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Calculatrice |
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Fâché comme je l’étais depuis mes débuts au lycée, avec les mathématiques sous toutes leurs formes, il ne me serait jamais venu à l’idée
de mettre en chantier un appareil calculateur si, à l’occasion de bricolages sur un bateau télécommandé, je n’avais découvert les charmes du comptage : |
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1. mise à zéro du compteur
2. envoi au compteur de 4 impulsions
3. l’afficheur indique : 4
4. envoi au compteur de 2 impulsions complémentaires
5. l’afficheur indique : 6.
CQFD, on vient de réaliser une addition. |
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La soustraction se fait elle aussi en deux temps : 1. mise à zéro du compteur ;
2. une horloge envoie 5 impulsions, compteur bloqué ;
3. au bout de 3 impulsions, une circuiterie débloque le compteur, qui commence à s’incrémenter ;
4. lorsque l’horloge s’arrête le compteur affiche 2.
CQFD, on vient de soustraire. |
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Pour la multiplication, c’est encore plus simple :
1. mise à zéro du compteur ;
2. envoi de 6 trains de 3 impulsions ;
3. comptage du nombre de trains
CQFD, le compteur affiche 18. |
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Sur
l’afficheur à six chiffres tout tient puisque mon
opérande et mon opérateur sont, par construction,
larges de 2 chiffres : la plus grosse opération que l’on
puisse faire, 99*99 tient à l’aise puisque le résultat
(9801) ne fait que quatre chiffres de large.
Quant à la division, elle consiste à séparer
en paquets de deux chiffres (l’opérande) un nombre,
le plus élevé possible, issu de l’opérateur
après que celui-ci ait été automatiquement
multiplié par 1 000, 10 000, 100 000 ou
1 000 000. Ainsi, la précision la plus grande est obtenue
en cinq ou six tentatives.
15 divisé par 5 va ainsi donner successivement 2,1,5,6,3,8,
puis 2,6,3,7,1,0 etc. jusqu’à 3,0,0,0,0,0.
On dit [je dis] que la machine « converge » : ne
me demandez pas pourquoi, je n’en ai aucune idée.
Enfin, pour les virgules, c’est très simple : incapable
de maîtriser leur position (valeur décimale du
résultat), j’ai décidé de les allumer
toutes. À l’usager [ ?] de maîtriser l’ordre
de grandeur. Il a les numéros, ce n’est déjà
pas si mal, je ne sais pas si la machine de Pascal en donnait
autant.
Précision importante sur la multiplication : en réalité,
l’opération 6*3 ne donne pas 18 mais 19.
De même, 3 fois 2 font 7, et 5*5 font 26. Ne me demandez
pas pourquoi, je n’en ai aucune idée.
Frustré par cette imperfection, j’ai conçu
un gros bloc électronique (sept circuits intégrés)
agencé pour soustraire 1 du résultat d’une
multiplication, dès celle-ci terminée : 5*5=25. |
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On
pourra trouver à ce patch toutes les qualités,
sauf l’élégance.
Pas grave, l’ « élégance » c’est
pas mon truc.
Mais le résultat net est que cette machine a perdu toute
originalité (sauf celle de devoir « converger »
pour les divisions), toute personnalité, et le principal
de cet erratique fonctionnement qui, à mes yeux, faisait
une grande partie de son charme. [Cette construction est contemporaine
de celle du train et de la pendule rétro.]
Donc, j’ai fini par mettre hors circuit mon gros patch
et de nouveau, comme il y a trente ans, la calculatrice affiche
fièrement 3*3=10. |
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Cui-cui
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Une
des premiers contacts avec l’informatique date de 1975 : très
impressionné par la notion de time-sharing, je demandai à
IBM d’installer un terminal dans mon appartement, avec une connexion
à leur système partagé : IBM-Call. |
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L’ingénieur
commercial m’expliqua que, traditionnellement, IBM était
très centralisatrice, et évitait de disperser
ses ressources : ainsi, le centre de calcul qui s’occupait
de mon terminal était-il basé en Suède.
Tous les calculs que je demanderais de faire seraient exécutés
en Suède, mes données seraient stockées
en Suède, etc.
Ayant d’emblée opté pour un service Basic,
je tapais par exemple :
LET A=9 : Let B=3 : Let C= B*A : PRINT C.
En une fraction de seconde, ma variable (suédoise) A
s’était multipliée avec ma variable (suédoise)
B, donnant naissance à une nouvelle variable C, tout
aussi suédoise dont le terminal venait en un millionième
de seconde d’imprimer à Paris 27, sa valeur désormais.
(Millionième, compte non-tenu des délais de télécommunication.) |
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Déjà
mordu par le démon de faire des phrases automatiques, je
conçus un test de quotient intellectuel [QI d’où
le nom de la manip : cui-cui] qui fonctionnait — un peu comme
mon futur Aide-Mémoire du Nouveau Cordon-Bleu — de
la façon suivante :
1. piocher le premier terme d’une série de questions
(combien coûte, combien mesure, combien pèse, etc.)
2. piocher le second terme, à caractéristique plutôt
adjective (ce beau, ce joli, ce lourd, cet imposant, cet énorme,
ce ravissant, etc.)
3. piocher le troisième terme, un simple mot (ministère,
boeuf, camion, stérilet, sénateur, etc.).
Le terminal
posait donc au joueur la question : « combien pèse
ce ravissant ministère ? » et se mettait à attendre
une réponse (Input A$).
C’est là que se situait le vice consubstantiel à
Cui-Cui : dans mon programme, la variable A$ était purement
et simplement ignorée. Pour noter le candidat, je
tirais une valeur au hasard (de 0 à 20/20), que j’agrémentais
d’un commentaire concis, totalement issu du hasard lui aussi,
style « vous y êtes presque » « sur la bonne
voie » « à côté de la plaque »,
etc.
Une séquence typique comprenait donc les dialogues suivants
:
Q1 = combien pèse ce charmant ministère ? 1500 tonnes.
13. Vous brûlez.
Q2 =combien mesure ce joli boeuf ? 3m50. 6. Encore un effort.
Q3 = combien coûte ce délicieux stérilet ? 200
000 F. 18. Nul.
Mes visiteurs y avaient droit, bien sûr, et c’est d'eux
que vinrent mes principales surprises.
Tout d’abord,
ils se prenaient au jeu, et ne supposaient pas un instant que cette
machine pût être malhonnête (surtout au point
où elle l’était).
Le plus souvent, ils avaient l’impression que la machine ne
faisait pas n’importe quoi en éructant « combien
coûte ce ravissant wagon ? ». Surtout, ils avaient l’impression
que leurs réponses jouaient un rôle dans la réaction
de la machine : « 200 000 F elle nous dit nul mais
elle nous file 18. Il vaut mieux se fier au 18.»
Le plus extrême que j’aie vu : deux copains tout-à-fait
comme il faut (intelligents, cultivés, scientifiques, instruits,
critiques, etc.) qui avaient eu l’idée de répondre
à la question Q2 : 3000 pastèques, et ayant engrangé
comme réaction 19, excellent.
Et je les ai entendu, ces deux copains, s’échanger
le commentaire suivant :
« tu vois, si on lui file des réponses ironiques, Cui-Cui
apprécie. » |
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Digicodes |
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Un
jour, la porte de l’immeuble où je résidais
se trouva subitement affublée d’un bouton électrique.
Comme elle pesait une tonne (et était donc insensible
aux courants d’air) et que ce bouton n’était
pas codé, l’innovation était donc particulièrement
inutile : n’importe qui pouvait entrer, et la porte ne
risquait pas de battre sous l’effet du vent.
Ma
fibre rationnelle se cabra devant ce défi à la
raison.
De plus, toujours encombré de paquets et de cabas, je
ne peux supporter un instant cette aberration : au lieu de simplement
pousser la porte avec mon pied, il me faut désormais
me débarrasser de mes colis sur le trottoir, appuyer
sur le sacré bouton, puis reprendre le processus antérieur.
Un simple coup d’oeil me révèle un fil électrique
qui actionne la gâche de la porte. Dès la nuit
venue, je me contente de sectionner le fil. Moyennant quoi la
porte se bloque en position fermée, cela crée
un petit incident avec les premiers locataires qui, au matin,
veulent sortir, et la concierge doit se contenter de mettre
hors service cette inutile circuiterie, non sans avoir bloqué
ouverte la porte, avec un bout de bois.
Pas de bruit, pas de vagues, personne n’évoque
jamais le « problème » du bouton. |
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Des
mois après, le syndic revient à la charge, avec un fil
mieux protégé dont aussitôt, je ne fais qu’une
bouchée.
Pas de bruit, idem.
Des mois après, le syndic fait poser un tube métallique
pour protéger le câblage. Idem je tire d’un coup
sec (cette fois-ci vers trois-quatre heures du matin), cinq mètres
de gaine se décrochent.
Pas de bruit, idem.
Des mois après, le syndic fait poser un tube militarisé,
qui va me donner — c’est le cas de le dire — du
fil à retordre.
Et c’est là que je trouve LA solution :
un simple goutte de cyano (« super-glu ») dans le bouton
intérieur.
Le bouton étant bloqué, la porte ne peut plus s’ouvrir
: idem petit incident, on est obligé de mettre hors-circuit
la commande de gâche (bout de bois, etc.), cette fois-ci pendant
des années.
Après quoi, le syndic prend conscience — je suppose —
du caractère imbécile de ce bouton dépourvu de
toute fonctionnalité : il le remplace par un digicode qui,
s’il oblige encore les résidents à poser leurs
colis pour entrer, filtre au moins les visiteurs dépourvus
de code. Ce faisant, le syndic se heurte de nouveau à moi :
expert en sécurité, si l’on peut dire, grâce
au code confidentiel de la carte que j’ai inventée, je
sais bien que les digicodes ne sont qu’une passoire à
gros trous. N’importe quel individu peut franchir l’écueil
d’un digicode d’immeuble sans moyens électroniques,
sans tour de passe-passe (le plus souvent en se contentant de demander
au commerçant mitoyen).
C’est
encore l’irrationnel qui frappe, donc.
Il faut donc faire passer cette velléité au syndic.
Pas de problème, l’immense majorité des digicodes
sont équipés de deux diodes (rouge, vert) en face avant
: à trois heures du matin, un tournevis pas trop gros enfonce
la diode puis, sur son chemin, détruit le circuit électronique
qui la supporte.
Le syndic fait remettre le digicode hors circuit (retour du bout de
bois qui coince la porte en position ouverte), et quelques trimestres
s’écoulent avant qu’un digicode militarisé
soit prenne la place du précédent.
L’arme
fatale, à présent : il s'agit tout simplement un gadget
d’auto-défense, qui inflige 50 000 volts à celui
dont on l’approche.
Décès final et irréversible du digicode —
toujours aucune rumeur dans l’immeuble, où résident
pourtant 150 personnes — puis je déménage pour
m’installer dans un autre appartement : la porte de l’immeuble
est certes équipée d’un bouton, mais elle est
tellement mal fichue qu’un solide coup de pied suffit à
l’ouvrir.
Jamais, pendant toutes les années où j’y résiderai,
en tant que copropriétaire cette fois-ci, je ne laisserai voter
une réparation du bouton, et encore moins la pose du moindre
digicode.
(Je n’ai pas honte, tout cela est prescrit.) |
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Le
prix Edward Rhein |
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On
m’a informé, il y a quelques années que
j’étais nominé, dans la catégorie
Théorie de l’Information, par le jury Edward
Rhein (Nobel allemand, paraît-il).
J’en
fus évidemment honoré, mais quelle ne fut pas
ma déception de découvrir que je n’étais
pas seul : un autre lauréat, bel et bien allemand lui,
était nominé au même rang que moi. Or
je connaissais les travaux de cet inventeur polygraphe (électricité,
électronique, mécanique, etc.), et le brevet
qu’il avait déposé sur la carte à
puce n’arrivait pas à la cheville du mien.
D’un
autre côté, c’était une période
de ma vie où les 400 000 F du prix étaient susceptibles
de m’aider à payer un reliquat d’impôts
: il m’était donc difficile de refuser le prix.
(Si je l’avais fait, d’ailleurs, le jury Edward
Rhein aurait été bien embêté :
impossible d’attribuer à mon seul rival la paternité
de la carte à puce.) |
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J’y
suis donc allé : smokings, robes longues, ambiance très
Nobel, en effet.
Et lorsque mon tour est venu de faire un speech de remerciement
devant toute l’audience en extase, j’ai indiqué
que j’étais fier de cette distinction, et que je
la collerais dans mes toilettes entre ma carte de fidélité
à Pizza-Hut et le bon de réduction sur mon prochain
pack de 12 pepsis.
Je fus sifflé, hué (personne — sauf l’autre
inventeur — n’avait la moindre idée de mes
raisons), et un bref scandale éclata, où ma qualité
de « Chevalier » [de la Légion d’honneur]
fut mise en question. |
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L’egglift |
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Au
plus creux de l’aventure de la carte à puce,
c’est à dire vers la fin des années 70,
j’étais harcelé de difficultés
matérielles, et pour tout dire un peu démoralisé.
Faisant les cent pas dans mon appartement, je me mis à
farfouiller dans une caisse de bric-à-brac comme j’en
ai (toujours) plein, et j’y trouvai un moteur de Mécano
à six vitesses, neuf.
J’ai eu subitement envie d’entendre
le bruit d’un moteur en démarrage, puis en rotation,
surtout celui-ci qui, comportant une boîte de vitesses,
était truffé d’engrenages bruyants.
Je
ne sais comment, je m’attaquai aussitôt à
la réalisation d’un égouteur d’oeufs
à la coque, dont les plans étaient instantanément
très clairs dans mon esprit :
a) la nacelle
De la taille d’un bol, elle est constituée de
fil de fer laissant ajourée la plus grande partie de
la surface, et pouvant contenir un maximum de quatre oeufs.
b) la platine technique
Entièrement en Mécano, et fixée au mur
juste au-dessus d’un des feux de la gazinière,
ce n’est qu’un châssis métallique
sur lequel sont établis les piles, le moteur, un treuil
(fait d’un bouchon de bouteille de vin), ainsi que le
guide-câble, qui définit la position verticale
du câble (et donc de la nacelle).
c) le temporisateur tournant
Collé au mur juste à côté de la
platine technique, c’est un petit timer Terraillon (pour
cuisine ou labo photo), qu’on fixe sur un nombre de
minutes (et qui sonne en fin de période), sur lequel
je fixe un aimant en vue de déclencher un relais de
coupure lorsque le temps arrive à zéro.
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Le
mode d’emploi est des plus simples :
1) une casserole d’eau bouillante
2) appui sur LE bouton qui descend la nacelle de sa position de repos
; relâcher quand la nacelle est arrivée à hauteur
de bras tendu, juste à l’aplomb de l’eau bouillante.
3) mettre les oeufs dans la nacelle
4) appui sur LE bouton jusqu’à ce que les oeufs soient
complètement immergés.
5) réglage du timer sur la durée désirée
; par exemple 2’30”
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C’est
tout pour les opérations humaines, maintenant : CUISSON |
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Au
bout de 2’30”, le timer sonne, l’aimant déclenche
le relais, qui alimente en courant le moteur, lequel se met à
hisser la nacelle en bobinant son treuil. Après une dizaine
de secondes, grâce à un mécanisme d’arrêt
automatique — qui fera toute ma fierté d’ingénieur
autodidacte — tout s’arrête : il n’y a plus
qu’à recueillir les oeufs en se brûlant bien les
doigts.
L’arrêt automatique : le câble est en constitué
par 50 cm de chaînette métallique, prolongée côté
nacelle par 10 cm de ficelle. Grâce à un système
de contacts et de frotteurs, le courant n’alimente le moteur
qu’à travers deux points de la chaîne (tendue grâce
au poids des oeufs), écartés de 5 cm. Lorsque, tout
en haut, la chaîne se trouve remplacée par de la ficelle,
le courant ne passe plus et l’arrêt est rigoureusement
garanti. |
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Cette
absolue certitude n’a jamais cessé de m’émerveiller,
et j’ai montré l’appareillage à des
dizaines de personnes en glapissant de plaisir devant leur stupeur,
— mais je savais bien qu’une personne sur 10, pas
davantage, comprenait la perfection sacrée de mon arrêt
automatique.
L’egglift, comme il a été baptisé,
a très bien marché pendant une dizaine d’années,
mais, bien évidemment, il n’était là
que pour amuser les copains, visiteurs, journalistes (friands
de ce genre de spectacle).
D’ailleurs, nous mangions rarement des oeufs à
coque. |
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Le
gilet |
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TBA
(la Théorie du Bordel Ambiant) fut un tel succès de
librairie que Hachette chercha à en acquérir, auprès
de son éditeur Pierre Belfond, les droits pour l’édition
Poche. |
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Simultanément,
en 1992, Le Nouvel Observateur eut l’idée d’un
concours de lecture centré sur la Théorie du
Bordel Ambiant.
Apple se joignit au jeu, et dota le concours de la plus magnifique
configuration Macintosh de l’époque, d’une
valeur de l’ordre de 100 000 F.
Il eût été légitime d’en
faire le premier prix, n’eût été
une péripétie intervenue entretemps : j’étais
entré en amitié avec Thierry Lhermitte.
Voici
dans quelles circonstances.
Lisant un jour par hasard une revue plutôt déconnante
du nom de « 7 à Paris », je tombai en arrêt
sur une interview de cet acteur que, comme tant d’autres
cinéphiles, j’avais statufié après
l’adaptation cinématographique, par Jean-Marie
Poiré, du Père Noël Est Une Ordure
qu’avait créé le Splendid.
Que disait l’interview ? Des choses comme :
— Avez-vous des perversions sexuelles ?
— Aucune. (Sauf si l’on appelle « perversion
» l’envie de sodomiser des cadavres d’animaux.)
Voilà qui suffisait à me ravir. Et à
me donner envie d’être copain avec l’auteur
de tels propos.
Ou bien :
— La coiffure est-elle un art qui vous préoccupe
particulièrement ?
— Oui, et à ce propos, je tiens à rétablir
une vérité importante. Roland Moreno, dans sa
Théorie du Bordel Ambiant — un livre que j’adore
— fait sans cesse des énumérations style
« la Liberté, la Justice, la Démocratie
[...], la coiffure, merci Coluche », etc.
Or il n’est pas juste de créditer Coluche de
ce gag parce que ce gag est de moi. Il faut que cela
soit su.
Je n’en revins pas qu’un personnage aussi haut
placé dans mon Panthéon personnel puisse dire
à propos de MON livre, MON oeuvre, MA fierté
: « un livre que j’adore ».
Je l’ai contacté, et c’est comme cela que
nous sommes devenus amis.
Cette affaire de concours étant maintenant bien en
route, je demandai à Lhermitte si, en guise dotations,
on ne pourrait pas placer le Macintosh en seconde position
et — inaccessible espoir — le gilet que dans le
film Anémone offre à Lhermitte, comme 1er prix.
Il me promit instantanément de faire le maximum pour
exhumer cet accessoire vieux de dix années, mais finalement
échoua. (C’est en définitive une amie
qui l’a tricotée au crochet, sans quitter des
yeux un magnétoscope défilant en image/image.) |
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À
l’issue de ce concours, c’est bien entendu la loi de l’emmerdement
maximum qui frappa : le gagnant n’avait rien à fiche
du gilet d’Anémone, mais se tordait les mains de désespoir
ayant été 1er plutôt que second, tandis que le
prix suivant était décerné à un habitué
du PC et du DOS, profondément indifférent à une
configuration Macintosh, aussi luxueuse soit-elle.
Je les fis se rencontrer, offris le Macintosh au premier lauréat
(ravi) et fit rechercher l’intégrale des Marx Brothers
en VO (rarissime), qui enchanta son concurrent.
Quant au gilet fait main, je l’ai encore, il trône au
centre de mon bureau et est immédiatement identifié
par — incrédules — quatre visiteurs sur cinq. |
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Ingratitude
des débuts |
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Je
me suis souvent demandé, avec le recul, comment et pourquoi
je me suis lancé, dès la 6e dans l’«
électronique » (un bien grand mot pour désigner
la confection d’un poste à galène).
Mes tous débuts (du côté de la
rentrée) n’avaient pourtant rien d’encourageant
: mes parents m’avaient offert une maquette de bateau,
un modèle électrique destiné à voguer
sur l’eau des Tuileries ou du Luxembourg. |
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Or,
premier constat, dans ma baignoire, une fois chargé de toutes
ses piles, la ligne de flottaison du petit yacht tangentait le pont
principal de façon inquiétante.
Ayant par ailleurs égaré l’interrupteur d’arrêt-marche,
je trouvai malin de remplacer celui-ci par un bouton de lampe de chevet,
du type qui allume quand on appuie et qui éteint quand on appuie
à nouveau. Or, par principe, les boutons de ce genre exigent
une assez nette force d’appui, que ce soit pour allumer ou pour
éteindre. |
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Solennellement,
la construction terminée, j’emmenai un copain au Luxembourg
pour l’inauguration de cette auto-proclamée « maquette
». Je plongeai le bateau dans l’eau, où, malgré
la charge démentielle des piles, il ne coula pas tout de suite.
C’est par contre quand j’appuyai sur le bouton de lampe
de chevet pour le faire démarrer qu’il s’enfonça
d’un centimètre supplémentaire, se laissant instantanément
envahir par l’eau dont il était cerné.
Avant que j’aie pu esquisser un geste il était au fond,
— où il gît encore, sauf si le dieu des petits
enfants l’a, un jour de grand nettoyage, récupéré
au bout d’un râteau.
[J’ajoute que c’est sans ravissement aucun que nous le
vîmes évoluer, tel un sous-marin, au fond de l’eau
saumâtre : appuyant sur le bouton j’avais bel et bien
enclenché le moteur, et celui-ci propulsait la « maquette
», une trentaine de centimètres en dessous du niveau
du bassin.] |
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Massif
central |
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Ça,
c’est une recette que je voudrais donner à tout le monde
pour sortir des sentiers battus. |
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Objectif
: aller de Poitiers à Draguignan, en
mobylette, avec mon amie Jacqueline.
Première étape :
prendre un agenda de poche (genre : avec quelques cartes
géographiques à la fin), et tracer au crayon bleu
une ligne reliant Poitiers à Draguignan.
Seconde étape : prendre trois
ou quatre cartes routières très détaillées,
partant de la région poitevine et aboutissant à
la région dracénoise ; y reporter (toujours au
crayon bleu) une ligne la plus droite possible passant par des
routes (départementales le plus souvent, — merci
Jean Yanne), des chemins, des pistes, des fermes carrossables,
etc.
Troisième étape : emprunter cet
itinéraire abracadabrant — la mobylette ou le vélo
sont indispensables — et couvrir le trajet en dormant
dans les fossés avec une bâche tendue entre les
deux cycles : trois ou quatre jours font l’affaire.
Quatrième étape : recommencer
l’année suivante, en donnant à la ligne
originelle (étape 1) une infime inclinaison par rapport
à l’année précédente : l’itinéraire
en sera 100% différent. |
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Milliardaire
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Après
des années de négociation, qui nous ont paru des siècles,
CII-Honeywell-Bull a fini par signer avec moi la première des
deux cents licences relatives à mes brevets sur la carte à
mémoire
(future « carte à puce »). |
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L’invention
avait suscité un tel enthousiasme, depuis son origine
même, que l’idée ne nous venait pas qu’il
puisse être question, à son sujet, d’autre
chose que de milliards (anciens) de francs. Et de fait, le contrat
élaboré en des dizaines de réunions par
notre « partenaire industriel » en comprenait plein,
de ces sommes exprimées en millions voire en dizaines
de millions.
Sur vingt cinq articles, au moins quinze prévoyaient
le paiement de « 6 MF », « 4 MF », «
12 MF » et même « 18 MF ». |
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Le
soir de la signature, nous avons évidemment champagnisé
comme il se devait ce contrat mirobolant.
Euphorie était un mot un peu faible. Nous délirions
véritablement devant l’immensité de la tâche
accomplie : quelques centaines de milliers de francs dépensés
en petits salaires et honoraires de brevets, remboursés par
tous ces milliards (anciens) engrangés en une signature.
Puis les mois ont commencé à passer, les trimestres,
les années : pas de milliards, ni même de millions.
Notre licencié chéri n’exécuterait-il pas
le Contrat qu’il avait signé ?
Malhonnête, serait-il ?
Mauvais payeur ?
Même pas.
Il
suffisait de relire le texte, ce qu’enfin nous fîmes à
notre extrême désappointement : le Contrat fonctionnait
parfaitement, mais il était doué de propriétés
logiques mettant Bull à l’abri des factures : un remarquable
ensemble de SAUF, de NI, de DONC, de ET, de OU faisait qu’on
passait jamais par les articles payants.
En résumé, le contrat était entièrement
gratuit, mais, aussi parfaitement exécuté soit-il, je
ne gagnais jamais un sou.
[J’ajoute que Bull voyait d’un très mauvais oeil
la concurrence de qui que ce soit : lorsque échaudé
par le contrat Bull je fis entrer Schlumberger dans le jeu, cette
fois-ci à titre bel et bien payant, Bull fit immédiatement
à son challenger un procès en concurrence déloyale,
qu’heureusement il perdit. Puis ce furent Philips, tous les
japonais (200 licenciés à la fin), mais force est de
constater que lorsque le moment fut venu de payer des royalties (pourcentages
sur les ventes), Bull paya toujours rubis sur l’ongle.] |
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Jeux
de mots |
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Muni
d’une première enfant de deux ans, et sur le point d’en
accueillir une seconde, j’éprouvai au début des
années 80 le besoin de les initier à la lecture, comme
la micro-informatique naissante en laissait poindre les multiples
possibilités. |
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Avec
l’aide de mon ami Alain Maréchal, je m’amusai
tout d’abord à forger de toutes pièces
un alphabet enfantin, du genre de ce qu’on trouve dans
les livrets d’initiation, en CP.
Puis mon Apple2 envoya des mots (papa, maman, bonjour, merci)
s’afficher avec cette police, et le résultat
dépassa mes espérances tant il était
charmant. J’eus aussitôt l’idée de
faire se déplacer les mots sur l’écran,
avec les quatre flèches dont disposait l’Apple2
(escape I, J, K, M).
Très
facilement, je parvins à rabouter « bonjour »
et
« papa », avec un espace entre les deux.
Il était hors de question qu’un petit enfant
sache manipuler escape et le reste du clavier : je
décidai donc de faire se mouvoir les mots sous l’effet
des joysticks (bâtonnets de commande similaires aux
manettes des jeux vidéo).
De Basic, le programme naissant plongea dans l’assembleur
(indispensable pour la « lecture » des joysticks).
Et, à ma délicieuse surprise, cela fonctionna
: en poussant le bâton du joystick vers l’avant,
« maman » montait, en tirant « maman »
descendait, à gauche-gauche et à droite-droite. |
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Il
s’agissait bel et bien, comme je l’avais voulu, d’une
préparation à la lecture et aux mots : en superposant
« glace » et « chocolat », on pouvait nettement
distinguer un mot plus long que l’autre. Et même, en ajoutant
« au », un mot encore plus court.
Deux ans plus tard, Frédéric Lévy s’empara
du chantier, avec en tête l’idée d’en faire
une adaptation idéale sur le Macintosh : écran «
wysiwyg » (caractères noirs sur fond blanc, non pas verts
sur fond noir), et surtout souris.
Inutile
de dire que Frédéric eu à réécrire
entièrement le programme (ainsi que la police de caractères)
en lui ajoutant des détails subtils mais spectaculaires (par
exemple : les mots sont devenus transparents), avec le mode opératoire
suivant : une phrase jaillit sur l’écran, et y reste
un temps suffisant pour l’observation ; puis elle éclate
en autant de morceaux que de mots, qui se répandent sur la
fenêtre. Il faut alors les attraper un à un avec la souris,
et les disposer selon l’ordre approximatif de lecture (le 1er
mot vers le haut et la gauche, le suivant plus bas et plus à
droite, et ainsi de suite). Une fois l’opération terminée,
on clique « J’ai fini ma phrase » et, en cas d’exactitude
un sourire et le jeu reprend avec une phrase plus longue d’un
mot. (Dans le cas contraire, la nouvelle phrase serait plus courte
d’un mot.)
Si le joueur ne trouve pas, il clique « Donne-moi la solution
» et tous les mots se remettent voluptueusement en ordre, en
un superbe ballet typographique sur l’écran tout blanc
du Mac. |
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À
la
sauce Macintosh le jeu est subitement devenu superbe. Apple le montra
fièrement lors de la 1ère Apple-Expo qui présenta
le Macintosh, en 1985 : c’était le premier développement
étranger aux États-Unis sur le segment si convoité
par Apple : l’éducation.
Incidemment, et à la gloire de Frédéric Lévy,
il faut dire que Jeux.de.mots avait été si bien programmé
qu’il résista à la longue succession des systèmes
du Mac (jusqu’à l’avant-dernière 9.2, en
2002). Par contre, avec la puissance des machines qui fut en quinze
ans multipliée par un énorme facteur, le «voluptueux
ballet typographique» se transforma en un sec retour à
zéro de toute la phrase.
Heureusement
François Grieu (comparse de Frédéric) prit les
choses en mains en 2003, rajouta dans les bonnes boucles la quantité
de NOP nécessaire à ralentir le mouvement et aujourd’hui
tout est rentré dans l’ordre : sur n’importe quel
Mac, la gracieuse remise en place des mots est aussi belle qu’en
1985. |
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Pendule
rétro |
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J’ai
mis la main un jour sur un petit moteur d’horloge bien original,
qui m’a tout de suite donné une idée. |
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Fonctionnant
sous 220V, il était doté d’une certaine
puissance, ce qui me permettait d’envisager de longues
aiguilles en balsa (bois ultra-léger) de l’ordre
de un mètre.
Équipé
d’un train d’engrenages particulier, il ne fut pas
très difficile de le faire tourner à l’envers.
Ayant collé au mur d’énormes chiffres (1,2,3,...12)
dans l’ordre inverse de ceux des horloges que nous connaissons
(le 1 à la place du 11, le 3 à la place du 9,
etc.), je me retrouvai, pendant quelques mois, sous l’influence
de cet espèce de monstre.
C’était
précisément l’époque où je
phosphorais sur certains des brevets complémentaires
à la définition de la carte à puce —
certains allaient s’avérer décisifs —
et, aujourd’hui encore, je n’exclus pas qu’ait
pu jouer un rôle sur la gestation, cette espèce
de révolution mentale : le sens des aiguilles d’une
montre fait partie de notre substrat depuis le plus petit âge
de notre enfance, et ce sens n’a jamais fait l’objet
d’une seule remise en question, d’une seule expérience.
(Alors qu’on sait lire à l’envers les lettres
de l’alphabet, certains savent écrire de droite
à gauche, etc.) |
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Les
balbutiements du radoteur |
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Très
vite, et sous l‘effet de je ne sais quoi (aucune médiatisation),
le Radoteur a été connu dans les milieux de
la publicité, du marketing, et autres promoteurs de
marques commerciales.
J’ai
reçu ainsi un jour, de façon tout-à-fait
inopinée, un coup de fil du Laboratoire L…, le
téléphoneur me tenant les propos suivants :
« Voilà, nous avons racheté une société
spécialisée dans un anti-hémorroïdaire.
Leur produit est commercialisé sous le nom «Canulette
Derol», ce qui n’évoque les hémorroïdes
ni de près ni de loin. Il est, en outre, fortement
concurrencé par la «Préparation H»
qui, pudiquement, n’a pas cet inconvénient.
Seulement
voilà : le patron, qui est un vieil homme, ne veut
pas se laisser convaincre de changer le nom de sa spécialité.
Sauf, peut-être, si la prescription vient d’un
robot, d’une machine, bref d’un truc technique.
«Que pouvez-vous faire pour nous ? »
Avec
mon ami Botton, nous avons d’abord réalisé
une « étude qualitative », dont les conclusions
tendaient à recommander un nom flatteur pour le médecin
prescripteur (et en même temps discret pour le client
en pharmacie). Pas la peine de faire un dessin : cela signifiait
que la racine procto devait s’y trouver.
On l’a évidement incorporée de force dans
le Radoteur, ainsi qu’une vingtaine d’autres racines
évocatrices de douceur, d’apaisement, de bien-être,
etc.
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Malheureusement,
quelques centaines de mots plus tard, le Radoteur n’avait rien
produit de satisfaisant (à nos yeux tout au moins). On a donc
élaboré le mot à la main :
1) Sédo (calmant)
2) Procto (le coeur du problème)
3) yl (terminaison qui fait chic et pharmaceutique).
Puis on a laissé le Radoteur cracher quelques dizaines de mots
auxquels on a ajouté SEDOPROCTYL entre deux autres de faible
intérêt.
Le Laboratoire L… était ravi, et le vieux patron séduit
— convaincu que le mot avait été produit par une
machine — par le nom ultra-moderne de son produit séculaire.
Je n’ai pas honte, tout cela est prescrit. |
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Synok |
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Ça
se passe en 1988. Après la création du célèbre
Radoteur , j’entreprends la construction d’un générateur
de «synonymes» dans le but de fabriquer encore une fois
du texte délirant, mais, cette fois-ci, pas-si-délirant-que-cela
: je veux dire, où il y ait une bribe de sens. |
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Faisons
l’histoire courte : mon robot, nommé Synok, fonctionne
sur un vocabulaire de 100 mots :
poivre, sel, cauchemar, moutarde, couteau, seringue,
chaise, angine, charrue, tube de colle, pantalon, etc.
Pour chacun de ces cent mots, j’ai répondu à
un questionnaire en 64 points.
Celles qui, en 2003 avec Indécidables, deviendront
« Trouvez-vous que le monde est en bon état (Oui/Non)
», ces questions sont à l’époque
:
- est-ce matériel ?
- est-ce que c’est solide ?
- est-ce que ça s’ingère ?
- est-ce que ça a à voir avec la mort ?
- est-ce que ça peut se transmettre ?
- est-ce que c’est plutôt un contenant ?
- est-ce que c’est plutôt un contenu ?
64 questions, on le voit, à caractère extrêmement
général.
Ainsi
le sel, le poivre et la chaise sont-ils matériels (mais
pas l’angine) ;
la seringue et le couteau ont A VOIR AVEC la mort ;
la moutarde peut s’ingérer ;
le cauchemar ne peut pas se transmettre, etc.
Chacun des 100 mots est donc défini par un profil de
64 bits (réponses par oui ou par non), que Synok exploite
pour trouver les meilleures ressemblances.
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Si
on l’interroge sur poivre, Synok répond d’abord
sel, puis moutarde, alors qu’évidemment
aucune question n’était aussi fine que « S’agit-il
d’un condiment » ?
De même, à la question chaise, Synok répond
pantalon, alors qu’évidemment aucune question
ne porte sur la position assise.
Encore un exemple : interrogé sur couteau, Synok
répond cauchemar et même charrue,
ayant en quelque sorte détecté chez couteau et chez
cauchemar une proximité avec la mort, ainsi qu’une
structure métallique coupante avec charrue.
Exactement comme si la question 22 (« est-ce que ça
a à voir
avec la mort
? ») était affectée d’un coefficient énorme,
dans telles et telles conditions logiques, évidemment.
D’ailleurs, Synok est tellement malin que seringue
lui fait penser à tube de colle. Ici on tangente
le merveilleux, puisque la seule question qui pourrait justifier
une telle association d’idées serait : est-ce un tube
solide duquel un fluide peut sortir si on appuie.
(Incidemment, on peut aussi observer que la seringue et le tube
de colle sont les compagnons obligatoires d’un grand nombre
de drogués : héroïne, colle cellulosique.)
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Que
fait donc Synok pour proposer des jugements aussi pertinents ?
À mon avis, ayant détecté sur la seringue une
certaine forme, il recherche la même forme sur le profil de
tous les autres comptes.
(Cette forme est certainement très très complexe, étant
donné le caractère totalement — et nécessairement
— aléatoire de la distribution des questions.)
Et finalement, sans faire appel à un quelconque algorithme
de reconnaissance de formes, Synok trouve du sens à ce qui
semble ne pas en avoir : il a bien vu que les pantalons et les chaises,
ce sont des trucs qui se fréquentent. Presque des « synonymes
» ! |
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Le
train |
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Mon
chantier le plus aberrant — et peut-être le moins
électronique — consista en un mini-train qui faisait
le tour de l’appartement.
Comme tous les ex-petits garçons, j’avais conservé
à 27 ans une fascination pour la chose ferroviaire.
Une boutique près de chez moi vendait des rails au mètre.
J’en achetai une quinzaine, plus quelques rouleaux de
fil de fer destinés à constituer des anneaux (pendus
au plafond) auxquels la voie serait suspendue. |
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Une
motrice complétait le tout, harnachée d’un wagon
à ridelles, tous deux nus comme vers : il y avait une pente
sévère à escalader, aussi fallait-il que le poids
mobile soit le plus léger possible me disais-je, nouvel Eiffel
: j’avais éliminé toutes les carrosseries.
Encore fallait-il un justificatif à mon chantier, faute de
quoi je passerais pour un enfant attardé qui jouait encore
« au train » à l’approche de la trentaine.
Le justificatif que je trouvai eut l’immense inconvénient
de compliquer encore l’entreprise, et de beaucoup : Jacqueline
et moi dormions sur une mezzanine érigée à près
de deux mètres du sol, et l’ascension/descension de la
petite échelle de bois qui la desservait étaient vraiment
une corvée quand par exemple, tous deux fumeurs, il nous manquait
une cigarette.
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Je
décidai d’affecter à ce train une fonction
:
aller chercher UNE cigarette quand il en fallait une.
Ceci supposait :
A) une station temporaire, où le train chargerait la
cigarette
B) une station stable, où le train porteur de la cigarette
s’arrêterait, près du lit. |
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Deux
phénomènes parasitaires rendaient toute cette mécanique
follement aléatoire :
a) une fois sur deux, dans le virage sévère,
le train versait, explosant par terre en dizaines de petites pièces
;
b) et puis il y avait les oiseaux : une demi-douzaine
de perruches, en liberté dans l’appartement, qui se posaient
inopinément sur la motrice, ou sur le wagon, ou sur les rails,
bref à l’endroit où ces volatiles pouvaient commettre
le plus de dégâts [voir a)].
En dehors du temps consacré à reconstruire la motrice
et le wagon, il fallait aussi compter sur le temps de mise au point
complémentaire :
— une fois sur deux, l’éjecteur de cigarettes ratait
le wagon (cas le plus favorable), et le train arrivait à vide
;
— une fois sur quatre la cigarette heurtait le wagon de façon
inappropriée, précipitant la chute de celui-ci, qui
entraînait la motrice dans sa dégringolade [voir a)]. |
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La
carrière de ce maladroit robot ménager fut d’autant
plus longue que j’avais mis — arrêt de maladie —
des semaines à le construire et que, lorsqu’il fonctionnait,
c’était vraiment très beau : envoi du train en
mission, descente spectaculaire de la pente et emprunt du virage sévère,
arrêt automatique à la station de chargement et pichenette
électro-magnétique sur une Gauloise, redémarrage
du train chargé et escalade de la pente abrupte, arrêt
automatique en fin de mission, je brûlais de montrer ça
à un maximum de copains.
{ Pas les copines : les nanas s’en fichent des choses ferroviaires,
aussi déjantées soient ces choses, — et ces copines.
}
Trente ans ont passé, et notre vocabulaire s’est enrichi
: aujourd’hui n’importe quelle FIAC appellerait ça
de l’Art Conceptuel. |
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