition jugée suffisante par ces adaptateurs.
Un film de H. Hawks
("The Road to Glory"*)
comprend par exemple une scène où une infirmière repousse
pendant de longues minutes les avances (verbales et vouvoyantes) d'un
opiniâtre officier; celui-ci ayant enfin l'heureuse inspiration de
mettre dans son jeu une sérénade pianistique ("Rêve
d'amour" de Liszt), l'infirmière entre peu à peu en fusion,
et les sous-titres - accompagnant l'estocade finale que lui porte
verbalement l'officier - commencent inopinément à conjuguer la
seconde personne du singulier.
______________
(*) Rien à voir avec le prodigieux Paths
of Glory de S. Kubrick.
(
Les Anglais,
moins.)
Autre sujet de stupeur,
gracieusement fourni par les adaptateurs
cinématographiques*
: les titres français. Exemple : "Code of Silence",
devenant une fois francisé Sale temps pour un flic. Ou bien
(pour cinéphiles confirmés, exclusivement**) : To have and have
not.
______________
(*) Que ne tyrannise visiblement
aucune obligation de fidélité.
(**) Hawks + Bogart + Bacall au
générique. Imparable.
Les enfants adorent le déguisement, et il ne faut
sans doute pas (ou pas trop fort) les dissuader de brouiller ainsi les
cartes, de changer les règles du jeu.
Faire un canular au téléphone, par écrit, à la
radio (Francis Blanche) ou à la télévision (Candid Camera
ou "caméra cachée").
Règle abondamment piétinée, cependant, à
l'occasion de chaque guerre, conflit, escarmouche ou incident. C'est
quand même trop tentant.
Sachant par exemple qu'à
aucun moment du conflit l'intégrité territoriale des États-Unis
n'avait été menacée ; mais "modérée*", par ailleurs, au regard de certains
autres théâtres d'opérations (Allemagne, URSS)
particulièrement meurtriers.
______________
(*) Misère d'un vocabulaire bien pauvre en
nuances en face de la fatale lumière des chiffres : Japon + USA = 1
500 000 morts, Allemagne + URSS = 15 000 000 morts**.
______________
(**) Il est utile de savoir que
les hauts dignitaires des armées contemporaines, animés d'un
permanent souci de productivité, s'expriment quotidiennement en
mégamorts, soit ici : 1,5 MM et 15 MM.
Un trompette doit en même temps jouer la sonnerie
"Au parlementaire".
L'autre
combattant doit accuser réception du message en agitant son propre
drapeau blanc.
Comment s'initier à ce sujet
passionnant (mais que l'on croit ingrat en raison de son appartenance
à une Histoire maintenant? ancienne) ? Faites comme moi : allez
voir Paths of Glory, chef-d'¦uvre de Stanley Kubrick et Kirk
Douglas (1957). Beaucoup de gens, morts avant 1975, n'ont pas pu voir
ce film : pendant près de vingt ans, il avait en effet été
interdit. À juste titre d'ailleurs : il faut être je crois bâti
de curieuse façon pour ne pas avoir pris conscience, après avoir
vu ces Sentiers de la gloire, de certaines choses plus
embêtantes que d'autres au sujet de la guerre et de ceux qui la
font.
Humour.
Notion passe-partout qui
jouissait dans les années 70 du même succès que
multimédias dix ans plus tard.
Prononcer
Debreuil . [C'est comme ça.]
Résumé brutal : un prince
proche de Giscard se retrouve inexplicablement privé de la
protection policière que justifiaient jusque-là (outre son rang
dans la famille politique au pouvoir) ses dettes - parmi lesquelles un
restaurant - ses fréquentations et sa pratique des affaires. La
chance n'est pas avec lui, car il trépasse bientôt sous les balles
d'un exécuteur. Sa disparition ne consterne pas ses amis
politiques.
Comme quoi, on a beau être
princes, ça n'empêche pas certaines nostalgies palermitaines.
Aux effets préoccupants dans le domaine si délicat
du LOGICIEL. (Voir Chapitre 6 : La copie.)
A ceci
près que son procédé fournit du muscadet.
Laissons de
côté ici, et pour la clarté du débat, les ordinateurs, les
chimpanzés et autres Martiens.
Entre autres imperceptibles
nuances.
Quels sont
ses équivalents stricts dans d'autres langues que le
français ?
Comment, dans 2001, Dave
réagit-il face à l'indépendance désormais dangereuse de Hal ?
Par le mutisme, par l'herméticité complète de son système
communicant.
[Par
l'o-pa-ci-té.]
Sincérité ? Drôle de mot.
J'ai, nous avons, aussi des
certitudes qui se révèlent être fausses. Les plus troublants de
ces phénomènes sont les faux souvenirs. A qui n'est-il pas arrivé
d'être persuadé d'avoir vécu une scène précise, d'avoir fait
une rencontre dans certaines conditions, dont le caractère
irréfutable est lié dans notre mémoire à certains détails
infimes qui donnent l'épaisseur du vrai, pour s'apercevoir que
l'ensemble de ce souvenir a en fin de compte été bâti
fallacieusement par le cerveau seul ?
Quand la nuit tu te trouves sous un arbre et qu'il en
tombe des pommes, il s'agit vraisemblablement d'un pommier.
Pas seulement dans la vie de tous les jours, mais bien
dans l'organisation sociale tout entière : justice, d'une part, et
d'autre part toutes démarches ou configurations supposant le recours
(contradictoire) à des références d'information, de
connaissance,ou de jugement.
Pour une fois : pêche aux exemples dans la culture
chic.
Ni
invocation suspecte de principes personnels, éthiques ou
spirituels.
Une ou cinquante bouteilles, sa
voiture, sa maison, sa femme, trente ans de son salaire, sauter de la
tour Eiffel, manger son chapeau, etc.
La célèbre parabole dite
du trou de la serrure (à travers laquelle Toto a longuement
observé les ébats de ses parents, avant de grommeler
intérieurement "Et dire que si je me fourre un doigt dans le nez,
ils me retournent une taloche") nous fournit de précieux
enseignements, aussi bien sur les rapports étroits qu'entretiennent
les enfants avec l'imaginaire qu'avec une certaine façon de projeter
des cochonneries dans la tête des autres*, sans en avoir soi-même prononcé une seule.
______________
(*) N'est-ce pas, lecteur ?
Qu'on se rappelle l'exemple de Vatel soucieux de
retrouver un certain sens de la sincérité, et qui va (bêtement)
jusqu'au bout...
Ceux qui voient partout de la
prévarication, des pots-de-vin, des trafics d'influence
payants :
"F. de Closets [ou Joël de Rosnay , ou C. Dechavanne, ou J.C.
Bourret, ou Dan Rather], il a dû toucher telle somme pour dire ci et
ça."
Une vision vraiment
naïve (1/3 de bon sens, 1/3 de Canard, 1/3
d'Huma-Dimanche) de la façon dont vont les choses, mais qui
présente le formidable avantage de rendre tout
explicable*
(et donc de ne jamais rien laisser dans une ombre quelconque.
______________
(*) "Don't think twice, it's
all right", chantait Bob Dylan.
Traditionnellement utile à justifier les pires
vilenies.
Cf.
Ch.apitre 13 "Brûler ses vaisseaux".
Au contraire la lecture du
Canard Enchaîné fournit à ses lecteurs des éléments de
certitude, qui reposent sur une tradition de soixante-quinze
années sans bidonnage. Trois quarts de siècle, c'est vraiment
long, mais il faut ce qu'il faut.
Respectivement : bière (ou
whisky ou café), parfum (ou eau de toilette), cigarettes (ou
after-shave), banque (ou compagnie aérienne, d'assurances).
Et cela bien avant l'invention de Georges
Marchais*
(que Marx n'avait quand même pas prévue**).
______________
(*) A propos de qui l'ingénieux Bruno
Frappat notait un jour (commentant certains succès «populaires»
de l'extrême droite) : "Jean-Marie Le Pen devrait prendre garde
à ne pas connaître un jour le même degré de ringardise où
patauge désormais son précurseur et maître : Georges Marchais
(dont on s'aperçoit toujours, mais le lendemain - et donc avec une
certaine déception - qu'il était passé la veille à la
télévision et qu'on n'y avait pas pris garde)."
(**) Pas plus la nativité de Marchais que
l'apparition d'un certain nombre d'autres trucs, ce dont il faut
espérer que l'Histoire lui tiendra rigueur.
.
Dont on pourrait sans abuser dire qu'elle est à la presse ce
que la musique militaire est à la musique.
A l'abri de
ce que les marxistes appelaient savamment (et en tous cas sans le
moindre humour*)
les "libertés formelles".
______________
(*) L'humour, ce n'est pas leur
truc**.
(**) Existe-t-il des droits d'auteur pour les blagues
politiques ? demandait-on avant Gorbatchev. (Cela dépend de la
qualité de l'histoire et cela varie entre trois ans et la
perpétuité.)
En France et en Italie (de loin
les plus affectés par ce zèle internationaliste), le Parti
communiste était en quelque sorte un sur-ensemble des
mouvements pacifistes locaux.
Pourtant d'excellente qualité
si - un quart de siècle ans après Che Guevara - ils en sont encore
à prendre leur information dans L'Huma.
Juste un peu, un tout petit peu, à peine (à
peine), histoire de bien le situer.
[Et, après
tout, s'interroger, cela ne vaut-il pas mieux que de marcher au
pas ?]
Préserve-toi des racistes,
Mandela! Et que le Ciel? etc., etc.
Voir, à ce sujet, les jérémiades permanentes de
La 5, au sujet de la mauvaise réception de ses programmes dans telle
et telle région française, et l'effort d'adaptation du
matériel récepteur (antenne + téléviseur) suggéré aux
téléspectateurs frustrés.
Si on gagne aussi sur le medium, alors on a
perdu : c'est simplement que l'appareil se met à jouer plus
fort.
Contemporains : à partir de Bartok.
Il est vrai que, à part Bach
(dont il faut encore extraire l'intégralité des Cantates et
Motets, ainsi que des sonates en duo et trio) et quelques rares plages
de Django Reinhardt, je suis plutôt à ranger parmi les
mélophobes que chez les mélomanes.
Peut-être pas parmi les plus sains.
Telles que : lien constitué
d'anneaux métalliques, étendue montagneuse, réaction [atomique]
auto-entretenue, installation musicale d'intérieur,
etc.
Évident, n'est-ce pas (à
moins de n'être vraiment jamais sorti de son trou), que, pour
épater en société, il vaut mieux avoir un dîner chez Jack Lang
(ou à la rigueur chez Léotard) qu'être à tu et à toi avec le
ministre de la Sécurité sociale, des Travaux publics, ou de la
Prévention des Risques Naturels et Surnaturels Majeurs
A qui nos institutions doivent un de leurs plus
modernes perfectionnements : l'Anticipation
Législative.
Dont on est
maintenant fondé à se demander ce que diable il aurait pu inventer
d'autre pour faciliter le boulot de cette droite qui s'apprêtait à
lui succéder dès le printemps revenu. (Unanimité sur ce point
des sondeurs et de la classe politique tout entière, depuis juillet
1981.)
Les mêmes sondages & commentaires, qui donnaient
depuis cinq ans la droite gagnate aux législatives, ne laissent pas
Chirac espérer une chance aux présidentielles (face à
Mitterand).
Graves péripéties, on le
voit, et parfaitement justiciables en tous cas de la diabolique
invention de Bon et Burnier (Cf. Que le meilleur
perde).
Où se désignent en dernier
ressort, chez nous en France, les patrons (et depuis deux ans : les
propriétaires) des différentes chaînes.
Même si celles-ci ne sont pas
très significatives (comme la suite le démontrera).
Quelle
goinfrerie dans cette façon de lâcher la pub, comme
d'autres lâcheraient les chiens? Non ?
Un pont
de M point point point, des maisons de M point point
point.
Même en
négligeant cette respectueuse ponctuation, la charge est
particulièrement faible : à l'évidence, Le Canard
Enchaîné n'en voudrait pas dans ses colonnes, car bien trop
cucu. (Les points de suspension n'en jouent pour autant pas moins
leur rôle, et ramènent à eux seuls la prétendue insolence au
strict niveau de la taquinerie.)
Tel fantaisiste ou telle journaliste de grand renom,
changeant de chaîne*
contre le versement d'un salaire mensuel équivalent à trois (ou
six) années de SMIC.
_______
(*) Une tradition déjà solidement
établie veut que ces permutations restent circonscrites entre la Une
et la Cinq (dérogation éventuellement envisageable pour la Deux).
Travaillant par exemple à la Une, on ne dit pas comme ça, avec un
mouvement de menton : "Je signe demain matin avec
M6 !" (ou alors c'est très louche). De même, les stars de
Canal+ ou de FR3 doivent-elles éviter de faire allusion à des
contacts officieux qui seraient en cours d'amorçage avec une autre
chaîne (peu importe laquelle).
Mon tout étant obligatoirement "un grand
professionnel" de la télévision.
Équivalent à un excellent
début de fonds de commerce.
Les
résultats sportifs sont hors concours.
Surtout quand le journal n'est
pas fait de papier imprimé, et qu'autrement dit, on est bel et bien
obligé d'entendre dans sa totalité, c'est-à-dire depuis la
première syllabe du message jusqu'à la dernière, sans compter
les deux jingles et même l'odieuse proclamation prétentiarde du
sponsor*.
La plus assommante pour ceux qui la reçoivent, donc, mais aussi la
plus humiliante pour celui qui la présente. Et qui, avant de la
présenter, a sans doute passé les longues heures de sa journée à
la rédiger, la vérifier, la mettre en forme, la compléter enfin
avec le saint du jour, partie noble s'il en fut de ce consternant
parcours : trouver le mot, le sourire, le petit geste qui, avec une
originalité du meilleur aloi (mais surtout avec le minimum de
risques), interpellera toutes les Ursule de France, toutes les Odette,
tous les Adolphe.
______________
(*) "UAP? Numéro 1 oblige" : quel
poète, quel artiste parviendrait-il à chanter l'inconcevable
fatuité d'une telle proposition, que celle-ci soit exprimée par
une compagnie d'assurances ou par tout autre plouc.
Celui même dont la
représentation se joue alors que nous sommes tous devant notre
télé, en train de cocooner comme des bêtes.
Ni de les garnir, encore et plus, de plumes, de strass
et de paillettes, comme ce vieil humaniste* de Berlusconi nous a si bien appris à faire depuis
1986.
______________
(*) Encore tout auréolé de
l'estime que lui porte notre Président (et traitant d'ailleurs, à
ce titre, directement avec Lui).
Ou de tout autre programme obtenant le même score,
quelle que soit la qualité de l'audience.
Profil traditionnellement bien vu des sociologues, pas
seulement dans une perspective commerciale.
Pour la
liste complète de leurs qualités, voir : Bernard Cathelat
(?uvres complètes, Havas éditeur).
Traditionnellement bien
délicate à appréhender*,
cette catégorie est celle des téléspectateurs qui doutent, qui
hésitent, qui s'interrogent, ceux qui ne sont pas bien certains,
pour tout dire, de la netteté de leur rapport avec la
télévision**. A ceux-là, donc, Polac apportait la caution de cet
espèce de club, réunissant bien d'autres gens que ces vulgaires
gobeurs de lucarnes, accrochés à "Champs-Élysées"
aussi bien qu'à "Dynasty".
______________
(*) Et, pour cette raison, passionnément
observée par ceux qui ont en charge la surveillance des tendances
profondes de l'audience.
(**) Ces gens, parmi nos relations ou amis, qui
ressentent souvent comme une sorte de besoin de se justifier
après avoir évoqué dans leur conversation un événement
télévisuel quelconque : "Sur quelle chaîne ? Je zappais (la 2
je crois bien??!)"
Avec ce réalisme de bon aloi
dont ils savent ne jamais se départir, et qui les protège
infailliblement (heureusement pour eux) des humeurs et des états
d'âme.
Non pas de vieillesse ou
d'accident, mais bel et bien de mort violente.
Tous, bien sûr, et non pas
seulement les fidèles de "Droit de réponse": les
millions qui regardaient, mais aussi tous les autres qui pouvaient
regarder si l'envie leur en prenait, et qui de toute façon avaient
comme tous les Français payé pour voir (impôts, redevance), payé
depuis trente-cinq années leur écot à la constitution du fonds
de commerce qu'est peu à peu devenue TF1.
Jargon des affaires* pour million de francs.
______________
(*) Il n'existe aucune abréviation
homologuée pour s'exprimer en langage d'affaires quand on s'achète
des chaussures (HF, hectofrancs?) ou des cerises (DF,
décafrancs??).
Dont l'autopsie révélerait pourtant à coup sûr
l'existence de nombreuses autres catégories de
perdants.
Invoquées, non pour
défendre TF1, mais simplement en vue d'apaiser ou de
dédramatiser*,
et consistant généralement en de pauvres variations sur le thème
: "Il faut bien reconnaître que Polac, c'était trop
[placer ici un reproche quelconque], mais il ne faut quand même
pas trop tirer sur l'élastique, il l'a finalement bien cherché
[?]. En tout cas elle était bien son émission au début, très
originale, très vivante, il m'arrivait souvent de la
regarder", etc., etc.
______________
(*) Mais dissimulant néanmoins, sous le
couvert d'une certaine compréhension, une forme plus ou moins
consciente de justification.
Dès 1989, TF1 prenait
l'habitude de déplorer publiquement les contraintes imposées par
le CSA, pesant sévèrement, selon F. Bouygues, sur le bénéfice
de la chaîne (et suscitant à ce titre "l'inquiétude"
de son dirigeant).
Ainsi cette
dénonciation insistante (décembre 1989) auprès du président de
l'Assemblée nationale* "des réglementations freinant le
développement de la Une".
Ou cette philippique
de P. Le Lay : "Nous sommes viscéralement contre les décrets
en préparation pour réglementer la production ou les quotas de
diffusion aux heures de grande écoute. [?] Sans doute le
gouvernement espère-t-il ainsi regonfler le score de nos concurrents
publics." Et cette autre encore, du même Le Lay : "Le
gouvernement veut asphyxier les chaînes privées
!"
______________
(*) Troisième [de facto]
personnage de l'État, responsable du vote des LOIS.
Exemple : profiter de la plage horaire ainsi
libérée pour programmer, le premier samedi du mois, l'intégrale de
l'¦uvre d'Alain Delon, le second samedi celle de Belmondo, le
troisième de Funès, le quatrième Bourvil.
Bouygues, forcément Bouygues.
Oui, oui, un homme : deux bras,
deux jambes, un sourire sympathique, des douleurs lombaires, et ne
représentant*
absolument dans l'Affaire rien de plus que
lui-même**.
______________
(*) Sa profession consiste à diriger une
entreprise, plutôt prospère (sans pour autant boxer dans la même
catégorie que les CGE, Renault, Peugeot, et autres Elf), dans le
secteur B & TP.
(**) Contrairement à ce que croient
visiblement de nombreux téléspectateurs, et même - c'est plus
choquant - nombre de commentateurs.
Casser un vase Ming offert par le roi de Chine,
lacérer au cutter un Cézanne de chez Christie's, ou toutes autres
façons de perdre son propre argent en sabotant des choses
précieuses.
Stricte définition - soit dit
à l'usage des associés de Bouygues au capital de TF1, qui l'ont
chargé de diriger la chaîne (afin qu'il en défende au mieux les
intérêts) - du verbe FORFAIRE.
Ceux qui ne seraient pas encore entrés pour de bon
dans la logique de cette démarche, méditeront avec profit cette
réponse de Martin Bouygues à une question du Monde
:
- Vous
arrive-t-il d'être tenté, parfois, de vendre TF1
?
- Non. Même si
cela nous coûte 100 millions de francs par an, on garde. Et avec
beaucoup de plaisir?
Interpellé sur la suppression de cette émission,
le Gouvernement insista à cette époque pour préciser qu'il
n'avait pas à s'immiscer dans des conflits privés entre un
employé et son employeur.
A partir du 7 août 1945.
Un téléspectateur
scientifique avait grandement aidé, il y a une vingtaine d'années
déjà, à sensibiliser les esprits encore sceptiques en
fournissant une mesure du phénomène. Sur une période de
dix mois (294 jours exactement), un élu du Quercy-Périgord avait
réussi à faire montrer son image 217 fois, et à faire citer son
nom 368 fois.
Qui était cette
personnalité de premier plan ? De qui L'ORTF s'attachait-il à
rapporter ainsi, quotidiennement, les moindres faits, gestes et
paroles ?
Voilà comment on peut les appeler.
Baisse
infime, mais linéaire.
Elles-mêmes construites sur
le modèle de toutes les autres (disparue aussi, la DS19 et ses
formes décoiffantes).
Ou alors une couche plus bas :
accident d'origine alcoolique, l'alcoolisme étant lui-même
d'origine (encore un peu) prolo.
Émettant les mêmes hurlements intempestifs, dont
sont victimes les mêmes citadins.
Ingénieusement
inventés par les constructeurs pour nous permettre de stationner
poliment dans les couloirs de bus.
Plus perfectionnées (multimedia en entrée :
FM/cassettes/CD) et disproportionnées (4 x 40 W en sortie) les unes
que les autres.
Même geste rituel aussi, geste fou (dont aucun
visionnaire n'aurait osé prédire l'apparition dans nos
sociétés, vers la fin du second millénaire) : extraire l'autoradio
de son "berceau", et le transporter avec soi en visite, bureau,
chez des amis à dîner, en courses?
T. Le Roux, réviseur héroïque* chez Belfond, observe en marge que
Burroughs**
a déjà découvert tout cela.
_____________
(*) Et désigné d'office, à
ce titre, pour corriger TBA.
(**) William. (Mais son nom
évoquera pour moi, à tout jamais, celui d'un grand constructeur
informatique.)
Avec caravane, bagages, et planche à voile.
Locataire, l'auteur n'a pas personnellement
l'expérience de ces circonstances.
Rappelons que - par modestie,
mais aussi et surtout dans le but d'éviter les généralités par
trop générales*
- TBA s'efforce de ne parler et de ne viser que les territoires
(France, Europe, de l'Ouest, Amérique du Nord, le tout parfois
appelé «Occident»), bref les seuls pays vaguement connus de
l'auteur et plus ou moins comparables entre eux.
______________
(*) Si souvent vides à force
d'être vastes.
Événement de politique
intérieure plus significatif encore, n'est-ce pas, que son élection
en 1981 (et en tout cas plus consistant que n'importe quel autre
événement intervenu entre ces deux dates).
Inutile d'y faire figurer le progrès des
techniques sous toutes ses formes.
Frappante, cette décroissance
hyperbolique du rythme de nos guerres après 1945 : entre le
Viêtnam et les Malouines*,
il ne s'est pas moins écoulé moins d'une bonne dizaine
d'années.
______________
(*) Conflit pourtant strictement
anecdotique.
C'est comme le "Serpent
monétaire" : les paramètres peuvent être animés de
certaines fluctuations, mais entre certaines bornes seulement,
elles-mêmes très rapprochées.
Vous aviez deviné ?
De nombreuses autres
décisions ne nous concernent pas directement, et a fortiori ne
nous affectent pas (nationalisation de Thomson, lancement d'un nouveau
sous-marin nucléaire, etc.).
A moins que ce ne soit le
contraire. (L'auteur n'a jamais réussi à assimiler finement ces
mécanismes.)
Souhaitant
devenir président de la République, B. Tapie s'est offert, lui
aussi, un (petit) morceau du système des médias : l'Olympique de
Marseille (club de foot).
Mais c'est un coup minable au regard de celui de Bouygues
:
- seule
concernée, la population footballistique ;
- très peu de
paramètres susceptibles de varier (donc de manettes sur lesquelles
appuyer sous les yeux de l'ensemble des Français), à part
l'importation - ou la revente - d'un joueur célèbre.
Se souvient-on de Raymond
Queuille ? Conserverons-nous le nom, même, de Giscard d'Estaing ou
de René Coty ?
Si l'on met de côté ces
deux manifs qui tournent mal (Chine, Roumanie), beaucoup plus en
raison du surarmement des forces de l'ordre (mitrailleuses, chars) que
de la pugnacité des victimes.
Elle-même démultipliée
par la conjugaison de l'empathie ambiante, de la communauté
d'habitudes (et de niveau d'information) établie par
l'omniprésence télévisée. Ainsi que du caractère désormais
pleinement distractif (au plus beau sens de ce mot) acquis par les
programmes caritatifs de retentissement international : Jerry Lewis,
Éthiopie, Coluche, etc.
Ne sont bien sûr visés ici
(rappel indispensable, fût-ce au prix d'une lourdeur), que les seuls
pays propriétaires de leur Liberté (ou bien en voie d'accession).
Les autres ne peuvent décidément pas être pris en sérieuse
considération : soit trop lointains (Argentine), trop différents -
la peau suffit - (Chine, Ouganda, Cambodge), ou trop illuminés
(Inde, Iran).
A méditer, cette observation
de mon ami Frédéric Lévy :
A force
d'enregistrer des films, des émissions, des matches en principe
destinés - notre emploi du temps étant ce qu'il est - à être
regardés en différé (un autre jour, un autre soir,
dimanche prochain), nous nous sommes insensiblement créé des
machines téléspectatrices (regardant la télé à notre place)
: le plus souvent, en effet, nous ne trouvons finalement pas le temps
de visionner les cassettes ainsi accumulées, et celles-ci se
retrouvent quelques semaines ou quelques mois plus tard dotées du
pur et simple statut de cassette vierge*.
______________
(*) Re-virginisation : opération typiquement
post industrielle, consistant à arracher (ou à recouvrir de blanc)
l'étiquette recouvrant une cassette (audio, vidéo), ou encore une
disquette, de façon à ce qu'un nouveau programme puisse être
enregistré - sans hésitation, ni crainte
d'«écrasement**» - sur le support ainsi recyclé.
(**) Voir ce mot (Chapitre 6 : La
copie).
Voir : scenarii, impresarii, etc.
Plus
d'Amaury, plus de Peyrefitte ni de Fouchet, plus d'uniformes devant
les caméras du 20 Heures polonais.
Presque aussi sûrement qu'une
série numérique où, indéfiniment, l'on ajoute à un nombre de
départ sa moitié, puis son quart, puis son huitième, puis son
seizième, etc. A la surprise générale, un tel cumul ne tend
finalement qu'à doubler le nombre de départ, alors qu'une
intuition bien légitime inclinerait à parier plutôt pour une
croissance illimitée (et lente, très lente, constamment plus
lente).
Avant de conclure quoi que ce soit d'une
expérimentation relative aux comportements, toujours remettre les
pendules à l'heure en pensant à la confidence que fit un jour un
hamster à son collègue de laboratoire : "Ça y est, j'ai
réussi à dresser le type avec la blouse blanche. Chaque fois que
j'appuie sur ce bouton, il m'apporte un bout de fromage."
En réalité, nommé en toutes lettres* par le magazine. (C'est par une sorte de
charité que nous cachons ici son nom.)
______________
(*) Voir Chapitre 9 : La
politique-fiction.
Ne pas oublier de sectionner les phalanges (hache,
couteau), afin de faciliter l'extraction des bagues, alliances et
chevalières.
Image sélectionnée pour les prochains championnats
du monde de la métaphore.
Rappel sur
cet historique coup de Bourse :
Rothschild (établi
en Angleterre depuis la fin du XVIIIe siècle) est un gros banquier
d'affaires londonien, avisé et connu pour tel. Lors du come-back
napoléonien (printemps 1815), il fait camper deux messagers de part
et d'autre de la Manche, ainsi qu'un observateur du côté de
Waterloo. Dès que lui est ainsi connue (en avance de plusieurs
heures sur le reste du Royaume) la nouvelle de la déroute
française, il vend ostensiblement à la Bourse de Londres de grandes
quantités de livres sterling. Son geste est aussitôt interprété
par les autres financiers comme le signe d'une victoire
napoléonienne, dont Rothschild aurait réussi à se faire informer
avant tout le monde : ceux-ci se dépêchent donc d'imiter sa
prudence (correspondant à une chute imminente de la monnaie
britannique) et vendent à leur tour massivement leurs livres. Cette
précipitation déclenche alors - et cette fois pour de bon - la
baisse du cours. Au bout de quelques heures, Rothschild fait
discrètement racheter par de nombreux comparses quantité de ces
livres complètement décotées sous l'effet de la
panique.
La nouvelle de la
victoire de Wellington parvient alors à Londres, provoquant
instantanément la remontée du cours. L'énorme plus-value ainsi
réalisée par Rothschild fit envie à ses confrères, qui
commencèrent dès lors à flairer une sorte de connexion entre
l'argent, le temps, et l'information.
Corps disloqués, sacs en
plastique noir emplis de viscères poisseuses, agonie fulgurante (une
seconde ? deux secondes ?) des passagers, annonce fatale au micro d'un
aéroport, incrédulité rageuse et cris d'horreur des mères,
enfants, fiancés?
[Pour
situer.]
Certes d'extrême justesse, et
grâce - exclusivement - au miracle de
l'information.
Spéculation = information +
modélisation : les (bonnes) données soumises aux effets du (bon)
modèle. Dans le meilleur cas, il s'en déduit un futur possible,
ainsi que les divers avantages traditionnellement attachés aux
excursions dans l'échelle du temps. Paradoxes, aberrations (et
monstruosités induites) non impossibles.
Commenté par certains
exégètes (P. Belfond éd.).
Plus
angoissantes les unes que les autres (parfois, sur leur seul nom), et
qui ne semblent en tout cas laisser aucune place à ce bel
optimisme.
Cf. Chapitre 6 (Shannon, etc.).
"Si
quelque chose peut aller de travers, ça ira de
travers."
Vers le
début des années Mitterrand, certains croyaient ajouter du sens en
parlant plutôt de leur rapport à l'argent, aux
girafes, etc.
Épiphénomènes dépourvus
de réelle portée, en raison même de leur marginalité : à cet
égard, l'anodin boursicotage cité ne représente pas grand-chose,
une fois comparé aux grandes affaires boursières de notre époque
(acquisition des digestifs Hennessy par les mallettes Vuitton, et tant
d'autres).
Mot faisant partie intégrante
de la chaise, de son prix (3 000 francs), et de la considération
dont jouit l'ensemble auprès des gens de goût.
[Voir Chapitre 13 : Art, goût, extraction.]
Il faut donc déplorer la pauvreté du vocabulaire
français, qui limite à un euphémisme aussi courtois
("inconfort") la qualification fonctionnelle de cet
objet.
Cet exemple serait sans
intérêt si la chaise était une sorte d'¦uvre d'art, destinée à
figurer dans des musées plutôt que dans les living-rooms. Or c'est
bel et bien d'un meuble qu'il s'agit, conçu comme tel, vendu
par les professionnels de l'ameublement, et acheté (sans
doute) par des gens qui ont besoin de s'asseoir.
Cette dernière est en réalité parfaitement
marginale*
puisque ses variations n'affectent que dans une très faible mesure
la chaise produite : incidence faible sur la forme (simple effet de
perspective, tendant à transformer la chaise en un banc), incidence
nulle sur le confort.
______________
(*) Ne pas perdre de vue le
caractère scientifique de la Théorie du bordel ambiant.
Ainsi s'exprime un centurion romain participant aux
aventures d'Astérix chez les Goths ("Heureux celui qui
connaît la raison des choses").
Voire hétérogène, et par exemple carrément
liquide (proximité d'une source).
Variante : une ingénieuse
taxe sur la propriété immobilière, assise sur le nombre de
fenêtres, - et donc plus ou moins proportionnelle à la dimension de
l'immeuble. Effet : murage systématique de leurs fenêtres par les
propriétaires-à-qui-on-ne-la-fait-pas (qui, soixante ans après,
fait encore l'étonnement des touristes découvrant
Paris).
Autre variante :
l'interdiction de diffusion (avant 22 h 30) des films réservés aux
plus de 13 -18 ans.
Décision immédiate (et tonitruante) de la Une et de la Cinq : ne
plus désormais financer que des films garantis sans risque
(documentaires sur la torréfaction du café, le raffinage de
l'hévéa, etc.).
Les publicitaires-afficheurs
(Giraudy, Dauphin, Avenir, etc.) protestent fin 89 contre le projet de
loi qui envisage l'interdiction d'affichage aux partis politiques dans
les six mois précédant une élection : "ils avancent que
l'interdiction d'affichage (?) donnera une prime au sortant dans les
compétitions législatives."
Très bel effet -
anticipé, donc bien compris - de propagation des Règles.
Quel air prétentieux, cette "théorie" mais pas
tant que cela.
Édifiante
comparaison : les VRAIS objets (entendre par là, ceux dont l'unique
cahier des charges se résume à une opérabilité* maximale).
Exemple, repéré
dans un studio TV : une caméra. De type "fixe" (par
opposition aux instruments d'épaule ou de poing), chacun de ses
organes extérieurs (poignées, viseurs, commandes -, bref tout ce
qui la relie à son opérateur) est visiblement étudié
pour une fonctionnalité idéale : garantie des effets commandés,
pour le moindre effort de la part du cameraman. Aucune concession à
l'esthétique ou à une quelconque forme de? décoration : fonte
(40/10e) et inox bruts d'aciérie, épais caoutchouc noir nervuré,
etc.
o Voir aussi :
cabine de pilotage d'un Boeing, intérieur d'un AMX, et d'une façon
générale tous les équipements et dispositifs où l'on ne
rigole pas (poignée de kalashnikof, régie centrale du
Metropolitan Opera, etc.).
______________
(*) Facile d'en déduire que ces
objets se plient [avec le minimum de résistances] à la volonté,
ou à la simple présence, bref aux exigences de leur client
(généralement un homme en action).
Sur le même sujet, lire également : Jean Yanne
(?uvres premières).
On n'est jamais si bien servi, etc.
Une (?).
Dont l'authenticité ne semble
pas en question : il s'agit d'une véritable démarche, et non pas
d'un cri fantasmatique (voir Chapitre 7) ou d'une incitation à
la débauche.
Le saviez-vous ? C'est du nom
du mathématicien arabe Mohamed Ibn Musa Abu Djefar Al-Khawarizmi,
familièrement appelé Alkarismi, que vient le mot
algorithme*.
______________
(*) Ceux qui mettent un y à
algorithme n'ont rien compris.
(Où la symbolique de l'entonnoir s'impose à tous
les connaisseurs.)
A mon avis
: aux limites de ce qui pourrait être.
Surtout en région
parisienne.
Comprendre
par «Ok» : cette chose apparaîtra
effectivement.
[Le Paris-Dakar est
là, et il y reste. La liaison Paris-New York en Concorde
fonctionne, même si de justesse. Un premier projet paternel se
concrétisera (quite à ce que le premier fils se fasse condamner
pour prévarication, après levée de son immunité parlementaire,
son frère se faisant abattre au fusil à lunette trois jours
après son élection. Quant au futur musicien - Français, Allemand,
Polonais, peu importe - ses études seront interrompues par la
mobilisation générale et ce qui, pour lui,
s'ensuivra).]
Éventuellement, après s'y être conformées.
Voir aussi : journalistes, détectives, inventeurs,
publicitaires, cinéastes et romanciers, etc.
Voir
d'autres exemples (Chapitre 10 : Effet de l'aplanissement des
écarts).
Sous-entendu : il faut changer
cela. (Et on se met à le changer.)
Adaptations puissamment stimulées (quand la
spontanéité immanente tarde à se manifester) par les luttes
ouvrières : Sécu, congés, minimum vieillesse, durée du travail,
etc.
Le champ d'observation est -
encore une fois - limité dans TBA aux seules rives de l'Atlantique
nord.
"L'automobile, aujourd'hui, n'est plus un luxe,
[?] il faut donc faire comme à l'étranger, [?]) bâtir des
parkings et des voies rapides." (Aldo Bozzi, député de Rome,
en 1954).
Léninisme, communisme, bolchevisme, soviétisme (et
tous autres équivalents). Merci de ne pas chicaner.
Abstrait, minimaliste,
hyper-réaliste (et tous autres équivalents). Merci de ne pas
chicaner.
La lecture d'Edgar Morin, à
laquelle j'aurais mieux fait de me livrer - selon mon réviseur
acharné*
-, enseigne que l'on ne peut pas dire grand-chose de la réalité
qu'on ignore, au point, paraît-il, que sous certaines conditions ?
"TBA ne serait pas**".
______________
(*) Auquel je préfère laisser
la responsabilité de ces malsaines auto références.
(**) Inouï !
Le verbal ne serait
qu'une réduction scandaleuse des modes possibles de
représentation.
A moins que Dieu?,
etc. etc.
Voir Chapitre 2 (Vivaldi,
etc.).
Dans l'ordre des choses
étonnantes qu'on peut faire avec sa tête: se représenter un dessin
"de" Wolinski" (ou "de" Reiser) que l'on n'a
jamais vu. Exemple : un policier en train d'offrir une casserole à
une guichetière des PTT, par-dessus son comptoir.
On peut le faire !
De plus, le jamais vu peut correspondre à deux situations
différentes:
- quelqu'un me
raconte ce dessin qu'il a vu, lui ;
- personne ne
me raconte quoi que ce soit, et la fiction est alors absolument
totale.
Autres activités étonnantes :
o imitation mentale de la voix de quelqu'un (Giscard, Marchais,
Serrault, Depardieu...) disant quelque chose d'inventé ;
o musique cérébrale (entendre ce qu'on se joue avec ses
instruments dans sa tête).
Effet inconnu.
Par analogie
grossière avec un ordinateur : Unité centrale de traitement
("Processing"), coopérant avec la mémoire et les
entrées/sorties.
D.M.A. = Direct Memory Access.
"Je ne vois pas", "Je l'ai sur le bout de la
langue", "Comme c'est difficile", "La voilà la réponse, je
la sens, je sens que ça vient", etc.
Mieux vaut faire l'impasse sur l'inconscient et ce
genre de trucs.
Mot
important.
Mais aussi :
vacances, nausées, plongeons dans l'eau glacée, frottement de la
neige sur les skis, biscuits et madeleines, etc., etc., etc.
On dit aussi "booléen", en souvenir de cet
Anglais qui, au milieu du siècle dernier, inventa la logique à
deux états (zéro/un) : George Boole. Sa trouvaille eut beaucoup de
succès, car elle permit l'invention de l'ordinateur et autres
commodités.
Dans de nombreux cas, nous
savons même immédiatement que nous n'aurons pas de
réponse ("A qui Michel Droit a-t-il écrit le 5 mars 1980
?").
Pour les lecteurs spécialisés dans la culture de
haut de gamme, la réponse est : Ray Ventura.
Elle-même facultative, ainsi
qu'en font chaque jour la démonstration ces héros qui résistent
sous la torture.
Pour les
lecteurs dépourvus de culture ferroviaire, le tender était
ce petit wagon, chargé de charbon (ou, dans les westerns, de bois),
accroché à la locomotive et lui fournissant de quoi faire bouillir
son eau. Elvis Presley y a consacré une de ses plus belles
chansons.
Sans oublier la coiffure,
indispensable, selon Coluche [rappel], à toute énumération
honnête des idées (notions, doctrines sciences ou théories) les
plus fondamentales ici-bas, ou encore indispensables à la survie de
notre humanité.
Et une chute spectaculaire de Jean-Paul II au milieu
d'une flaque de boue commencerait par laisser sceptique.
Voir Chapitre 2 :
Quelle différence y a-t-il entre une cigogne ?
Ou même ces ressemblances entre des dénominations,
appartenant en effet au même champ sémantique (flic/fisc,
fric/fisc), ou présentant au contraire des significations très
différentes (une jeune fille très pure, ou très
pute).
Jargon emprunté au vocabulaire des
télécommunications.
Je ne refuse pas,
personnellement, les textes jargonneux puisque j'en possède, que je
les collectionne et les utilise, soit pour en faire profiter mes amis,
soit pour les fournir à mon Radoteur. Ainsi, ce pur joyau : "Il
n'y a de femme qu'exclue par la nature des mots, et il faut bien dire
que s'il y a quelque chose dont elles-mêmes se plaignent assez pour
l'instant, c'est bien de ça - simplement, elles ne savent pas ce
qu'elles disent, c'est toute la différence entre elles et
moi?"
Indications supplémentaires
de l'omnipotence des constructions verbales : critique des vins, des
amplificateurs et des chaînes stéréo, des interprétations
orchestrales, etc.
Les constructions verbales sont un système d'information comme tout
autre, à ceci près que leur bande passante est très très
très large (infinie, ou plutôt illimitée), et par conséquent
leur gain très faible (voire nul).
Résumé : de quoi est le sentiment du
bourreau ? De plaisir et d'exaltation.
Allez, encore une preuve. C'est
Le Pen - sémiologue méconnu - qui nous la fournit.
"Qu'ai-je donc
dit de mal ? Que les chambres à gaz sont un détail de l'histoire
de la Seconde Guerre mondiale. Mais c'est une évidence? Pour un
grand nombre de gens, détail signifie quelque chose de
médiocre, de petit. C'est faux, parce que le qualificatif colore le
mot ajoute ce successeur de Saussure et de Barthes, un détail
peut être insignifiant, mais il peut être
essentiel*."
______________
(*) C'est si vrai que l'on a
coutume de dire, à propos de telle chose essentielle : "C'est un
détail."
Comment ne pas y penser devant
l'intitulé de cette conférence professionnelle : "Que faut-il
faire quand il n'y a plus rien à faire ?"
Un peintre abstrait marche dans les rues de
Moscou.
Il est suivi par deux figuratifs en civil.
Industriels, fonctionnaires (hauts et moins hauts),
investisseurs, consultants, «experts», etc.
Et donc
apparemment flatteur (au moins pour son inventeur).
Commission (?)
à peu près mondiale (dont j'ignorais alors jusqu'au nom), à
laquelle participent prix Nobel, économistes, authentiques cerveaux
capables de penser les problèmes à un niveau intercontinental
(Est-Ouest, Nord-Sud, dirait Huxley).
Encore dans toutes les mémoires : cette grande stupeur des
gens de la DGT devant les vraies demandes du public, telles qu'elles
se sont exprimées après un an ou deux de vie réelle du minitel,
par rapport à ce qu'on croyait devoir apparaître sur la base des
enseignements de Vélizy.
Il est décidément impossible :
- de tester
des nouveaux concepts par la voie de sondages quantitatifs (voire
"qualitatifs"), ou même de panels, aussi soigneusement panachés
soient-ils ;
- de déduire
sérieusement, à partir d'«expérimentations pilotes»
(plusieurs milliers de sujets observés), ce qu'on devra faire pour
de vrai (à l'échelle nationale, ou tout simplement dans la vraie
vie).
Ce précédent, entre autres, devrait inciter à mettre la pédale
douce les nombreux conseilleurs qui assurent (par exemple) que la
Carte à mémoire devrait être
multiservice/multiprestataire, etc.
Les portes ouvertes sont très égalitaires : tout
le monde prend du plaisir à les enfoncer.
Mathématiciens et autres puristes, s'abstenir de
commentaires.
INFINI multiplié par ZÉRO
égale ZÉRO : une immense clientèle potentielle, pour un objet sans
demande réelle, se traduit par un marché nul.
La suite a abondamment confirmé
ce pressentiment : les USA figuraient encore, à la fin des années
80, parmi les pays les moins en pointe dans l'utilisation de cette
technique.
Alors même que nous
transportions déjà dans nos poches, et sans en faire un plat, nos
clés d'appartement, de bureau, de portières, de contact et de
coffre de voiture, de parking (un seul tout petit exemple).
Pas nécessaire de se couvrir la tête de cendres
pour autant : c'est désagréable à dire, voilà
tout.
Que le
lecteur ayant identifié entre R. Barre, F. Mitterrand et J. Chirac
une opposition fondamentale sur l'une des grandes valeurs de notre
société*
écrive aux Éditions P. Belfond, il a gagné.
______________
(*) II est clair que l'intégration
économique à l'Europe ou le degré de contrôle appliqué à
l'immigration ne constituent pas des grandes valeurs
fondamentales.
A l'exception de quelques
cinéastes qui ont d'ailleurs vite abandonné ce terrain difficile,
interpellés au niveau de leur vécu par la dialectique infernale
reliant la profitabilité des chaînes (via la publicité) à leur
capacité à acheter des productions françaises originales
plutôt que des séries américaines déjà amorties au Brésil ou
en Corée du Sud.
Le tout se condensant en une
prolifération des publicités télévisées pour MacDonald's, où
l'on trouve simultanément :
- le papi,
archétype publicitaire (grosse moustache blanche, et tout le
reste)*,
- qui mord hardiment
dans son hamburger (au mépris de son dentier).
______________
(*) On voudrait pouvoir le
renvoyer à son hospice.
Ah! Versailles ! Rambouillet ! La comtesse Rostopchine
!
A juste titre : par carence
lexicale, le premier terme était unisexe, et le second par trop
spécialisé (jeunes garçons).
Voir Chapitre 9 : Des
chiffres.
Qu'on aurait
espérées passionnelles, mais qui n'étaient que mollassonnes et,
pour tout dire, salonnardes.
"Food", c'est-à-dire
précisément nourriture. [Il est remarquable d'observer
qu'aucun équivalent sérieux de cuisine ou de bouffe
n'est disponible en langue américaine, et surtout pas
cooking.]
Représentante spéciale du
gouvernement américain pour le commerce (plus particulièrement
responsable des échanges de produits culturels).
Les grandes collisions : TF1 annonçait fin 1989 son
intention d'attaquer devant la Cour de Justice européenne de
Strasbourg, le décret Tasca sur les quotas.
Si en effet les téléfilms
américains procurent un sentiment d'accablement, les téléfilms
français ne sont peut-être pas non plus bien ..
motivants*.
______________
(*) On pense à Michel Blanc, dépressif et
bientôt suicidaire à force de solitude, répondant dans l'un de
ses films au médecin qui lui conseille - pauvre FR3! - de regarder
la télévision : "C'est cela, regarder les Actualités
régionales et ouvrir le gaz..."
La communication toute
entière progresse, mais certains moyens s'avèrent plus égaux que
d'autres dans cette course à la vitesse :
électrique/électronique (+1000%), automobile (+10%), navigation
(+1%). [Ordres de grandeur.]
Voir aussi (chez notre autre
héros Abraham Moles, cité par T. Le Roux) : planétarisme,
interconnexion des réseaux, et toutes autres formes d'opulence
communicationnelle.
Inutile d'y faire figurer le progrès des techniques
sous toutes ses formes.
Voir
Chapitre 4 : Intermède linguistique et
réactionnaire.
On saluera en connaisseur, au
passage, les dirigeants - pourtant dépourvus de toute expérience -
qui ont réussi à négocier sans bobo le passage du franquisme à
cette exemplaire démocratie*
qui caractérise aujourd'hui l'Espagne.
______________
(*) Un grand bravo également aux italiens,
qui renouvellent chaque jour le miracle de parvenir à la conduite
d'un pays aussi moderne que le leur, malgré la nécessité d'avoir
à vivre avec certaines casseroles (la Mafia, le Vatican, et -
il n'y a pas si longtemps - les Brigades rouges) dont la chance a
dispensé nombre de leurs voisins.
Compte non tenu du rapatriement des espions (agents
"doubles", etc.)
Février 1990, souvenez-vous :
tandis que cent mille Allemands démocrates continuaient* à envahir chaque mois leurs voisins
fédéraux, qui donc faisait le mouvement inverse ? Les clochards de
RFA qui s'étaient fait expliquer par quelque cambiste l'avantage de
passer à Berlin-Est : avec UN deutschemark on y bouffe beaucoup plus
de saucisses.
______________
(*) Un bon tiens vaut mieux que
deux tu l'auras.
C'est en musique qu'on peut
souhaiter être enterré : j'avais une profonde admiration pour H.
de Galard, et celui-ci a voulu qu'on joue sur sa tombe Le temps des
cerises (mélodie pour laquelle le mot mélancolie semble avoir
été inventé). Un autre de mes héros - boxant dans une
catégorie différente -, A. Huxley, a préféré la
Ciaccona de la seconde Partita pour violon, en ré
mineur*,
de Bach. C'est Menuhin qui s'y est collé. J'appelle ça des
"collisions".
______________
(*) Familièrement appelée Chaconne.
Cette publicité (1987) pour une compagnie
aérienne.
Visuel (3/4 d'une double page news) : une fine assiette de porcelaine,
artistiquement garnie de ce qui se fait de mieux (et en tous cas
visiblement à base de homard).
Accroche :
Mettez-vous à l'aise. Voici votre somptueux repas, composé de
quatre plats.
Texte :
Récemment, notre chef-cuisinier a effectué une recherche très
approfondie à travers le monde culinaire pour améliorer encore nos
mets et notre service. Il a parfaitement accompli sa mission. Il
suffit de regarder ce hors-d'¦uvre à la langouste que nous servons
en 1ère classe.
De plus?, redessiné nos menus?, redécoré?, nouvelles
housses?, allonger vos jambes?, desserrer votre ceinture pour
venir à bout de nos somptueux plats.
Pour être parfaitement honnête, il convient de se
souvenir que le phénomène connu sous le nom de dictature de
l'audimat ne date pas de Bouygues, Berlusconi & Maxwell,
puisqu'on en trouve les premières manifestations clairement
décrites par Molière :
TRISSOTIN
Souviens-toi de
ton livre, et de son peu de bruit.
VADIUS
Et toi, de ton libraire à l'hôpital réduit*.
Déjà connus, oui, ces germes pervers : faible tirage équivaut
implicitement à mauvaise qualité, ce qui, a contrario,
implique l'équivalence entre bonne qualité et prospérité de
l'éditeur.
______________
(*) Les femmes savantes.
[«Libraire» = éditeur. «Hôpital» = ANPE +
DASS.]
Insupportable indiscrétion de
la publicité (déjà si bien chantée par Barthes et Coluche),
mais que démultiplient si bien Audimat et Motivac: un spot dit à
peu près : "Pendant la pub vous allez aux toilettes . Eh
bien, parlons-en des toilettes, etc.", avant de nous
proposer l'achat d'un nettoyant pour cuvette, d'un papier triple
épaisseur, ou de quelque autre sent-bon.
On ne peut donc plus
aller pisser au momet de l'écran commercial sans avoir conscience
d'être référérencé - et carrément utilisé - par les
publicitaires qui n'hésitent pas à pousser le bouchon aussi
loin.
Par quoi se consoler ?
En se disant
peut-être que le job qui est le leur est sans doute un des moins
glorieux*.
Et ça ils ne peuvent vraiment pas s'en défendre.
______________
(*) S'intéresser à nos
horaires de pisse (et même pas dans un but médical).
Non pas tous azimuts (Maroc et
Vezuenela*
exclus), mais - à toute vapeur - en direction des USA : deux
citations (dont une dans le titre principal), plus cinq noms et
prénoms.
______________
(*) Nombreux, nous sommes, à
être tombés amoureux de Marie Laforêt.
Au sujet duquel il n'est pas inintéressant
d'apprendre que TF1 s'est associée avec un professionnel de la
presse écrite, les Éditions Mondiales*, en vue de lancer un hebdo pour jeunes baptisé
Hit**.
______________
(*) Fleuron : Nous
Deux.
(**) Avec ce titre, et avec un tel mentor, nul
doute que le nouveau titre perpétuera la tradition de
mieux-disance.
Ce qui lui permettait aussitôt de préciser en vue
sans doute de rassurer le marché financier (les actionnaires du BTP
sont si nerveux) : "Nous sommes privés*. Nous sommes une chaîne
commerciale. Il y a des choses que nous ne souhaitons pas faire, par
exemple du culturel, par exemple des émissions éducatives."
______________
(*) "Privés" peut-être, mais il
serait dommage de ne pas profiter - il ne sert plus à personne - de
notre vieux statut de télé nationale. On se confectionne
donc un logo tout simple, en lettres majuscules, bleu, blanc, rouge
(la Loi interdit cela évidemment), et l'on fait croire à qui l'on
peut qu'on est encore la chaîne de l'État: piégés les vieux,
les immigrés, les simples.
Claude Contamine commandait
pour Antenne 2*,
début 1990, cent cinquante téléfilms sur le thème de la
vengeance.
_____________
(*) Lui aussi, ayant lu Télé
7 Jours, a compris qu'il y avait une recette (mais il a oublié
la haine et les coups de théâtre).
En ce qui concerne le goût
des transports en tout genre, il faut sans doute en trouver
l'explication dans le mouvement qu'autorise, encore et encore, le
cinéma animé.
Ce sont précisément les
bandes-annonces qui permettent le contournement des dispositions
visant à protéger (notamment) la jeunesse : leur contenu n'est pas
contrôlé, aussi y fourre-t-on un max de scènes
racoleuses.
Sur les bandes-annonces :
écouter celles concernant Sept/Sept généralement le samedi. Anne
Sinclair (voix identifiable et magique) y annonce l'invité du du
dimanche soir, laissant souvent espérer (alors que l'émission sera
en direct) les principaux temps forts qu'on peut d'ores et déjà en
attendre. Par exemple :"X répondra aux questions que chacun se
pose sur l'affaire Y, ou la situation Z, avec le talent incisif qu'on
lui connaît, et les jugements féroces qu'il porte parfois sur?,
etc., etc."
Monsieur X est donc
vraiment très incité à sortir quelques formules fortes (même
s'il n'a rien a dire de spécialement méchant ce jour-là), et
autres "petites phrases" sous peine - en n'ayant pas été
capable d'aider Sinclair à tenir sa promesse - de décevoir le
téléspectateur.
Jamais Goscinny n'avait eu la
grossièreté de faire rire ses personnages, aux gags que -
précisément - il créait*.
Dès sa disparition, les mornes tâcherons recrutés par son
éditeur ont plongé dans le panneau : Obélix, Lucky Luke, et même
Jolly Jumper se fendent la gueule à longueur de page.
______________
(*) Penser aussi à Raymond
Devos, qui fait des grimaces, roule des gros yeux, transpire de tous
ses pores, et surtout crie, crie, crie parfois à nous casser les
oreilles.
Il lui arrive très souvent de rire de ses propres gags. Ce que
Coluche [encore !] ne faisait évidemment jamais.
Entre autres, il
n'oublie jamais de s'étonner lui-même de ses trouvailles (son
créneau étant défini par l'absurdité née du choc de certains
mots), et marque soigneusement le silence propre à signaler au
public que le moment de rire est venu.
Nos photos familiales ne
sont-elles pas précisément caractérisées - à la différence
des photos de presse - par ce genre de loupé : grand-père,
grand-mère, et marraine parfaits, mais oncle Maurice, les yeux
fermés, penché sur son assiette ?
Avant les rires enregistrés,
on pouvait faire de la télévision, faire rire le public et on
arrivait même ausi à exporter des programmes... Cet a
priori de l'avantage acquis empêche d'envisager un retour en
arrière, qui paraît désormais (et apparaîtra désormais
chaque jour un peu plus) impensable.
Notamment depuis Shannon (voir
Chapitre 6.1).
559 Voir plus haut :
Cohérence.
Carré blanc : le soir, après minuit, on peut voir
sur les chaînes privées du porno dans le porno.
Action : un tournage de film porno. Longue scène très très hard,
avec deux femmes et deux hommes. Elles en ont partout.
Après le tournage,
un type louche va voir la quadragénaire sexy - très Mme Claude -
qui, sans doute, cornaque le casting. Il souhaite se faire prêter
les deux nanas qu'il vient de voir en action. (C'est pour rendre
service à un ami, organisateur de partouzes et amateur de grosses
cochonneries.)
Pas question, s'insurge la dame, ce sont des comédiennes, pas des
putes. Et les deux professionnelles* d'approuver : "Nous ne sommes pas des putains,
nous sommes des comédiennes."
______________
(*) Incidemment : ce doit être
une performance hors du commun que d'arriver à placer de tels
mensonges (le mot est ici à sa place) dans la bouche même de
celles qui en sont salies.
Rediffusion (hors cinéma) des
grands succès TV des trente puis des dix, et à présent des trois
dernières années. Également : Coluche et Th. le Luron
non-stop.
Cercle rouge, Guignolo, Aile ou
cuisse, Gendarmes, etc.
Pour qui le mot surfait
semble avoir été inventé*.
(Au bénéfice de nombreux autres confrères : voir Ferrat, Starck,
Léotard [François], Hallier, Devos, Balladur, Mocky, Savary, feu
Hernu, Mel Brooks, Sabine, Balavoine, le Paris-Dakar,
etc.*)
______________
(*) Merci Delfeil !
(**) Acheter Vsd et
compléter la liste.
Songer à la candide - et
splendide - économie de moyens dont fait preuve Marcel Aymé, dont
presque tous les personnages s'appellent Martin (tout au moins dans
les Nouvelles). On ne peut pas imaginer moins racoleur.
Anus à l'extrême rigueur.
Voir aussi cette haïssable et
insultante façon - à propos de potentiomètre - de pousser de
quelques décibels le niveau sonore pendant les écrans
publicitaires (au moins sur la Une et la Cinq.
[Typiquement un procédé qu'on ne pourra exploiter plus loin : le
bouton est à fond.]
Roucas use son fonds de commerce d'une autre manière
: sa spécialité étant l'imitation de la classe politique
française, c'est dans la bouche de F. Mitterrand qu'il place les gros
mots : si la toute première apparition de ta gueule,
de fait chier ou de foutre la paix provoque un
indéniable effet de surprise, force est de constater que jour
après jour, mois après mois "Dieu" contine de s'exprimer ainsi,
preuve particulière du danger de cette direction qui se révèle
irréversible (tout paraissant alors tellement plat) dès qu'on l'a
empruntée.
Et, parmi ceux-ci, à la
fraction qui ne mégote particulièrement pas : bichromie et pleine
page (la plus chère en l'occurence d'entre ces pleines pages,
dénommée en jargon médiatique : "quatrième de
couverture").
Non, je ne suis pas en train de déplorer :
"Tout fout le camp !"
Ressource
(en pleine expansion) particulièrement abondante chez les
gourous.
Voir plus haut (Chapitre 9,
Opacité)
Et peut-être bien
définitif, tout au moins à l'échelle d'une carrière
politique.
Rencontrer
l'adhésion des femmes jusqu'au point de leur faire envoyer au feu,
le c¦ur serein, leurs enfants : seules les guerres saintes en sont
capables. (Voir Chapitre 7.)
Et sans doute plutôt sages.
Vérifiez
autour de vous, et vous apprécierez à votre tour l'incroyable
capacité de ce genre de jeu à remettre certaines pendules à
l'heure.
Supposons qu'un bon siècle
soit encore nécessaire avant que des électrodes posées sur le
crâne des téléspectateurs permettent à volonté de
déclencher le rire et les autres sensations.
Réduit à une sorte de
légume mental notant des chiffres qui apparaissent sur son
écran.
Peut-être, une fois
l'interactivité dans les faits (et les m¦urs) : taper dans la
minute qui suit sur son minitel le chiffre vu à
l'écran.
A mi-chemin entre le beau et le
bon, ne jamais oublier cette forte réflexion de l'ex-bagnard (multi
récidiviste) nommé Papillon, qui, à propos de Beethoven, ne
pouvait jamais s'empêcher de commenter :
- Beethoven ? Ah
! Beethoven ! C'est beau. Beau, comme d'entendre un
non-lieu.
En raison même
(répétons-nous) de son incroyable ambition à déterminer le
plaisir/émotion.
Au point, nous dit Marcel
Aymé, que ses voisins le soupçonnent de vouloir mener quelque
campagne électorale.
La même quincaillerie que celle dont nos
téléviseurs sont bourrés.
Sinon de
plaisir.
Attention à ce mot : sous
l'influence - ou plutôt sous l'effet - des USA [encore eux ?], il
plonge en piqué vers d'autres significations (bien plus chargées
que les habituelles «connotations»).
Idem : heureux, ému, jouissance.
Puisque
Martenot (Maurice), créateur des ondes du même nom, était
contemporain d'Al Capone, Milhaud, Hindenburg, Dreyer, et de tous ceux
qui ont connu le charleston*
à ses débuts.
______________
*Pas le madison, papi : le charleston.
Sont évidemment irrecevables
les pauvres objections (immédiatement réductibles à une critique
des raisins trop verts) du genre : "Les compositeurs de musique
électro-acoustique ne travaillent pas sur des chansons" ; ou
bien "La famille artistique à laquelle ils sont apparentés
est complètement étrangère à ces formes trop directement
expressives", etc.
Le caractère majeur de la
musique saute aux yeux, aussitôt observée son incroyable
particularité : n'être constituée que de temps dans le
temps.
- au degré
2, la Note (1 milliseconde)
- au degré
1, la Durée (100 millisecondes)
- au degré
0, la Mesure (1000 millisecondes), etc.
Plus précisément : la note (sol) vibre à une fréquence,
pendant une durée (double croche) le long d'un rythme
(4/4).
Aux limites : Je t'attends depuis longtemps,
par J. Halliday.
Périphrase censée
éliminer le hard-rock, entre autres. [Note du traducteur.]
Les critiques anti-Webern sont
celles que recevait Bach lorsqu'il créait une nouvelle forme,
bousculant complètement les habitudes des
mélomanes.
Non !
Car on n'aurait pas pu faire du Boronali avec Bach, alors qu'on peut
en faire avec Webern. [Voir quelques pages plus loin, Aliboron et la
douane.]
Louis Malle à Stéphane Grappelli : "Oui,
mais [pour le synchronisme] vous savez mieux que moi : le jazz
sans imperfections n'est plus que de la mécanique. Ça ne vit
pas."
Le vertigineux spectacle de notre impuissance à
trouver un MOT pour musique classique contemporaine.
Notion pourtant clairement identifiée (Poulenc, Berio, Xenakis,
Milhaud, etc., etc.*)), parfaitement bien ressentie, mais complètement
extérieure aux cas de figure qui permettraient d'en donner une
définition non négative.
______________
(*) A leur place, je
m'inquiéterais.
Je ne doute évidemment pas un instant, à la
révélation de ces abîmes où plonge mon caractère, d'empocher un
magnifique ticket gagnant pour la réputation de plouc inculte à
dominante beauf.
Ou de combien d'autres contemporains non* figuratifs.
______________
(*) Ou pas du tout.
Je crois bien qu'ils s'en défendraient.
Il nous faut
lutter contre cette mauvaise pudeur qui nous amène à dédaigner
par un fond de snobisme les greatest hits, les très grands
repères, les balises universelles (et incontestées) de la
création : Toccata et fugue en ré mineur (Bach),
Symphonies n°5, n°6, n°9 (Beethoven), concertos pour piano
(Tchaïkosvki n°1, Beethoven n°5, Schuman), Carmen,
Joconde*, Création du monde**, etc.
La preuve:
pourrait-on imaginer plus plouque décoration qu'une reproduction
de La naissance de Vénus dans la chambre, des
Nymphéas dans le salon, ou du Jardin des Délices (comme
décoration de galeries dans un théâtre/cinéma), ou encore
du Déjeuner des canotiers (dans un restau de
luxe).
Variante : mural
dans la salle centrale de la préfecture de police (là où l'on
renouvelle les passeports, les cartes de séjour, où l'on délivre
les duplicatas de permis) ou la salle des Pas perdus gare
Saint-Lazare.
______________
(*) Valant pourtant bien les
tableaux de Pollock.
(**) Qui nous rappellerait le
Chapitre 12.
Sans doute complexes (et donc
riches) de ces artistes hâtivement* - et peut être injustement - soupçonnés de
charlatanisme.
______________
(*) Voir Boronali.
Ou de ce qu'on s'efforce parfois de qualifier
"rêverie planante" (type Pink Floyd).
Quelle musique Kubrick
exploite-t-il tout au long de 2001 pour nous faire ressentir
l'angoisse infinie, la terreur absolue, le cauchemar ultime ? Du
Ligetti*, en effet idéal dans cette suggestion du mal
et du malaise : effroyable, horreur, nausée, etc.
______________
(*) Mi-xxe siècle, contemporain jusqu'à
l'os.
Laissons au musicien la responsabilité de ses
références culinaires.
A propos de
poulets, chacun peut facilement se livrer à ce simple examen. Soit
un oreiller A et un oreiller B. Les yeux fermés, tirer au hasard
l'un des deux oreillers, et se coucher. Si l'on ressent une impression
de confort douillet, de plaisir, ainsi qu'une joyeuse envie de créer
avec le poing une accueillante cavité pour sa tête (et si l'on y
parvient), alors c'est l'oreiller A que l'on avait tiré. Il était
à plumes.
Essayer avec l'autre : ni plaisir, ni douillet, ni joyeuse envie, ni
coup de poing. C'est l'oreiller B, empli de petits cubes en mousse de
polyuréthane.
Situations ? États ? Ambiances ? Climats
?
Voir tout le
Chapitre 2.
Je suis de
plus en plus convaincu qu'il existe un vocabulaire plus adapté pour
parler de tout cela.
L'indignation, forme d'énergie particulièrement
«humaine» (soulever un problème) ?
Penser à ce bronze de César
(dont F. Mitterrand dit après en avoir fait plusiseurs fois le tour
: "Pas mal, pas mal. Si on m'avait demandé ce que cela voulait
dire, je n'aurais pas forcément trouvé"), qui représentait
selon l'artiste "un orateur anonyme soudain surgi de la foule et
qui pour la première fois peut-être prend la
parole".
Chanson : je trouve frappant
cet aplanissement mélodique en gestation depuis la fin des
années 60 : quoi depuis My way* ? Quoi depuis For no one, Penny Lane,
Satisfaction, Avec le temps ? Quoi depuis les derniers - et
lointains - chefs-d'¦uvres de Brassens, Montand, et du
Splendid ?
______________
(*) Originalement Comme
d'habitude, de Claude François (mais ça fait moins bien).
Voir aussi (pas seulement dans la pub) : couleurs
fluo (ou saturées).
"Comment les scansions
temporelles de la chaîne signifiante, sur la butée d'une
impossibilité, s'articulent-elles avec la lettre, sur le point
précis de la pulsion orale, que l'on entend trop vite déliée de
l'écrit ? Car ce n'est pas seulement la coexistence réelle du
souffle, de la voix, de la nourriture, dans un même cavum qui
permet de penser le rapport entre l'orifice pulsionnel et le langage.
Si l'orifice pulsionnel règle ses ouvertures sur le battement même
de l'ouverture et la fermeture même de l'inconscient, comment peser
l'inscription ? [?] L'informatique, même dans dans le
circuit mac luhanien, qui annonçait le retour du tribal, a pour
vocation de tribaliser. Elle ne produit plus que des valeurs locales,
domestiques, donc modernes. Surgissent soudain des affinités
paradoxales entre l'hyper-archaïque, qui descend dans la rue, et la
super-technologie, dont l'État se bat pour garder le plus longtemps
possible le monopole [?]."
Voir : aéroport
Charles-de-Gaulle.
Voir :
les Crados.
Alban Berg,
Pollock, Roissy, Philippe Starck.
Voir le
Chapitre 9, entièrement consacré à l'exégèse de ce
mot.
Anagramme
limpide d'Aliboron.
Il serait évidemment facile
de profiter de ce contexte pour attaquer - comme j'en meurs d'envie -
la peinture moderne, les critiques d'art, les peintres et les
collectionneurs. (On se calme.)
Ou tel autre peintre, non figuratif, abstrait,
aléatoire (etc.) qui conviendra au lecteur (et si possible exécré
par lui).
L'auteur accepte les paris de MM. les experts tentés
par la contradiction.
De la même façon qu'au
cirque, c'est bien la chute du trapéziste qui fait spectacle, et non
le superbe rétablissement final (pieds joints, coudes au corps,
sourire éclatant), certes impressionnant mais aussi tellement
routinier?
C'est lui qui nous intéresse
ici*,
lui et lui seul.
______________
(*) Que ceux qui ne s'en
étaient pas aperçus se renseignent auprès du peuple.
Rue de la Verrerie, rue des
Saints-Pères : ne pas confondre !
Avec ou sans
majuscule.
Indispensable de s'en tenir,
ici, au tout-venant de la production ciné, sans s'attarder
particulièrement sur Autant en emporte le vent, 2001,
Hellzapoppin, ou - autre chef-d'¦uvre absolu m'ayant
personnellement réconcilié avec la Création (n'ayons pas peur
des mots) -, Le Père Noël est une ordure.
Voir plus haut : Un infini bien de chez nous,
point n°3.
Voir
Chapitre 12 (Règles impitoyables?).
Indices incontestés : abandon
des étoiles rouges, autosabordement des différents pécés,
revendications de social-démocratie, création du marché
soviétique des changes, déboulonnage de la statuaire (Marx,
Lénine, quelques autres), réhabilitation des
contre-révolutionnaires, come-back de Dubcek et Havel, ouverture du
MacDo à Moscou et du Mur à Berlin, exode ininterrompu de la Rda
vers la Rfa (et des Juifs soviétiques vers le reste du monde),
adhésion de l'Union soviétique au Conseil mondial de la
boxe*
et d'autres indices, encore, d'ici la parution du présent
Faire-part.
______________
(*) Voir plus loin :
Inépuisable spectacle?
Scénario gagnant : hors
l'exception (navrante) de S. Allende, aucun gouvernement d'extrême
gauche - ou qualifié comme tel - n'est jamais sorti d'aucune
urne.
Non pas tranquille, mais plutôt brutale*. (On a trop longtemps souffert des
politiciens un peu poètes, tous ces Lamartine plus ou moins
inspirés.)
Et puis d'ailleurs, soyons réalistes : la poésie, combien de
divisions ?
______________
(*) Il vaut mieux parler de
coercition.
Voir Chapitre 12 : Règles impitoyables
méconnues par les lapins.
Voir plus
haut : Transition, communication.
Ayant quand
même payé de vingt millions d'âmes une regrettable (et très
suspecte) alliance avec le nazisme.
Jean Nohain
s'appelait encore Jaboune, et Gorbatchev vendait à la criée la
Pravda sur les marchés.
En hommage à Ricard, star
annuelle - c'est une coïncidence - de la Fête de
L'Huma.
Un pneu
!
Si ! Des
armes (mitraillettes, grenades, explosifs).
Désuet, je sais. (Mais
stéréo ne fait-il pas un peu cheap ?)
Ne pas
oublier Quand passent les cigognes.
Traduction :
les emplois ne sont pas garantis à l'Ouest (aussi bien qu'à
l'Est).
[Voir Chapitre 3 : Le grand saut émancipateur.]
Haute-couture (mode 1990)
dans L'Huma. Ce qui était possible :
- Ne pas en
parler (événement sans aucune importance un 15 janvier
1990).
- Même si on
n'était pas en période historique, ne pas en parler quand même
(les masses laborieuses dont L'Huma est l'organe de la
lutte) n'en ont vraiment rien à battre.
- Gloser
sarcastiquement sur le défilé (comme souvent de certains autres
trucs très parisiens ou jet-set).
- Citer
l'événement, sans plus : genre Le Figaro (quelques
clichés), ou Le Monde (même pas un croquis).
Ce que L'Huma fait : annonce triomphale à la une, avec photo
1/3 page et appel d'article intérieur (quatre pages lyriques, dont
l'extrait suivant : "La liesse atteint son comble avec les robes
du soir* imprimées de fleurettes multicolores,
virevoltant comme des vagues de fleurs autour d'une déesse qui
daigne dévoiler l'un de ses seins ronds."
- Dernière
variante : parler de cette minuscule chose avec recul (apprendre aux
prolos la vraie signification de ce phénomène type Jours de
France, mariages princiers, etc., ou encore insister sur les
nouveaux, les petits jeunes, les culottés, les talents qui
montent). L'Huma s'attarde au contraire sur Givenchy, Lanvin,
Saint-Laurent, Ricci, Rabane, Scherrer, Chanel, Carita, Courrèges,
Hermès, Dior.
______________
(*) Sûr qu'elles doivent s'en
sentir toutes dorlotées, les travailleuses de La Courneuve.
Selon une blague traditionnelle, les Américains
peuvent choisir entre Ford et Carter (ou les Français entre Hernu et
Chirac), tandis que les Tchèques (ou les Russes) peuvent choisir
entre voter lundi ou voter mardi.
Sabordage du Parti communiste
polonais. Communiqué officiel : "En quarante-deux ans
d'existence, il n'avait pas su répondre aux besoins sociaux, ni
réaliser les valeurs dont il souhaitait être l'émanation. Il n'y
avait en lui ni liberté ni justice."
Énième rappel : ne sont discutés ici que des
situations, évolutions, et perpespectives propres au petit milieu
"occidental" (europe atlantique et méditérranéenne, Amérique
du Nord), ET NON PLANETAIRES.
[Comme il est précisément si commode et si flatteur de s'amuser à
faire quand on ne vise pas plus loin que de ressasser le lot commun
des généralités sans risque.]
Voir la profession de foi de ce phénomène Minc
: "Je crois à l'économie de marché. Il n'en existe pas
d'autre*."
Plus loin : "J'aime le capitalisme et sa capacité infinie de
mouvement et de renouvellement. Il rime avec la vie : le nier, c'est
en économie refuser le principe vital. J'en connais certes les
rugosités et les petitesses, mais elles demeurent dérisoires,
comparées à cette formidable puissance de création."
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(*) Jacques Attali évoque
à propos du système occidental "la forme qui
surgit".
Althusser, Picasso, Aragon,
Nizan, Le Roy-Ladurie, Lefebvre, Kriegel, Verny, Garaudy,
Joliot-Curie, Gide, tant d'autres?.
Pourvu que le lecteur s'en soit rendu
compte.
Voir plus
haut : De plus en plus fort.
Toutes ces notions,
elles-mêmes au contact des infinités : l'ordre, le probable,
etc.
Et si un
nombre comme cinquante avait de telles propriétés, cela se
saurait.
L'évolution de notre planète, pas
moins.
Il n'est
même pas nécessaire, pour cette démonstration, de codifier le
dopage des coureurs.
Que ceux qui
ne sont pas convaincus par cette prophétie veuillent bien se donner
la peine de reconsidérer le problème, non pas avec l'objectif
d'UNE seconde, mais avec celui d'un CENTIÈME de seconde. (Cela
devrait suffire.)
Une preuve suffisante en est apportée par le fait
que nous pateaugeons en plein dans L'Équipe.
Cette navrante apostrophe,
captée en RDA, mi-décembre 89 : "Ce n'est pas parce que nous
venons chez vous manger des bananes qu'il faut nous prendre pour des
singes."
Encore un indice ? L'URSS, la
Pologne, et la Hongrie (aux côtés de la Bulgarie, de la
Tchécoslovaquie, de la Yougoslavie et de la RDA) se prononçaient il
y a peu "en faveur du professionnalisme sportif, et exprimaient
leur volonté d'introduire chez elles la commercialisation du sport
en faisant appel à des partenaires"? commerciaux. "Le
jour même, à New York, l'URSS adhérait au Conseil Mondial de la
Boxe*, l'une des quatre associations qui gèrent
les grands combats professionnels."
Professionnels de quoi ? De la boxe !
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(*) Ça existe.
Boris Vian du même avis: "Le désir de
la connaissance est le seul auquel s'offre une matière pratiquement
inépuisable. Et il est développable."
Comment ne pas dévorer un
article commençant par : "Malika ne retournera pas en prison :
la jeune Maghrébine de vingt ans qui, après avoir accouché seule
dans sa chambre, avait jeté son nouveau-né dans un
vide-ordures", etc., etc.
Bateau et «marronnier» tout
à la fois :
- bateau
(véritable bouteille à l'encre) ;
- marronnier
(thème journalistique à retour périodique, indépendamment de
toute actualité).
Chez de nombreux quadragénaires (?) aussi vieux que
le H, mais remontant plutôt, surtout chez les vrais durs d'un
certain affranchissement populaire (le père de Marcel Pagnol par
exemple), à près d'un siècle.
Voir plus haut : Mémoire,
imaginaire.
Rappel des
principaux griefs :
A de colossaux
profits pour l'État s'ajoute la protection par la puissance publique
des différentes couches économiques assurant la circulation du mal
(opérateurs et intermédiaires de toutes sortes : agri et
viticulteurs, industriels, négociants, transporteurs, cafetiers,
sans oublier l'incontournable dispositif d'information*), autrement dit les gagneuses de la
République.
Incidemment, la
puissance (et donc l'influence) d'un aussi formidable lobby n'est pas
sans causer frissons et sueurs froides.
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(*) Où l'on retrouve (fidèles
à toutes les mauvaises causes) les publicitaires au grand complet :
agences, régies, mais aussi supports (c'est le plus moche),
dont une bonne proportion directement exploitée par l'État.
Typiquement ici : faites ce que je dis, et non pas ce
que je fais.
Euphémistiquement qualifiées de "licites" alors
qu'elles ne sont pas moins ni autre chose
qu'officielles.
Voir cet ouvrage consacré à
Anna-Magdalena, et surtout à son idolâtrie pour saint Sébastien
Bach.
C'est
sans-in-té-rêt (tant pis pour l'incongruité) : les sentiments
profonds du Cantor, pas la peine d'en chercher, et surtout pas dans
la Chaconne en ré mineur, ni même dans la plus
"romantique" de ses études pour clavier (Prélude n°8 mi
bémol Livre #1 Cbt).
[A l'extrême
rigueur dans la musique sacrée, genre Et unum dominum de la
Messe, et quelques extraits de Saint Matthieu et du
Magnificat.]
En anglais : does 'nt help.
Cette dernière représente
bien sûr - toutes autres disciplines confondues - l'alpha et l'omega
des moyens d'accès à la Connaissance (l'Histoire étant
soupçonnée à elle seule d'en constituer
l'objet*).
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(*) Voir (Chapitre 1) le soin
particulier consacré, tout au long d'un certain cursus
universitaire, à l'étude de l'Histoire.
Finalement, découper des
papiers porteurs de trucs passionnants (ou marrants ou
simplement très inhabituels), à quel but cela
correspondrait-il si ce n'était pour se les rejouer, se refaire
plaisir avec, faire reluire les autres autant que j'ai pu, moi, en
profiter ?
Viagra +
pilule : les yankees ne lésinent pas lorqu'il s'agit de changer les
monde jusque dans ses plus? intimes convictions.
L'évènement serait passé inaperçu si les
heureux-propriétaires avaient été mieux traités (par exemple :
échange gratuit contre un appareil GSM bon marché). Mais au
contraire, ils n'ont eu que leurs yeux pour pleurer. Alors ça s'est
remarqué.
Qu'on se souvienne de TSF, premier nom de la radio
(télégraphie sans fil).
Mais cela
suppose quand même l'installation de milliers et de milliers de
'relais hertziens' dans toutes les caves de Paris, des grandes villes,
et du plus grand nombre possible de villes moyennes et petites, sans
oublier le long des routes, ainsi que l'érection concomitante de
milliers et de milliers d'antennes bien dégagées, - sortes de
bâtons (de mêmes dimensions que celui tenu par l'agent au coin de la
rue) clairs, colorés de jaune et de vert.
Jetons un
voile pudique sur l'abandon, lui aussi actuel [été 1999] du
Tam-Tam (0,5 milliard de francs) et dit-on du Tatoo, car de tels
échecs ne caractérisent certainement pas la France seule.
Inconditionnel : c'est un mot qu'on emploie généralement
quand on a tout tenté pour continuer, puis que la dure réalité
finit par s'imposer.
[Exemple : 8 mai 1945, reddition inconditionnelle de
l'Allemagne.]
Des écolos
(japonais) sont allés jusqu'à affirmer qu'ainsi, la France se
comportait en "chiottes" (sic) de la planète : l'analogie
n'est pas si bonne puisqu'en réalité, après les avoir
retraités près du Mont Saint-Michel, nous réexpédions aux
envoyeurs ces sales déchets.
Ce que l'homme
a créé de plus crade (Bhopal n'était qu'un enfantillage) depuis
son apparition sur cette planète.
Il n' y a pas
plus ignoble : dangereux, sale, pathogène, imprévisible,
mortifère, et surtout irréversible autant que cette notion
peut avoir de sens : le diable et l'éternité coalisés, gramme
par gramme de "déchet".
Il doit y avoir sous leurs climats des Verts plus véhéments
que chez nous autres.
Il serait injuste de ne pas citer ici notre "métro
automatique" (VAL) : je ne sais combien de banlieusards, dans
quelles villes étrangères, l'utilisent chaque matin, mais on n'a
pas entendu dire qu'il fût abandonné.
Ne mentionnons
ici que pour mémoire les encouragements du gouvernement français
(ministère des Transports) reçus par la SNCF en vue de favoriser
désormais le modèle italien de train à grande vitesse
(Pendolino), - ce train 'pendulaire' dont on sait trop
peu qu'il se contente des infrastructures ferroviaires
existantes.
Mérite ? De qualité exceptionnelle : à ce jour, aucun
accident (ce dont nul autre avion commercial d'après-guerre ne peut
se flatter).
On objectera que
cette innocuité est peut être liée au nombre très faible de
vols [ou au prix du billet, - trop cher pour les terroristes
?].
Autre
trouvaille (et pas des moindres en termes de rayonnement
français sympathique : la " 2CV", certes de
conception antérieure - les baby-boomers sont encore dans leurs
langes (première présentation : Salon de l'Auto 1948), a de
toutes façons été abandonnée depuis belle
lurette.
Mais oui :
mozzarella, mandoline pizzaïolo (l'italie n'est pas restée moins
rurale que la France), - et Olivetti.
La seule
contribution de notre constructeur national (lui-même lointain
dérivé d'une entreprise suédoise) à l'offre internationale
réside dans la carte à puce. Encore cet industriel a-t-il mis plus
de trois ans à sauter sur cette idée, et seize à en faire
une entreprise commerciale.
Ni le premier, ni même le dernier !
Le seul
domaine dans lequel la France se soit singularisée a été celui
de scandales industrialo/financiers régionaux (disques durs,
région Belfort-Épinal), ou nationaux (le mémorable cas
Goupil).
Songer à ces
deux fécondes semences dont cet industriel officiel disposait en
1976 :
- la carte à
puce
- le micro
ordinateur.
La carte à puce lui est connue depuis deux ans; le micro ordinateur
depuis trois. Ni l'un ni l'autre ne présente d'ailleurs
l'inconvénient fatal à tant de créations : NIH, not invented
here (pas inventé chez nous, en France).
- Le
créateur de la carte à puce est français.
- Le
créateur du micro ordinateur est français.
(Songer au triomphe historique des industries liées à
l'ordinateur personnel.)
Pas plus (ni moins) qu'Ethernet.
Ether- (pas
Inter-) : standard mondial de 'réseau local' (rien à voir avec
le Web ni l'e-mail).
Lançons une
hypothèse, et supposons que pour dix fois son chiffre d'affaires,
Microsoft pollue peut-être mille fois moins que
Saint-Gobain.
Pilule
abortive RU486 et test HIV ne constituent en rien (malheureusement)
des marques-phare, au sens du présent bilan.
Périphrase anti-Le Pen, délibérément.
Immense et garanti, puisque basé sur des besoins les plus
primaires qui soient : payer, téléphoner, calculer, fournir une
identité.
Et d'ailleurs,
sur le reste du territoire américain, plusieurs millions de
décodeurs à carte à puce (dérivés du modèle français
Canal+ ou Visiopass) pour télévision payante par satellite,
sont-t-ils utilisés quotidiennement.
Tout ceci dans
d'excellentes condition de sécurité, sanitaires, et financières,
tant vis-à-vis du personnel (rayonnements) que des usagers
(pickpocketing).
Choix
délibéré et excellent des banques (malgré les habitudes
sécuritaires prises par les usagers depuis 1990) dans le sens d'une
dissociation la plus complète possible avec toute espèce de compte
[bancaire] personnel.
Incidemment, cette
absence de code confidentiel exclut toute possibilité de
contestation ou de litige, en cas de perte ou de destruction du
PME.
Exactement
comme dans le cas d'un porte-monnaie en cuir, mais en l'espèce, il
ne s'agit pas d'une régression.
Plusieurs
millions de ces cartes "sans contacts" sont utilisés
avec succès depuis plusieurs années, à Séoul, par les
abonnés des services urbains de bus.
Bientôt : l'Île
de France.
Brevet de 1974 : couplage optique pour les données,
électromagnétique pour l'alimentation en énergie.
Fuite des
cerveaux : est-ce que ce sont des ingénieurs ou des créateurs
français qui sont responsables du succès de Xerox, de Microsoft,
du post-it ?
Si oui, qu'on les montre !
Exemple : Luc
Montagnier, découvreur importantissime français du virus
H.I.V. (même si - information restée confidentielle -
prématurément tombé en retraite, et ayant de ce fait pris le parti
d'aller continuer ses travaux de l'autre côté de
l'Atlantique).
C'est le même
Montagnier qui, le 22 mai dernier, présente le principal objectif de
son nouveau centre de recherche installé à New-York : la
mise au point d'un vaccin.
Nul doute que cet
objectif, s'il est atteint, donnera naissance à des millions de
petites fioles ou capsules, qui feront le bénéfice d'entreprises
locales, estampillées qu'elles seront Made in
USA.
Fusées
européennes à la création desquelles nous participons, - pas
seulement en mettant à la disposition de l'E.S.A. une de nos
colonies lointaines.
Euphémisme
pour : mines (dont une spécialité où nous avons excellé
particulièrement (aux côtés de notre grand voisin
transalpin) : les mines anti-personnel).
Au contraire
des autres grands projets aérospatiaux, le Rafale est
(malheureusement) seul franco-français.
Quant à la perfide
Albion, celle-ci garde d'ailleurs un souvenir cuisant, depuis 1982, de
nos Exocet® (d'ailleurs tirés par un
Super-Étendard®).
POST-SCRIPTUM :
A/ C'est seul,
sans l'aide d'aucun documentaliste, sans le secours d'une
encyclopédie, que j'ai effectué ce mini-recensement : autant dire
que ma liste est peut-être incomplète - partisane, dira
t'on ? -, et que je recevrai un déluge de lettres me rappelant
l'existence de telles marques françaises majeures de
camescope, l'entrée fracassante au NASDAC de tel éditeur
(français) de logiciel, ou l'absorption de Hewlett-Packard par tel ou
tel constructeur micro ou macro-informatique
(français).
B/ Tous les
chiffres cités sont approximatifs (de simples puissances de dix :
seul le nombre de zéros est ici significatif), mais - je crois -
pertinents.
C/ Toutes
les marques citées, mentionnées, ou évoquées dans ce texte
appartiennent à leurs propriétaires respectifs.
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